Web Internet de Voyage Vacances Rencontre Patrimoine Immobilier Hôtel Commerce en Bretagne

Bienvenue !

LA VICOMTÉ DE ROHAN AU XVème siècle.

  Retour page d'accueil       Retour page "Vicomté de Rohan"  

Boutique de Voyage Vacances Rencontre Immobilier Hôtel Commerce en Bretagne

Boutique de Voyage Vacances Rencontre Immobilier Hôtel Commerce en Bretagne

Le Porhoët, après de longues vicissitudes, vient aux mains des Rohan par le mariage de l'héritière principale du Connétable de Clisson avec Alain VIII de Rohan. — Sous Alain IX, la maison de Rohan atteint son apogée en Bretagne. — Les prétentions de Jean II à la Couronne l'entraînent à la rébellion. A plusieurs reprises ses forteresses sont assiégées et ses terres confisquées. — Etat et administration de la Vicomté de Rohan au XVème siècle : étendue et division administrative ; — villes et places fortes ; — suite civile et militaire des seigneurs ; — le Conseil et la Chambre des comptes ; — justice ordinaire et extraordinaire ; — devoirs et corvées des vassaux ; — foires et marchés ; — impôts ; — moulins et forêts.

Le Porhoët et Blain viennent aux mains des Rohan.

Le Porhoët avait été disloqué après la mort du Comte Heudon III. Ce qui en garda le nom — Josselin pour tête, la Trinité, Lanouée, les juveigneuries de Guillier et de Campénéac [Note : Part heritelle de Mahaud de Porhoët, femme de Geoffroi de Fougères] — fut annexé à la seigneurie de Fougères et en suivit les vicissitudes.

Hugues XII de Lusignan recueillit ces deux fiefs importants comme fruit de son alliance avec Jeanne de Fougères. Il eut un fils, Hugues XIII, qui, étant sans postérité, laissa son héritage à son frère Guy. Celui-ci, sans enfants également et circonvenu sans doute par les intrigues du roi de France, légua à ce dernier, en 1307, tous ses biens, y compris le Porhoët.

Les actes de Bretagne contiennent une lettre de Philippe Le Bel, dans laquelle, sept ans plus tard, ce monarque cherche à justifier cette donation en la présentant comme l'expiation d'un crime. De ce crime, il n'est resté trace nulle part, à moins que le roi ne fît allusion à la révolte de Poitiers en 1242 !

Philippe Le Bel concéda l'usufruit du Porhoët, en douaire, à la veuve de Hugues de Lusignan, puis abandonna ce domaine à son propre fils, Charles de France, lequel en fit hommage au duc (1316). La Couronne le conserva jusqu'en 1370, date à laquelle Charles V le céda à Clisson [Note : Sur cette partie de l'histoire du Porhoët, voir D. M., P. I, 927, 1070, 1110, 1263, 1264, 1350, 1351, 1352, 1639, 1639, 1640. — B. N., fr. 2903 (f. 1), fr 22338 (f. 76-81). fr. 2903. (f. 1) Duchesne 70 (f. 70). Le 4 mai 1370, le roi assigne 4000 # de rente, en Normandie, en échange de la châtellenie de Josselin que lui cèdent les Comtes du Perche et d'Alençon. Le 24 mai, le roi abandonne Josselin à Clisson. (B, N., fr. 11555)].

L'établissement, au cœur de la Bretagne, de celui que Jean IV considérait comme le rival de sa puissance, exaspéra le duc qui ne cessa de le harceler en justice et en champ clos. Mais le connétable était riche de revenus et de forteresses, pourvu de solides compagnons d'armes et soutenu, de plus, par le roi de France. Jean IV essaya de lutter, mais dut se résigner à offrir une réconciliation. Josselin servit de siège à la résistance d'Olivier de Clisson qui en releva les murs et augmenta la défense d'un donjon formidable. C'est à Josselin que s'écoulèrent les dernières années de son existence belliqueuse, et c'est là qu'il mourut, en 1407, pour aller rejoindre dans la tombe Marguerite de Rohan, dame de Beaumanoir, sœur du Vicomte Jean Ier de Rohan, à laquelle il s'était uni en secondes noces. Depuis trente ans, les Rohan et Clisson avaient vécu en relations de parfait voisinage et dans une communauté d'intérêts qui ne se démentit pas. De son vivant même, le connétable consacra l'union définitive des deux familles en mariant Béatrix, son héritière principale, au jeune Vicomte de Léon, fils aîné de Jean de Rohan [Note : De son premier mariage, avec Catherine de Laval, Clisson eut deux filles : Béatrix l’aînée, et Marguerites qui épousa Jean de Penthièvre, fils de Charles de Blois. Marguerite de Rohan ne lui donna pas d'enfants].

Béatrix de Clisson, comtesse de Porhoët, reçut, à la mort de son père, le fief dont elle portait le nom, ainsi que les seigneuries de Blain, Fresnay, Héric, Pontchateau, La Garnache, et autres moins importantes [Note : Béatrix reçut deux parts de la succession de Clisson et sa sœur l'autre tiers. Toutes tes deux devaient contribuer aux dettes, (D. M., II, 778)]. Les Rohan devinrent ainsi, au commencement du XVème siècle, seigneurs et maîtres de tout le Porhoët de Guethenoc, premier titulaire connu, à l'exception du Kemenet-Guégant détaché en juveigneurie ; le fief d'origine ainsi reconstitué se maintiendra en leurs mains jusqu'à la Révolution, avec cette différence que l'éclisse d'autrefois est maintenant le fief principal.

***

Les Vicomtes atteignent leur apogées en Bretagne.

Alain VIII, fils du Vicomte Jean, prit possession du Rohan en 1396 [Note : Les enfants de Jean Ier de Rohan avaient définitivement arrêté leur partage et le douaire de Jeanne de Navarre, par acte du 29 mars de la même année. Jeanne de Navarre était maintenue dans la jouissance de la châtellenie de Corlay, des forêts de Poulancre et de Quénécan, le manoir de Penret excepté, et de toutes les possessions des Vicomtes en Plouguernevel, y Compris Gouarec. (B. N., fr. 22339)]. Le duc, animé de dispositions conciliantes, lui fit remise partielle des droits de rachat ; pour la jouissance annuelle que lui donnait ce droit, il se contenta d'une somme de 3000 livres et de l'occupation momentanée des places [Note : D. M., II, 665-666]. Même, pour éviter de trop longs débats sur l'origine du Porhoët qui, d'après Clisson, était un démembrement du duché de Bretagne et, à ce titre, exempt de droit, Jean IV consentit à distraire la châtellenie de La Chèze du rachat. Cette question de la franchise du Porhoët ne devait pas tarder à revenir en discussion. L'impôt de succession, dit de rachat, était une des grosses ressources du suzerain ; plus tard, le duc Jean V refusa de ratifier les lettres de non préjudice données par son père et relatives aux biens du connétable.

Pour attirer le Vicomte de Rohan et le détacher du parti de Penthièvre qui, par le sang, le touchait de très prés, Jean V maria sa sœur, Marguerite de Bretagne, au fils d'Alain VIII (1407) [Note : Le duc donna en dot à sa sœur la seigneurie de Guillac, ou Glac, au Porhoët, et Alain, fils du Vicomte, reçut, pour provision, le tiers des héritages de ses auteurs, à savoir : les châtellenies de Clisson et de la Garrache (Lobineau, P. 820-822). La terre de Guillac appartenait en 1365 à Geoffroy de Mortemer qui la cédait pour six mille deniers d'or à Guillaume de Felton. Le fils de ce dernier, sans doute, Jean de Felton, l'abandonne, en payement de sa rançon, à Thomas de Melburne en 1370. Trois ans plus tard, elle est confisquée par Charles V sur Jean de Montfort, duc de Bretagne, donnée par le roi à Clisson, puis reprise par le duc. Un mandement de 1496 ordonne de « démolir les garennes de la seigneurie de Guillac » (Trésor des Chartes, Arch. de Kerguehennec et des Forges de Lanouée)]. En considération de cette alliance, le duc admit le jeune seigneur au nombre des barons de son hôtel et lui assigna une pension considérable. La politique du duc était habile, elle répondait d'ailleurs parfaitement aux nécessités du moment, car la maison de Penthièvre, guidée par l'ambitieuse Margot de Clisson, préparait un coup d'éclat destiné à imposer ses prétentions.

Nous arrivons à la plus haute courbe de la puissance des Rohan. Si le siècle précèdent fut le siècle de du Guesclin et de Clisson, le XVème fut pour la Bretagne le siècle des Rohan.

Quand se produisit la catastrophe de 1420 et l'emprisonnement du duc par les Penthièvre, la duchesse nomma Alain VIII son lieutenant général en Bretagne, avec pleins pouvoirs d'ordonner ce qu'il jugerait nécessaire pour la sûreté du pays. Menée par le Vicomte avec vigueur, la campagne aboutit rapidement à la capitulation de Châteauceaux. Le duc ne se montra pas ingrat les biens des vaincus servirent a ses munificences à l'égard de ceux qui l'avaient bien servi. Rohan fut naturellement le plus favorisé.

Après avoir rendu à son souverain la liberté et la couronne, le Vicomte se retira dans ses terres et ne repartit guère à la cour ni aux assemblées publiques. Il était d'une complexion fort délicate et d'une santé chancelante, comme il le déclare lui-même dans son testament fait au château de Penret, le 16 juin 1424.

Inaliénabilité du patrimoine.

De la période qui s'écoule entre la prise de Châteauceaux et sa mort, survenue le 25 juillet 1429, le testament mis à part [Note : Testament du 16 juin 1424. (D. M. II, 1145)], nous n'avons du Vicomte de Rohan qu'un acte, mais celui-ci est un précieux témoignage du souci qui, dans la retraite des affaires publiques, animait Alain VIII pour la conservation du patrimoine de sa Maison et l'honneur de son nom. Étant au château de La Chèze, la veille de Noël, l'an 1422, il fit venir les abbés de Lantenac et de Bon-Repos et, en leur présence, déclara dans les formes les plus solennelles, consignées par les officiers de la cour de Ploërmel, que toutes ses terres formeraient un bien patrimonial inaliénable, ne pouvant jamais être échangées ou engagées, sous aucun prétexte, à moins toutefois qu'un conseil des plus proches parents n'autorisât une décision contraire. Béatrix de Clisson et Alain de Porhoët, son fils, souscrivaient librement et entièrement à l'engagement qui débute en exposant que les prédécesseurs des seigneur et dame de Rohan, titulaires des seigneuries de Rohan, Porhoët et Léon, ont toujours été de très haut lignage « recogneuz, honorez, et receuz en compeignies des imperours, roys, ducs et princes » et qu'eux-mêmes imposaient, en perpétuelle règle, les présentes stipulations pour la louange du Créateur, le « confort et secours » de l'église catholique et du bien public. L'arrêt d'inaliénabilité frappait non seulement les seigneuries et leurs dépendances, mais les « vexelles d'or et d'argent, reliques, chapelles, livres, joyaulx, paremens et autres meubles et ustensilles preparez et accoutumez pour les hostielx et estatz de leurs prédécesseurs et deulx ». Les ventes, et d'ailleurs toute convention allant à l'encontre, étaient déclarées de nulle valeur et sans effet. Les abbés apposèrent leurs sceaux à côté de ceux des seigneurs et l'acte fut publiquement enregistré dans toutes les cours ducales. Nous verrons dans la suite que l'engagement pris par le jeune sire de Léon ne lui coûta guère et qu'il transgressa les volontés de son père dans tous les termes de cet acte [Note : Bibl. Nantes, fr. 1534 et Bibl. Lyon. (Annales de Bretagne, novembre 1910)].

