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LA VICOMTÉ DE ROHAN AU XIVème siècle.

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La justice dans la Vicomté. — Classe noble : les seigneurs du fief et de l'arrière-fief ; prérogatives du sénéchal féodé et héréditaire. — Classe roturière : exploitation du sol sous le régime du domaine congéable. L'usement de Rohan. — Les sires de Rohan au XIVème siècle et leur rôle dans la guerre de succession. La Vicomté, envahie par les Anglais, est momentanément confisquée. Jean I de Rohan, après avoir recueilli, de par sa première femme, la Vicomté de Léon, épouse Jeanne de Navarre et donne au fils de celle-ci la châtellenie de Guémené acquise sur les Beaumer. Le Guémené est définitivement détaché du Rohan. Dernières dispositions de Jean de Rohan et de Jeanne de Navarre.

L'origine de Pontivy. Cette ville devient le chef-lieu du fief.

On ne peut différer de parler de Pontivy qui devint la tête de la Vicomté.

Il est vraisemblable que cette localité tire son nom d'un pont jeté sur le Blavet dans le voisinage du monastère dédié à saint Yvy par les disciples de ce pieux personnage qui, venu de Grande-Bretagne pour évangéliser le Léon, serait mort près d'Elliant, évêché de Quimper, au commencement du VIIIème siècle.

Les Chevaliers de Saint-Jean avaient fondé de bonne heure un hôpital à Pontivy ; il est question, en ce lieu et à la même époque, de « moulins », et d'un droit de « passage sur le Blavet » dont le revenu est assuré au prieuré de Rohan [Note : Charte de 1160. Actes de 1184 et 1205 (D. M.)]. Mieux encore, nous trouvons, en 1221, l'indice d'une juridiction. Le bornage de terres ayant amené un différend sérieux entre les religieux de Bon-Repos et un certain Audren, fils de Birsic, les parties convinrent qu'elles choisiraient des arbitres et que ceux-ci, au jour dit, se réuniraient à Pontivy. Geoffroi de Rohan lui-même avait été choisi comme arbitre, avec Olivier, son sénéchal, un autre Olivier, clerc, Guillaume de Linderet et quelques autres. On doit se représenter le Vicomte assisté de son premier officier de justice et de plusieurs vassaux nobles, en présence sans doute d'une délégation de moines, se prononçant en assemblée publique sur cette affaire litigieuse. Des actes de la même époque, mais légèrement postérieurs, fournissent la preuve certaine d'une juridiction à Pontivy [Note : Thomas de Beaumer ne pourra intenter de procès qu'à la cour de Pontivy, suivant un acte de 1283 (D. M. I, 1069). Un larron est justicié à Pontivy en 1285 (D. M. I, 1075), etc..].

Point de justice sans seigneurie en Bretagne, point de seigneurie sans siège féodal, et rarement sans forteresse. De fait, cette forteresse existe à Pontivy sur la rive gauche du Blavet, non loin du pont, pour en surveiller l'accès. On l'appelle simplement les Salles, c'est-à-dire : le manoir, le château ; elle date de la ruine de Castel-Noec, et doit être postérieure de peu à la fondation de Rohan. « Il faut que ce château soit bien ancien, dit Ogée, puisqu'on trouve dans les archives de la principauté de Guémené qu'il ne coûta que 72 deniers pour la main-d'œuvre de sa construction, le surplus se fit par corvée » ; renseignement qu'il ne nous est plus permis actuellement de vérifier.

Comme toujours, l'établissement du monastère, puis celui des Chevaliers de Saint-Jean, avait amené le déplacement d'une partie de la population voisine. La construction du château activa le développement de la bourgade ; à l'ombre de ses murs vinrent se grouper les officiers, les fournisseurs et les ouvriers du châtelain. Le commerce et l'industrie prirent naissance sous un patronage qui donnait une sécurité relative. Ainsi se constitua la petite ville. Puis, à l'instigation du seigneur, elle sentit le besoin de s'enclore ; l'enceinte, bien que rapprochée le plus possible des murs du château, en resta cependant distincte. Selon le chroniqueur anglais Knighton, la ville et le château représentaient, au XVIème siècle, une force importante.

En 1282, le Vicomte de Rohan reçoit en pure libéralité d'un de ses vassaux, Olivier de Kerlogaden, une maison sise « in villa de Pontivy ». Ici villa signifie évidemment ville forte, ville avec gouverneur militaire. La même année, le seigneur de Guémené-Guégant en rendant à Pontivy l'hommage et l'obéissance de son fief, déclare que « lui et ses héritiers ne peuvent intenter de procès ailleurs qu'à la dite cour ». Lorsqu'il s'agit de garantir les promesses faites en faveur de leurs mariages, les Vicomtes de Rohan stipulent, qu'en cas de retard à l'exécution des clauses matrimoniales, « des otages seront retenus en la ville de Pontivy ». A la suite des griefs portés devant le Parlement de Bretagne, Alain de Rohan assigne le duc à sa Cour de Pontivy [Note : Actes de 1282, 1288, 1291 et 1307. (D. M., t. I.)]. Pontivy est donc déjà un centre féodal important, un siège principal de haute juridiction. Son rayonnement à l'intérieur du fief s'étend jusqu'à Pleugriffet qui se sert de la « mesure de Pontivy » ; de loin déjà les vassaux viennent abriter leurs transactions sous ses cohues dont les deniers sont affermés à Robert Le Forestier [Note : Actes de 1307 et 1316 (id.)].

Les Salles, comme la ville, avaient été bâtis sur le territoire de Noyal. Quand l'enceinte devint trop étroite pour les habitants, des faubourgs se construisirent sur la même paroisse, sur celle de Neuillac, et outre-l'eau sur celle de Malguénac et Stival, sa dépendance. La chapelle dédiée à saint Yvy, bâtie à l'emplacement du premier oratoire et en dehors des murs, faisait partie, croit-on, d'un autre territoire ecclésiastique, celui de Cohazé ; c'est pourquoi, après son érection en paroisse, celle-ci a conservé longtemps l'appellation de Cohazé-Pontivy [Note : Paroisse de Cohazé-Pontivy (Registres de Malguénac. 1677). Cohazé sur la rive gauche du Blavet est aujourd'hui en Saint-Thuriau]. Cohazé aurait perdu son titre au profit de la nouvelle ville.

A Pontivy, eut lieu, le 17 juillet 1396, la réception des hommages de la Vicomté de Rohan. Cet acte fixe dès lors cette ville comme chef-lieu du fief. Sa situation sur le Blavet et sa position centrale dans le fief la désignèrent comme tel, de préférence à Rohan, Corlay, La Chèze ou Gouarec, situés aux confins extrêmes de la seigneurie. Un motif du même ordre, joint à la considération d'une assemblée populaire déjà existante, en un lieu consacré par la dévotion, avait désigné Noyal pour être le siège des plaids généraux qui devinrent la manifestation commerciale et judiciaire la plus considérable de la Vicomté.

Justice.

Noyal conserva ce privilège jusqu'au XVIIème siècle, époque à laquelle les plaids et les foires furent transportés à Pontivy [Note : Sur le territoire de Noyal, les Rohan possédaient d'ailleurs plusieurs manoirs ; ce sont les manoirs de Noyal, de Linderec, de Branguilly et de La Motte].

Aux plaids de Noyal, tous les vassaux de la Vicomté étaient admis à la justice du seigneur : hommes du domaine, sujets du fief et de l'arrière-fief, sujets des seigneuries laïques et ecclésiastiques. C'est la paix du seigneur, inspirée de la paix du roi, lequel tient sa cour ouverte aux manants et aux nobles et devient l’apaiseur des dissensions intestines. Les assises des plaids généraux ont lieu une fois l'an. On y traite en commun des affaires intéressant l'ensemble du fief, et surtout on y tranche, en présence du seigneur, les conflits judiciaires. Assisté de tous ses officiers, le Vicomte aime à s'entourer d'un certain appareil, les gentilshommes y viennent en grand nombre témoigner de leur fidélité.

Contrairement à ce qu'on voit habituellement dans les autres grandes seigneuries de Bretagne où les abbayes et les prieurés relêvent du duc, la mouvance de tous les établissements religieux appartient au sire de Rohan. Le Mémoire de 1479, dont il sera parlé longuement au prochain chapitre, est formel : « Les Abbés et Prieurs d'icelle Vicomté sont obéissans au jugement de la cour dudit seigneur de tout faict réel, et leurs hommes proches de tout faict réel et personnel », cela s'entend en appel pour les hommes [Note : D. Taillandier. Hist. II]. Sur ce point les religieux de Bon-Repos furent en lutte perpétuelle avec leurs fondateurs. Plusieurs accords intervinrent, sans toutefois régler définitivement le différend. Par acte de 1288, le Vicomte contraint les religieux à l'obéissance féodale, s'oblige à n'exercer sa juridiction sur les sujets de l'abbaye qu'en la châtellenie de Plussulien, s'interdisant de lever plus de douze deniers par amende, hormis le cas de crime « desqueulx, dit-il, nous poons prendre noz deniers corne segnor » [Note : Bretagne féodale et militaire, t. II, f. 203. — La soumission de Bon-Repos et de Lantenac à la Vicomté est prouvée encore par les actes suivants : Confirmation des biens de Bon-Repos par Alain de Rohan, le 11 août 1287 (B. Nantes, m. 1545) et aveu de Lantenac, an 1386 (Bretagne féodale)]. Les établissements religieux secondaires, à plus forte raison, dépendent de la Vicomté. La preuve est fournie par une transaction relative au prieuré de la Trinité : « Si les hommes du prieur se plaignent du défaut de justice, ils ont le droit d'aller à la cour du seigneur et de lui demander justice (1252) » [Note : B. N., ms. fr. 22337, f. 200].

L'accord avec Bon-Repos dénote dans la justice seigneuriale un véritable caractère fiscal et trop souvent les disputes entre seigneurs, touchant les droits de juridiction, sont suscitées par l'intérêt du gain.

Le sire de Rohan reproche au duc de Bretagne de justicier les hommes taillables de son fief et de le priver des amendes et produits de justice [Note : D. M. I, 1096], mais lui-même ne semble pas avoir été à l'abri des critiques qu'il porte contre son suzerain. Thomas de Beaumer lui intente un procès pour avoir fait pendre un de ses sujets, et d'autre part Bon-Repos se plaint d'usurpations du même genre [Note : D. M. I, 1075 et Bretagne féodale, t. VI, p. 198]. Cependant d'autres préoccupations que l'appât du gain font naître ces procès continuels ; la justice est la manifestation essentielle, le principal fondement de l'autorité, le pouvoir qui maintient l'ensemble des droits seigneuriaux ; il faut la faire respecter.

Administration et Offices.

