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LA VICOMTÉ DE ROHAN AU XIIIème siècle.

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Le Porhoët tombé en quenouille, une part de cet héritage est recueillie par Alain VI de Rohan, héritier d'Aliénor de Porhoët. — Les accroissements à l'intérieur et à l'extérieur du fief : acquisitions faites aux vassaux ; accaparement des biens de Lanvaux. — Le Gormené prolonge les possessions de Rohan jusque dans le Penthièvre. — L'ost de 1294. — Les dernières années et la succession d'Alain VI.

A l'extinction de la Maison à Porhoët, les Rohan recueillent une part de l'héritage qui jointe à différentes acquisitions, compose la châtellenie de La Chèze.

En 1234 s'éteignaient les comtes de Porhoët dans la personne d'Heudon III. Celui-ci avait eu trois filles Mathilde, l'aînée, avait épousé Geoffroi comte de Fougères, lequel mourut de bonne heure, laissant un fils, Raoul, chef de la Maison de Fougères, — Aliénor, d'abord mariée à Alain V de Rohan, puis, en secondes noces, à Pierre de Chemillé, — et Jeanne, alliée à Olivier de Montauban. L'entente se fit difficilement sur la succession d'Heudon ; les débats se prolongèrent durant treize années (1235-1248).

A la suite de différents accords, basés sur les principes de l'Assise du comte Geffroi, et qui, dans le fond, ne diffèrent que légèrement, les deux tiers du Porhoët, avec Josselin et la forêt de Lannoys (Lanouée), furent attribués à Raoul de Fougères, tandis que l'autre tiers passa aux deux sœurs cadettes de Mathilde [Note : Archives du Morbihan (Fonds Rohan-Chabot) et B. N. ms, fr. 22330. « S'il n'y a que des filles, celui qui épousera l'aînée aura la seigneurie et mariera les puînées, de la seigneurie même, sur l'avis des proches parents de la famille ». Article 4 de l'Assise, C'était là une exception à la règle de l'indivisibilité des fiefs de baronnie et de chevalerie. Il fallait aider par une dot à l'établissement des filles pour qu'elles pussent s'apparager].

De l'alliance d'Aliénor avec le vicomte de Rohan, était né un fils qui, sous le nom d'Alain VI, gouvernait le Rohan. Le droit féodal le désignait comme héritier principal de sa mère, c'est pourquoi, à la mort de celle-ci, il s'enrichit de tous ses biens.

Nous ignorons le partage qui intervint entre Pierre de Cheminé et Olivier de Montauban, au nom de leurs épouses. Il n'est pas douteux cependant que Pierre de Cheminé ait conservé La Chèze, La Trinité et la forêt de Loudéac, qu'il tenait déjà en mains, depuis 1239. Aliénor est connue comme dame de La Chèze, elle passa les dernières années de sa vie dans ce château et fut enterrée à l'abbaye de Lantenac située dans son fief. Plusieurs actes attestent les droits de Pierre de Chemillé sur la forêt de Loudéac, comme sur la « villa » et le prieuré de La Trinité, dans la paroisse de Mohon. Mais rien dans les textes ne laisse supposer quelle fut la part de la dame de Montauban. Nous n'avons qu'un acte d'elle ; c'est, en 1269, une cession faite à son neveu de Rohan, des haras qu'elle possédait dans la forêt de Loudéac [Note : Bibl. Nantes, ms. 1541]. Il est permis de penser que l'épouse d'Olivier de Montauban fut complètement désintéressée du Porhoët, car on voit Aliénor et ses enfants faire seuls acte de suzeraineté sur le territoire laissé aux cadettes.

Alain VI, après le décès de sa mère, songe de suite à grossir ses possessions de ce côté. La même année, il achète une terre à Uzel, un moulin à Loudéac et toutes les propriétés d'un certain Berthelo Saint-Thélo (1271). Un partage de cadets apprend que le vicomte possède dans cette dernière paroisse « un Chastel, une villa, des bois, et des domaines variés » (1298) ; le sénéchal de la Vicomté s'y est taillé un beau fief à la Motte-Donon. D'ailleurs les possessions des Rohan ont, depuis quelques années déjà, franchi l'Out. Toute la paroisse de Plemieuc (Plumieux) et le manoir de Bodioc (Bodieuc) en Mohon, avaient été acquis par voie d'échange avec Roger de la Zouche, contre Veswassey et Foleborne en Angleterre [Note : Les Rohan possédèrent, jusqu'à la fin du XIIIème siècle, des biens en Angleterre. En 1299, Alain VI donnait à ses fils, Josselin et Guiard, « en perpétuel héritage, tous les droits, propriétés... jadis advenus de son père.., dans le royaume d'Angleterre » D. M. I, 1136] ; l'immense territoire de Mohon avait été concédé, l'année 1221, par le comte de Porhoët, au Vicomte, « pour ses bons services », et Eudon III ajoutait à cette importante donation divers droits dans sa forêt de Lanouée, entre autres, l'usage du bois pour Bodioc, le pacage de cent porcs et le pâturage de cent bœufs [Note : D. M. I, 1024, 1025. Arch. château de Kerguehennec. Bibl. Nantes ms. 1545]. Mohon fut, il est vrai, rapporté au comte de Porhoët lors des partages, mais la perte fut peu sensible en rapport du gain.

A ce qui précède, ajoutons la terre de Bastarz en Trévé, et celle du Breil en Loudéac, achetées de 1274 à 1280, la terre de La Rivière en Plumieux, assignée « à bienfait », c'est-à-dire à viage, à Thomas de Cheminé, frère d'Alain VI, avec les villæ de Saint-Samson et de Hoéou en Bréhand-Loudéac, pour sa part héritelle (1284) [Note : Il est vraisemblable que la villa de Saint-Samson est la paroisse actuelle de ce nom. Main VIII laissa par testament 10 livres « à l'église de Saint-Samson en Bréan ». — Hoéou est un nom défiguré par les copistes et doit correspondre à la Ville-Heude proche Saint-Samson, ou à la Ville-Hoyeux].