Un grave différend se produisit entre Alain VIII et l'autorité ecclésiastique du diocèse de Vannes. Sans en connaître le motif exact, l'on s'imagine cependant aisément qu'il doit s'agir d'une de ces difficultés si fréquentes entre les seigneurs ecclésiastiques et laïques, relatives à la perception de dîmes ou de redevances. L'évêque de Vannes frappa d'excommunication le Vicomte, son alloué, Guillaume Artur, et son procureur fiscal, Guillaume de Lesanec ; mais la sentence parut injustifiée à l'official de Tours qui, en action d'appel, prononça la levée d'excommunication en absolvant Alain de Rohan et ses officiers (11 octobre 1410). La rareté des sentences de l'officialité métropolitaine donne à cet acte une valeur particulière [Note : Bibliothèque de Nantes, fr. 1539].

Comme son père, Alain IX obtint remise du rachat pour le Rohan, à condition que Tristan de la Lande occupât momentanément les forteresses de Rohan et La Chèze. Comme lui, il se rangea du parti de Jean V et il semble avoir occupé le premier rang, parmi les chefs de l'armée bretonne, sous les murs de Châteauceaux. Pour être exact, il faut reconnaître cependant qu'il ne fut pas toujours fidèle à cette politique, et qu'en 1427 Alain VIII dut protester contre la conduite trop étrangère aux sentiments bretons suivie par son fils.

A la fin de 1431, Alain est revenu à un patriotisme plus rigoureux, puisqu'à l'appel aux armes contre le duc d'Alençon qui avait machiné un complot contre le chancelier de Bretagne, il amène à Jean V cinq cent soixante-et-un hommes d'armes et trois cent vingt archers de ses vassaux. Lorsque, six ans plus tard, le duc se crut menacé de nouveau par les Penthièvre et qu'il demanda à ses barons de jurer fidélité à sa dynastie, Alain se présenta un des premiers ; et, après lui, tous les nobles de Rohan et de Porhoët firent serment (octobre 1437) [Note : Le Trésor des Chartes de Bretagne conserve encore en partie les actes authentiques de ces serments. Malheureusement ceux des diocèses de Nantes, Vannes et Quimper sont perdus. Nous donnerons à l'Appendice de notre ouvrage, le nom des nobles de la Vicomté de Rohan et du Comté de Porhoët, en l'évêché de Saint-Brieuc, qui se présentèrent pour le serment (D. M., II, 1300 et Lobineau II, 1053)].

Un bon service en amène un autre. Le duc, entre temps, obtient des Etats 25.000 livres pour aider au mariage de Jeanne de Rohan avec Jean d'Orléans, Comte d'Angoulême, et s'engage lui-même à contribuer, pour 24.000 écus d'or, à la dot de Yolande de Laval qui doit épouser Alain sire de Léon [Note : 9 décembre 1432 et 21 mai 1435 (D. M., II, 1255, 1271). Jeanne de Rohan, fille de Alain lX et de Marguerite de Bretagne. Yolande, fille aînée du Cte de Laval et d'Ysabeau de Bretagne]. Ce dernier, fils aîné du Vicomte, et jeune homme de grande espérance, périt à l'attaque de Fougères contre les Anglais en 1449.

A la mort d'Olivier de Clisson, une transaction relative à la sauvegarde de ses biens était intervenue entre les héritiers du connétable et le duc ; celui-ci comprenait globalement les droits de rachat dans le règlement d'une dette antérieure de 100.000 livres, mais Béatrix de Clisson avait dénié ce droit sur le Porhoët, Jean IV n'en avait-il pas admis implicitement la franchise quelques années auparavant ? Un long procès s'en suivit à Ploërmel et au parlement de Bretagne. Béatrix ne se soumit qu'en 1437. Le Vicomte, assisté d'Alain de Châteautro, procureur de sa mère, vint alors à Vannes devers le duc faire acte d'obéissance, et enfin Béatrix rendit son aveu du Porhoët comme « hommesse lige » [Note : Pour le rachat du Porhoët, voir B. de Nantes, fr. 1538 ; B. Nationale, fr, 22332 et 22333 D. M, P. II, 787, 797, 1299].

François Ier, successeur de Jean V, avait eu dès son avènement de grosses charges. Afin d'y faire face, il s'était adressé au Vicomte de Rohan, et, pour se couvrir de ses avances, celui-ci fut autorisé à lever deux fouages dans le duché (1445) [Note : D. M., P., II, 1383]. Jamais les maisons de Bretagne et de Rohan n'avaient été plus intimement liées par les obligations réciproques, unies davantage par l'intérêt. Les Rohan dominaient les plus grands seigneurs du duché ; le premier rang leur était réservé dans la noblesse — un seul baron, le sire de Vitré, osait leur contester la préséance aux Etats. Au couronnement des souverains bretons, le sire de Guémené portait le cercle ducal et c'est aux mains du Vicomte de Rohan que le nouveau duc prêtait le serment.

Alain IX, lieutenant général du duché.

— Alain IX reçut ainsi successivement le serment des trois derniers ducs. Nous avons déjà, vu, en 1420, Alain VIII commander à la Bretagne et, dans cette circonstance, tirer le duc d'un péril aussi menaçant pour sa personne que dangereux pour sa dynastie ; deux fois, Alain IX assuma le gouvernement du duché pendant l'absence du souverain [Note : En 1457 et 1462. Voici les termes des lettres ducales du 6 décembre 1457 : « Considérons la grand affinité et proximité de lignage de nostre très cher frère et féal le vicomte de Rohan avons institué et commis, l'ordonnons nostre Lieutenant Général pour tout notre duché durant notre absence avec faculté de régir et gouverner de par nous. » D. M. II, 1721]. Cette puissance et cette supériorité entrainèrent malheureusement les Rohan vers la décadence. Alain IX — malgré un écart de jeunesse — sut conserver une loyauté et une fermeté de caractère qui lui méritèrent la confiance de trois ducs successifs, mais après lui Jean II de Rohan sombra par sentiment d'orgueil. En voulant atteindre au faîte, il rencontra la roche tarpéienne.

Alain IX, le dernier personnage marquant de la branche aînée de Rohan, s'éteignit le 21 mars 1461, à l'âge de quatre-vingts ans. Devenu veuf de Marguerite de Bretagne, il avait épousé Marie de Lorraine, puis en troisièmes noces, Peronnelle de Maillé. L'année même de ce dernier mariage, le duc Pierre II lui accordait, pour son fils, la main de sa nièce Marie de Bretagne, deuxième fille de François Ier et d'Ysabeau d'Ecosse [Note : D. M. II, 1549, 1768. Peronnelle de Maillé eut un trousseau estimé 1000 écus d’or. Se résidence ordinaire semble avoir été le château de La Chèze ; elle y fit quelques dépenses d'entretien, (Notice sur Corlay par M. de Barthélemy)].

La piété et la munificence d'Alain IX sont attestées par plusieurs fondations, parmi lesquelles nous citerons le couvent des Frères Mineurs Observantins, ou Cordeliers, bâti sur l'emplacement de l'ancien château des Salles de Pontivy, et l'admirable édifice de N.-D. de Kernascleden, situé en Saint-Caradec-Trégomel, « ce joyau gothique ciselé dans le granit, cette reine des chapelles bretonnes qui brille comme une rose au milieu des landes » [Note : La Borderie : Mélanges d'Histoire et d'Archéologie, I]. Le XVème siècle est, en Bretagne, l'âge qui a vu construire le plus de chapelles, et si l'on veut savoir ce qu'est véritablement une chapelle bretonne de cette époque, ce que nos pères y entendaient mettre d'art, de poésie, de piété, il faut visiter N.-D. de Kernascleden.

L'inscription du chœur fixe la dédicace à l'année 1453 et l'achèvement définitif à 1464. Mais l'édifice qu'on admire aujourd'hui succédait à un autre plus ancien érigé à la même place. Par une bulle du 13 mai 1430, le pape Martin V autorise l'établissement de deux chapelains perpétuels que le Vicomte de Rohan se propose de doter, en la chapelle primitive « bâtie sur un terrain donné par ses ancêtres ». De longue date, Alain IX s'était intéressé à la glorification de la Vierge en ce lieu, il avait concédé lui-même une terre pour fonder un hôpital destiné aux pauvres qui affluaient en pèlerins [Note : D. M., II, 1227]. Il jugea l'ancien édifice indigne de la Vierge qu'il honorait, indigne aussi de son bienfaiteur, et il se décida à reconstruire une nouvelle chapelle qui est un témoignage mémorable de la piété et du goût artistique des seigneurs de Rohan [Note : Par ce qu'il est dit ci-dessus de l'hôpiul, on voit que le pélerinage de Kernascleden était très fréquenté dès 1430. Cette dévotion ne fit que croître et amena bientôt la création d'une petite bourgade autour de la chapelle, puis de foires et marchés en cette bourgade. Le territoire de Kernascleden fut rattaché au Guémené. Au mois de décembre 1530, François Ier, sur la supplication le Louis de Rohan-Guémené, accordait à Kernascleden un marché par semaine et quatre foires par an. (Aveu de 1587)].

Pour l'installation des Cordeliers à Pontivy, le Vicomte abandonnait, outre l'emplacement du château ruiné des Salles, deux pièces de terres, y joignant l'usufruit de sa pêcherie du Blavet en face des Salles. Il se réservait la seigneurie supérieure, une redevance de cent anguilles sur la pêcherie et un enfeu au chœur de l'église conventuelle, exclusif au fondateur, à sa compagne et à ses enfants (9 nov. 1456) [Note : D. M., II, 1698]. En dédommagement du préjudice que pouvait causer au recteur de Pontivy la fondation de ce monastère, Alain IX annexa à l'église paroissiale la chapelle Marie-Madeleine « située au midi et hors la ville » avec ses appartenances et ses droits [Note : 17 oct. 1457, D. M., II, 1696 et B. N., fr. 22340]. Ceci ne suffit point au recteur, il fallut, trois ans plus tard, lui accorder la coutume de la foire de décembre, autrement dit de Saint-Thomas [Note : 29 janvier 1461 (fr. 8269, f. 9). En 1504, Jean de Rohan acheta deux prés sur la rue de Neuillac pour l'augmentation et décoration de l'église des Cordeliers, et l'élargissement de leur couvent (Arch. de Kerguehennec). Les Cordeliers occupèrent les Salles jusqu'au 1632. A cette date, les Récollets les remplacèrent dans le couvent. Le bâtiments menaçaient ruine, ils furent reconstruits par ces religieux en 1664. Le bénéfice de la chapelle Marie-Madeleine resta uni à l'église paroissiale jusqu'en 1633 ; il passa alors aux Ursulines].