Les fonctions administratives et financières dans la Vicomté de Rohan sont exercées par des prévôts ou baillis, deux titres qui se rencontrent simultanément et semblent se confondre [Note : En 1221, Hamon Le Roux et Audren sont baillis de Corlay. D'un accord postérieur (20 avril 1235) entre les moines de Bon-Repos et les prévôts de Plussulien, il ressort que cette famille Le Roux possède une prévôté fieffée qui s'étend à Caurel, jusque sur les terres de l'abbaye, et il est dit que Eudes, fils de Hamon Le Roux, Guimarch Le Roux, Alain fils d'Eudes et Geoffroi son frère, prévôts de Plussulien, abandonnent aux religieux, en pure aumône, les droits auxquels ils prétendent. (B. N. lat. 17723 f. 159 et Bull. de la Société Arch, d’I.- et- V., t. IV, p 325) ]. Nous avons peu d'éléments pour déterminer exactement quelles étaient les attributions de ces agents ; cependant il n'est pas douteux qu'ils perçoivent les rentes et les dîmes du seigneur lorsque celles-ci ne sont pas affermées [Note : Dans l'accord de 1258, entre le Vicomte et son sénéchal féodé, il n'est question que de prévots féodés, lesquels doivent obéissance au sénéchal, (D. M. I, 968.) — Donation à Bon-Repos, par Alain de Rohan, de dix quartiers de froment sur les dîmes de Noyal et à percevoir chaque année « par la main de mes baillis ». Année 1204. (Cartulaire du Morbihan 241.) — Dans plusieurs actes, il est question de fermes prises à bail et de fermiers des revenus. (B. N. fr. 22337, f. 287. D. M. I, 968. Evêchés de Bretagne, t, IV, p. 198)], dressent les rôles, les réforment, veillent à la gestion du domaine, à l'éligement des devoirs féodaux, assurent l'approvisionnement du seigneur, répartissent les impôts et en font la recette. Pour salaire, le seigneur concède aux intendants de ses domaines la jouissance d'un fief ou une part dans les revenus de la seigneurie, souvent l'une et l'autre, et naturellement tous les efforts des prévôts tendront à transformer cette charge lucrative en fonctions héréditaires jusqu'à ce qu'ils y parviennent. Devant les avantages de l'office prévôtal, les cadets de Rohan eux-mêmes ne restent pas indifférents : Josselin, fils du Vicomte, achète en 1283 la prévôté fieffée d'Olivier Bodic, en Mûr et Saint-Caradec, et, dix ans plus tard, le même Josselin acquiert d'autres droits au prévôt de Plussulien [Note : D. M. I, 1069 et B. N. fr. 22337, f. 291].

Ainsi, progressivement, les titulaires des prévôtés prennent dans le domaine seigneurial une autorité considérable, ils en font un peu leur fief personnel. Eudes Logoden, voyer et prévôt de Corlay, en 1249, assigne à Bon-Repos des rentes sur sa prévôté, comme s'il agissait dans son domaine privé. La part qu'ils prélèvent sur les bénéfices du maître les incite à empiéter, ou du moins ils ferment les yeux sur les exactions des agents subalternes ou des fermiers. Si les religieux de l'abbaye reçoivent d'une main, ils sont fortement molestés de l'autre ; d'une façon si évidente, que le doyen de Corlay est obligé d'intervenir pour menacer le Vicomte et ses officiers des plus graves sanctions religieuses. Déjà, un siècle auparavant, un des prédécesseurs du Vicomte avait été excommunié, pour des faits semblables.

Prévôté ou bailliage désigne donc la subdivision administrative de la châtellenie ; toutefois, dans certains cas, cette désignation s'applique non plus au territoire lui-même, mais à l'ensemble des revenus qui y sont perçus, ou bien seulement aux droits laissés en gages. En principe, la châtellenie est formée d'un ancien fief avec capitainerie, juridiction et mesures de grains particulières ; par extension le terme de châtellenie s'applique à un simple siège de justice. On trouve dans la seigneurie de Corlay deux châtellenies, celle de Corlay proprement dite et celle de Plussulien. Alain de Rohan rendit les hommes de Bon-Repos justiciables de Plussulien.

Généralement, en Bretagne, le prévôt ou bailli a certaines attributions judiciaires, celles de police par exemple, et peut-être prend-il part directement à la juridiction civile et criminelle. Tout au moins, il possède la juridiction gracieuse, car nous le voyons rapporter des actes de donation, de vente, et des contrats de toute nature [Note : Transaction faite entre le Vicomte et Eudon du Floch « devant les baillis de Corlé » 1204 (Arch. de Janzé). — Accord entre Bon-Repos et Audren fils de Birzic « en présence de Hannon Le Roux et Audren mes baillis de Corlé » 1221 (B. N. lat. 17723, f, 159.) etc...].

Petit à petit, pour désigner la subdivision administrative, l'expression de bailliage prévalut. Au XVème siècle la Vicomté est divisée en un grand nombre de bailliages, tandis qu'on ne trouve plus que deux prévôtés ; mais ici encore, les termes sont synonymes [Note : Aveu de 1471].

Les seuls agents seigneuriaux qu'on rencontre dans la Vicomté, en dehors de ceux dont il vient d'être question, sont les alloués. Nous verrons dans quelles circonstances Alain, sixième du nom, institua un Alloué principal de la Vicomté ; ses successeurs eurent encore des alloués particuliers, auxquels, nous supposons, étaient spécialement réservées des attributions judiciaires dans les sièges secondaires [Note : Eudon Rossel Roger, alloué du Vicomte dans la terre de Lanvaux (1278). Thomas Bertran, alloué du Vicomte dans la paroisse de Ploec Griffet (1295). Par acte du 17 novembre 1292, Nicolas, prieur de Rohan, s'engage à garantir et défendre le vicomte, ses alloués et les fermiers des revenus (B. N. fr. 22337, f. 287). Thomasse de la Roche, mère d'Olivier de Rohan, a un alloué pour tenir ses plaids de Corlay (1307) (D. M. I, 1214)]. N'oublions pas les sergents, à la fois auxiliaires des prévôts pour la cueillette des rentes, huissiers et exécuteurs criminels.

On peut considérer qu'aux XIIIème et XIVème siècles, le fief de Rohan possède plusieurs sièges judiciaires et administratifs parmi lesquels nous connaissons : Pontivy, Rohan, La Chéze, Loudéac-La-Vicomté, Baud ou Locminé, Gouarec, Corlay et Plussulien ; ils ont chacun leurs plaids tenus par le seigneur ou son mandataire, leurs officiers distincts dont nous venons de parler. Avec le Porhoët, il fait partie d'une grande circonscription féodale qui s'appela la baillie, puis la sénéchaussée, de Ploërmel où se trouve une cour ducale.

La Vicomté relève de la sénécbaussée ducale de Ploërmel.

A ce siège, le sire de Rohan rend son hommage et le devoir de l'Ost au duc ; il y porte, par droit de menée, les causes de ses sujets nobles et roturiers ; lui-même y présente ses requêtes, ses causes personnelles et réelles. Les actes de famille de Rohan, contrats de mariages, partages, testaments, constitutions de procureur, sont scellés à Ploermel [Note : En parlant de la juridiction gracieuse des sénéchaussées, Oheix explique celle-ci par la nécessité de conférer l'authenticité aux actes privés en leur donnant la garantie du sceau d'une juridiction : « On considérait que l'acte passé devant le sénéchal avait une plus grande solennité et par suite plus de chance d'être respecté. Ces actes étaient de nature diverse »].

Les baillies ducales étaient constituées dès le commencement du XIIIème siècle. A l'occasion d'une protection donnée au Vicomte, en 1231, par le duc de Bretagne, celui-ci garantissait tous les biens de son feudataire et s’engageait à ne le contraindre à l'obéissance « en quelque lieu du duché, seulement à Ploermel » [Note : D. M. I, 956-7].

***

Les vassaux nobles du fief et de l’arrière-fief.

La Vicomté de Rohan domine un grand nombre de seigneuries inférieures, d'une étendue variable, tenues par les descendants des chefs de Plous ou par des familles ayant été l'objet de récompenses particulières de la part des premiers détenteurs du sol. Ces propriétaires fonciers qui composent la classe noble, ont pris le nom même du fief qu'ils occupent ; ils s'appellent de Caurel, de Reguiny, de Moréac, de Baud, de Remungol, de Plumeliau, de Bréhand, de Quénécan, de Noyal, de Mûr, de Corlay, de Camors, du Griffet, du Guern, etc... et figurent dans les premiers actes écrits de la Vicomté. A côté de ces familles autochtones, en apparaissent d'autres, peut-être moins anciennes, mais richement apanagées, nées également sur le sol du Rohan, ce sont les familles de la Saudraie, de Kerveno, de Coëtlogon, de Brohez, de Trebrimoël, de Coëtuhan, de Rimezon, des Forges, d'Estuer, des Deserts, de Kermelin, de la Bellière, de la Feillée ou de la Feuillée, de Kermeno, du Kenhoët, du Cambout, de Correc, de Liscuit, de Tregarantec, de Quengo, etc...

Par suite du morcellement de la propriété et du partage des terres nobles dont l'usage subsista dans beaucoup de seigneuries inférieures, le nombre des fiefs alla toujours en augmentant, jusqu'à compter bientôt plusieurs moyennes et petites propriétés nobles par paroisse. Il y avait dans la Vicomté en 1396, quatre cent trente-huit gentilshommes, suivant le rôle des hommages rendus, le 14 juillet, à Jean Ier de Rohan.

La propriété noble ne jouit pas d'un affranchissement absolu ; elle est soumise aux obligations féodales qui se traduisent par la foy et l'hommage, le rachat, les lods et ventes, la redevance annuelle ou chefrente, enfin le service de l’ost. Sa justice va en appel à la barre supérieure de son territoire et jouit du droit de « menée » aux plaids généraux.

Le sénéchal féodé et héréditaire.

Quand nous parlerons du Duché de Rohan, nous passerons rapidement en revue les principales mouvances du fief. Arrêtons-nous seulement quelques instants au personnage de la Vicomté le plus puissant par son rang dans la noblesse, et le plus riche par ses privilèges. Il s'agit du Sénéchal de la Vicomté.

A l'origine des cours souveraines, les grands feudataires de Bretagne se constituérent un entourage de domesticité formé d'éléments divers. Dans l'ancienne France, cette domesticité était composée de personnes du lignage royal et de vassaux les plus notables. Funck Brentano, dans une publication récente, dit : « Les grands vassaux du roi le servent comme ils le conseillent ; l'une et l'autre fonction constituent le service domestique ; car c'est aux âges les plus reculés que remonte l'honneur attaché par l'ancien temps aux charges domestiques que nous ne comprenons plus aujourd'hui » [Note : Le Roi, f. 48]. C'est ainsi que le pouvoir exécutif fut d'abord exercé par les serviteurs attachés à la famille régnante.

La cour des Rohan offre, en raccourci, le spectacle de ce qui se voyait dans l'entourage des rois et des grands princes du royaume ; on y trouve des titulaires aux offices de chambellan, de connétable, de grand-maître, des écuyers servants, des chapelains,..... enfin un sénéchal.

Les fonctions domestiques du sénéchal de la Vicomté se confondent avec ses fonctions publiques ; le même individu est à la fois domestique et fonctionnaire — « officier », comme on disait alors, — avec les titres de Maître d'Hôtel du Vicomte, Grand Justicier et Grand Sergent. Comme Maître d'Hôtel, lorsque le Vicomte tenait sa cour plénière, ce qui arrivait aux quatre grandes fêtes de l'année et dans des circonstances exceptionnelles, et qu'il régalait, à cette occasion, ses vassaux nobles [Note : Il ne s'agit pas ici des Grands jours de Justices mais d'assemblées solennelles dans la demeure seigneuriale inspirées de celles que tenaient les rois et les princes le jour de quelque grande fête, cérémonies qui s'ouvraient généralement par un grand festin. Voici à ce sujet l'opinion de D. Morice : « Les Vicomtes tenaient leur cour plénière en certains temps de l'année pour recevoir les plaintes de leurs sujets et pour faire des lois nécessaires au maintien du bon ordre dans leurs terres. Ils recevaient dans ces assembleées générales les présents de leurs sujets et ils les régalaient splendidement avant que de les congédier. Dans leurs repas ils étaient servis sous un dais avec le cadenas et la nef sur leur couvert. En un mot, ils avaient toutes les marques qui distinguent les princes de la haute noblesse. ». Ar. Nat. 758. — Le seigneur pouvait à cette occasion être appelé à se prononcer dans une contestation entre gentilshommes, cependant à notre avis la justice n'était point la raison principale de ces réunions, mais plutôt le désir du seigneur de paraître au milieu de ses vassaux nobles], le sénéchal devait faire dresser la table et servir les premiers mets. Comme l'usage voulait que les gentilshommes qui venaient à ces assises apportassent à leur seigneur du gibier et des bêtes fauves, une moitié des peaux de ces animaux revenait au sénéchal, tandis que l'autre était offerte à la Vicomtesse de Rohan. En qualité de Grand-Justicier, le sénéchal présidait aux plaids généraux et particuliers lorsque le Vicomte ne pouvait y assister en personne.