La succession d'Aliénor de Porhoët et les acquisitions d'Alain VI valurent donc aux Rohan un fief au Porhoët, dont La Chèze était la tête et dont les membres dispersés s'étendaient, en totalité ou en partie, aux paroisses de Loudéac, La Chéze, Mohon (La Trinité), Plumieux, Bréhand-Loudéac, Uzel, Saint-Thélo et Trévé. La Vicomté s'agrandissait ainsi au profit du Comté, et même un jour viendra où ce rejeton accaparera toute la vitalité de la souche qui lui avait donné naîssance.

Château de La Chèze.

La Chèze avait une forteresse dont il reste des ruines imposantes, posées sur une plate-forme rocheuse dominant le cours du Lié. La dimension restreinte de l'enceinte, la légèreté des tours, accusent le XIIème siècle, celui de l'apogée des Porhoët. Il est vraisemblable d'ailleurs que l'intérêt porté par Eudon II à La Chèze, eut pour origine un établissement militaire féodal. Le nom de La Motte conservé par une métairie sur la hauteur avoisinant le château, indique suffisamment l'emplacement du premier réduit fortifié qui subsista jusqu'à l'époque où l'eau devint le caractère dominant de la défense. Nous avons déjà vu le premier vicomte de Rohan abandonner les hauteurs de Castel-Noec pour descendre sur les rives de l'Out, et c'est aussi sur les bords d'une autre rivière, le Blavet, qu'il jeta les fondements du château des Salles de Pontivy.

La nouvelle place forte des Porhoët assise sur un massif schisteux, isolé de toutes parts, offrait une défense si parfaite qu'elle passait au XIIIème siècle pour imprenable. Le logis seigneurial fut reconstruit au siècle suivant et devint une résidence des Rohan.

Lantenac et les établissements religieux du territoire de La Chèze.

Dans la même vallée du Lié, un peu en amont et en vue des tours da château, Eudon de Porhoët appela les Bénédictins dans sa villa de Lantenac. Une copie de l'acte de fondation, heureusement conservée au milieu de la destruction des archives, porte la date de 1149 [Note : Arch. C.-d.-N. Copie de 1350. — Une enquête postérieure de très peu d'années aux guerres de la Ligue constate que les protestants avaient détruit tous les titres de l'abbay], alors que le généreux donateur était reconnu comme souverain par une partie considérable de la Bretagne.

Eudon dota largement l'abbaye qu'il dédiait à la glorieuse Vierge Marie et aux Saints. Il fit don d'abord d'un domaine appelé Donico « tant en plaine que sous bois » ; il y joignit plusieurs villæ ou parties de villæ (à Lampignec, Lescluse, Kergu, Lantenac), une île (à Trévé), un moulin (Trémuson), des dîmes (à Loudéac et Ménéac), et un droit de part à Loudéac [Note : Past synonyme de repas, droit qu'avait un seigneur d'aller une ou plusieurs fois dans l'année, seul ou avec un nombre déterminé d'hommes de compagnie, prendre un repas chez son vassal ; on l'appela plus tard le droit de mengier]. De plus, il autorisa les moines de l'abbaye à prendre dans la forêt tout ce qui leur serait nécessaire en bois vert ou sec, à y faire paître leurs troupeaux [Note : « Pâture d'animaux et paisson de porcs »] et à en tirer du foin à discrétion. Parmi les témoins de cette fondation figurent Jean de la Grille, l'un des plus illustres évêques de Saint-Malo, et Geoffroy, évêque de Saint-Brieuc. En même temps qu'ils jouèrent un rôle intellectuel soutenu par l'étude qui est une de leurs règles de vie, les bénédictins accomplirent dans cette contrée une œuvre agricole et industrielle très profonde. Ils transformèrent les terres incultes en terres fécondes et introduisirent la culture du lin ainsi que le tissage des toiles.

Deux autres établissements religieux se trouvaient dans les possessions des Rohan au Porhoët le prieuré de la Trinité fondé, vers 1050, par le titulaire du Comté ou un de ses vassaux, et le prieuré de Saint-Leau ou Saint-Loc, en Plumieux, dont l'origine reste assez obscure ; tous deux occupés par les moines de Saint-Jacut. L'église de la Trinité, construite au XIème siècle, a résisté en partie jusqu'à nos jours ; une halle, ou cohue, destinée aux droits d'étalage du couvent, se dressait sur la place devant l'église ; au milieu du XIIIème siècle, elle s'en allait de vétusté et sa reconstruction fut l'objet de longues discussions entre les religieux et Pierre de Cheminé [Note : D. M. I. 948 et Arch. Kerguehennec (C. M. 276). — B. N. ms. fr. 22337, f. 200].

En Mohon également, au lieu appelé Bodioc, que nous avons cité comme « manoir », avait été établi un petit monastère sur l'emplacement d'une ancienne forteresse ruinée par les Normands. Ce prieuré est formellement mentionné vers 1199, dans un acte conservé par dom Morice. On en sait peu de chose ; il dépendait également de Saint-Jacut et sa chapelle était dédiée à la Sainte Trinité.

Nous retrouverons plus tard tous ces établissements, petits et grands, ligués contre le pouvoir seigneurial des sires de Rohan, parce qu'ils n'admettaient aucune des conséquences de l'autorité laïque.

***

Les Vicomtes ont le souci d’augmenter sans cesse leurs possessions territoriales.

L'ambition paraît avoir allumé chez les Rohan qui tinrent la Vicomté au XIIIème siècle, une soif de posséder inextinguible. Leurs acquisitions et leurs procès allèrent toujours en croissant.

Ce n'est pas seulement du côté du Porhoët qu'ils portent leurs visées ; ils se montrent encore fort soucieux d'arrondir leurs domaines dans le fief patrimonial, par retrait lignager, par échanges ou acquêts...