Jean II de Rohan accusa son père de prodigalité [Note : Alain IX fonda encore un anniversaire pour sa famille dans l'abbaye de Saint-Jagu (1439), deux anniversaires dans la cathédrale de Saint-Pol-de-Léon (1445), l’établissement des Frères Mineurs de Cuburien, près de Morlaix. A propos de sa piété, nous possédons de lui deux actes curieux : la permission d'user du beurre pendant le carême de 1430 et la permission d'avoir un autel portatif afin de « pouvoir faire dire la messe et les offices divins en tous lieux convenables ». D. M., II, 1231, 1693] ; peut-être, en effet, celui-ci ne savait-il pas assez compter — défaut peu commun dans la famille, on a pu le constater plus d'une fois — mais ses biens étaient si considérables qu'il pouvait se croire autorisé à en disposer largement. De fait, Alain de Rohan ressentit de grands besoins d'argent ; ayant d'abord, sur le gage de son argenterie, emprunté une forte somme à son cousin Louis de Guémené, il en arrive, le 23 décembre 1448, à hypothéquer son bien patrimonial : cent livres de rente sur la Vicomté et deux cents sur la châtellenie de Plouray, s'étendant aux paroisses de Plouray, Mellionnec, Saint-Caradec-Trégomel, et sur l’île de Groix, en Kemenet-Héboy. On pourrait croire qu'une partie des terres ainsi engagées fut aliénée à perpétuité par le Vicomte, car on trouve celles-ci plus tard aux mains des seigneurs de Guémené, et dès 1451 Alain IV demandait un délai de trois années pour libérer Plouray et Groix, délai renouvelé dans la suite [Note : Arch. de Kerguehennec et Bibl. Nantes, fr. 1554]. Nous savons aussi que son fils, en 1464, eut à fournir 14.125 écus d'or pour racheter Plouray et Kemenet-Héboy. Dans ce payement entraient en compte 6.224 écus 2 s. 6 d. provenant de la vaisselle d'or et d'argent laissée par Alain IX [Note : Notice sur le château de Corlay, par de Barthélemy]. Exactement deux mois après l'accord avec Louis de Guémené qui lui procurait 6.300 saluts d'or, le Vicomte Alain abandonnait à Arthur de Montauban, pour 5.000 saluts de même monnaie, sa seigneurie de Cambon, au diocèse de Nantes [Note : D. M., II, 1513]. Rien ne faisait encore prévoir la prise d'armes contre les Anglais et les motifs de ces besoins d'argent nous restent ignorés.

La plus importante dette du Vicomte, de beaucoup, fut celle qu'il contracta sur la châtellenie de Corlay, représentant 650 livres de rente qu'il s'obligeait à verser chaque année à François de Bretagne, comte d'Étampes, en son hôtel de
Nantes. Nantes avait été désigné pour la signature du contrat hypothécaire, et de Bourges, où il se trouvait près du roi de France, François de Bretagne avait nommé les procureurs qui devaient s'entendre avec Eonnet du Bot, le représentant du Vicomte. Les mandataires convinrent que le Vicomte de Rohan « pourrait se franchir en acquittant la dite somme principale avant dix ans [Note : Cette somme empruntée était de 9.000 réaulx et 3.000 écus d'or, (Le réal valant 25 sous monnaie et l'écu d'or valant 25 sous 11 deniers monnaie)], mais si le Vicomte négligeait d'acquitter la rente, le comte d'Etampes pourrait, au lieu qu'il voudrait, mettre la main sur les revenus et fruits de la Vicomté jusqu'au montant des arrérages » [Note : 17 juin 1455. B. N., fr. 22333]. La seigneurie de Pontchâteau fut vendue à Peronnelle de Maillé ; elle représentait huit cents livres de rente [Note : D. M., III, 231].

Sentant arriver sa fin, — il avait quatre-vingts ans — Alain songea enfin à mettre ordre à ses finances ; mais, tandis que les autres Vicomtes font avec méthode dans leur testament l'énoncé des payements qui leur restent à effectuer, lui, ne saurait, semble-t-il, se souvenir de toutes ses dettes : « Voulons et ordonnons, dit-il, que tous et chacuns nos deptes... desquels pourra apparaître par lettres ou escriptures vallables signées de nostre main, sceau et signet, et aussi par les papiers des comptes de nos argentiers..., etc. » soient acquittées [Note : Testament du 22 février 1461. D. M. Voir aussi le testament du 1er mai 1454. B. N. fr. 22333]. Le testateur avait bien mal suivi les dispositions auxquelles il avait souscrit en 1422.

Jean de Rohan, fils d'Alain IX et de Marie de Lorraine, naquit au château de La Chèze (6 novembre 1452) [Note : « Le sixième jour de novembre 1452, Mademoiselle de Rohan eut ung fils environ trois heures après menuyt et le Dimanche amprès fut baptizé à la Magdelaine à la Chèze par l’évesque de Saint-Malo et le nomma Jean ». Les parrains furent Monsieur de Lorraine, son oncle maternel, et M. de la Feuillée ; la marraine Madame de Malestroit, maréchale de Bretagne. (Tiré, par de Barthélemy, du livre de compte de Jehan Dogues., secrétaire d'Alain IX)]. A deux ans, son mariage avec Marie de Bretagne fut décidé et approuvé, peu après, par les Etats de Vannes, à condition que la fille de François Ier ne pourrait rien prétendre sur la succession de son père et de sa mère au-delà de la somme de 100.000 écus d'or accordée par testament du défunt duc. Les changements successifs arrivés en Bretagne par suite de la mort de Pierre II et d'Arthur III obligèrent le Vicomte de Rohan à demander de nouveaux arrangements, tant pour le payement des deniers dotaux de sa belle-fille que pour l'éclaircissement de quelques articles du contrat de mariage. A cet effet, il invita le duc François II à venir au château de La Chêne où ensemble ils conclurent un accord daté du 8 mars 1461 [Note : D. M. II, 1768]. Celui-ci porte en substance que pour satisfaire au règlement des cent mille écus, le duc versera d'abord une somme de 30.000 écus d'or dont le tiers sera converti en meubles et le reste employé à payer les dettes de la Maison, à retirer les terres engagées ou faire des acquêts. La dot sera ensuite acquittée par versement annuel. Marie de Bretagne n'aura aucun droit sur les retraits et les acquêts, attendu qu'on lui assigne de suite 4.000 livres de rente sur la châtellenie de La Chéze. Le Vicomte confia l'avenir de son fils, encore mineur, à deux proches et fidèles parents, Jean de Lorraine, comte d'Harcourt, et Tanguy du Chastel, vicomte de la Bellière, qui eurent mission également de veiller aux dettes et aux raquêts. L'accord fut suivi de la cérémonie des « épousailles », célébrée avec grande solennité dans la chapelle du château, en présence du duc, de Jean Pregent, évêque de Saint-Brieuc, des tuteurs et des principaux vassaux de Rohan et de Porhoët. Douze jours après la cérémonie, Alain s'éteignait dans la paix du Seigneur, entouré des siens.

François II fit don au fils de tous les droits de rachat dus sur ses terres, excepté cependant sur le Porhoët qui avait été l'objet de tant de controverses lors de la dernière transmission.

Le duc prévoyait-il déjà les difficultés qu'il aurait à s'acquitter des deniers dotaux de sa nièce ? Dans l'intention de tenir ses obligations, il commença par accorder au tuteur de Jean de Rohan la levée d'un fouage de cinq sous dans tout le duché (1466) ; mais, l'année suivante, la permission fut révoquée, les impôts devant être employés aux besoins de l'Etat. Sa vie durant, Jean de Rohan poursuivit contre le duc le payement des cent mille écus d'or et ce ne fut qu'en 1506 qu'il donna quittance générale de la dot de sa femme.

Afin de se débarrasser de Jean de Lorraine et de Tanguy du Chastel, qu'il trouvait importuns, le duc leur enleva de bonne heure la tutelle pour la donner à Tristan du Perrier, seigneur de Quintin, et à Jean, sire de Pont-L'Abbé ; changement suivi de la révocation d'un grand nombre de personnes de l'entourage du jeune Vicomte, officiers, serviteurs fidèles, etc. François II craignant sans doute quelque retour de la part des anciens tuteurs qui s'étaient rangés au service de la France, donna ordre, le 18 avril 1469, aux sires de Quintin et de Pont-L'Abbé d'assembler tous les vassaux, sujets aux armes, dans les fiefs de Porhoët, Rohan et Léon, et de leur faire prêter serment de fidélité envers et contre tous, même contre le Vicomte, supposé qu'il voulût entreprendre quelque chose contre l’Etat. On trouvera à l'Appendice la montre qui se tint à cette occasion, à Moncontour, par Tristan du Perrier, Guyon de la Motte, Amaury de la Moussaye, commissaires du duc, pour la partie du Rohan en l'évêché de Saint-Brieuc, la seule parvenue jusqu'à nous [Note : Revue et Montre tenue à Moncontour, l'an 1469. (Arch. C.-du-N.). Publié dans le Bulletin de la Société Arch. des C.-du-N., année 1870. Pour la période qui préçéde, voir D. M. III, 207, 231, 243, 246].

Les prétentions de Jehan II à la couronne l’entraînent dans l’opposition contre le duc. Ses forteresses sont assiégées et ses domaines confisqués.

A cette époque de l'histoire de Bretagne, visiblement deux courants commencent à se manifester dans la haute noblesse. La lutte engagée entre François II et le roi de France n'est pas populaire. Elle n'est pas acceptée par tous avec le même empressement. La France exerce sur les nobles bretons un irrésistible attrait. Depuis des siècles ils y sont accueillis, choyés, honorés et placés ; depuis des siècles ils l'ont servie avec dévouement et parfois avec éclat ; beaucoup y ont fait de riches mariages, beaucoup y occupent des châteaux et des terres. Et voilà qu'on leur demande de partir en guerre contre la France !

Pourtant le devoir n'est pas douteux : il impose aux gentilshommes l'obligation de défendre l'indépendance menacée de leur pays d'origine. Tous ne le comprennent pas ainsi : Yvon du Fou, grand veneur de France, Rolland de Lescouet, maître d'hôtel du roi, Pierre de Rohan, sgr de Gié, François de Pontbriand, André de Laval, maréchal de Lohéac, son frère Chatillon, Olivier de Coëtivy, et d'autres, continuèrent à servir la France. Mais « la défection qui fit alors le plus de bruit, la plus pénible pour la Bretagne et la plus précieuse pour la France, fut celle de Jean de Rohan, Comte de Porhoët et Vicomte de Léon. Chef de nom et d'armes de l'illustre famille de Rohan, il était beau-frère du duc de Bretagne, ayant épousé la fille cadette de François 1er Le duc n'ayant pas d'enfants, Jean de Rohan qui avait un fils, pouvait être alors regardé comme l'héritier du duché. Il avait dix-huit ans, il était ambitieux, violent et hautain. Blessé par François ll qui ne lui accordait, disait-il, ni gages ni pensions, et ne lui donnait aucune part aux affaires publiques, Croisse par des mécomptes d'intérêt privé, il céda, aux sollicitations de ses anciens tuteurs. On flatta ses aspirations secrètes au trône ducal; son ambition inavouée et son amour-propre aigri lui firent prendre la plus injustifiable des déterminations le 3 avril 1470, il quitta Nantes, sous prétexte de se rendre au pardon de Saint-Philibert de Grandlieu, et passa la frontière de France. Il emmenait avec lui Louis de Rezay, Jean de Keradreux, Guillaume de Bogat, Jean de Matignon, Esprit de Montauban et Jean Lefeuvre. Louis XI accueillit Jean de Rohan avec empressement et combla ses compagnons de dignités, de pensions et d'honneurs. — Il n'y a qu'un mot pour caractériser cet acte : c'était une trahison. Plus que tout autre, le Vicomte de Rohan se devait à sa patrie alors menacée par les armes françaises » [Note : B. Pocquet, Histoire de Bretagne].