Dans le principe, aux plaids généraux de Noyal, le seigneur rend la justice personnellement et directement, prêtant l'oreille aux suppliques des plus humbles, écoutant tous ceux qui se sentent opprimés par les juges particuliers ou par les justiciers d'arrière fief ; même, il se réserve d'expédier les plaids au siège des barres particulières. Il va sans dire toutefois que les diverses préoccupations du seigneur décidèrent de bonne heure celui-ci à munir de ses pouvoirs l'un de ses officiers. C'est ainsi que le sénéchal fut appelé à exercer la justice par délégation du pouvoir seigneurial et devint le premier juge de la Vicomté, maître de tous les débats, dispensateur des charges de procureurs, garde-scels, sergents... etc. Encore avait-il ses lieutenants qui se substituaient à lui en cas d'empêchement. A titre de Grand Sergent Bailliager, quand la Vicomtesse de Rohan faisait sa première entrée, le sénéchal devait se trouver à la porte de la ville, botté, éperonné, l'épée au côté, la tête nue, pour prendre par la bride la haquenée de la dame, et conduire celle-ci jusqu'au château. Pour ce service, la Vicomtesse lui faisait présent de tous les habits dont elle était revêtue, de son harnachement et de sa monture. Mais la principale charge de son office consistait à faire pour le Vicomte la levée générale des rentes, sur lesquelles il prélevait une « crublée » d'avoine par domaine, quand une redevance de cette nature était due ; levée opérée, bien entendu, par l'intermédiaire des prévôts et d'autres auxiliaires. Par contre, il était tenu de faire, à ses dépens, tous les exploits de justice nécessaires pour le paiement des rentes, de faire toutes les prises et les citations ordonnées par le seigneur ou son alloué. Lorsque les intendants du Vicomte renouvelaient les fermes ou établissaient l'assiette pour la taille, ils devaient en aviser le sénéchal afin que celui-ci pût se trouver aux adjudications ou répartitions dont le vingtième denier lui revenait. En outre, le sénéchal avait un sou par livre de toutes les baillées du domaine et des aides que le Vicomte levait sur ses sujets roturiers.

Tels étaient les devoirs et les droits utiles du sénéchal de la Vicomté de Rohan, aux termes d'un acte de 1258, tiré des archives du château de Carcado et traduit par Dom Morice [Note : D. M. I, 968. Le même auteur mentionne un acte du 13 mars 1501 dont il ressort que le sergent bailliager, exerçant au lieu et place du sénéchal, avait le 7ème denier des levées faites par lui. — Dans les ventes et partages entre membres de la famille seigneuriale, les Rohan font toujours réserve des droits du sénéchal féodé sur les biens transmis, ce qui provoque parfois d'énergiques protestations (D. M. I, 1241)]. A la suite de ce document si intéressant, l'historien ajoute : « Quoiqu'il ne soit fait aucune mention dans cette enquête des fonctions de sénéchal en temps de guerre, on ne peut douter qu'il ne portait la bannière du Vicomte dans les combats et qu'il ne commandât les seigneurs en son absence, prérogative commune aux sénéchaux des princes et des grands seigneurs ».

Voilà plus de privilèges et de richesses qu'il n'en fallait pour éclipser les autres officiers de la maison de Rohan, voire même les cadets de cette puissante famille [Note : Actes de 1299 (D. Lobineau, I, 1637) et de 1305 (D. Morice, I, 1201)]. Cependant le sénéchal jouissait encore, pour l'ensemble de son office, d'un gage foncier considérable qui composait la sénéchalie et consistait dans les terres du Bot, de Coëtniel, de la Motte-d'Onon et de Cadelac [Note : Le Bot en Saint-Caradec, Coëtniel en Guern, La Motte-d'Onon en Saint-Thélo, Cadelac près de Loudéac], exemptes de rachat, pourvues de haute, moyenne et basse justice, avec menée et congée au premier jour des plaids généraux de Noyal, alternativement avec les seigneurs de Trebrimoël et du Gué-de-Lisle. Dans le défaut de service, ou en cas de manquement à ses devoirs, le sénéchal pouvait être privé, par saisie, du revenu de ses terres, estimé, en 1479, à 1200 livres [Note : Le même estimation fixe pour cette époque à 5000 # le revenu total de l'office de sénéchal, gages divers et terres. — Alain VI de Rohan, dans une déclaration de rachat, à l'occasion du décès de son fils aîné, fait connaître que son héritier principal n'avait été pourvu que de 3900 livres en terres].

Le sénéchal secondait le seigneur dans les divers actes de son administration, il le suivait en tous lieux, consacrait par sa présence la conclusion et la publication des décisions les plus importantes de son gouvernement. La veille de la fête de saint Jean-Baptiste, l'an de grâce 1184, un certain Daniel figure, en qualité de sénéchal de la Vicomté, parmi les signataires de la fondation de Bon-Repos. Ce Daniel transmit sa charge à son fils et ainsi s'établit l'hérédité dans l'office. A une époque où les noms de familles n'existaient pas encore, les sénéchaux féodés ont tiré de la fonction dont ils étaient pourvus, leur nom patronymique ; la coutume de sceller leurs propres actes avec la cire et les armes du seigneur parce que, personnellement, ils n'en possédaient point d'autres, fit qu'ils adoptèrent aussi le semis de macles des Rohan [Note : L'écu de Rohan et de Sénéchal ne différa que par le champ]. Leur pouvoir se développa progressivement. Par la force des choses, le sire de Rohan ne tarda pas à s'apercevoir qu'il avait introduit sous son toit un maître qui pouvait et devait un jour contrebalancer son autorité. Il voulut restreindre les fonctions de la charge, fonctions presque illimitées en ce qui touchait à la justice.

Au moyen de concessions de terres et d'usage dans ses forêts, Alain VI, en 1256, obtint un accord avec son sénéchal. Entre eux, il fut convenu que le Vicomte pouvait avoir un représentant ou alloué (allocatus) pour tenir ses plaids ; l'expédition des causes ne devait se faire par le Grand Justicier, que si, avant midi, le Vicomte ou son procureur n'avait point paru [Note : D. M. I, 962]. C'était une grande diminution de pouvoir pour le sénéchal. Par la volonté du seigneur, l’alloué le supplantait dans ses fonctions de premier juge et même, comme sergent, il devait service et obéissance à ses commandements. Vraisemblablement le sénéchal n'assista plus aux plaids qu'à la suite du vicomte ou en l'absence de l'alloué.

On peut présumer que les Rohan, instruits par l'expérience, en instituant la charge d'alloué de la Vicomté — charge amovible, sans inféodation — limitèrent strictement les fonctions et les émoluments de leur nouvel officier. La justice fut, nous l'avons dit, le principal objet de cette charge, mais encore l'alloué eut pouvoir d'expédier les actes de l'administration seigneuriale, ce qui avait été réservé jusqu'alors au sénéchal féodé. Citons comme premiers titulaires de la charge d'alloué de la Vicomté :

Eudon Legat (1227).
Alain de Tregarantec, chevalier (1259, 1274).
Eudon Rossel (1278).
Eudes Kermezon (1280).
Geoffroi Conan, écuyer (1279, 1286).
Jean de la Boixière, chevalier (1287).
Alain de Quédillac (1290, 1293).
Geoffroi de la Roche (1300-1304).
[Note : Tiré des actes de D. Lobineau et de D. Morice].

D'autres démêlés sur les prérogatives du sénéchal féodé et héréditaire prirent naissance dans la suite. Au parlement général d'Auray de l'année 1289, Olivier Le Sénéchal, devant le duc, porta plainte contre le Vicomte qui le privait de certains droits, assurés de tout temps, sur les moulins de la Vicomté. Jean de Bretagne donna raison à l'officier et confirma publiquement les privilèges de sa charge, en termes qu'il convient de noter « Derechef ledit Olivier et les siens tendront et useront à tous temps mais plenièrement toutes les sesines que lui ou son ancêtre avait et dont il usait par la vertu de sa senéchallie en ladite Vicomté, suivant qu'il est contenu dans tes lettres des dernières paix qui furent faites entre ledit Vicomte et l'ancêtre dudit Olivier » [Note : D. M. I, 1090].

En 1368, le Vicomte donnait des lettres de satisfaction et de non préjudice au sénéchal féodé, son « amé cousin et féal », pour les aides que celui-ci lui avait octroyées sur ses sujets [Note : D. M. I, 1622] ; — ce qui prouve, en passant, qu'à la fin du XIVème siècle, les possesseurs de fiefs jouissent encore d'une autorité financière exclusive sur leurs hommes. Au commencement du siècle suivant, nouveau conflit d'intérêt, nouvelle sentence de la cour souveraine contre le Vicomte [Note : D. M. II, 799].

Malgré la défense énergique de ses droits, le sénéchal vit, de siècle en siècle, diminuer son influence et son autorité jusqu'à ce qu'enfin la charge fût officiellement supprimée au milieu du XVIIème siècle, par la duchesse Marguerite de Rohan ; mais depuis longtemps déjà, le sénéchal féodé avait répugné à l'exercice de certaines fonctions considérées alors comme serviles et abandonné les autres à des agents subalternes. De la famille Le Sénéchal, la Sénéchalie en tant que charge personnelle passa successivement aux Molac, aux Rieux, aux La Chapelle, aux Rohan-Lande et aux Rosmadec. Les descendants de ces maisons, parmi les plus illustres de Bretagne, s'honorèrent jusqu'à la fin du XVIIIème siècle d'appartenir à la filiation des anciens sénéchaux féodés et héréditaires de La Vicomté de Rohan [Note : Pour mieux connaître cette curieuse charge de la Vicomté, il sera nécessaire de se reporter à l'étude que nous lui avons consacrée dans les Mémoires de la Société d'Histoire et d'Archéologie de Bretagne, année 1921].

***

Les colons sont soumis au régime du domaine congéable.

A côté du domaine dont le suzerain a disposé en faveur de ses fidèles ou de ses compagnons d'armes, se trouvent les terres qu'il a conservées et qu'il a confiées à des colons qui les exploitent dans des conditions particulières et définies.

Le contrat qui, fixant les usages et les droits de chacun, intervint dans la Vicomté entre le détenteur du fonds et le cultivateur chargé de la mise en valeur, porte le nom de Convenant à domaine congéable.