Un des moyens d'augmenter leurs biens, fut pour ces seigneurs d'inciter aux donations en faveur de leurs enfants entrés dans les ordres, en faisant spécifier que ces dons ou legs feraient retour aux héritiers du clerc. Les Bénédictins ont publié plusieurs actes de cette nature. Geoffroi de Noial se dépouille littéralement en faveur de Geoffroi de Rohan, chanoine de Saint-Brieuc, puîné d'Alain VI ; non content de lui céder son manoir de Noial, il lui abandonne ses terres de Plélauff, Lescoët, Silfiac, Langoelan et Saint-Thélo (1233). « En aumône perpétuelle » ou pour son « entretien aux écoles », le même reçoit successivement d'Alain de Camors un fief noble situé en Plumelin et Camors, d'Alain de Barz une maison au bourg de Noeal, de Guillaume, seigneur de Kervenou, un autre fief à Plumelin,…. etc. (1286-1288). Geoffroi de Rohan avait un frère, Olivier, clerc également, qui ne fut pas moins bien traité que lui [Note : D. M. I, 1068, 1081, 1082. B. N. ms. fr. 22337].

La confiance dans les vertus ecclésiastiques était grande, — pour obtenir des prières on allait jusqu'à priver ses héritiers d'une partie de sa succession ; — mais comment expliquer les donations « pures et simples », faites au suzerain ou à ses enfants laïques [Note : D. M. I, 1173, 1193] ?

Josselin de Rohan, puîné du chanoine de Saint-Brieuc, se taille ainsi tout un fief au Quilio et à Merléac [Note : D. M. I, 1081, 1098, 1099]. Les « services rendus », sans plus d'explication, qui généralement motivent l'acte généreux, pourraient bien reposer, il est vrai, sur des prêts d'argent. Nous n'en serions pas surpris, car les Rohan, à cette époque, apparaissent fort habiles en affaires. Lors de son départ pour Jérusalem, un seigneur du Goélo, Eudes de la Rochederrien, emprunte six cents livres à Geoffroi de Rohan, lui laissant en gage, son fils, sa nièce, le château de la Roche et toutes ses terres (1218). Alain, le fils d'Aliénor de Porhoët, prête trois cents, puis onze cent soixante-cinq livres tournois à Geoffroi d'Hennebont de la maison de Lanvaux, deux cents livres à Alain de Quenhoët, une autre somme à Henri de Quénécan [Note : D. M. I, 837, 1026, 1028, 1011. — D'après le Vte d'Avenel (La Fortune à travers sept siècles), à l'avènement de saint Louis, mille livres tournois équivalaient à 98.000 fr. de nos jours (avant guerre) et procuraient 9.800 fr. de rente ; en 1300, la même somme représente 64.000 fr.]. Ces cessions constituent des ventes à réméré ; gagées sur les propriétés foncières des créanciers, elles entraînent fatalement la confiscation des biens. Geoffroy d'Hennebont perd ainsi tout ce qu'il a en Noial et Saint-Gonnery ; les autres emprunteurs, s'ils n'assistent pas à la transmission totale de leur avoir, voient celui-ci sensiblement diminué. C'était pour les Vicomtes un moyen de s'enrichir et en même temps d'abaisser leurs vassaux.

Lutte contre la maison de Lanvaux.

Jaloux de peur autorité, les sires de Rohan souffraient avec peine que les barons la partageassent avec eux ; toute sa vie, Alain VI travailla à les humilier. Olivier de Lanvaux fut la première victime de ce sentiment.

La baronnie de Lanvaux n'était pas un modeste fleuron, même pour une couronne princière ou ducale. Elle bornait la Vicomté au sud et se composait d'une étendue considérable de fiefs. La juridiction principale s'exerçait à Pluviner et Grandchamp, mais, outre ces paroisses, la seigneurie avait ses extensions en Plumergar, Brech, Auray, Crach, Locmariaquer, Plœmel, Mendon et Belz. Indépendamment de la baronnie, les Lanvaux possédaient d'autres biens ; dans la Vicomté ils avaient, presque en totalité, les paroisses de Moréac, Remungol et Melrand, des domaines importants en Plumelin, Plumeliau, Malguénac, Saint-Gonnery, et surtout en Noyal [Note : Nous orthographions indifféremment suivant tes textes : Noial. Noeal ou Noyal. ll s'agit de Noyal-Pontiv], Les possédaient-ils par alliance ou à titre d'apanage ?... On l'ignore. Toujours est-il, que ces biens formaient une très importante enclave dans le Rohan et ne laissaient pas d'exciter la convoitise des Vicomtes, malgré les liens du sang qui unissaient les deux familles également illustres.

Le premier acte significatif est un accord de 1228. Alain de Rohan exige comme devoir de vassalité de Geoffroi de Lanvaux, l'engagement, pour lui et ses héritiers, de ne jamais faire construire dans la Vicomté aucun château ou demeure fortifiée, de n'y creuser ni douves ni étangs, de n'y établir ni foires ni marchés. « Ces divers privilèges, dit très justement l'abbé Guilloux dans son excellente étude sur Lanvaux, les grands seigneurs les réclamaient, il est vrai, de leur suzerain, le duc de Bretagne, mais on voit qu'ils les refusaient à leurs propres vassaux, alors même que ces vassaux appartenaient au premier rang » [Note : Baronnie de Lanvaux, J.-M. Guilloux. Vannes 1896]. Geoffroi se déclare l'homme lige du Vicomte et reconnaît que Geoffroi de Kermorz, pour sa terre de Kermorz (Camors), est aussi son homme. Alain de Rohan, en outre, règle un devoir de « mengerie » à Borgeel [Note : Borgeel, manoir situé peut-être en Remungol où il y avait jadis une seigneurie dite Bourgerel. Le Vte de Rohan revendiquait le droit féodal de se faire héberger à Borgeel, une fois l'an, avec toute sa suite, et il tenait si bien à cette obligation que les Lanvaux durent la reconnaître à trois reprises différentes (1228, 1258, 1260)], et, moyennant un modeste revenu, obtient cession de la terre de Branguily et d'un héritage au Pont de Pontivy [Note : Bibl. Nantes, ms. 1545].

Le revenu en question fut payé quelque temps sans difficulté, puis le Vicomte s'y refusa. C'était l'heure de la déchéance des Lanvaux. Ollivier, après avoir soutenu ses prérogatives les armes à la main, avait succombé dans la lutte engagée contre le duc de Bretagne ; les cadets, Geoffroi d'Hennebont et Adelice, femme d'Eudon Picaut, perdaient par dissipation presque tous leurs biens. Alain de Rohan se préparait à entrer en lice.