L'une des grandes habiletés de Louis XI était de favoriser et de récompenser ces défections ; il prit particulièrement plaisir à débaucher Rohan pour le retenir près de lui. Il est possible, comme l'avance dom Morice, qu'en plus des pensions et des faveurs de toutes sortes [Note : Le roi lui accorda successivement une pension de 8000 #, le collier de Saint-Michel, une somme de 1000 # pour ses meubles, l'assurance de 4000 # de pension pour la Vicomtesse si elle venait à la Cour, et Jean de Rohan ne manquait jamais de faire cas de « la plus grande chère du monde » qu'il recevait près du roi], il promit pour François de Rohan, fils aîné du Vicomte, la main d'une de ses filles; ce qui est certain, c'est que Louis XI flatta Jean de Rohan jusqu'à lui donner à maintes reprises de sérieuses espérances, pour lui-même ou l'un de ses enfants, sur la succession au duché de Bretagne [Note : Informations faites sur la retraite du Vicomte de Rohan en France. D, M. III, 207] ; et quand Rohan se retira dans une abbaye près de Nantes pour négocier plus facilement un accommodement avec le duc, le roi délégua hâtivement M. de Bressuire pour le ramener « par douceur... ou autrement » [Note : 7 sept. 1472. D. M. III, 246].

Cependant le Vicomte se décide à rentrer dans ses terres à la fin de 1472 et, dès lors, il s'applique à ordonner les affaires de sa Maison et à en soutenir les prérogatives. A cette occasion, il eut un grave différend avec le comte de Laval, baron de Vitré, relatif à la préséance dans les Conseils et les Parlements Généraux. L'affaire avait pris naissance aux Etats tenus à Vannes l'année 1451, et il avait été arrêté, en 1460, que les parties produiraient par écrit leurs moyens de défense. Les procédures qui s'ensuivirent sont longues et sans intérêt. Jean de Rohan, afin de prouver la vérité de certains faits contestés, demanda une enquête ; elle lui fut accordée, et à cet effet il remit en 1479, entre les mains des commissaires du Parlement, un Mémoire, divisé en 314 articles, sur lesquels il demanda que des témoins fussent interrogés. Mémoire et enquête, avec déposition des témoins, ont été conservés par dom Taillandier, continuateur de dom Morice. Dans les premiers articles du Mémoire, le Vicomte soutient que la préséance dans les Parlements lui est due : 1° à cause de sa naissance ; 2° parce qu'il est Comte de Porhoët, dignité supérieure à celle des barons ; 3° à raison de sa seigneurie de Léon qui est un ancien comté. Sur sa naissance, il déclare qu'il est « le plus proche de la maison roiale de Bretagne » et l'héritier présomptif de la Couronne, si le duc meurt sans enfants. Ensuite, il fait une longue énumération de ses alliances, de ses prérogatives, de ses terres, de ses vassaux et de ses droits. Les témoins présentés par lui confirmèrent unanimement tout ce qu'il avait avancé. Nous nous réservons d'étudier plus tard ces productions en ce qui concerne l'état et les privilèges de la Vicomté de Rohan [Note : Sur la querelle de préséance, voir Lobineau 1148, 1236 ; D. M., II, 493 et Taillandier].

Sur les entrefaites, un coup terrible vint frapper Jean de Rohan qui, par l'irascibilité de son caractère, s'était laissé entraîner à une violence impardonnable vis-à-vis d'un de ses plus fidèles confidents. Il avait une sœur, Catherine de Rohan, célèbre par sa beauté et par la noblesse de ses sentiments, qui s'éprit d'un gentilhomme du Porhoët, René de Keradreux, et l'épousa clandestinement. Jaloux de sa sœur, a-t-on dit, furieux plus vraisemblablement de cette mésalliance et du secret gardé, Jean de Rohan fit assassiner Keradreux aux pieds d'une tour de Josselin. François II, ou plutôt son ministre Landais, trouva dans les accusations, aussitôt portées contre le Vicomte, une bonne occasion de se débarrasser d'un seigneur qui lui portait ombrage. Rohan fut arrêté le 3 novembre 1479, tandis que tous ses biens étaient séquestrés sous la régie d'Olivier Avaleuc, et il resta plus de quatre ans enfermé au château de Nantes. Excusé sur l'article du meurtre parce qu'il n'y avait pas trempé directement [Note : En même temps que Jean de Rohan, on arrêta de ses domestiques et familiers : Galiot Geffroi, Tristan de Kerguezangor, le Batard de Saint-Gilles, Kersaudi et Vendrole], il fut mis en liberté au mois de février 1484 ; mais comme Jean de Rohan se retira de nouveau en France, le duc ne le rétablit dans ses terres et ses places fortes, qu'en septembre de la même année, après un pardon général [Note : D. M., III, 440, 438 ; Arch, L.- Inf., E 156].

L'entente entre les seigneurs bretons et François II semblait enfin assurée. Rohan en bénéficia ; le duc lui permit de rétablir le guet dans ses châteaux de Corlay et de Pontivy, et lui assigna une pension de 4000 livres. A cette époque, Louis de Rohan-Guémené est créé baron de Lanvaux [Note : Lobineau 1433 et D. M., III, 480].

Mais la paix ne pouvait durer, trop d'ambitions contraires fermentaient dans cette crise où devait être sacrifiée l'indépendance de la Bretagne. Comme tout peuple prés de sombrer, celui-ci précipitait sa chute par des dissensions intestines.

Le maréchal de Rieux, après bien des errements [Note : Il s'était mis à la tête des mécontents contre Landais et avait appelé l'armée française en Bretagne], conçut, en 1485, un plan qui aurait pu avoir des résultats heureux s'il avait su s'y tenir. C'était de relever la Bretagne par elle-même. Le 20 mai, il passa avec le Vicomte de Rohan un acte retrouvé aux archives de Blain, par lequel il s'engageait à user de toute son influence pour faire épouser aux deux filles du duc les deux fils du Vicomte et « pourchasser lesdits mariages... autant que le duc n'aura fils procréé » [Note : D. M., III, 463. Cette idée fut bien vite remplacée dans l'esprit du maréchal par celle de faire épouser à Anne, l'héritière du duché, le vieux Vicomte d'Albret]. Jean de Rohan conservant peu d'espoir de voir réaliser en sa personne les promesses faites par la cour de France, — d'autant que Louis XI était décédé, — reportait toutes ses espérances sur la tête de ses enfants. D'abord du parti du duc contre la régence, ensuite avec le roi et contre le duc, il poursuit ses intrigues ambitieuses sans être arrêté par la perspective de la ruine de la nationalité bretonne [Note : Du 3 décembre 1486 à mars 1487, Jean de Rohan fait partie de la deuxième ligue du Bien Public, puis il se rallie aux mécontents bretons assemblés à Chateaubriant].

A la fin de mai 1487, l'armée française pénètre sur le sol breton, par une marche rapide s'assure la possession de plusieurs villes et aboutit devant Nantes qui sait lui résister. Pendant la durée du siège et après qu'il fut levé, les seigneurs bretons du parti français : Rohan et son frère, aidés de leurs parents les sires de Pont-l'Abbé et de Plusquellec, courent la campagne des évêchés de Saint-Brieuc et de Tréguier avec leurs troupes. Moncontour est pris et repris, Quintin plusieurs fois saccagé, Guingamp, foyer de la résistance, tient tête aux attaques. Le 26 août, le duc ordonne la saisie, corps et biens, des bretons révoltés ; la Vicomté de Rohan et le Porhoët sont de nouveau confisqués [Note : Reg. de la Chancellerie (Nantes)]. Un peu plus tard, Guingamp, malgré !a défense énergique de ses milices locales, se trouvant menacé, le prince d'Orange vient à son secours avec l'armée de Bretagne et des allemands commandés par Baudouin de Bourgogne. Il arrive dans cette ville le 18 novembre, y assemble 3.000 hommes des gens des Ordonnances, marche sur Quintin dont il s'empare, et de là va assiéger le château de La Chéze. Mais d'Orange averti que certaines perfidies se préparent dans son armée et que ses soldats « désemparent sans congé ni licence », revient sur ses pas (le 27 décembre) et se retire à Guingamp [Note : D'Argentré, édit., 1668, f. 659-663. Les princes français, malgré le zèle qu'ils témoignaient à la cause ducale, étaient mal vus des bretons fidèles].

A ce moment, une volte-face se produit dans le parti des gentilshommes alliés aux Français. Cependant le chef de la maison de Rohan persiste dans sa rébellion et résiste aux appels de François II qui se décide alors à le châtier vigoureusement. Le maréchal de Rieux, maintenant du parti du duc, très rapidement réorganise l'armée bretonne, prend l'offensive contre les français en leur enlevant Vannes, et, après ce premier succès, va investir Josselin, Rohan et La Chéze. Immédiatement, de Tours, où il arrive le 8 mars, le roi Charles VIII dirige les préparatifs de la guerre. La Trémoille, investi du commandement de l'armée royale, malgré les instances du roi, refuse de lancer ses troupes encore mal préparées dans une téméraire chevauchée à travers les forêts du Porhoët et au coeur de la Bretagne [Note : D'Argentré. L. de la Trémoille : Correspondance de Charles VIII avec Louis II de la Trémoille, f. 12-15]. Rohan ne peut tenir devant les forces importantes du maréchal de Rieux ; ses châteaux qu'il avait occupés de nouveau et garnis de soldats français recueillis au hasard, sont pris, et il doit négocier avec le duc une réconciliation qui fut une véritable capitulation. Ce dernier investissement de la Vicomté et du Porhoët se produisit entre le 6 et le 26 mars 1488 [Note : Voir D'Argentré, D. M., III, 549, 571 et les reg. de la Chancellerie].

Sur la requête du Vicomte, François II l'autorisa à se rendre en France durant deux mois pour voir le roi, à condition, qu'après le laps de temps convenu, Rohan reviendrait prendre sa place aux côtés du duc. Comme bien on pense, Jean de Rohan ne tint pas ses engagements ; les deux mois écoulés, il réclama une prorogation pour séjourner à la Cour jusqu’au 15 juin et finalement ne revint pas. Le délai passé, François II reprit en sa main les places fortes du Rohan et du Porhoët dont il avait levé la saisie, et comme après une courte trêve, l'armée française avait recommencé la campagne, il ordonna à François Madeuc et à Jean de Tromenel de fortifier et ravitailler Josselin (14 août).

A Saint-Aubin, parmi les milliers de bretons qui jonchèrent le sol, on releva le jeune sire de Léon, âgé de 18 ans, fils aîné du Vicomte, qui lui, — triste effet des guerres civiles, — combattait dans les rangs français [Note : Bataille de Saint-Aubin, le 27 juillet. Aprês cette bataille, La Trémoille envoya Rohan, avec une partie de l'armée, demander la reddition de Dinan qui capitula le 7 août, François II mourut le 25 septembre].

Mais ni la bataille de Saint-Aubin, ni la mort de François II, n'apporta une solution à la question de succession ; la Bretagne restait sous le sceptre de la princesse Anne.

La paix signée au château du Verger n'interrompit guère les dissensions. Rohan, poussé par Charles VIII, reprend les armes. Nommé lieutenant général du roi en Bretagne, il entraîne les troupes françaises en Basse-Bretagne et soumet au roi toute cette partie du duché. C'est à la suite de cette campagne que Jean de Rohan, tandis qu'il se reposait à Josselin de ses fatigues, aurait reçu les ambassadeurs d'Anne de Bretagne chargés de lui dire qu'elle adoptait ses vues et consentait à épouser le fils cadet du Vicomte, devenu héritier principal. Rohan allait-il enfin voir se réaliser son rêve ? Il écrivit aussitôt au roi par Galhaut de Kersauson, son maître d'hôtel ; mais, cruelle fatalité, le roi avait modifié ses desseins. Jean de Rohan eut beau lui rappeler les promesses qui lui avaient été faites, Chartes VIII refusa son consentement. « Sire, écrivait Rohan, vous ne me devez savoir mauvais gré d'avoir pourchassé le mariage de Madame Anne et de mon fils, attendu qu'il vous plust me promettre à Ancenis et faire dire à Monsieur de Bourbon que si vous, ne le preniez pour vous, vouliez que mon fils l'eust et non aultre » [Note : D. M. III, 628]. C'est que précisément le roi songeait déjà à s'assurer l'héritage de Bretagne en épousant lui-même la fille de François II.