Le domaine congéable, en général, a régné dans les contrées de langue bretonne, spécialement dans le Vannetais et la Cornouaille, sous différents usements. On ne sait rien de précis sur ses origines, si ce n'est qu'il dut être appliqué aux premiers défrichements du sol. M. de Blois, s'appuyant sur le traité passé entre le sire de Rohan et son sénéchal, en 1258, pense que ce mode de tenure commençait à s'établir, au pays de Rohan, dans les premières années du XIIIème siècle [Note : Bulletin Association Bretonne, 1856]. Assurément l'usance locale de la région centrale qui constitua le Rohan, a été établie sous le seing des premiers seigneurs de ce nom, comme, par ailleurs, les Porhoët ont donné leur nom à un usement particulier à leur seigneurie et qui était encore en vigueur au XVème siècle dans les châtellenies de La Chéze et de Josselin [Note : Les dites châtellenies comprenaient 50 paroisses, d'après un aveu de 1471. — Voici d'après M. Sée (Les Classes rurales), par quelles règles se distinguait l'usement de Porhoët : l'article I porte, qu'en succession directe, « les enfans mâles et descendants d'eux, en quelque nombre qu'ils soient, prennent les deux tiers des terres de patrimoine de père et mère » et les filles un tiers seulement ; suivant l'art. II, les mâles et leurs descendants succèdent aux mâles et à ceux qui en descendent, et de même les filles succèdent aux filles à l'exclusion de mâles ; il s'agit ici, sans aucun doute, de successions collatérales, L'usement de Porhoët vit progressivement son champ d'action se restreindre, tandis que l'usement de Rohan gagna non seulement l'ancien Porhoët, mais une partie notable du pays Gallo. Le véritable texte de l'usement de Porhoët a été donné par Poullain Duparc (Journal du Parlement, t. I, chap. CXIX, pp. 587 et suiv.) — Voir également à ce suiet : Note sur l’Usement dr Porhoët, par G., d'Espinay (Nouv. Revue historique du droit, 1902, pp. 738 et suiv.) et les Observations d'Elie de la Primaudaye, 1765 (Bibl. Nantes, carton 1727). — Dans le Rohan, toutes les tenues non nobles qui n'avaient pas un titre contraire, étaient censées sous le régime du domaine congéable].

L’Usement de Rohan a été souvent décrit, plus ou moins bien compris à l'époque moderne ; nous n'en parlerons ici que dans la mesure indispensable à notre étude [Note : Le Commentaire le plus complet qui en existe est de 1786, par Le Guevel, avocat au Parlement (Vatar), Celui-ci cite, avant lui, pour s'ètre occupé de l'usement de Rohan : Maître Caris, procureur fiscal de Bignan et Kermeno (1750) et Baudouin de Maison-Blanche (1776)].

Du propriétaire, le colon reçoit le fonds pour en disposer temporairement à son gré, et, en compensation, celui-là se réserve une redevance annuelle, généralement très peu élevée, qui est restée, pour ainsi dire, invariable durant plusieurs siècles.

Dessaisi du fonds, le propriétaire laisse ainsi au tenancier la disposition absolue des superfices qu'il lui a transportés, avec la faculté d'y faire tout ce qu'il jugera à propos, de sorte que le colon devient auteur de tout ce qu'il crée à la surface, comme édifices, clôtures, plantations et cultures elles-mêmes avec leur ensouchement ; si bien, qu'il y a, dès la mise en pratique des conditions de contrat, le propriétaire du fonds auquel il ne reste effectivement que la redevance et le propriétaire des superfices, le foncier et le superficiaire, comme on les désigne ordinairement.

Le domanier jouit des superfices et édifices de ses tenures jusqu'à en disposer comme de son héritage, sa veuve y pouvant même prendre son douaire quand ils étaient vendus à un étranger, et les retirer par premesse. Toutefois, ces choses qui procèdent du travail dans l'exploitation du sol, sont pour le seigneur foncier des meubles sur lesquels il peut agir pour toute revendication de droits. De là sa faculté imprescriptible de ressaisir les superfices de toute nature, créés ou existant sur le fonds, en congédiant le domanier, à des termes convenus et réglés, moyennant remboursement intégral de la valeur des édifices expertisés et de toutes les améliorations qui ont pu être réalisées au cours de la possession.

Le congément, défavorable dans le principe au domanier et à l'exploitation — réserve faite toutefois sur les aptitudes de celui-ci à la saine culture — a pu être considéré comme « funeste » dans certains cas, mais il nous semble assez naturel qu'en distribuant ses terres à des colons étrangers, le propriétaire du fonds se soit ménagé le droit de congédier [Note : Cette opinion est aussi celle de MM. Geslin de Bourgogne et de Barthelemy, de l'auteur du Traité des Communes et des Bourgeoisies (imprimé à Rennes, en 1769), du président Lesrat dans ses Arrêts notables du Parlement de Bretagne, de MM. de Blois, du Châtellier et autres].

De plus, le congément est un droit cessible, en ce sens qu'il peut être exercé aussi par le colon, si ce droit lui a été formellement concédé par bail.

Sous l'usement de Rohan, les congéments sont rares dans la pratique, car le plus souvent les seigneurs laissent les détenteurs perpétuer leur jouissance jusqu'aux déshérences [Note : Le Guevel].

Le lien des deux associés est intime, et si le superficiaire, dans l'indépendance de son travail, est tenu à l'hommage vis-à-vis de son seigneur, en retour celui-ci lui doit l'appui de sa juridiction [Note : Toutefois, il faut constater que le seigneur étant partie intéressée, sa justice ne conserva pas longtemps ce caractère de protection]. Le domanier doit suivre le moulin du seigneur et même, sous forme de corvées, prêter au foncier aide et secours pour le transport de ses provisions, la coupe de ses foins, le battage de ses récoltes et la collecte de son rôle. Un tel contrat était un acte de société, et, durant plusieurs siècles, cette administration patriarcale ne nécessita aucun écrit, entre l'une et l'autre parties, afin de régler les rapports et obligations respectifs.

Les prescriptions qui touchent à la substance même du bail convenancier sont communes à tous les usements, qui, d'ailleurs, ont entre eux une si grande affinité que leurs dissemblances ne portent que sur des points accessoires. Exception doit être faite cependant pour l'usement de Rohan qui diffère des autres sur un point capital, la transmission héréditaire. Les droits édificiers ne se partageaient pas entre les héritiers du colon, un seul était appelé à les recueillir : ce devait être le plus jeune des fils ; à son défaut, la plus jeune des filles, et les parents collatéraux, autres que les frères et sœurs du possesseur, n'y pouvaient prétendre. Encore fallait-il, pour qu'ils fussent habiles à succéder, qu'ils demeurassent dans la ferme au moment de la mort de leur frère ou sœur depuis un an et un jour. A défaut de fils ou filles, de frères ou de sœurs, le seigneur héritait de la ferme dont les droits étaient vendus aux enchères pour devenir dans la main de l'acheteur un convenant de même nature.

Cette modification au régime ordinaire est un compromis introduit par les Rohan dans leurs vastes possessions, compromis inspiré de la quevaise dont on cite quelques tenures à Corlay [Note : Le privilège du juveigneur est un emprunt évident à la législation Kimrique, apportée par les Bretons. La quevaise ne se rencontre que sur les terres d'un certain nombre de seigneuries ecclésiastiques]. D'ailleurs, puisque nous en venons à parler de la quevaise, il est utile de dire que le convenant de la Vicomté a souvent été rapproché et comparé à ce mode de tenure. Les deux genres d'exploitation sont presque identiques, si bien qu'on a pu dire que les Rohan se sont servis de la quevaise avec restriction de congéabilité.

Le contrat, dans son état primitif, fut si simple, si parfaitement défini dans son but comme dans ses moyens, qu'il put se passer longtemps d'une coutume écrire ; ce n'est qu'en 1580 qu'on sentit le besoin de la condenser en quelques formules qui constituèrent le droit légal.

 

USANCES LOCALES ET COUTUMES PARTICULIÈRES DE LA VICOMTÉ DE ROHAN.

(D'après une copie du fonds des Blancs Manteaux, B. N., ms. fr. 22342).

ARTICLE PREMIER.
Au seigneur Vicomte de Rohan et autres seigneurs et gentilshommes, qui ont hommes et sujets en la Vicomté el dépendances d'icelle, tenant en titre de convenant et domaine congeable, appartient le fond et propriété des tenuës, que tiennent les hommes et sujets audit titre : et auxdits sujets les édifices et superficies desdites tenuës, s'il n'y a accord ou convention écrite au contraire.

ARTICLE II.
Les tenuës que tiennent les roturiers et non nobles en ladite Vicomté, sont présumées être tenuës audit titre de convenant et domaine congeable, s'il n'y a preuve par acte au contraire.

ARTICLE III
Advenant le décès de l'homme détenteur desdites terres sans héritier de sa chair et de loïal mariage, les édifices et superfices de la tenuë ou tenuës, tombent en désérence et saisine du seigneur qui en peut disposer comme de la propriété, ainsi que bon lui semblera.

ARTICLE IV
Sans que les collateraux succedent pour le regard desdites tenuës, edifices et superfices d'icelles, fors et réservé les freres et sœurs faisant leur continuelle résidence en la tenuë lors du décès de leur frère ; ou qui sont à servir ou à apprendre métier hors la tenuë, qui ne sont mariés et qui n'ont point domicile hors la tenuë, qui succedent audit cas à leur frère décédé sans hoirs de sa chair.

ARTICLE V
Les seigneurs excluent les autres collatéraux, comme oncles, tantes, cousins, et leurs enfants.

ARTICLE VI
Le seigneur a justice sur ses hommes à domaine, comme sur les autres hommes de fief.

ARTICLE VII
Le sujet est tenu de bailler aveu et déclaration des terres et des ventes qu'il doit à chacune mutation d'homme et comparoir de 10 ans en 10 ans à la Réformation des Rôles de son seigneur.

ARTICLE VIII
Et est le domainier tenu de faire la recette da rôle et rentier du seigneur à son tour et rang, suivre son moulin et faire les corvées suivant ledit usement, selon lequel les hommes domainiers sont sujets aux charrois du vin, des grains et du bois pour la maison de leur seigneur et à faner les foins et les charroïer, leur baillant leurs dépens.

ARTICLE IX
Ledit seigneur, à qui appartient le fond et propriété desdites tenuës peut congéer et mettre hors icelles le sujet détenteur, lors et toutes fois que bon lui semble, le rembourçant des édifices, superfices et droits convantiers selon le prisage qui en sera fait par commissaires et priseurs, dont conviendront les parties, ou qui leur seront baillés de justice, lequel prisage se fait aux dépens dudit seigneur.

ARTICLE X
La revuë se fait aux depens de celui qui la demande dans le tems de la coutume qui est an et jour.

ARTICLE XI
Et si le détenteur auroit baillé deniers lors de son entrée en la tenuë en faveur d'icelle, il ne peut être mis hors de la dite tenuë dedans six ans sans lui rendre ses deniers ; et après les six ans le seigneur n'est tenu les rendre.

ARTICLE XII
Toutefois au cas que deniers auroient été baillés au seigneur pour le prix des édifices, il ne sera tenu de rembourser dans les six ans, que la valeur desdits édifices, au le prix convenu au choix du détenteur.

ARTICLE XIII
Les détenteurs desdites tenues ne peuvent bâtir de nouveau ni charger le fond d'icelles de bâtimens, autres que réparations nécessaires, sans permission du seigneur et où ils auraient fait autres bâtimens sans ladite permission, le seigneur ne seroit tenu de les rembourser.

ARTICLE XIV
Au prisage des édifices sont emploïés les arbres portant fruits en ladite tenuë, et non les arbres et bois de décoration qui appartiennent au seigneur foncier.

ARTICLE XV
Le prisage et remboursement faits, joüira néanmoins de ses stuës et engrais le tenancier étant aux terres de la dite tenuë en païant au seigneur le terrage, qui est la quarte partie de la levée pour toutes charges.

ARTICLE XVI
Le tuteur ou curateur du seigneur ne peut mettre hors le détenteur sans décret de justice, avec l'avis des pareras de son mineur.

ARTICLE XVII
Aussi la doüairiere ne peut congéer sans le consentement du propriétaire.

ARTICLE XVIII
En succession directe de pere et de mere, le fils juveigneur et dernier né desdits tenanciers succede au tout de ladite tenuë, et exclut les autres soit fils ou filles.

ARTICLE XIX
Et an cas qu'il n'y auroit enfans mâles, la fille dernière née exclut les autres.