Olivier de Lanvaux n'aurait peut-être pas osé se mesurer avec un prince aussi entreprenant que le fils de Pierre Mauclerc, si sa puissance n'avait été accrue par un riche mariage avec Adelice, fille du seigneur d'Hennebont ; celle-ci lui avait apporté un tiers du château d'Hennebont et les droits seigneuriaux qui composèrent plus tard le fief de Pontcallec. Irrité par des contestations sur certains droits patrimoniaux, entraînant avec lui Pierre de Craon, il leva l'étendard de la révolte. Le duc remporta sur eux une victoire complète, emprisonna Lanvaux à Succinio et Craon au Bouffai de Nantes, et, pour comble de malheur, confisqua la baronnie qu'il réunit à son domaine. Le sire de Lanvaux vit s'ouvrir les portes de son cachot à la suite d'une convention dont on ignore la date et les conditions. Cependant l'accord ne portait pas sur le rétablissement de la baronnie, car elle demeura sous te coup de la confiscation.

Trente années environ s'étaient écoulées, quand Geoffroi II de Lanvaux, arrière petit-fils d'Olivier, tenta de recouvrer l'héritage de ses pères. N'ayant pu y réussir par les voies de remontrances, il déclara la guerre à Jean Le Roux.

« Cette nouvelle levée de boucliers n'était pas de nature à inquiéter le duc. Depuis son avènement au trône, son influence n'avait fait que grandir ; et, de plus, les Lanvaux n'étaient plus ce qu'ils étaient autrefois, la confiscation de la baronnie et les ventes qui l'avaient suivie ayant notablement diminué leur puissance. Celle-ci paraissait tellement réduite que Alain VI, Vicomte de Rohan, revendiqua l'honneur personnel de ramener Geoffroi à son devoir. Cette initiative lui appartenait à un double titre : d'abord il était suzerain du rebelle qui avait beaucoup de biens dans la Vicomté ; ensuite, il avait à cœur de répondre à un acte passé par le duc en 1231. N'étant encore que mineur, Jean Le Roux s'était obligé sur les saints Evangiles, à défendre à vie et à mort Alain V de Rohan et ses héritiers. La reconnaissance n'obligeait-elle pas Alain VI à prendre à son tour la défense du duc ? Cependant, dit le proverbe, défiance est mère de sûreté, la politique est versatile et on ne saurait trop se garantir contre toute éventualité » [Note : J.-M. Guilloux]. Avant de commencer la lutte, le Vicomte exigea la promesse solennelle qu'aucun accord ne serait signé avec le rebelle sans son consentement. « Sachent touz, — disait le duc — que comme Alen Vicomte de Rohan, nostre féal et nostre ami, eust enpris guerre contre Jefroy de Lanvaus, chevalier, lequel Jefroy nos guerroist, nos avons graié et octroié a iceluy Alen Vicomte, que nos ne nos hoirs, ne ferons pez a celuy Jefroy ne a ses hoirs, senz le consentement et senz la volonté au dit Vicomte ou à ses hoirs... » (16 sept. 1272) [Note : D. Lobineau, I, 392].

Des engagements si nobles et si généreux eurent tout le succès qu'on en pouvait attendre. Avant la fin de 1273, la guerre fut terminée à l'avantage du duc et à la gloire du Vicomte qui l'avait soutenue.

Les Rohan restent les principaux bénéficiaires de l'aliénation du patrimoine de Lanvaux.

Nous n'avons plus le traité de paix fait dans cette occasion ; mais la suite des événements donne lieu de croire que Lanvaux promit de dédommager le duc des frais de guerre, ou bien que Jean Le Roux, comme preuve d'une parfaite réconciliation, prêta de l'argent à Lanvaux pour satisfaire ses créanciers. Plus vraisemblablement, il s'agit d'une indemnité de guerre et la somme dépassait les ressources pécuniaires du malheureux Geoffroi. Jean Le Roux, pour la recouvrer, fit vendre tous les biens que le vaincu possédait à un titre quelconque dans les paroisses de Melrand, Remungol et Moréac, sauf les bois de l’Evel et de Galvrot en Remungol, et le fief de Nicolas de Lanvaux, un cadet. Les bannies faites devant la cour de Rohan et aucun membre de la famille n'ayant fait opposition, le duc ordonna de les adjuger pour 3115 livres, au Vicomte qui les réclamait en qualité de suzerain (1273).

Malgré cette vente, Lanvaux restait encore dans la créance du duc, et une nouvelle adjudication eut lieu l'année suivante. Cette fois, elle porta sur tous les biens qui restaient au vaincu dans la vicomté de Rohan, en fief noble et en héritage propre, excepté l'achat de Pierre de Kergorlay et la dot de Thomasse, sœur de Geoffroi. Aucun réclamant ne se présenta encore, et le Vicomte, requerrant humblement, obtint les biens en question, après « loyal avenantement », pour 4000 livres. — Rien n'embarrassait les Rohan, toujours ils étaient disposés, soit à prêter finances sans tenir compte du montant, soit à acquérir quelle que fût la valeur.

Sept mille cent quinze livres passèrent ainsi dans le trésor ducal aux dépens du vaincu !

« Tant d'aliénations avaient abattu les Lanvaux qui n'osèrent plus rien tenter contre leur souverain. Restait l'autre adversaire, cet Alain de Rohan dont le patrimoine s'était constamment augmenté de leurs dépouilles. Ils ne manquèrent pas une occasion de lui chercher querelle, non plus sur les champs de bataille où la fortune les avait trahis, mais sur le terrain compliqué de la procédure avec l´espoir de reconquérir la situation perdue ».

L'initiative de cette querelle procédurière revient à Alain de Lanvaux, fils de Geoffroi II.

Comme les ventes précédentes n'avaient souffert aucune opposition, le Vicomte avait pris possession des terres acquises judiciairement. Il en jouissait paisiblement depuis quatorze ans, lorsque les fils de Geoffroi de Lanvaux prétendirent que leur père avait été dépouillé injustement. D'une part, Tiphaine de Rohan, la veuve, réclama son douaire sur les biens de son mari confisqués et vendus ; de l'autre, Alain de Lanvaux assigna le Vicomte à Ploërmel où devaient ètre revendiqués les héritages paternels (1288).