Des pourparlers assez compliqués, entre le roi et la duchesse, aboutirent à la ratification du traité de Francfort, le 3 décembre 1489.

L'année suivante, Rieux, révolté contre la duchesse, fait investir La Chéze, par Lescun [Note : B. Pocquet, Histoire de Bretagne, t. IV]. Rohan est égaiement enlevé de vive force, et la duchesse nomme un commissaire pour enquêter sur la prise de ce château (janvier 1490) [Note : Reg. de la Chancellerie]. Il faut nécessairement conclure de ceci que les seigneuries du Vicomte sont toujours confisquées. Le maréchal s'installe en plein territoire de la Vicomté et, dans le voisinage de Pontivy, il est rejoint par l'armée ducale sous les ordres du prince d'Orange.

La Bretagne s'étant donnée à la France dans la personne de sa souveraine, Jean de Rohan remit son épée au fourreau. De tant de négociations et d'intrigues, de tant de serments rompus, de traités déchirés aussitôt que conclus, de tant de chevauchées guerrières, il ne recueillit que de maigres avantages personnels. Le roi, dont il avait si longtemps servi la cause, lui devait plus que de la gratitude ; aussi, pour compenser les dépenses des guerres, Charles VIII lui accorda les revenus des chatellenies de Dinan et de Léhon, ordonna aux receveurs de ne demander aucun compte des sommes que le Vicomte avait prises durant les troubles sur la recette ordinaire et extraordinaire du duché, et, pour contribuer aux réparations de ses châteaux, « la plupart gastés, démolis, dégarnis », il le gratifia d'un billot de cinq années. Charles VIII lui donna, un peu plus tard, le gouvernement de Saumur, et la lieutenance générale de Bretagne, conjointement à d'Avaugour, pendant la conquête du royaume de Naples [Note : B. N., fr. 8269, fr. 22340. — D. M. III, 735, 783, 737, 794]. Malgré tout, le roi ne réussit pas à le satisfaire ; le dépit du Vicomte demeurait extrême. A propos de la succession de Marguerite de Bretagne [Note : Marguerite de Bretagne était fille du premier mariage de François Ier et sœur de Marie de Bretagne, Vicomtesse de Rohan. Documents relatifs à ce procès : D. M. III, 828, 830, 849, 850, 914, 881 ; B. N., fr. 22341 ; Bibl. Nantes, fr. 1413], les tribunaux retentirent de ses plaintes contre la nouvelle reine de France, et, en 1492, on le trouve encore engagé dans un complot. Un certain nombre de conjurés bretons n'avaient-ils pas formé le projet de livrer Brest et Morlaix aux Anglais pour donner, avec leur concours, la couronne ducale à Jean de Rohan ! A temps heureusement, Charles VIII eut vent de ces machinations [Note : B. Pocquet].

Deux ans après le complot breton, le Vicomte est revenu sous l'obéissance du roi ; il tient au service de celui-ci quarante-neuf hommes d'armes et cent archers qu'il passe en montre à Béthune le 9 octobre 1494 [Note : B. N. fr. 8269].

Lorsque la duchesse Anne, devenue veuve, eut repris tous ses droits sur la Bretagne, Rohan, Rieux, d'Avaugour font partie de son Conseil et, en leur compagnie, elle fait une visite solennelle à Louis XII.

Les dernières années de Jean II de Rohan se passèrent dans le calme. Retiré dans ses terres, il s'occupa spécialement à réparer ses forteresses, à embellir ses châteaux et aussi, nous voulons bien le croire, à faire pénitence. Il mourut à Blain le 1er avril 1516 ; son corps fut transporté à Bon-Repos. Sa mort fit une impression fort curieuse et inattendue sur le chroniqueur Alain Bouchard. Après l'aperçu que nous venons de donner de sa vie, on ne se douterait pas assurément que Jean II de Rohan fût un saint. « Environ ce temps, dit Bouchard, alla de vie à tréspas Monsieur de Rohan, vaillant baron de Bretaigne : ce fut une très grant perte pour tes Bretons. Il était père et gardien de tous religieux, en espicial des Cordeliers, ausquelz il a faict bastir et construire maint couvent. On le peut bien nommer le second sainct Yves et non seullement faisait bien à tous povres religieux mais aussi aux povres orphelins et aux povres femmes vefves et générallement à tous povres. Il luy est demoure deux fils : lung est evesque de Cornouaille, de bonne vie juste et loyalle et tressaincte, et est le plus jeune ; et lautre à prins possession des seigneuries a luy appartenantes. Dieu luy doint grace quil sen puisse aussi bien acquiter à faire son debvoir comme son predecesseur » [Note : Alain Bouchard. Edition des Bibliophiles Bretons, f. 287]. Pour donc Morice qui, toujours plein de bienveillance, oublie volontiers les erreurs politiques pour ne voir que les prétentions du chef de la Maison de Rohan, il reste cependant une tache au souvenir laissé par celui-ci. « On ne peut excuser, dit l'historien, sa dureté à l'égard de sa sœur et de sa fille. Mais le grand nombre des bâtiments qu'il a fait élever dans ses terres, la fondation des Frères Mineurs de Landerneau, celle de l'église paroissiale de Saint-Malo de Dinan [Note : Il faut dire que cette église avait été ruinée par son attaque contre la ville quand il fut envoyé par La Trémoille, après Saint-Aubin, pour obtenir sa reddition. Pour les fondations religieuses de Jean de Rohan, voir D. M. III, 641, 597, I, 1376] et le rétablissement de l'Hôpital de Landerneau seront des monuments éternels de sa libéralité » [Note : A. N. MM 750]. Il serait peut-être plus exact de s'en tenir, sur la dévotion de Jean de Rohan, à l'opinion d'un juge très impartial qui regarde les faits avec le recul nécessaire à l'histoire vraie « Tout ce que nous pouvons dire de mieux en faveur de cet ambitieux vulgaire, c'est que, par plusieurs fondations pieuses, il se montra exécuteur fidèle des dernières volontés de sa belle-mère, la duchesse Ysabeau d'Ecosse » [Note : Geslin de Bourgogne et de Barthélemy].

***

La seigneurie au XVème siècle.

Nous avons trois documents de première importance pour connaître l'état de la Vicomté de Rohan au XVème siècle et plus exactement dans la seconde moitié du XVème siècle. Il s'agit d'un dénombrement, fait à la mort d'Alain IX, pour le rachat de ses terres, en 1461 (Archives du château des Forges de Lanouée), d'un aveu du 2 mai 1471, rendu par Tristan du Perrier lorsqu'il prit la tutelle de Jean II de Rohan (Chambre des Comptes de Bretagne. Loire-Inférieure B 1982), et enfin d'un Mémoire pour la préséance aux Etats, présenté au parlement par le Vicomte de Rohan et appuyé d'une Enquête, mémoire auquel il a déjà été fait allusion. Cette dernière information sur les faits énoncés au Mémoire est faite d'office par Pierre Mehault et Morice de Lesmeleuc, commissaires désignés par le parlement, qui vinrent à Josselin recueillir le témoignage de trois gentilshommes, semblant bien avoir été désignés par la partie intéressée elle-même. Regnaud des Boais, seigneur de Talhouet, Jean de Rostrenen, seigneur du Couetdor, et Benoit de Belouan, seigneur de La Minière, ainsi interrogés sur les différents articles du Mémoire, n'apprennent rien de nouveau et se contentent de confirmer ceux-ci. Le Mémoire et l'Enquête sont de l'année 1479, ils sont imprimés au tome II des Preuves de l'Histoire de Bretagne, de Morice et Taillandier. A côté d'un grand nombre de détails curieux, on y relève plusieurs inexactitudes. Il faut se rappeler que le Mémoire de Jean de Rohan est surtout un factum, un plaidoyer en faveur de la puissance et de l'illustration de la Maison de Rohan, lequel conduit naturellement à des amplifications, à des exagérations, tandis que les aveux reçus et enregistrés à la Chambre des Comptes ont la valeur de tous les documents officiels et authentiques [Note : Abréviations pour la suite A. 1461 (pour Aveu de 1461) ; A. 1471 (pour Aveu de 1471 ; M. 1479 (pour Mémoire) et E. 1479 (pour Enquête de 1479)].

Limites.

Depuis la mort de Clisson, les sires de Rohan occupent, d'un seul tenant, au centre de la Bretagne, un domaine immense, à cheval sur quatre évêchés [Note : Vannes, Saint-Malo, Saint-Brieuc et Cornouaille] et arrosé par deux cours d'eau navigables, le Blavet et l'Oust. Ce double fief de Rohan-Porhoët s'étend depuis les bornes placées à une lieue de Malestroit, jusqu'à la forêt de Quintin et la seigneurie de Pontguégant au Penthièvre ; par ailleurs, depuis la forêt de Brécélien [Note : Pour Broceliande], joignant la paroisse de Campéneac, et le régaire de Saint-Malo de Beignon, jusque proche les faubourgs de Rostrenen d'une part, et à une demi-lieue du parc de Lanvaux, d'autre part ; encore, depuis la forêt de Brohun [Note : Pour l'Argoët, ou plus exactement Trédion] et une croix située à trois lieues de Vannes [Note : Il semble cependant que la frontière de Porhoët ne devait guère s'étendre au-delà de la Claie et que les trois lieues ainsi comptées sont exagérément longues] jusqu'à deux kilomètres du château de la Hardouinaye et même à deux lieues au-delà, vers la Lande du Mené ; en tout, « un circuit de soixante lieues » [Note : M. 1479].

Bien que « joignantes », les deux baronnies restent parfaitement distinctes et conservent sous la même autorité leur administration propre, avec gestions, usements, juridictions séparés. Pour chacun des fiefs, le sire de Rohan rend au roi un aveu spécial ; c'est ce qui permet aujourd'hui de délimiter les fiefs. Le Rohan se trouve divisé, dans l'aveu de 1471, en trois membres : la Vicomté proprement dite ou seigneurie de Rohan, la châtellenie de Goarec et la seigneurie de Corlay [Note : Division qui confirme notre opinion que Corlay et Gouarec n'ont pas fait partie à l'origine du territoire de la Vicomté].

La seigneurie de Rohan comprend cinquante-et-une paroisses ou trêves dont voici le dénombrement en allant du nord au sud et de proche en proche : Mûr — Saint-Guen et Saint-Connec, trêves de Mûr, — Saint-Caradec — Saint-Gonneri — Croixanvec — Neuillac — Kergrist et Hémonstoir, trêves de Neuillac, — Cleguerec (partie sud) — Seglien (moins la trêve de Lichernin ou Lescharlin qui était en Guémené) — Malguenac — Stival, trêve de Malguenac, —Guern — Lomeltro et St-Michel, trêves de Guern, — Pontivy et Cohazé — Noyal-Pontivy — Saint-Geran, Gueltas, Kerfourn, Saint-Thuriau, trêves de Noyal-Pontivy, — Saint-Gouvry — Saint-Samson (les villages les plus rapprochés de Rohan) — Rohan — Crédin — Pieugriffet — Reguini — Radenac — Saint-Fiacre, trêve de Radenac, — Naizin — Moustoir-Remungol — Plumeliau —Saint-Nicolas-des-Eaux, trêve de Plumeliau, Bieuzi — Castennec, trève de Bieuzi, — Melrand — Baud — Guenin — Remungol — Moréac — Millerou, trêve de Moréac, — Locminé — Saint-Allouestre — Buléon, trêve de Saint-Allouestre, — Bignan — Saint-Jean-Brevelay (partie nord-est) — Moustoirac — Plumelin — Camors.