ARTICLE XX
Et ne se peuvent lesdites tenuës diviser sans le consentement du seigneur ou du détenteur tenancier.

ARTICLE XXI
Quand il y a plusieurs tenuës distinctes et séparées en une succession, le juveigneur et dernier né choisit celle des tenuës que bon lui semble ; et l'autre juveigneur après l'autre tenuë, et ainsi consécutivement de juveigneur en juveigneur, soit mâles ou femelles, et choisissent premièrement les mâles que les femelles.

ARTICLE XXII
El quand il y aura plus de tenuës que d'enfans, le juveigneur recommencera à choisir après que chacun des autres enfans aura eu sa tenuë.

ARTICLE XXIII
Le fils juveigneur auquel seul appartient la tenue, comme dit est, doit loger ses freres et sœurs jusqu'à ce qu'ils soient mariés ; et d'autant qu'ils seroient mineurs d'ans, doivent les freres et les sœurs étre entretenus sur le bail au profil de la tenuë pendant leur minorité ; et étant ses freres et sœurs mariés, ledit juveigneur les peut expulser hors.

ARTICLE XXIV
Les meubles se partagent également entre les enfans desdits détenteurs.

ARTICLE XXV
Les fumiers et engrais, qui se trouvent en ladite tenue, se partagent comme meubles.

ARTICLE XXVI
La veuve ne peut par rigueur avoir pour son droit de doüaire le tiers de la tenuë, mais seulement logis competent, une quantité de terres et quelque bestial nourri, d'autant que le défunt n’avoit droit qu'aux édifices, païant au prorata les rentes et autres charges de ce qu'elle jouïra.

ARTICLE XXVII
La veuve qui se remarie perd son doüaire ès dites tenuës en ladite Vicomté.

ARTICLE XXVIII
Du vivant de la premiere veuve qui joint de son douaire, autre veuve ne peut avoir droit de doüaire ès dites tenuës.

ARTICLE XXIX
Le tenancier aïant enfans peut vendre les édifices de sa tenuë, et le seigneur foncier a élection de rembourser l'acquereur ou de païer les droits superficiels à égard de priseurs, ou de prendre deniers de consentement qui se païent à la raison de ventes et tods apparoissant l'acquéreur son contrat audit seigneur, ou à ses officiers, dans les quarante jours, sur peine de doubles ventes.

ARTICLE XXX
Et le tenancier, qui n'a enfans, ne peul vendre pour frauder son seigneur de la désérance des édifices, qu'au cas de grande et évidente nécessité ; et audit cas le seigneur peut avoir le 5ème denier de la vente pour son consentement.

ARTICLE XXXI
Aucun devoir n'est dû pour le mariage des tenanciers.

ARTICLE XXXII
Et n'est requis le consentement du seigneur pour les soufermes que font les tenanciers, de la tenue ou partie d'icelle, si la ferme n’excede neuf ans.

ARTICLE XXXIII
Aucun droit de premesse n'appartient des édifices des tenuës venduës en ladite Vicomté après le consentement du seigneur foncier.

ARTICLE XXXIV
Les termes ordinaires pour païer les rentes de ladite Vicomté sont à Noël, au premier jour de mai et au premier jour de septembre et se paient les rentes par deniers auxdits termes tiers à tiers, et les rentes par grains et poules à chaque premier jour de septembre, s'il n'y a convention au contraire.

ARTICLE XXXV
Les sujets ne peuvent charger ne constituer rentes sur leurs édifices sans le consentement exprès du seigneur.

ARTICLE XXXVI
Quand un seigneur ou ses devanciers ont baillé diverses pièces de terre à un même tenancier ou ses prédécesseurs, ledit seigneur et ledit tenancier peuvent d'un commun assentement annexer lesdites terres en une tenuë, qui demeurera indivisible au juveigneur du tenancier, parce qu'il récompencera ses cohéritiers de leur portion du prix de l'acquêt desdites terres.

Les articles de l'usance ainsi rédigés à l'occasion de la réformation des Coutumes de Bretagne furent certifiés par René de Rohan conformes aux droits en usage dont il entendait jouir à la suite de ses prédécesseurs.

Le domaine congéable de la Vicomté de Rohan, comme celui de la Cornouaille, ne pouvait manquer de s'altérer dans les rapports prolongés de deux classes d'hommes, l'une toujours armée de la lance, quand l'autre ne maniait que la houe et la charrue. Il faut attribuer à l'influence de la féodalité et à la durée prolongée des guerres du moyen-âge, une partie assez notable des institutions convenancières qui firent pencher d'assez bonne heure un des plateaux de la balance du côté du seigneur foncier en lui attribuant certaines immunités ou privilèges, comme l'augmentation des corvées, les droits de champart, quelquefois des chefrentes, l'usage des baillées à assurance et des deniers de commission, sorte de pot-de-vin payé au foncier lors de l'entrée en jouissance ou du renouvellement des actes. Ces commissions, qui devinrent au XVIIIème siècle une des plus lourdes impositions des domaines du Rohan, avaient, il est vrai, leur origine dans un droit de concession de bail très ancien, exigible tous les six ans (Art. II), et sur lequel le sénéchal de la Vicomté, au XIIIème siècle, prenait pour lui un sou par livre. A la même époque, le sire de Rohan qui jusque là avait loué ses moulins à prix d'argent, les affermait « à blé » [Note : Actes de 1258 et de 1289. (D. M. I, 968, 1090)]. Faut-il, d'après ce changement, conclure à l'obligation nouvelle imposée aux domaniers de suivre le moulin seigneurial ? C'est possible.

La raison de la coutume écrite fut de fixer et de préciser toutes ces obligations, devoirs insignifiants au début, plus tard charges croissantes par suite de la situation plus ou moins obérée des seigneurs et peut-être aussi des tracasseries de leurs agents.

Quoi qu'il en soit, quoi qu'en disent ses détracteurs, le régime du domaine congéable a marqué pour la classe agricole et pour la terre une ère de prospérité. Ses conséquences les plus évidentes furent d'abord de mettre en valeur des terrains restés jusqu'alors en friche, ensuite de donner aux populations qui le pratiquèrent une indépendance de caractère et une pureté de mœurs conservées jusqu'à nos jours. M. du Châtellier attribue à ce régime deux faits notables et caractéristiques. « Dans la Bretagne plus que dans aucun autre pays, dit-il, le cultivateur attaché à sa tenure, comme propriétaire superficiaire, n'a jamais consenti à s'en éloigner ; de sorte, qu'au lieu d'aller se grouper, comme dans le reste de la France, au pied du clocher de la paroisse, ou à l'ombre de quelque grosse tour féodale, il n'a voulu quitter ni son champ, ni sa cabane, restant ainsi disséminé sur les surfaces qu'il attaquait... Et c'est par suite de cette condition et de cette indépendance que le paysan breton, étant à la fois le plus attaché à son sol et à ses traditions, est aussi le plus difficile à en éloigner, le plus résistant à toutes les innovations que la science et les âges prodiguent avec le mouvement de la civilisation. D'où la physionomie toute spéciale du pays qu'il habite où l'homme et la nature offrent, presque à chaque pas, le charme si rare ailleurs d'une population primitive ayant encore toute son originalité » [Note : L'Agriculture et les classes agricoles de la Bretagne. Guillaumin, 1863].

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Les Rohan au XIVème siècle et leur rôle dans la guerre de sucession. La Vicomté envahie par les Anglais et momentanément confisqués.

Les Rohan qui durant le XIIIème siècle songèrent surtout à asseoir leur autorité sur une organisation intérieure solide et à agrandir leur fief, se préoccupèrent, au siècle suivant, du rôle que leur assignait dans la politique extérieure la haute situation de leur rang féodal.

Olivier II de Rohan, devenu l'héritier de sa Maison, quitta l'état ecclésiastique pour recueillir la succession de ses frères morts sans enfants. Homme d'affaires comme ses devanciers, nous n'avons de lui que des actes révélant un grand souci de ses intérêts privés [Note : Il acquit entre autres, sur les religieuses de l'abbaye de la Joie, le manoir de Morfouesse, prés de Ploërmel (donné dans la suite par Jean de Rohan à Eon Picaut), le manoir de Coatruallan et différentes terres en Pellan à la famille de Quénécan, le manoir de Bolgan à Guillaume de Séné (sans doute dans la paroisse de Séné où Olivier possédait déjà des terres du propre de sa femme Aliette de Rochefort), les bois de Quenquis-Hamois en Silfiac. (D. M. P. I, 1233, 1257, 1266, 1318. Cart. Morb. 475)]. La question des partages souleva de nouveau de graves difficultés entre les cadets et le chef de famille ; Jean de Beaumanoir, seigneur de Merdrignac, alla même, à ce propos, jusqu'à lancer un cartel au Vicomte, son beau-frère. Le duel était considéré alors comme une épreuve judiciaire et on l'employait pour décider du bon droit des champions. On en arriva enfin à des accommodements. Beaumanoir reçut toutes les terres sous la Vicomté de Vire et 250 livres d'argent ; Pierre de Quergorlay, époux de Jeanne de Rohan, eut 360 livres de rente sur le Rohan et 1100 livres en deniers. Quant à Eon de Rohan, pour l'assiette de 300 livres, il obtint en juveigneurie, un beau fief sis aux paroisses de Naizin, Remungol et Moustouer [Note : D. M. P. I, 1312, 1241 ; 1234, 1275, 1285, 1415]. Ces biens étaient donnés non plus à viage, mais à héritage, sous la réserve qu'ils feraient retour à l'aîné en cas de décès sans postérité. Eon, par son mariage avec Aliette, dame du Gué-de-Lisle, posséda un autre domaine à la porte de La Chêne et devint ainsi l'auteur de la tige des Rohan-Gué-de-Lisle.

Le Vicomte Olivier mourut en 1326. De ses fils, deux parvinrent aux fonctions épiscopales, Geoffroi évêque d'abord de Vannes, puis de Saint-Brieuc, et Josselin, évêque de Saint-Malo. Les deux aînés, Alain et Olivier, se laissèrent entraîner dans la querelle de succession qui agita affreusement la Bretagne à cette époque.

En 1340, le duc Jean III, sentant sa fin proche, chargea Olivier de Cadoudal de porter son testament au Vicomte de Rohan qu'il honorait du titre de « conseiller » et de « compagnon », et qu'il désignait pour être un de ses exécuteurs testamentaires [Note : D. M. P. I. 1398]. Cette mission marquait une très haute confiance car le duc prévoyait les plus graves difficultés. La mort du souverain fut, en effet, le signal de la guerre de Montfort et de Blois. Suivant les intentions du défunt, Alain VII de Rohan embrassa le parti de Charles de Blois. Son attachement à ce prince lui attira naturellement la haine des Anglais que le comte de Montfort avait appelés à son secours ; en 1342, ils ravagèrent ses terres et lui enlevèrent Rohan et Pontivy [Note : Annales bretonnes D. M. H. II, f, 1064 : « L'an 1342, le roi Edouard vient en personne venger la mort de Robert d'Artois ; il prend Rohan, Pontivy et forme en même temps les sièges de Vannes et de Nantes »]. Pour le dédommager de ces pertes, le roi de France, soutien des Blois, lui donna cinq cents livres de rente sur la châtellenie de Guérande confisquée à Jean de Montfort [Note : Année 1345. (D. M. P. I. 1457)]. La fidélité des Rohan ne se démentit pas ; Olivier, le cadet, tomba devant La Roche-Derrien, et Alain fut tué avec un grand nombre d'autres seigneurs, dans la bataille de Mauron, le 14 août 1352.