Les prétentions de la veuve furent déclarées mal fondées, néanmoins le Vicomte, « par aumosnes e par pitié », consentit à lui servir une rente viagère de quarante livres de monnaie courante. Quant à Alain de Lanvaux, le sire de Rohan ne voulut rien lui céder, soutenant que lui-même était garanti par la Coutume de Bretagne qui n'accordait qu'un an et un jour pour le retrait d'une terre saisie ; depuis quatorze ans qu'il jouissait des héritages, personne n'avait troublé sa possession, et, d'ailleurs, aucune formalité n'avait été omise. A l'encontre, Lanvaux disait qu'il y avait eu « convenant juré » entre son père et le Vicomte, accord tacite par lequel Alain de Rohan se serait engagé à ne s'approprier nulle de leurs terres ; au cas où il lui en fût advenu, il les eût rendues. Ces dernières assertions n'avaient qu'un défaut elles ne pouvaient se prouver. Aussi la cour ducale, après avoir examiné les raisons alléguées par les parties, rendit-elle un arrêt favorable au Vicomte.

Cette sentence, sans terminer les débats, ne servit qu'à exaspérer Alain de Lanvaux. Dans sa fureur contre son adversaire, il l'accusa « de parjureté et de trahison » et finalement lui envoya un cartel. Alain de Rohan, tout vieux et cassé qu'il était, accepta le défi. Mais les « sages gienz de lour amis » s'interposèrent et les obligèrent « de tenir haut et bas » ce qu'ordonnerait le duc. Celui-ci, par lettres du 1er juillet 1298, maintint le Vicomte en possession des terres qui lui étaient disputées, annula le cartel, en effaçant toutefois l'infamie qui aurait pu subsister par suite de son inexécution. Quelques jours après ce jugement, Jean II, successeur de Jean Le Roux, en rendit un second qui condamnait Alain de Rohan à lui payer trois mille livres « pour couvrir certaines erreurs de procédure » dit le texte, mais en réalité pour donner un dédommagement au sire de Lanvaux. Les parties se soumirent à cette décision et vécurent dans la suite en bonne intelligence [Note : La famille de Lanvaux se prolongea dans les seigneurs de Trogoff (en Plouégat-Moysan, évêché de Tréguier) dont Alain, fils de Geoffroi II, fut la souche en épousant l'héritière de ce fief, et dans les seigneurs de Beaulieu (en Bignan, évêché de Vannes). Guillaume, puîné d'Alain sire de Trogoff, donna naissance à cette tige de Beaulieu qui, contrairement à la branche aînée, conserva toujours son nom patronymique. La baronnie fut morcelée, puis reconstituée en partie au XVème siècle au profit d'abord d'André de Laval, ensuite de Louis II de Rohan-Guémené. Pour la dispersion des biens des Lanvaux, voir D. M. I, 1027, 1029, 1032, 1084, 1085, 1120, 1129 et les arch. de Kerguéhennec (Cart. Morb.). 356, 447)].

***

Différend entre Alain de Rohan et le duc Jean II.

Durant le règlement des biens de Lanvaux, il s'éleva un autre différend fort important. Le duc Jean II, marchant sur les traces de son père et de son aïeul, dépouillait peu à peu ses feudataires de leurs droits, non pas ouvertement par force, comme avait fait Mauclerc, mais par ruse et par adresse. Quelque attachement que le Vicomte de Rohan ait toujours marqué pour les intérêts du prince et ceux de ses prédécesseurs, il ne fut pas exempt de vexations. Il s'en plaignit hautement dans le Parlement Général de l'année 1291, devant lequel il exposa en détail ses griefs.

A l'encontre des coutumes, le duc prélevait des taxes sur les vins destinés à l'usage personnel du Vicomte et qui étaient amenés — sans doute de Vannes — par ses vassaux. Depuis le dernier bail de la Vicomté [Note : Bail, droit qui a précédé le rachat], les ducs détenaient, sans vouloir les rendre, les paroisses de Mellionnec et de Plouray. Jean Le Roux avait fait creuser à Pontcallec un étang dont les eaux inondaient les terres du sire de Rohan. Celui-ci reprochait encore à son suzerain de mettre de graves entraves à ses droits judiciaires, en faisant exercer la justice par ses sergents sur le territoire de la Vicomté ; de rendre justiciables des cours ducales les sujets de Rohan, et de priver ainsi leur seigneur des amendes et autres bénéfices de justice. Malgré des conventions expresses, Jean II citait le Vicomte et ses vassaux ailleurs qu'à la barre de Ploërmel, et les contraintes, au lieu d'être adressées à celui-ci par le sénéchal de la dite cour ou par l'alloué général du duché, l'étaient souvent par de simples sergents ou des substituts. Bien que le duc ne dût counaître à foi et hommage « qu'un seul homme » pour toute la Vicomté « en quelque main que vinssent à tomber les terres », Jean II cependant avait reçu aveu d'Hervé de Léon pour des fiefs dans la dépendance du Rohan [Note : Hervé de Léon, du fait de sa femme, Jeanne de Rohan, avait obtenu 100 livres de rente sur la Vicomté (accord de 1289)].

Alain terminait son copieux mémoire en demandant le rétablissement de tous ses droits et 3.150 marcs d'argent de dédommagement. Enfin, il assignait les parties à Pontivy, le mardi de la férie de Pâques (27 nov. 1291) [Note : D. M. I, 1096].

La suite de cette procédure étant perdue, nous ne pouvons indiquer l'issue du procès. Cependant il n'est pas douteux que les demandes du Vicomte aient été entendues ; ses successeurs ont constamment joui des prérogatives dont on cherchait alors à le dépouiller.

Sans doute, est-ce pour se protéger des empiètements et des vexations du suzerain que le Vicomte fait prendre au prieur de Rohan des engagements particuliers que nous n'avons trouvés nulle part ailleurs. « Nous sommes tenus et devons — dit te moine Nicolas — garantir et défendre à nos couts et depens noble homme Alain Vicomte de Rohan, chevalier, ses alloués, les fermiers de toutes les dîmes de Rohan et de Porhoët » [Note : Aveu du 17 novembre 1292. B. N. ms. fr. 22337, f. 287]. Defendere peut être pris dans le sens habituel qui signifierait, sinon que le religieux devait s'armer de pied en cap, du moins qu'il devait envoyer ses hommes au Vicomte en cas de besoin ; mais il semble qu'il s'agit plutôt ici d'une protection devant les tribunaux.