La forêt de Loudéac, bien qu'enclavée dans le Porhoët, figure dans l'aveu de Rohan, parce qu'elle se rattache judiciairement aux bois de Branguilly, de Saint-Géran et de Noyal ; sinon, elle aurait été portée, dans la déclaration du Porhoët, à la suite de la châtellenie de La Chêne, possédée, en majeure partie, par le sire de Rohan depuis le XIIIème siècle.

La châtellenie de Goarec, ou Gouarec, s'étend sur treize paroisses ou trêves, savoir : Plourai — Mellionnec — Plouguernevel (en partie) — Saint-Gilles et Gouarec, trêves de Plouguernevel [Note : L'autre partie de Plouguernevel avec ses trêves Bonen et Locmaria sont de la seigneurie de Rostrenen], — Pellan [Note : Ancien terme de Plélauff] — Lescouet (en partie) — Silfiac (en partie) [Note : L'autre partie de Lescouët et de Silfiac sont du Guémené] — Penret ou Perret, trêve de Silfiac — Cleguerec (partie nord) — Sainte-Brigitte et Saint-Aignan, trêves de Cleguerec — Saint-Caradec-Tregomel, enclavé dans le Guémené.

La seigneurie de Corlé, ou Corlay, troisième membre de la Vicomté, comprend douze paroisses ou trêves qui sont : Corlé — Saint-Martin-des-Prés — Merléac — Le Quilio, trêve de Merléac — Saint-Mayeuc — Saint-Gilles-Vieux-Marché et Caurel, trêves de Saint-Mayeuc — Laniscat — Saint-Guelven, Rosquelfen, Saint-Igeau, trêves de Laniscat — Plussulien.

En additionnant toutes les divisions et subdivisions ecclésiastiques ainsi comprises, on arrive, pour l'ensemble du fief de Rohan, — tenant compte de la double figuration de Cléguérec, — au chiffre total de 75 paroisses ou trêves [Note : Comme il est presque impossible actuellement de retrouver la date d'érection de certaines frairies en trêves, ou la perte de cette dignité, le nombre que nous présentons pourrait être discuté, mais a très peu d'unités près]. Cependant d'après l'article XXXVIII du Mémoire de 1479, la Vicomté se serait étendue à 112 paroisses, dont on ne donne point la nomenclature. Entre cette assertion qui n'est, bien entendu, soutenue d'aucune preuve, entre l'autorité du Mémoire et celle des aveux, il n'y a point à hésiter. Au reste, le chiffre de 75 paroisses, au lieu de 112, est encore fort respectable [Note : Un témoin de l'Enquête, Jean de Rostrenen, ne craint pas de contredire le Vicomte en déclarant que le Rohan compte 80 paroisses. Une ordonnance royale de 1527 documents parle de 92. On voit qu'il est impossible de trouver de la précision, même dans les documents officiels de l’époque].

Le Comté de Porhoët, lui, se divise en deux membres principaux, le Porhoët proprement dit, avec Josselin pour chef-lieu, et la châtellenie de La Chèze ; soit au total : 52 paroisses ou trêves [Note : La châtellenie de Josselin se compose de Langourla — Mérillac — St-Vran — Mercirignac — Gommené — Brignac — Menéac — Evriguet, trêve de Ménéac — Guillier — Mohon — Lanouée — La Grée-St-Laurent — Loyat — Campénéac — Héléan — La Croix Helléan — Josselin (trois paroisses) — Guillac — Lantillac — Guégon — St-Servan — Quili — Le Roc-St-André — Lizio — Cruguel — Guéhenno — Billio — St-Jean-Brévelay (partie nord-ouest) — Plumelec. Dans la châtellenie de La Chèze se trouvent : Uzel — La Motte, St-Barnabé, St-Hervé et Grâce, trèves de Loudéac — Loudéac — St-Thélo — Trévé — La Prénessaie — St-Sauveur-Le-Haut, trève de La Prénessaie — Laurenan — Plémet — Cadélac — La Chèze — La Ferrière — Plumieuc — La Trinité — St-Etienne-du-Gué-de-l'île, trêve de Plumieuc — St-Maudan — St-Samson (la plus grande partie) — Bréhand-Loudéac].

***

Places fartes et villes.

Les châteaux forts sont au temps de la féodalité les instruments indispensables de domination et de défense ; les Rohan ne manquèrent pas d'en édifier dès le début de leur gouvernement. Nous avons parlé de la ruine de Castel-Noec contrebalancée par la fondation de Rohan, de Pontivy, de Corlay. A leur tour ces dernières forteresses furent ébranlées par le temps et aussi par les coups des assaillants. Rohan, tant bien que mal, résista à la destruction ; ses murs soutenus, restaurés, tinrent jusqu'à la fin du XVIIème siècle. On peut faire le même éloge du château de La Chéze, construit vraisemblablement par Eudon III de Porhoët, et dont héritèrent les Rohan après sa mort.

Au XVème siècle, Les sires de Rohan, pour imposer respect à l'étranger et protéger les vassaux de la Vicomté, n'ont que deux places fortes, assez rapprochées l'une de l'autre : Rohan et La Chèze ; sans compter Josselin, au Porhoët. Cet état de choses ressort clairement des actes de cette époque [Note : Concessions de billots pour réparation des places du Vicomte, occupations pour droit de rachat, etc.].

Entre les deux places, les seigneurs choisirent La Chèze comme principale résidence. Jean Ier et Jeanne de Navarre ont laissé trace de leur séjour en ce lieu [Note : Actes de 1373 et 1379], même le Vicomte offrit La Chèze comme rendez-vous à Clisson pour parvenir à un accord avec le duc de Bretagne. Alain VIII y installe sa Chambre des Comptes et y rédige son fameux engagement pour la garantie de l'héritage patrimonial. Son successeur y tient son Conseil et y fait son testament. On sait que Jean II est né à La Chèze et que c'est là que se déroulent les pompes de son mariage avec la princesse Marie, en présence du souverain de la Bretagne et de plusieurs évêques. De cette union issirent sept enfants ; l'un, tout au moins, nommé Georges, vit le jour à La Chèze, tandis que Jean et Jacques naquirent à Josselin. Nous sommes à la fin du XVème siècle et approchons du jour où le fier et fastueux. Jean II va transformer le château des Porhoët en une habitation quasi royale pour en faire, avec Blain, sa résidence préférée [Note : Nous ne voulons pas dire cependant que, depuis la mort de Clisson, Josselin ait été abandonné, Alain IX y célébre son mariage avec Marie de Lorraine en 1450. — Jean II fait bénir en ce château le mariage de sa fille Anne avec Pierre de Rohan-Frontenay]. Quand Jean II est incarcéré après le meurtre de René de Keradreux, la Vicomtesse de Rohan se trouve à La Chèze avec tout son train, et lorsqu'elle en part pour Vannes et Nantes, elle y laisse les quatre chevaux d'armes de son époux, sous la garde d'un valet d'écurie, et un homme de confiance, Olivier Fablet, remplaçant Alain Daniel, devenu aveugle, est chargé de veiller aux tapisseries ; ce Fablet aura soin en outre de faire sonner l'horloge de crainte qu'elle ne rouille [Note : Comptes de 1480. D. M. III, 380].

La dimension réduite de l'enceinte, le rapprochement et la légèreté des tours semblent confirmer l'opinion de certains historiens qui font remonter la forteresse au XIIème siècle, à l'apogée de la puissance de la Maison de Porhoët. Cependant, il faut convenir que le donjon et l'enceinte, au couchant, sont d'une construction trop régulière pour cette époque, et même pour le XIIIème siècle qui, dans l'architecture militaire, n'employait guère que le moëllon ; les archères d'autre part sont un élément de date certain ; la restauration du château doit donc se placer au XIVème siècle.

L'enceinte s'adaptait exactement à la configuration du rocher qui servait d'assise. Elle présente l'aspect d'un hexagone irrégulier et allongé vers la rivière. A chaque angle sont des tours de dimensions appropriées à la défense. A l'un de ces angles, le pont-levis encadré de deux tours ; et presque dans l'axe du pont-levis, à l'éperon de la place, le donjon octogonal, superbe dans son isolement, dominait le Lié de la hauteur du rocher. Remarquons en passant, qu'on trouve à Josselin la même disposition d'ensemble qu'à La Chèze. Sous la végétation envahissante, on découvre les débris des logements adossés aux courtines sud. A l'opposé de la rivière et vers la campagne, la base de l'hexagone offre des renflements, sortes de fausses tours. La défense avait naturellement porté tous ses efforts de ce côté et créé un vallum ou retranchement extérieur. Au-delà de ce retranchement se voit encore une large douve. Ce vallum d'ailleurs devait se prolonger au sud, tandis qu'au nord la butte de la Motte, coupée d'aplomb sur les fossés du château, formait retranchement naturel. Mais cette hauteur qui commande la situation dut être un terrible danger lorsqu'apparurent les armes à feu, et on peut supposer même qu'elle motiva l'abandon du château de La Chèze comme place forte quand se perfectionna l'artillerie, au commencement du XVIème siècle. De cette position dominante, l'assaillant qui s'en était rendu maître, pouvait à son aise faire pleuvoir les projectiles à l'intérieur des murs et littéralement assaillir les défenseurs.

Au milieu des herbes folles qui envahissent aujourd'hui les fortifications abandonnées, dans le dédale des pierres croulantes, le visiteur audacieux, reste, malgré tout, charmé par l'évocation des temps héroïques et par le souvenir de la puissance seigneuriale qu'incarnent ces ruines. Comme particularité, il est à noter que l'entrée du château n'offrait d'abord qu'une ouverture comprimée entre deux tours, laquelle conduisait par des degrés tortueux à un couloir étroit ne donnant accès qu'à une personne de front. L'assaillant parvenait-il à s'emparer du pont-levis et de la porte, se heurtait, aussitôt après avoir franchi le seuil, à un mur qui lui barrait le passage, il devait alors prendre à sa gauche un escalier également fort étroit, tourner deux fois à angle droit avant d'atteindre le couloir qui l'amenait au centre de la cour intérieure. Etait-ce pour suppléer à cette entrée et remédier à son exiguïté qu'un souterrain, partant du pied même des fausses tours et aboutissant aussi dans la cour du château, avait été ménagé aux occupants de la place ? C'est probable. Par ce passage, les défenseurs du vallum qu'on peut considérer comme la première enceinte, pouvaient rentrer subrepticement dans la place en supposant la traversée du fossé garantie par une couverture de bois ; ou encore, par là, les assiégés, s'ils voyaient l'entrée du château forcée, pouvaient tourner l'ennemi et tomber sur ses derrières.