Il est infiniment regrettable que la chronique du temps ne s'arrête pas plus longtemps à l'envahissement de la Vicomté de Rohan par les troupes anglaises. Celles-ci ne se contentèrent pas de piller les terres et de s'emparer des principales forteresses de l'allié de Charles de Blois, elles entrèrent aussi dans le Guémené, toujours aux mains des Beaumer. La Roche-Périou a eu son rôle dans la lutte ; Froissard a rapporté à son sujet une anecdote curieuse. Gautier de Mauny, partisan de Jean de Montfort, étant sorti d'Hennebont avec une petite troupe pour battre la campagne, attaqua La Roche-Périou. Gérard de Malin qui était dans la place se défendit courageusement. L'assaut fut vif et périlleux. Parmi les assaillants, Jean Le Bouteiller et Mathieu du Fresnay, dangereusement blessés à la tête, durent s'éloigner du combat. On les descendit au pied du mamelon rocheux qui servait de base à la forteresse ; là, dans un pré vert, ils furent étendus à l'abri des coups. René de Malin, cadet de Gérard, commandait au Faouët tout proche de La Roche-Périou ; instruit de l’attaque des Anglais, il partit avec quarante hommes d'armes porter secours à son frère. En approchant de La Roche-Périou, il trouva les chevaliers blessés entourés d'un certain nombre de valets, les fit tous prisonniers et les emmena au Faouët. Gautier de Mauny, averti de la sortie de René de Malin, courut sus aux ravisseurs, mais trop tard. Le Faouët était trop bien gardé pour être enlevé d'un coup de main et comme Mauny, en portant ses forces sur cette ville, craignait d'être pris à revers par la garnison de La Roche-Périou, il quitta les lieux et s'en retourna vers Hennebont.

Si les Anglais échouèrent devant La Roche-Périou, les troupes de Jean de Montfort ne restèrent pas moins maîtresses de toute la Vicomté de Rohan, y compris du Guémené. Cette dernière châtellenie fut donnée à Roger David, l'un des plus valeureux capitaines du parti anglais, et quand celui-ci s'attacha à son nouveau fief jusqu'à épouser Jeanne de Rostrenen, veuve de Alain VII de Rohan, le roi d'Angleterre, Edouard III, qui disait tenir la Bretagne durant la minorité du jeune comte de Montfort, confirma à celle-ci son douaire sur la tierce partie de la Vicomté. Edouard III disposait du fief de Rohan comme de son propre bien (1354). De nouveau veuve, Jeanne de Rostrenen renonça à ses droits sur le Guémené, moyennant une rente viagère de mille livres que s'engageait à lui servir Jean de Montfort (29 mai 1371) [Note : D. Lobineau, P. I, 497, 498 ; D. M. P. I, 1492-3, 1665. Arch, L.-Inf. Série E, 224-5]. La réconciliation des partis avait été signée au traité de Guérande (1365) à la suite de la meurtrière journée d'Auray, et Jean IV, proclamé par toute la Bretagne, scella l'union en remettant ses adversaires de la veille dans la possession de leurs terres.

Avant de sanctionner le traité de Guérande, Jean Ier, Vicomte de Rohan, s'était montré défenseur, aussi intrépide que son père, de la cause de Charles de Blois. En 1354, il manifesta avec éclat en faveur du champion malheureux, en allant le visiter dans sa prison d'Angleterre.

De retour en Bretagne, il porta secours, avec Laval et Dinan, à la ville de Rennes contre les troupes de Lancastre (1356), soutint la lutte durant plusieurs années encore, jusqu'à ce qu'enfin, donnant lui aussi, à Auray, le dernier effort de son énergie chevaleresque, il tomba avec son fils aîné aux mains des ennemis. En venant à Auray, Montfort s'était emparé du fier et solide donjon de La Roche-Périou [Note : Généalogie manuscrite de Rohan, par D. Morice].

Sans doute, faut-il placer ici une attaque de La Chèze relatée dans les gestes de la famille de Kerveno qui portait anciennement le nom de Plumeliau. Le Vicomte de Rohan étant assiégé et pressé par les Anglais dans le château de La Chèze (1362 ou 1363), dut son salut au dévouement de Geoffroi de Plumeliau. Aidé de plusieurs chevaliers, parmi lesquels on cite Robert de Bellemon (Bellouan ?), Geoffroi de Lannion, Engerrand de Fiennes, Thibaud de la Feillée, Alain du Parc, Jean de Linderec, Geoffroy de Bréhant, Alain Le Fevre, le seigneur de Talverne, Geoffroy Jagu, sgr de Thimadeuc, etc..., Plumeliau fit lever le siège et rendit ainsi la liberté à son suzerain. En reconnaissance d'un tel service, celui-ci, par lettres scellées au château de La Motte, en Noyal, lui accorda une exemption de bail pour ses terres de Kerveno [Note : Tiré de la généalogie de Rohan, par François de la Coudraye, sr de la Boulaye-Kerbouder qui vivait dans les premières années du XVIIème siécle. B. N. Cabinet d'Hozier 201. Famille de Kenrveno — A vrai dire, la source dont sont extraits ces renseignements, fait remonter ce fait d'armes à « l'an 1262 ou 1263 ». Or, cette date est certainement due à l'erreur d'un copiste, car les faits de l'Histoire de Bretagne prouvent qu’à cette époque les Anglais étaient en relations amicales avec le duc et la Province].

Rendu à la jouissance de ses terres, Jean de Rohan se retira dans la Vicomté pour s'y reposer des fatigues d'une guerre qui durait depuis 24 ans. Les avantages de la paix lui permirent de réparer ses forteresses et, entre autres, de rebâtir la ville de Rohan qui avait été brûlée par les Anglais [Note : Id, D. Morice]. En témoignage de réconciliation, il permit au duc de lever un impôt d'un écu sur tous les vassaux de la Vicomté, excepté les nobles et les mendiants [Note : B. N. ms. 22339].

La paix malheureusement ne devait pas être de longue durée. Les divisions recommencèrent en Bretagne, en même temps que s'ouvrirent les hostilités entre la France et l'Angleterre, restée toujours l'alliée de Jean de Montfort. Rochefort, La Hunaudaie, Montauban, Rohan, se rangent alors sous la bannière de Duguesclin, en Normandie, puis en Poitou, où ils guerroient contre les Anglais. Peu après, le roi de France établit Rohan son lieutenant général en Basse-Bretagne avec trois cents hommes d'armes et mille francs d'or par mois (1371) [Note : D. M., P. II, 79]. Il y avait certes de quoi flatter l'amour-propre du Vicomte, mais lorsque Charles V voulut confisquer la Bretagne, Rohan l'abandonna. En 1379, le roi de France en effet, appela à Paris, pour s'assurer la possession de la Bretagne, quatre des principaux seigneurs bretons. Deux d'entre eux Duguesclin et Clisson, se prononcèrent nettement pour lui. Le Vicomte était vieux et sa jeune femme l'avait disposé favorablement pour les intérêts de la couronne de France ; cependant, il ne promit que juste ce qui était nécessaire pour ne pas se compromettre, Le comte de Laval seul déclara qu'il ne ferait jamais la guerre au duc. Mais rentré en Bretagne, le Vicomte de Rohan jura fidélité à Jean IV contre tous, notamment contre Olivier de Clisson (13 avril 1381) [Note : Certains historiens parlent, sans apporter aucune référence, d'une attaque faite en 1381 par la garnison de La Chèze contre les Anglais alliés de Jean IV. Or il paraît tout à fait invraisemblable que ceux-ci se soient avancés dans l'intérieur de la Bretagne. Après le siège de Nantes, ils hivernèrent sur la côte, entre Vannes et Quimperlé, et s'embarquèrent de là pour l'Angleterre. A cette époque d'ailleurs se produisait un grand rapprochement entre le duc et le Vicomte de Rohan. — Voir Froissard, Edition Buchon, II, p. 122-4]. Le duc était trop habile et trop peu solide sur son trône pour s'aliéner un seigneur aussi puissant que Rohan ; malgré les vives appréhensions que suscitait sa conduite passée, il l'appela à son conseil privé et le conserva comme garde du sceau ducal, dont Jean de Rohan s'était emparé pour le roi au temps de sa lieutenance [Note : D. Lobineau, P. II, 604-606, 624. D. M., P. II, 281, 370]. Aucune marque extérieure de confiance ne manqua à Jean de Rohan ; entre autres bienfaits, il reçut de Jean IV la châtellenie de la Roche-Moisan, au Kemenet-Heboy, qui avait été saisie pendant les guerres sur les seigneurs de Vendôme [Note : La Roche-Moisan, située entre les cours inférieurs de l’Ellé et du Scorff, comprenait une dizaine de paroisses et la moitié de l'île de Groix. Elle était sortie du Kemenet-Heboy. Son château se trouvait en Arzanno, sur la rive droite du Scorff. En 1381, Charles de Rohan-Guemené indemnisa la famille de Vendôme de la perte de cette seigneurie et une vente régulière fut signée entre les parties. Jean de Vendôme reçut 12.300 florins d'or. (D. M., P. II, 281, 378, 438 et Arch. L. Infér. E 224-236)].

Toute la vie du Vicomte se passa donc dans les troubles politiques. Ses dernières armées furent encore inquiétées par les hostilités d'Olivier de Clisson. Pour discuter les articles d'un accord entre Clisson et le duc, on choisit le château de la Chèze, mais le connétable ne vint pas au rendez-vous [Note : La Chèze semble avoir été la relsidencc la plus ordinaire du Vicomte de Rohan à cette époque ; c'est de là qu'il date plusieurs actes]. Enfin les querelles se terminèrent à Aucfer, le 19 octobre 1395 ; Jean de Rohan mourut quatre mois après cette réconciliation.

Jehan Ier de Rohan recueille la Vicomté de Léon et les Fiefs de Léon en Kemenet-Heboy.

Avec Jean Ier, la maison de Rohan avait vu son crédit et ses richesses augmenter encore. Ce prince contracta deux alliances qui servirent grandement les ambitions de sa race. Jeanne de Léon fit tomber sur sa tête tout l'héritage de sa famille qui, outre les terres proprement dites de la Vicomté de Léon et les Fiefs de Léon en Kemenet-Heboy, possédait plusieurs seigneuries importantes au pays de Normandie et de Caux (1363) [Note : Dans le contrat de mariage de 1349, il était stipulé : « Si la fortune advenait que Hervé de Léon décéda sans hoirs et que sa succession fût recueillie par sa fille, l’héritier du Vicomte, issu de la dite Jeanne, portera les armes de Rohan et de Léon écartelées. » (D. M. P. I, 1467). Les Fiefs de Léon, sortis du Kemenet-Heboy, en Broerec, comme La Roche-Moisan, comptaient quatre ou cinq paroisses et une partie de l'île de Groix ; son siège seigneurial était à Trefaven, sur !a rive droite du Scorff, en Plœmeur. Il semble bien que les mille livres de rente accordées à Jeanne de Léon, à l'occasion de son mariage, et qui devaient être assises « en Broerec et Guemenet-Héboy », furent placées sur les Fiefs de Léon. En tous cas, quoiqu'en pense La Borderie, les Fiefs de Léon en Kemené-Heboy font partie de la succession de Jean Ier de Rohan (D. M., II, 665) et le 20 juillet 1396, Alain VIII de Rohan se trouve à Hennebont pour recevoir les hommages de tous ses vassaux du « fié de Léon en Kemené-Theboy » (D. M., II, 669). Les principales seigneuries de Normandie et du pays de Caux étaient celles de Noyon-sur-Andelle, Le Pont-Saint-Pierre et Radepont. Elles furent données en dot par Jean de Rohan à sa fille Jeanne, lors de son mariage avec Robert d'Alençon, Cte du Perche]. Sa seconde épouse, Jeanne, fille de Philippe III, roi de Navarre, l'apparentait très prochement à la maison régnante de France [Note : Jeanne de Navarre se trouvait être la petite-fille du roi Louis X et la sœur de Blanche de Navarre, qui devint reine de France].