Deux faits montrent que la paix fut sérieusement conclue entre le Vicomte et son suzerain. Le comte de Richemont, fils aîné du duc, ayant besoin d'argent pour mener la guerre, Alain de Rohan, « de sa grâce », lui offrit un prêt sur ses fiefs et arrière-fiefs de Rohan, Porhoët et Gormené ; et, dans le même temps, le sire de Rohan cédait au duc le profit des droits de ligence, de rachat et de vente, à lever sur les juveigneurs de toutes ses terres, sauf l'hommage de respect qu'il réservait aux aînés, suivant la Coutume (1299) [Note : D. M. I, 1170 et B. N. ms. fr. 22333].

Le Gormené au territoire de Penthièvre.

Quelle était la terre de Gormené que l'on voit figurer ici pour la première fois parmi les possessions d'Alain de Rohan ? Gormené ou Gourmené [Note : Qu'il convient de ne pas confondre avec les Aulnais-Gomené, paroisse de Gomené], situé au Penthièvre, paroisse de Plouguenast, avait été uni à la seigneurie voisine de Pontgamp, ou Pontguégant, et composait un fief sur les marches de la châtellenie de la Chèze. Qu'elle vint aux Rohan, par acquisition, ou par donation de Pierre Mauclerc, comme on pourrait le supposer, la seigneurie de Gormené prolongeait parfaitement leurs possessions du Porhoët. Plouguenast confine, en effet, à la forêt de Loudéac qui leur appartenait. Le fief ne manquait pas d'importance puisqu'il était tenu au devoir de l'ost et représentait environ deux cents livres de rente [Note : Partage de 1298]. Alain de Rohan en rendait aveu, l'année 1255, à Yolande de Bretagne [Note : D. M. I, 961].

Un siècle plus tard, Jean de Rohan donna « Pontguegant et Gourmené » à sa sœur Marguerite, à l'occasion du mariage de celle-ci avec Jean de Beaumanoir (1356) [Note : D. M. I, 1507]. Puis, les fiefs en question font retour au Rohan à la suite d'un accord entre Alain IX et sa nièce, Ysabeau de Beaumanoir, fille des précédents, qui abandonne les dits terroirs et des héritages dans la seigneurie de Moncontour contre différentes rentes assises sur les terres de Bellefosse en Normandie et sur l'échiquier de Rouen (1410) [Note : B. N. ms. fr. 22332].

Le fief de Guemené mouvant de la Vicomté.

A la même époque, on trouve assez fréquemment le Vicomte qualifié de seigneur de Kemenet-Guégant [Note : Alain de Rohan est qualifié seigneur des fiefs de la Vicomté de Rohan, de Porhoët et de Guémenèguégant dés 1231.Kemenet se traduit par fief, réunion de plous]. Plus simplement appelé dans la suite le Guémené, Kernenet-Guégant n'était pas, comme Gormené, « au dehors » de la Vicomté, mais bien « au dedans », c'est-à-dire dans sa mouvance propre.

Fief, à l'origine, d'un certain Guégant, il se trouve au XIIIème siècle aux mains de la famille de Bello-Mari ou Beaumer. Robert, fils de Gilles de Beaumer et d'Agnès de Couci, épousa vers 1251, Mabille de Rohan, sœur d'Alain VI. Dom Morice pense que Mabille apporta Kemenet-Guegant à Robert de Beaumer [Note : D. Taillandier aurait trouvé aux archives de Guémené la preuve qu'à l'occasion du mariage de Mabille, en 1251, le vicomte Alain donnait à sa sœur les terres de Guémené et de la Roche-Periou sous condition de l’hommage en juveigneurie. (Relation du voyage de D. Taillandier, par D. Plaine. Revue de Bretagne, 1872,) Cependant ce titre de juveigneurie ne paraît dans aucun acte parvenu jusqu'à nous]. Nous ne soutenons pas la même assertion, parce qu'elle est contraire à « l’impartibilité » des fiefs mis en usage par le comte Geoffroi ; parce qu'en outre, si le Kemenet avait été un propre de Mabille, il eût certainement fait retour aux Rohan, vu que la dame de Beaumer mourut sans postérité. Robert, l'année de son mariage, confirme des libéralités à Bon-Repos ; en 1276, il fait remise d'un droit de bail à ses vassaux Guillaume et Henri de Bocdinon ; quatre années plus tard il est décédé, et son frère Ranou, seigneur de Biomaller, en a hérité. Ce Ranou, trésorier de l'archevêque de Reims, se trouva, sans doute, trop éloigné de Bretagne pour saisir l'héritage ; il le réserva avec les terres de la Roche-Periou et de Cravial, à son puîné Thomas de Beaumer. La décision de Ranou est venue à notre connaissance par une lettre qu'il écrivit de Paris au duc de Bretagne, pour aviser Jean II que ce serait son frère Thomas qui lui rendrait l'hommage. Le trésorier de Reims ignorait-il que le Kemenet fût de la mouvance du Rohan ? Alain VI se chargea de le rappeler ; même ce fut l'objet d'un nouveau procès qui se termina par un accord fixant l'obéissance du seigneur de Guémené à la cour de Pontivy.

La Roche-Periou avait son château en Priziac, sur un monticule au confluent de l'Ellé et de la petite rivière du Pont-Rouge, à moins de trois kilomètres sud-est du Faouet [Note : Periou qui a donné son nom à ce château serait, d'après certains historiens, le plus jeune des enfants de Bénédic, comte de Cornouaille (XIème siècle)]. Froissart l'a illustré dans ses récits de la guerre de Blois et de Montfort. Le château de Cravial, en Lignol, au sud de Guémené, s'abritait derrière un coude du Scorff. Ces deux dépendances du Kemenet-Guégant donnaient à ce fief une grande extension, de sorte qu'on peut considérer les paroisses de Locmalo, Lignol, Priziac, Ploerdut, Langoëlan, comme faisant alors partie de son territoire [Note : Pour ce qui précède sur le Guémené, consulter D. M. I, 950, 1041, 1069, 1097, 1113, et le Cartulaire du Morb. 381].