Château de la Chèze (vicomte Rohan)

A Rohan, il ne subsiste même pas de ruines ; le château a été complètement rasé ; il aurait même servi de carrière à la trappe de Thymadeuc. Sur son emplacement on devine la forme d'un rectangle, anciennement flanqué de six tours. Pour s'imaginer la force du château, il faut faire abstraction de la végétation et des constructions qui sont venues obstruer et combler une partie de la vallée formant dépression naturelle au couchant. Les fossés étaient alimentés par les eaux abondantes de l'Oust et par le ruisseau qu'enjambait le pont-levis tourné vers la ville. Mais le point faible de la position se trouve dans sa dépendance par rapport eux hauteurs du Bourg-aux-Moines qui dominent le cours de la rivière. Ici, comme à La Chêze, les défenseurs durent souffrir considérablement de cet inconvénient à l'apparition de l'artillerie et, de ce côté, ils créent des retranchements.

Le Bourg-aux-Moines n'est autre que le burgum qu'Alain Ier donna aux bénédictins qu'il avait appelés près de son nouveau château. Ceux-ci y édifièrent une chapelle. Bien qu'elle fût sous le vocable de Saint-Martin de Tours, on y invoquait spécialement Notre-Dame de Bon-Secours [Note : Rohan, en tant que paroisse, passa par diverses vicissitudes. La chapelle de Saint-Martin, siège du prieuré du Clos, autour duquel s'était groupée une petite bourgade, fut érigée en église paroissiale. La ville close avait une simple chapelle dédiée à Saint-Gobrien, Pour des raisons de bénéfices, Rohan fut uni en 1610 à Saint-Gouvry ; c'est dire qu'un seul recteur desservait les deux paroisses. Le résultat de l'union fut l’abandon de l'église paroissiale de Saint-Martin, qui était hors de la ville et le transfert du service religieux à Saint-Gobrien. Saint-Martin a été reconstruit en 1646]. Le culte de la Vierge a touiours été en particulier honneur dans la Vicomté. A travers les campagnes, la trace de ce culte, sous les invocations les plus diverses, se retrouve à chaque pas ; d'ailleurs, la famille de Rohan a marqué sa dévotion à la mère du Christ dans maintes circonstances et a certainement contribué à son développement. A La Chéze, on invoque N.-D. de Pitié ; à Pontivy, N.-D. de Joie ; à Rohan, N.-D. de Bon-Secours ; à Castennec, N.-D. de la Couarde ; près des Salles de Perret, N.-D. de Guermané ; à Baud, N.-D. de la Clarté et N.-D. des Neiges ; à Guémené, N.-D. de la Fosse ; à Goarec également, N.-D. de la Fosse ; à Loudéac, N.-D. des Vertus, etc., etc... Et à propos de lieux consacrés à la Vierge, pourrait-on omettre les pèlerinages célèbres de N.-D. de Lorrette au Quillio, N.-D. de Quelven en Guern, N.-D. de Bonne-Nouvelle à Uzel, N.-D. de Carmesse en Neuillac, N.-D. de Toute-Aide à Querrien, en La Prénessaye ?... C'est sous la protection de N -D. de Bon-Repos que les Rohan placèrent leur nécropole ; l’un d'eux glorifia N.-D. de Kernascleden en construisant un joyau d'architecture ; un autre a laissé un pieux hommage à N.-D. de Bonne-Rencontre dans la jolie et intéressante chapelle qui, sur une esplanade rocheuse en face du château de Rohan, n'en est séparée que par l'Oust. Un édifice religieux existait déjà en ce lieu, dépendant d'un petit monastère qu'on appelait communément le prieuré de Notre-Dame, ou le prieuré de Rohan, bien qu'il fût sur le territoire de Saint-Samson [Note : Pour cette dernière raison et parce qu'il fut de bonne heure annexé à la cure de cette paroisse, on le désigna aussi du nom de Prieuré de Saint-Samson]. Les chanoines réguliers de Saint-Jean-des-Prés-lés-Josselin qui l'occupaient, le tenaient fort probablement de la générosité d'un Vicomte. La chapelle tombait en ruine ; Jean II la reconstruisit en 1510, comme le prouve une inscription gravée sur la façade. Le flamboyant y fleurit dans toute sa pureté, agrémenté de motifs divers : crochets, écussons, lettres couronnées, etc... ; on y découvre avec difficulté, parce qu'il a été martelé durant la Révolution, le collier de Saint-Michel dont Louis XI gratifia Jean II.

Au cours du XVème siècle, les Vicomtes obtinrent à plusieurs reprises des lettres de billots pour la réparation et l'armement de leurs places fortes. Le 18 mai 1420, il est urgent de venir en aide aux villes, forteresses et châteaux de Rohan, Josselin, La Chéze, Blain, La Roche-Morice, « de present moult besoigneux... et de très grande nécessité d'habillemens de défense » [Note : Bibl. Nantes fr. 1533]. Le 7 juin 1455, de nouveau le duc autorise la levée d'un billot, durant quatre années, sur toutes les terres du Vicomte, afin de réparer et garnir d'artillerie les « villes-chasteaux » de Josselin et La Chèze [Note : Arch. Kerguehennec]. Autre concession d'impôt en 1462, pour trois années, portant affectation spéciale en ces termes : « l'argent qui sera levé en la châtellenie de La Chéze et aussi en la Vicomté de Rohan, sera mis et employé en la réparation du château de Rohan, et non ailleurs, parceque par avant ces heures l'argent qui pour semblable cause a été levé en ladite Vicomté, a été mis à la réparation dudit lieu de La Chèze » [Note : Reg. Chancellerie]. Même stipulation six ans plus tard (1468) et encore postérieurement (1477) [Note : Reg. Chancellerie].

Les aveux de 1461 et 1471 font valoir les « grosses tours » du château de Rohan, ses barbacanes, basses-cours, le tout cerné de murs et de douves, avec « belouvard et autres embataillemens ». Mais durant la guerre d'indépendance, il fut investi deux fois et sans doute fort endommagé, comme du reste les autres places de Jean de Rohan qui lors se trouvèrent « gastès, démolis et dégarnis » [Note : D. M III, 783. Billot du 8 mars 1495]. Il fallait à tout prix rebâtir : un Rohan sans place forte est un prince découronné. Le roi se montra généreux pour son fidèle allié, l'argent vint de différents côtés et puis la Vicomté ne manquait ni de matériaux, ni de vassaux, pour le gros œuvre. Ainsi, à la ruine succéda la prospérité ; Josselin, Rohan, La Chèze, redressèrent fièrement la tête ; Corlay et Pontivy, dépourvus depuis plus d'un siècle de places fortes, virent ressusciter leurs châteaux. Ayant reçu de son père trois places, Jean de Rohan en laissa cinq, complètement « remparées », à son successeur. Voilà l'œuvre de Jean de Rohan dans les dernières années de sa vie, quand, abandonnant ses rêves de gloire, il songea à renforcer sa situation dans ce fief qui avait fait la puissance et la richesse de ses ancêtres.

Dans les premières années du XVIème siècle, la restauration du château de Rohan est en cours ; on pourrait presque dire la reconstruction, tant sont importantes les réparations et nombreuses les réfections. Un compte inédit, découvert par M. Rosenzweig au château de Kerguehennec [Note : Cart. ms. Morbihan. Arch. Soc. Polymathique], fait savoir qu'on alla chercher du tuffeau à Vannes, de la chaux à Auray, des ardoises à Mûr, du bois dans les forêts de Lanouée et de Loudéac. On répare le corps de logis, puis un pignon qui, à lui seul, nécessite huit cents charretées de pierres ; on fait une « tour neuve », une « grosse tour devers Saint-Martin », une muraille sur le petit étang, grand nombre de cheminées, de lucarnes, de fenêtres. Guillaume Le Devet, entrepreneur en même temps que tailleur de pierres, doit avoir peu de loisirs, surtout s'il est chargé de guider les maçons venus de Guilliers et même du Limousin ; ces derniers, sont, sans doute, des spécialistes de la truelle.

Nous parlions, à l'instant, des vassaux corvéables ; qui ne fut appelé à contribuer, d'une façon quelconque, à l'édification ?... La maladrerie de Noyal fournit des cordes pour la mise en place des poutres, et le curé de Rohan célébre à Saint-Martin la messe des ouvriers. A l'intérieur, sans doute, pour orner les cheminées, ou agrémenter les lambris des salles, un peintre emploie l'or appliqué au coton, l’ocre, le vermillon, etc...

L'état auquel nous empruntons ces renseignements mentionne un compte précédent et porte sur trois années, 1500, 1501 et 1502. Il est fourni au Vicomte par Hervé Le Mancazre, capitaine de Rohan, qui chiffre les dépenses à 2334 # 4 s. 3 d., et accuse un déficit, car les recettes, provenant des billots, des ventes dans les forêts et du panage à Lanouée, ne donnent que 1933 # 16 s. 8 d.

En même temps que la restauration de Rohan, était conduite la restauration de Josselin. Nous attribuons, en effet, à Jean de Rohan, l'admirable logis de ce château [Note : Voir notre notice sur la Construction de la façade nord du château de Josselin parue dans le Bulletin de la Société Française d'Archéologie, année 1912 ; et l'importante étude de M. Roger Grand, même Bulletin, Congrès de 1914].

On aura remarqué par les concessions de billots que l'entretien des fortifications urbaines revenait, en partie du moins, au seigneur. Dans sa signification féodale, la ville est une agglomération de maisons, protégée par des remparts, et le plus souvent une agglomération parasite du château. A l'origine, et en règle générale, les châteaux furent isolés, mais leur établissement entraîna le déplacement d'une partie de la population du voisinage ouvriers, fournisseurs, vassaux, fonctionnaires, etc... Sous la protection du château, le commerce et l'industrie prirent un développement que favorisa l'érection des halles ou cohues, la création de marchés et de foires. Mais tandis que les habitants étaient ainsi retenus assemblés par le souci de leurs intérêts, ils restaient la proie facile des pillards et des gens de guerres. Les bourgs sentirent alors le besoin de s'enclore et, dans ce cas, leur enceinte, rapprochée jusqu'à joindre celle du château, en resta toutefois toujours distincte, de telle sorte que, forcés dans leurs premiers retranchements, les habitants pouvaient se réfugier soit par le pont-levis, soit par un passage souterrain, à l'intérieur du château qui remplissait à l'égard de la ville close un rôle analogue à celui que jouait le donjon par rapport au château lui-même. Celui-ci devait en outre pouvoir abriter les vassaux des campagnes et cette protection a donné lieu au droit de guet sur lequel nous reviendrons.

Sous l'influence des châteaux, les villes prirent naissance et s'enclorent ; telle fut l'origine de Rohan, Pontivy, Corlay, Gouarec, Guémené, La Chèze. De ces villes, il faut retenir les quatre premières qui font partie du territoire propre de la Vicomté au XVème siècle. L'état de leurs remparts, au milieu de ce siècle, est lamentable [Note : Aveux de 1461 et 1471] ; les seigneurs ont négligé cette défense, les bourgeois ont manqué de ressources pour arrêter l'éboulement des murs, le temps a presque comblé les douves ; en tenant compte aussi des attaques, tous les éléments ont contribué à la ruine des enceintes.

La ville de Rohan, « laquelle soulait entre close de murailles et cernée de douves », n'a plus qu' « apparences » de fossés. Pontivy « paraît avoir été close de murailles, portes fermantes et douves en plusieurs endroits ». Corlay, « ville qui autrefois fut close », Gouarec, où il y a « apparences de ville et grandes douves anciennes ». Ce sont là les termes des aveux.