La dot de Jeanne de Navarre donna lieu à des réclamations assez longues. Quoiqu'elle eût promesse de 40.000 francs d'or, elle n'en toucha cependant que 10.000, mais ayant donné le jour à un enfant mâle, le roi de Navarre, son frère, lui donna quatre mille livres de rente sur des biens qu'il avait en Bourgogne et en Normandie. Bien que ce fils ne fût qu'un cadet, son père lui assura un brillant état ; de son vivant, Jean de Rohan le fit seigneur en perpétuel héritage de la Roche-Moisan et de Kemenet-Guégant.

La châtellenie de Guémené donné à Charles, fils de Jean Ier, et détachée du Rohan.

Après la guerre de succession, les Beaumer avaient repris la jouissance exclusive de leurs biens. Cependant la famille allait s'éteindre ; la seigneurie de Guémené était tombée en quenouille après Thomas de Beaumer. Jeanne, sa fille, mariée à Jean de Longueval, avait eu en partage le fief patrimonial. Jean de Rohan, trouvant avantageux d'asseoir la dot de Jeanne de Navarre sur un si beau domaine, proposa aux sire et dame de Longueval l'achat des châtellenies de Kemenet-Guégant et de la Roche-Périou. La proposition fut acceptée et le contrat passé devant la cour de Rennes, le mardi 26 mai 1377. Moyennant 3.4.00 francs d'or, les vendeurs cédaient au Vicomte tous leurs droits sur les châteaux de Guémené et de la Roche-Periou avec leurs revenus et dépendances situés aux paroisses de Priziac, Saint-Tugdual, Ploerdut, Langoëlan et le Merzer, Lescoët, Silfiac, Seglien, Locmalo, plus le manoir de Penvern avec son domaine en Persquen et Lignol [Note : D. M., P. II, 176, 178, 481. Le texte de D. Morice porte : « le manoir de Penquaer », mais il n'existe ni dans Persquen, ni dans Lignol, de terre noble de ce nom, nous sommes porté à croire avec Ogée qu'il s'agit de Penvern]. Le duc de Bretagne donna lui-même l'investiture des seigneuries de Kemenet-Guégant et de la Roche-Moisan à Charles de Rohan, lequel transmit ces biens à ses descendants et devint ainsi la souche des Rohan-Guémené.

Le chateau de Guémené choisi comme résidence habituelle, il en résulta que la Roche-Périou fut négligé et tomba peu à peu en ruine ; en 1575, c'est-à-dire deux siècles après l'acquisition, Louis VI de Rohan-Guémené, rendant aveu au roi, mentionne seulement « l'emplacement de l'ancienne forteresse de la Roche-Périou ». Donc à cette époque, du fier donjon qui durant plusieurs siècles avait dominé l'Ellé et le Pont-Rouge et avait su imposer respect aux Anglais, il ne reste que les fondements des murs [Note : Les fouilles de la voie ferrée qui dessert Le Faouët, ont mis à jour il y a quelques années les vestiges d'une tour ronde et des débris d'ouvertures en plein cintre qu'il convient de rapporter à la forteresse du XIIIème siècle]. Avant de faire don au fils de Jeanne de Navarre des seigneuries de la Roche-Moisan et de Kermenet-Guégant, le Vicomte de Rohan avait obtenu de Jean IV que ces châtellenies fussent distraites de la juridiction ducale d'Auray pour être rattachées à Hennebont, siège de la sénéchaussée de Broerec plus rapproché d'elles. Les lettres souveraines autorisaient les seigneurs et leurs hommes à se délivrer au premier jour des pieds généraux d'Hennebont « à congié de personnes et de menée baronnement et comme fié de baronnie » [Note : D. M., P. II, 284]. Faisons observer, en passant, que les circonstances qui firent — du temps des Beaumer ou de Roger David — rattacher le Guémené-Guégant à la juridiction d'Auray, restent ignorées. Les actes publiés par dom Morice fournissent la preuve irréfutable qu'originairement cette châtellenie faisait partie, avec tout le Rohan, de la sénéchaussée de Ploërmel.

La charte, accordée par Jean IV, donna à Charles de Rohan-Guémené l'idée d'une plus grande indépendance. Il voulut secouer la suzeraineté des Rohan, se rendre libre de l'autorité du sang et des obligations dont les lois féodales frappaient les juveigneuries. Contre ces intentions, le Vicomte Alain VIII protesta énergiquement en fournissant les preuves que Kemenet-Guégant « par tant de temps que mémoire d'homme n'est au contraire », avait été tenu de la Vicomté de Rohan et « justicié » de la barre de Pontivy. Las de discussions et mal fondé dans son procès, Charles de Rohan finit par reconnaître sa dépendance vis-à-vis de son frère [Note : Accord conclu entre le Vte de Rohan et son frère Charles, sgr de Guémené, pour régler certains points de la succession de leurs père et mère, 1409. — En retour de certaines reconnaissances, Alain VIII renonce à des droits de supériorité sur des héritages et des fiefs abandonnés par lui dans les paroisses de Lignol, Lescoet et Silfiac, et admet les revendications de son frère sur les coutumes des foires de St-Laurent et de Ste-Madeleine au Kemenet. (Bibl. Nantes C 1548. Voir également B. N. ms. fr. 22332)] et le Vicomte aurait conservé cette ligence si toutefois le procureur d'Hennebont n'avait fait opposition à ses conclusions. Par arrêt de son Conseil, Jean V de Bretagne commit son sénéchal d'Hennebont pour examiner les faits et les titres et prononcer prompte justice touchant cette matière [Note : Le 28 septembre 1411. B. N., ms. fr. 22332]. Sans avoir le texte de ce jugement, nous en connaissons les conséquences. Kemenet-Guégant fut détaché du Rohan et ne releva désormais que du duc en sa cour d'Hennebont. Jean V n'aurait pu lui-même formuler une sentence plus en rapport avec Les principes de son gouvernement et la défiance que lui inspirait la puissance des Vicomtes.

Testament de Jean de Rohan et de son épouse Jeanne de Navarre.

Brisé par le poids des ans et les luttes qu'il n'avait cessé de soutenir, le Vicomte Jean de Rohan songea à dicter ses dernières volontés et, pour donner plus de solennité à l'acte, fit appeler au château de Guémené où il était tombé malade, maître Henri Kerazre, tabellion de la cour d'Hennebont. C'est un véritable regret pour nous de ne pouvoir reproduire in-extenso le texte des actes testamentaires des seigneurs de Rohan et de leurs femmes ; l'histoire n'a pas conservé de documents d'une plus noble simplicité, plus sincères, plus intimement révélateurs de l'état d'âme de ceux qui les dictent. Après une vie souvent peu édifiante, passée parfois dans les dérèglements, les sires et dames de Rohan placent en tête de leurs testaments une profession de foi catholique, affirment leur croyance en la « benoiste Vierge » et aux saints qui auront garde de leur âme. S'il existe des dettes, elles sont énoncées en détail afin qu'aucune ne soit omise ; les serviteurs et les gens de l'hôtel reçoivent ordinairement une récompense en argent, ou une année de gages, comme le décide Jeanne de Navarre qui teste aussi au château de Guémené où elle s'est retirée près de son fils depuis son veuvage [Note : Le testament de Jean de Rohan est du 24 février 1395 et celui de sa seconde femme du 22 septembre 1401. (D. M., P. II, 658, 716)]. Les pauvres ont parfois aussi une part généreuse. « Ordonnons cent cottes de drap de laine, cent chemises, deux cents paires de souliers queulx seront baillés aux povres », portent les dernières dispositions de la Vicomtesse, sans compter ce que recevront ceux qui accompagneront la dépouille mortelle de Guémené à Bon-Repos ; car c'est à Bon-Repos, comme son seigneur époux, que dame Jeanne désire être inhumée. La célèbre abbaye est devenue le Saint-Denis des Rohan ; depuis Alain III et Constance de Bretagne, pas un Vicomte n'a manqué d'aller rejoindre dans cette vallée de paix les mânes des ancêtres qui dorment sous la pierre bénite de l'église conventuelle. Ils sont là sans exception ; dom Hyacinthe Morice, qui est venu dans cette nécropole évoquer le passé à sa source, les a dénombrés et a relevé les épitaphes sur la dalle funèbre déjà usée par le temps. Certains y sont descendus sous l'habit monastique, d'autres ont conservé dans le cercueil l'épée et la cotte de maille, mais humbles pénitents, pieux ou fiers chevaliers, farouches guerriers, tous ont voulu protéger leur dernier asile, l'enrichir, glorifier la Vierge du lieu. Ceux qui n'y ont pas songé au cours de leur existence mouvementée, n'oublient pas, tout au moins dans leur testament, de faire bénéficier les religieux, fidèles gardiens de la prière, d'une fondation ou d'une donation généreuse. Plusieurs actes de cette nature ont été rappelés dans un chapitre précédent. Au XIVème siècle, les sires de Rohan ne se montrent pas moins généreux que leurs devanciers. Olivier II dote l'abbaye de soixante sous monnaie de rente pour assurer au repos de son âme trois messes par semaine (1323) [Note : Rente assise sur les revenus du territoire de Plussulien. (B. N., fr. 22338 f. 69)]. C'est aussi à ses soins que l'abbaye dut le grand vitrail de son église, dans lequel apparaissaient encore, à la fin du XVIIIème siècle, le donateur avec Aliette de Rochefort, son épouse, leur fils aîné, et Jeanne de Rostrenen. Jean Ier, en fondant un autel particulier dans la même église, pour y faire dire deux messes par jour, donne à perpétuité aux moines cent livres de rente sur les dîmes de la Vicomté de Rohan et du Léon (1373) [Note : A prendre sur les « dîmeries » des paroisses de Noyal, St-Gonnery, Neuillac, Cleguerec, Malguenac et Remungol dans la Vicomté de Rohan, sur celles de Plougastel, de Juch et de Ploudaniel au diocèse de Léon, et pour le surplus, s'il y a lieu, sur les fermes de Pontivy. Nous reviendrons sur cette charte, car le service de la fondation par les receveurs de la Vicomté souleva dans la suite des difficultés interminables. (D. M., P. II, 67, et Arch. de Janzé)] ; et ceci, quelques années avant que les religieux — dont la vertu assurément était grande à cette époque — reçussent de Jean IV de Bretagne, à héritage perpétuel et à l'intention également de prières, la valeur de huit tonneaux de vin sur les profits des ports de La Rochelle et de Quimper-Corentin, plus cinq cents tonneaux de merlus sur les sécheries de Cornouaille, francs de tout droit (1381) [Note : D. M., P. II, 374. Les successeurs de Jean IV veillèrent à l'acquittement de cet engagement. A la fin du XVème siècle, le conseil ducal prononçait une sentence contre les fermiers de la recette de Quimper qui n'avaient pas acquitté à Bon-Repos les quatre tonneaux de vin ou une somme équivalente. (Loire-Inf., E 85)]. Mais Jean de Rohan ne se tient pas pour satisfait d'une si importante donation, il destine deux cents livres après sa mort pour « lambrisser » l'église abbatiale, et toute sa confiance, il la place dans l'abbé Yves, qu'il nomme son exécuteur testamentaire, conjointement avec Olivier de Clisson et Robert de Beaumanoir. Puisque nous parlons du connétable, devenu l'ami du sire de Rohan, lui-même s'inspirera des intentions dernières du Vicomte lorsqu'il chargera l'abbé de Bon-Repos d'exécuter ses dispositions et lui laissera quinze cents livres en aumône [Note : D. M., P. II, 780].