Thomas de Beaumer ne laissa qu'une fille, Jeanne, mariée à Jean, seigneur de Longueval, auquel Jean I de Rohan acheta les seigneuries de Guémené et de la Roche-Periou, l'année 1377.

L'Ost de 1294.

Maintenant que nous avons exposé quelles étaient les possessions d'Alain VI en Bretagne, on comprendra sans peine les obligations du service militaire qu'il devait au duc Jean II, suivant le Livre des Ostz de 1294. Le Vicomte de « Querohan », porte le texte de la Chambre des Comptes, était tenu de présenter neuf chevaliers et demi : « c'est à savoir V pour la vicomté de Rohan, e ung chevalier pour le fie de Kemenet-Guégang, un demy pour le fie de Gormené, e III chevaliers dou fie de Pourhoet, par la main au comte de la Marche » [Note : Arch. L.-Inf. E 132].

Le Vicomte, en étendue de fief, l'emportait de beaucoup sur les autres seigneurs de la baillie de Ploërmel et de Broerec qui, en tout, fournissait vingt-sept chevaliers et demi au duc. En Bretagne, Alain de Rohan ne se trouve distancé que par le comte de la Marche qui tenait le Porhoët et la seigneurie de Fougères (15 chevaliers) [Note : Hugues II de Lusignan, petit-fils de Raoul de Fougères, héritier de Mathilde de Porhoët], l'évêque de Dol (10 chevaliers), et Henri d'Avaugour, seigneur de Goëllo et de Quintin (10 chevaliers).

***

Dernières années d'Alain VI de Rohan. Testament et succession.

Les difficultés de famille ne firent pas défaut non plus au processif Alain VI de Rohan, et ces difficultés eurent leur source dans le désir excessif d'amasser qu'avait le Vicomte.

Son gendre Hervé de Léon est obligé de l'assigner devant la cour de Ploërmel pour obtenir l'accomplissement des promesses de son mariage contracté depuis vingt-deux ans ; enfin, à la suite de plusieurs accords, il reçoit l'assiette de cent livres de rente sur Melrand et Baud (1288-1296). Il faut « moult débats » à Olivier de Tinténiac pour recevoir ce qui revient à sa femme des biens de sa mère, Phelippes de Rohan, même les joyaux, chevaux et meubles de celle-ci (1301) ; et non moins pénibles furent les « plez, brigues et altercations » nécessités par le douaire de Catherine de Clisson, veuve de Geoffroi de Rohan (1303) [Note : D. M. I, 1086, 1091, 1118, 1137, 1181 et également Arch. Kerguehennec]. Cependant Alain VI fit preuve d'une certaine condescendance vis-à-vis de sa femme et de son fils aîné.

Jean II de Bretagne pris comme arbitre dans la querelle de Lanvaux, décidait, le 1er juillet 1298, que l'état du Vicomte de Rohan et la « nonpoissance de son cors » mettait celui–ci dans l'impossibilité d'accepter le cartel de son adversaire. Alain de Rohan devait, en effet, être fort âgé, et vraisemblablement était atteint d'infirmités qui l'empêchaient d'engager un combat singulier. Trois mois plus tard, souffrant d'une grave maladie, de son lit, il dictait ses dernières volontés relatives à Thomasse de la Rochebernard, sa seconde épouse [Note : En premières noces, Alain VI avait épousé Isabeau dame de Correc. Thomasse de la Rechebernard lui avait apporté 3000 # en dot]. Il lui octroyait de sa bonne volonté, « ne par barat ne par pourfforcie », 24 écuelles d'argent « de doublement de marc », 24 sauciers « d'argient marteaux », 24 hanaps « d'argient marteaux », au marc de Tours, 6 pots à vin, 1 pot à eau et 1 écuelle à aumônes, également en argent, 2 coupes d'argent doré, tous ses joyaux, ses « corones » et ses « chapiaux ». En outre, il lui faisait présent de toutes ses robes, ses couvertures « de veir, de gris et de genetes », ses courte-pointes « de cendel, de saye et de drap d'or » et les autres draps de ménage. A ce qui précède, il faut ajouter ce qui composait le mobilier de la chapelle qui servait généralement dans les déplacements du testateur, à savoir « livres, touailles, et touz autres paremens et aournemenz ».

Le Vicomte abandonnait encore à Thomasse de la Roche ses haras de Quénécan et ses troupeaux de vaches des forêts de Quénécan, Poulancre, Loudéac et leurs dépendances, avec les maisons de gardes et les logements d'animaux [Note : Dans les dépendances forestières de Quénécan, on cite à cette époque « les bois de Cavarn, Lanmeillec et Châteaucren ». Il faut lire : Cavarn ou Cavern, Lanmenach et Châteaucran ou Castelcran, anciennes seigneuries, disparues à une époque mal déterminée] ; il concédait la faculté d'établir des parcs pour capter ceux-ci, et de prendre le bois nécessaire à la réparation ou à l'édification des « vacheries », même le chauffage dont cette dame aurait besoin pour ses manoirs. Les vaches servant à la subsistance du seigneur et de sa maison lui sont également laissées. Toutes choses d'ailleurs qui ne devront porter aucun préjudice au douaire [Note : Bibl. Nantes, Fonds Bizeul]. Ce fut fait la veille de la Toussaint. Le fils aîné du donateur était présent et contresignait le testament. Lui aussi profitait des dispositions libérales du vieillard qui avait assigné à son héritier, pour sa « pourveance » et en avancement de droit successif, le tiers de toutes ses terres de Bretagne.