Mais voyons quelles furent les libéralités testamentaires de Jeanne de Navarre, la veuve de Jean Ier. Et d'abord, comment cette noble et pieuse princesse régla-t-elle la pompe qui devait accompagner son corps de Guémené à Bon-Repos ?... Aussitôt notre trépas, dit-elle, notre dépouille mortelle sera transportée en l'église Notre-Dame de la Fosse de Guémené et éclairée de cinq torches de cire durant le service qu'on y célébrera : torches du poids de cinq livres, tenues par cinq pauvres « vêtus de burel noir », lesquels recevront chacun deux sols. Le corps sera couvert d'un drap noir orné d'une croix blanche. Sur le maître-autel brûleront quinze cierges « à l'honneur des quinze joies de la Vierge » ; sur chacun des autels secondaires, quatre torches de quatre livres et demie. Pour le cortège funèbre, depuis le seuil de l'église Notre-Dame jusqu'à l'église de Monsieur Saint Malo (Locmalo), cinq autres pauvres vêtus de bure, et qui recevront également deux sols, précéderont immédiatement le corps, porteurs de cinq torches neuves ; le parcours se fera par les chapelles Saint-Gilles et Sainte-Madeleine qui, au passage, recevront une torche de quatre livres, un pilet [Note : Pilet est synonyme de cierge] de cire d'une livre, et quarante sols pour leur entretien. De Saint-Malo, cinq autres pauvres, avec des torches neuves, escorteront le corps jusqu'à Bon-Repos. Arrivé à l'église abbatiale, les pauvres et les torches seront encore renouvelés et placés comme il suit : cinq autour du corps, deux face au maître-autel, deux face à l'autel de la chapelle particulière où sera ensevelie la défunte. En outre, des torches et pilets de grosseurs différentes garniront le maître-autel (au nombre de quinze comme à Guémené) et chacun des autels secondaires. Ici, les porteurs de torches toucheront deux sols six deniers ; et d'ailleurs tous les indigents qui se présenteront à l'abbaye ce jour-là, recevront deux sols pour prier Dieu. Les prêtres qui officieront auront trois sous chacun. Et de crainte que ses intentions ne soient strictement suivies, la testatrice ajoute en terminant : « Toujours comme il est dit devant, nous avons ordonné que lesdites torches, povres et vêtements soient renouvelés ». Ceci arrêté, elle déclare laisser à Bon-Repos un « gobelet d'or », un diamant pour orner un calice, une chasuble en velours brodé pour la chapelle de sa sépulture [Nota : On peut supposer que cette chapelle est celle que fonda Jean de Rohan], sa « chambre vermeil » [Note : « Notre chambre vermeil o un saint Gervais » porte le texte. Il s'agit ici de la garniture d'une chambre rouge, ou peut-être plus spécialement d'une garniture de lit brodée d'un saint Gervais. En tout cas, la Vicomtesse en précise l'emploi comme il suit : Avons ordonné qu'elle soit tendue de cette façon, c'est à savoir, le « dossier » (étoffe ou tenture) au-dessus du grand autel de l'église, le grand « cell » (ciel ou dais) au-dessus également, et les « courtines » (rideaux) tendues autour du même autel, tant d'un côté que de l'autre, dans tout l'espace qu'ils pourront occuper et la « cortepoint » (couverture de lit) sera mise sur notre tombeau les jours de fêtes solennelles ou quand des personnes étrangères se trouveront à l'abbaye, et les autres jours sera mise une serge noire, et les « tapis » (tapisseries) de notre chambre seront tendus en haut du dais d'un côté et d'autre du chœur. L'abbé et les religieux du couvent s'engageront à ne jamais les déplacer ni les vendre, sinon nos exécuteurs en feront au profit de notre âme l'usage qu'ils jugeront le meilleur], une nappe d'autel confectionnée par elle et écussonnée des armes de Navarre, un triptyque de la Passion du Sauveur. Après avoir stipulé la fondation de sept « annuels » ou services anniversaires, elle énonce différents legs à des établissements religieux de Bretagne et hors Bretagne : vingt livres aux frères Augustins de Lamballe, pour les aider à acheter un missel ; aux frères d'Hennebont, un « corset et un chapperon de drap d'or blanc » [Note : Le corset eut deux significations différentes, il a désigné le vêtement serré à maintenir la taille et aussi un habit très ample, porté par les hommes comme par les femmes, mais serré à la taille. Le chaperon était à l'origine une sorte de petit bonnet qui couvrait seulement la tête et les épaules ; il avait la forme d'une espèce d'entonnoir au XIVème siècle quand la mode en devint plus générale. Les femmes le portaient souvent sur les épaules comme une écharpe] pour faire une chasuble, et deux reliquaires d'argent doré, dont l'un représente la Vierge « quel tient de son let en la main » [Note : Le lait de la Vierge était au moyen-âge considéré comme une relique et un certain nombre d'églises prétendaient en posséder] ; à l'abbaye de Lantenac, un « habit de drap d'or » et un reliquaire d'argent ; aux Jacobins d'Evreux, un « corset de drap d'or vermeil » pour une chasuble, et un « fermaile » [Note : Fermail, sorte d'agrafe servant à réunir les deux parties d'un vêtement] avec un saint Michel ; à l'abbaye des Nonnettes-Blanches de Mudem, une robe longue de velours vermeil de quatre « garnemens » [Note : Garnements ou parties d'un vêtement complet] ; l'église de Biéval, où fut baptisée la princesse, un « corset de cramoix » pour une chasuble ; à la confrérie du lieu, dont fait partie la testatrice, trente livres de cire, soixante sous pour ses pauvres et une « hopelande de cramoix » [Note : La houppelande des dames était une robe de dessus très élégante, ample et décolletée. Crarmoix pour cramoisi (rouge)] également pour chasuble ; à N.-D. de la Fosse de Guémené « où l'on chante toujours devant nous », une « chasuble de valne vermeil » [Note : Valne, expression rare, qui pourrait signifier une sorte de velours] ; etc..., etc... Suivent les legs à certaines églises et chapelles du Kemenet-Guégant ; à l'abbaye du Mont Saint-Michel, une croix d'or ; à l'abbaye de Citeaux, quarante sous ; à Saint-Michel d'Auray, « un collier d'or que nous avons de l'ordre de monseigneur le duc » ; etc..

Cette longue nomenclature est curieuse. A la vérité, peu de princesses poussaient la générosité et le désintéressement aussi loin.

Les testateurs, eux, sont toujours plus brefs. Outre ce que nous avons déjà vu pour Bon-Repos, Jean de Rohan lègue deux cents livres — somme d'ailleurs considérable — « aux couvents et aux abbayes de Bretagne », confiant le soin de la répartition au conseil des exécuteurs. Les sires de Rohan préfèrent s'arrêter à une désignation qui ne manquerait de soulever les plus graves querelles de famille si elle n'était prévue par eux-mêmes, celle du douaire de leur femme, composé généralement du tiers des héritages de l'époux. Les filles reçoivent leur dot en se mariant, les cadets ont leur avenant, ou leur héritage, désigné par l'aîné [Note : A cette époque de nombreuses infractions sont faites à la règle commune de l'avenant], mais les bâtards n'ont droit à rien ; aussi, est-il bon de ne pas les oublier avant de mourir. Henri Le Bourt, fils naturel de Jean Ier, reçoit cent livres, et Jeanne, sa fille naturelle, le revenu viager d'une ville en Normandie. Personne ne doit être omis : serviteurs, pauvres, couvents, confréries religieuses, créanciers sont mentionnés ; à plus forte raison les officiers fidèles et ceux que lie l'amitié. Olivier de la Cour « qui m'a bien et léaument servi, dit Jean de Rohan, demeurera quitte de toutes les recettes qu'il a faites pour moi » ; Geoffroy de la Motte, Guillaume de la Ville-Audren, Jean Budes, Perret de Linderec, etc... reçoivent la même somme de soixante livres, également Galhaut du Chesne, maître d'hôtel du Vicomte, « pour son bon service ». Ce Galhaut du Chesne et sa femme figurent encore dans le testament de Jeanne de Navarre pour le legs d'une « houpelande de alaite fourrée » et un « corset avec les pendants de laitiées » [Note : Laite fourrée, laitées, serait peut-être synonyme de laitisses, toilette ou vétement garni de fourrure blanche comme du lait, de l'hermine par exemple]. L'amitié réserve des souvenirs tout personnels à ceux qui ont été particulièrement dévoués : « Ordonnons continue la Vicomtesse, — être baillé à demoiselle Orable [Note : Veuve d'Alain du Cambout], nos petites houres avec nos patenôtres noires queulx sont bien usés, avec notre glandure d'or ouquel il y a aussite [Note : Image] de Notre-Dame, avecque une Notre-Dame qui est au bout du chevet de notre lit quel est d'albastre ; ... à Jehanne, notre demoiselle, nos patenôtres grosses d'ambre blanc esqueulx pend un Saint Jean et lesqueulx nous donna nostre très cher et amé fils Charles [Note : Les patenôtres étaient souvent à cette époque l'objet de cadeaux. Jeanne de Navarre avait reçu du roi des patenôtres lorsqu'elle se rendit « devers lui au boys de Vincennes » en 1378. (D. M. P. II, 225)] ... ; à Perrotte, notre demoiselle, nous avons laissé nos patenôtres grosses d'ambre jaune ;... à la petite Marie, le tableau carré et cent livres pour l'aider au fait de son mariage, avecque une petite couronne d'argient et nos houres esqueulx y a es fermoirs un Saint Gervais..., etc. ».

On ne pourra douter après cela de la grande piété de la testatrice et de sa dévotion pour la Vierge dont elle évoque l'image à chaque ligne.

Jean de Rohan néglige la destination de ses livres de dévotion pour assurer le sort de ses coursiers, dont quelques-uns ont peut-être guerroyé avec leur maître. Un « grand cheval au poil rouan » deviendra la propriété de son fils Léon [Note : Alain, héritier principal] ; « le cheval o la tache garre en la cuisse et le cheval nommé Camus o la courte queue » seront celle d'un autre fils, Edouard. La veuve aura « quatre chevaux blancs pour son char et sept pour son charriot ensemble o leurs traits ».

Voilà jusqu'où allaient les prévisions testamentaires des sires de Rohan et de leurs femmes ; voilà comment certains de ces seigneurs, en descendant dans la tombe, surent faire acte de foi en Dieu, d'humilité, de justice envers le prochain, et de reconnaissance des bienfaits reçus de la Providence. Le Vicomte Jean avait fait avancer d'un échelon la puissance de la Maison de Rohan qui, au siècle suivant, devait parvenir au sommet de sa fortune. Non seulement il laissait ses héritiers des biens considérables en terres ; d'une part, à Alain VIII, chef du nom, la seigneurie patrimoniale de Rohan avec ses dépendances au Porhoët, la Vicomté de Léon, des sécheries en Cornouaille, les Fiefs de Léon et la châtellenie de Plouhinec en Broerec [Note : La châtellenie de Plouhinec, sise à l'embouchure du Blavet, proche les Fiefs de Léon, mais sur la rive gauche, comprenait les deux paroisses de Plouhinec et de Riantec. Jean de Rohan la tenait de Jeanne de Rostrenen, sa mère] ; d'autre part, à Charles, fils aîné de son second mariage, le Kemenet-Guégant avec La Roche-Périou et La Roche-Moisan ; mais encore le Vicomte Jean, par ses brillantes alliances, s'était élevé à un rang qui lui donnait une autorité reconnue par les plus hauts seigneurs et par les rois de France; quelques années encore et les Rohan pourront prétendre à la souveraineté du duché.

(H. Du Halgouet).

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