Le vendredi de la vigile de Noël, étant au manoir de Penret, Alain de Rohan, le jeune, avec l'autorisation de ses parents, partageait ses frères : Josselin, Guyart et Eonet, et les mettait en possession de 600 # de rente sur le fief de Gormené et de Pontguegant, les domaines, moulins et bois de Saint-Thélo [Note : « Boes de Coetcastel, Steheon, Penbezn, la Plesse, Deroedon », D. Lobineau, 1638] ; cependant la jouissance des revenus était réservée au père jusqu'à son décès. Pour sceller cet accord, Alain avait convoqué aux côtés de son père quelques parents et vassaux fidèles : Jehan sire de Beaumanoir, Thomas de Chemillé, Thébaut de la Feuillée, chevaliers, Karo de Bodégat, Alain du Parc, Guillaume de Borguetel, écuyers, et autres.

Contre les prévisions naturelles, Alain quitta le monde des vivants avant son père lequel dut payer 1300 livres tournois pour le rachat des terres qu'il avait abandonnées à son fils (août 1299).

Il semble qu'à cette époque, dans les maisons de haut parage, les enfants qui avaient fait choix de l'état ecclésiastique ne recevaient aucun partage, à plus forte raison étaient-ils exclus de l'héritage paternel ; autrement dit, l'état ecclésiastique écartait les droits de succession directe. Lorsque des circonstances fortuites désignèrent Geoffroi, puis Olivier de Rohan, fils d'Alain VI, pour recueillir le fief patrimonial, avec une aisance remarquable, ces cadets quittèrent les ordres pour prendre femme. Geoffroi, que nous avons vu, comme chanoine de Saint-Brieuc, recevoir plusieurs donations, se marie aussitôt le décès de son aîné ; toutefois, il mourut également avant son père et la Vicomté passa sur la tête du troisième fils, Josselin, qui la conserva deux années (1305-1306). Josselin, privé de postérité, fit renoncer Olivier, son puîné, au célibat ecclésiastique, en l'assurant qu'il jouirait de 200 # pour sa part héritelle sur la Vicomté, s'il avait « her de son cors de femme espouse » [Note : D. M. I, 1201 et D. Lobineau 1637-8]. De fait, il était juste de préparer les voies de l'avenir. En 1307, Olivier resté seul pour recueillir la succession de ses frères, se maria aussitôt.

La question du douaire de Thomasse de la Rochebernard avait été posée du vivant de son mari ; elle fut longuement discutée dans la suite, et tranchée seulement par Olivier de Rohan.

Le Vicomte Josselin décida qu'il garderait tous les meubles de la communauté pour régler les dettes de son père, et Thomasse dut rapporter une partie des objets de la donation de 1298. Le douaire, proprement dit, porte sur la châtellenie de Corlay et de Plussulien, et sur les terres du défunt en Normandie ; ce qui, en principe, devait correspondre au tiers de tous les biens d'Alain VI. Les bois futaies des domaines ne devaient être utilisés ni vendus, que par l'ordonnancement du sire de Beaumanoir ; la veuve cependant pouvait exploiter pour son compte la forêt de Poulancre, sous le même contrôle et suivant les règles établies du vivant de son mari. Son droit sur le bétail et sur le haras de Quénécan est réduit à la moitié des produits. En terminant, le sire de Rohan déclare conserver « les reliques et leurs custodes » qui furent à son père (1306) [Note : D. M. I, 1207].

Il ne nous a pas paru superflu de nous arrêter un instant à ces arrangements de famille, parce qu'ils font entrer dans certains détails de l'administration des forêts et de la vie privée des seigneurs de Rohan.

L'année suivante, Josselin étant décédé, Olivier confirme l'assise du douaire ; mais, sous prétexte de prisage, il rappelle sa mère du fief de Corlay, dont elle avait déjà pris possession. Il désigne Jean du Quelenec, Henry de Coëtuhan, maître Joes de Loudéac, Olivier de la Motte, Alain Conan, comme « asseours » [Note : Estimateurs prisagers], et s'engage, durant deux années que durerait l'estimation, à entretenir la Vicomtesse, sa mère, et les gens de sa suite, à savoir : le chevalier et l'alloué chargés de tenir les pieds de la dame (à Corlay vraisemblablement), Denise, damoiselle de compagnie, deux écuyers, Jeffroy, gentilhomme « chambrelein », dom Guillaume de Noyers, chapelain, le « grand mestre valet de chambre », Postel, le « queue » Aillet et Oignon, « charretiers de son char ». Pour ses menues dépenses la dame recevra 300 # par an ; en outre, elle et ses gens seront entretenus de robes et de chevaux. Béatrix, sœur d'Olivier, restera en la société de sa mère, à la charge du Vicomte, avec Lorette sa damoiselle, Henry de la Haye son écuyer servant, Menguiot son « chambrelein et palfreour » [Note : Chambrier, ou chambellan, et connétable], et elle recevra 100 # par an pour « faire sa volonté ». Si le Vicomte trouve un parti suffisant et jugé tel par ses amis, il est bien entendu qu'il la mariera [Note : L'ordonnance du duc Jean II (1301) relative au règlement des successions féodales, rappelle, en confirmation de l'Assise de 1185, que l'aîné doit les filles marier]. Après le décès de sa mère, Béatrix jouira d'une dot à l'estimation du sire de Rochefort et de Geoffroi d'Avaugour ; mais ni la fille, ni la mère, ne pourront jamais hypothéquer leurs biens dont elles ne seront qu'usufruitières (1307) [Note : D. M. I, 1204, 1223].

La haute position d'Alain VI de Rohan le désigna à Philippe-le-Bel pour fournir un secours en hommes aux guerres de Flandre. Le roi de France lui adressait un appel en termes des plus pressants : « Comme nous vous avons déjà requis de vous rendre en Flandre et que vous appareilliez sans nul délai, et que vous n'êtes pas encore parti, encore nous vous prions et requérrons sur l'amour et la féauté que vous avez à nous et à notre royaume que vous appareillez si puissamment comme plus pourrez... que vous sans nui défaut soyez à Arras au jour de nostre semonce... » (5 août 1303) [Note : D. M. I, 1181]. Il est possible — dom Morice l'avance — que sur de telles instances et malgré son âge, le sire de Rohan se soit laissé entraîner en Flandre à la suite du duc de Bretagne et du sire d'Avaugour ; ce qui le donnerait à penser, c'est qu'il mourut quelques mois après la sommation du roi, des fatigues peut-être de cette campagne.

(H. Du Halgouet).

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