Depuis lors, les remparts des villes n'ont pas été relevés. Pontivy seule, à la fin du XVIIème siècle, conserve sa clôture murale en partie et quatre portes [Note : « Close en partie de murailles, douves et fossés, avec quatre portes et entrées en icelle (ville), l'une appelée la porte de Rennes, l'autre la porte de Dinan, la troisième la porte de Saint-Brieuc, la quatrième la porte de Carhaix » (Aveu de 1682). Ces portes ont porté d'autres noms aux XVIIème et XVIIIème siècles : porte de Carhaix ou de l'Hôpital, à l'entrée de l'ancien pont (où elle existe encore), la porte de Corlay ou de Neuillac (au bas du château), la porte de Dinan ou de Saint-Malo (au haut de la rue de la Rampe), la porte de Rennes, de Saint-Jory, ou de Noyal (à l'extrémité de la rue du Fil)]. A Rohan, il reste, à cette époque, à peine des « vestiges » de murailles ; à Gouarec et à La Chèze, le souvenir même en est effacé, à Corlay qui est aux mains des Guémené il n'en reste rien non plus [Note : Aveu de 1682].

Mais de quand date la destruction des premiers châteaux de Corlay et de Pontivy ?... Très certainement de la guerre de succession de Bretagne. Alain VII ayant pris parti pour Charles de Blois, les Anglais, auxiliaires de Montfort, ravagèrent le territoire soumis à l'autorité des Vicomtes et vinrent, en 1342, sous la conduite du comte de Northampton, s'emparer de Rohan et de Pontivy. A la fin du XVème siècle, on attribuait également la destruction de Corlay aux Anglais [Note : Procédure sur le guet à Corlay. 23 Février 1493. Arch. C.-du-N. E. 1704]. Quoi qu'il en soit, en 1461 et 1471, le château de Corlay est entièrement « ruineulx » et, de celui de Pontivy, il n'existe plus pierre sur pierre. Celles-ci ont servi à édifier le couvent des Frères Mineurs fondé par Alain IX [Note : Déposition de Jean de Rostrenen en 1479. La fondation est de 1456], comme d'ailleurs quelques années auparavant, le même seigneur, peu soucieux de la conservation du prestige féodal, abandonnait à un certain Eon Guillet « les vieilles murailles de la ville... entre le vieux chasteau et la porte de Nevylliac », pour reconstruire le four banal. Il ne restait vraisemblablement pas grand chose de ces vieux remparts, car le Vicomte suppose le cas où « ledit pan de mur » ne suffirait pas pour la nouvelle construction (21 mars 1453) [Note : Arch. de Kerguehennec].

Ne connaîtrions-nous pas exactement l'époque des nouveaux châteaux de Pontivy et de Corlay, leur caractère architectural suffirait amplement à nous fixer. Le règne de François II marque en Bretagne la transition entre la fortification du moyen-âge et la fortification moderne ; les perfectionnements dans l'art de la guerre, les progrès de l'artillerie transforment progressivement le mode de défense [Note : Les débuts de l'artillerie à feu, en Bretagne, sont de la seconde moitié du XIVème siècle. L'artillerie joua un rôle décisif aux sièges de Pouancé et Châteauceaux (1420) et elle fit merveille avec le duc François Ier dans la campagne de Normandie].

Les tours hautes et fuselées sont abandonnées pour les tours basses et massives très en saillie, dépassant à peine en hauteur !es courtines, elles-mêmes épaisses et peu élevées. Leur nombre est réduit au minimum, c'est-à-dire aux seuls angles. Les archères font place aux meurtrières et aux canonnières. Les moellons n'offrant point à l'attaque une résistance suffisante, sont abandonnés pour l'appareil régulier, et le donjon, après avoir été absorbé par le château, perd encore de son importance et tend à disparaitre. A Corlay et à Pontivy on trouve ces particularités.

Les travaux du château de Corlay ont précédé ceux de Pontivy. Un acte de la fin du XVème siècle fixe, pour la « réédification », la date de 1473 [Note : Procédure sur le guet. Arch. C.-du-N., E 1704]. Mais faut-il comprendre par là le commencement ou la fin des travaux ? On sait que la construction définitive d'une forteresse de ce genre durait parfois un grand nombre d'années ; nous le constaterons pour Pontivy. A Corlay il y eut réellement réédification, en ce sens que la construction a été reprise sur les assises du manoir primitif, d'ailleurs parfaitement isolé et défendu par les eaux d'un étang. Le plan est celui d'un trapèze avec quatre tours d'angles, dont l'une, au sud, sensiblement plus forte, constituait sans doute la dernière défense. La tradition rapporte qu'un souterrain mettait cette tour en communication avec Pen-Roz (anciennement Castel-Roz, près de Kerjoliet) d'une part, et avec Parc-ar-Goliffet, d'autre part.

Château de Corlay (vicomte Rohan)

On maintint la situation, mais on utilisa peu les matériaux existant, car les murs sont d'un bel appareil régulier, schiste et granit unis. Le donjon est une superbe construction, bien capable de défier les engins de l'époque. Ses murs dans leur épaisseur ont 4m 50 (le granit qui provient de Gourin et de Canihuel, en Carhaix, a été taillé à 0m 15 et 0m 18, même à 0m 25 et 0m 33). Les autres tours, relativement faibles, n'ont que 2m ou 2m 50 de murs. Comme à La Chèze et à Josselin, l'entrée du château était gardée par deux petites tours. Plus guère de traces de logements, l'emplacement seul de la chapelle se retrouve encore au nord.

Le bastion rectangulaire qu'est le château de Pontivy, offre une force, bien plus en rapport que Corlay, avec les nouveaux moyens d'attaques. Ses tours mesurent 60 mètres de circonférence à la base, une vingtaine de hauteur, 4m 50 et 5m d'épaisseur de murs. Il n'en reste malheureusement que deux sur la façade d'entrée ; les deux autres qui tombaient en ruine dès le XVIIIème siècle ont été relevées en soutènement pour éviter d'autres éboulements [Note : L'une de ces tours, celle de l'ouest, subsistait encore en partie dans la première moitié du XIXème siècle]. L'appareil est de schiste (0m 10, 0m 12 et 0m 15) jusqu'à hauteur des machicoulis qui sont de granit. Ceux-ci sont à accolades avec consoles à triple assise, comme à Corlay. Au-dessus des machicoulis, le chemin de ronde crénelé et couvert est parfaitement conservé dans les deux tours coiffées de poivrières. Y avait-il une tour principale à Pontivy ? Les aveux parlent simplement de « quatre grosses tours ». La forteresse, située à deux cents mètres au nord du Blavet et de l'emplacement du premier château, est entourée de fossés qui n'ont jamais été que des douves sèches.

A la cour intérieure on accède au moyen d'un pont dormant remplaçant l'ancien pont-levis protégé par une des tours d'angle. Elle présente la forme d'un rectangle encadré sur deux côtés par des logements s'appuyant sur les courtines et sur deux autres par des terrasses. Le logis seigneurial ne manque pas d'une certaine élégance d'ornementation avec les motifs — malheureusement martelés — que nous avons déjà rencontrés à Notre-Dame de Bonne-Rencontre et qui seront répétés avec abondance à Josselin : l'écu de sept macles inscrit dans le collier de Saint Michel, la lettre A couronnée, les spirales servant aux eaux pluviales. L'effet d'ensemble en a été détruit par des transformations et des réfections d'un style médiocre, de même que l'aspect primitif de l'extérieur, au nord et au couchant, a été modifié par des lucarnes à frontons aigus accolées au commencement du XVIème siècle.

Dans le prolongement du logis seigneurial, des gradins conduisent à la chapelle assise sur la terrasse qui domine, de plusieurs mètres, la cour. Cette disposition témoigne incontestablement de l'existence ancienne du terre-plein qui occupe, sur une largeur de trente mètres, l'intérieur de la forteresse vers le levant.

« Ce n'est qu'à partir du XVème siècle et principalement au XVIème siècle, rappelle M. Enlart, que l'on doubla les remparts des remblais en terre afin d'offrir plus de résistance contre l'artillerie à feu et surtout pour procurer des terrasses assez solides et assez vastes pour porter ce genre d'engins »[Note : Manuel d'Archéologie Française].

Il n'est donc pas douteux que, à Pontivy, on se trouve en présence de ces terrasses de défense, où les bombardes et les serpentines pouvaient évoluer à l'aise. Les terre-pleins de ce genre, protégés par des murs d'enceinte, étaient assez communs. La déclaration de 1682 en mentionne à La Chêze, à Rohan..., et naturellement à Pontivy où la grande terrasse se retrouve certainement dans cette désignation : « petit jardin sur lesdits remparts ». Au temps de la déclaration, toutes les places fortes sont abandonnées ; à peine songe-t-on à les conserver comme témoins de prérogatives féodales ; à Pontivy, une des tours est déjà tombée et, à de rares exceptions près, l'important logis seigneurial ne servira plus de résidence qu'à l'intendant.

En 1486, le château de Pontivy était « ja presque deffendable » et la construction se trouvait suffisamment avancée pour autoriser Jean de Rohan à demander au duc le renouvellement du droit de guet tombé en désuétude par cessation d'exercice. François II accorda la permission de rétablir ce droit à Corlay et à Pontivy (16 décembre 1486) ; les lettres ducales furent renouvelées par Charles VII en 1491 [Note : D. M. III, 525 et B. N. fr. 8269 f. 361].

Pour l'établissement du château et de ses fortifications, Jean II de Rohan dut « reprendre » sur ses « nobles féaux et manants de Pontivy » différentes pièces de terre ; mais, quoique pensent de ces temps de « barbarie » certains auteurs mal renseignés, l'expropriation ne se faisait pas sans indemnité, et quand le prisage n'avait pas satisfait les intéressés, le Vicomte donnait mandat au contrôleur de sa Maison pour se rendre sur les lieux afin d'en juger équitablement [Note : Jean de Rohan agit de même à Corlay pour son nouveau château. Le château de Corlay, notice de A. de Barthélemy, 1865]. De 1488 à 1506, le Vicomte fit ainsi l'acquisition de différents terrains « pour meptre et employer es douffves » ; en même temps, il s'agrandissait en vue des « parcs et jardins » du château. Les archives de Kerguehennec conservent quelques mandements de Jean de Rohan relatifs aux payements des terrains et des ouvriers employés à la construction.
Il en signe à son « chastel de Pontivy », les 3 août 1502 et 27 mai 1503. C'est donc que le château est en partie terminé à cette date, quoiqu'il reste encore bien des travaux pour son achèvement définitif. Jean Le Roux, à partir de 1505, reçoit 20 livres de gages annuels, « pour vacquer et entendre au faict des eupvres et édeffices » du château de Pontivy.

Château de Pontivy (vicomte Rohan)

Les villes et places fortes sont gardées par un capitaine et quelques hommes d'armes. Nous possédons les noms d'un petit nombre de ces officiers qui appartiennent aux XVème et XVIème siècles, Le seigneur d'Estuer, le seigneur de Pengréal, Jean de Keradreux, Jean de Rohan, sgr du Gué-de-Lisle, ont commandé tour à tour à La Chèze, Ce dernier occupait le château en 1469, et encore en 1480. Après ceux-ci viennent, toujours à La Chèze : François de Coëtlogon, sgr de la Motte-au-Vicomte, mort en fonctions l'année 1591, et le seigneur de Querberio, « gouverneur » en 1597. Comme capitaines de Rohan, nous connaissons seulement : Jean de Keradreux, 1433 ; Hervé de Mancazre (ou Mancadre), 1500, 1503; Antoine de Montboucher, 1534, Ont commandé à Pontivy : Rolland de Coetredez, 1500 ; Jacques de Lantivy, sgr de Talhouet, « gouverneur », en 1565 ; Jacques Briant, sgr de Vaudurant, 1596. A Corlay, on trouve Jacques Le Moine, capitaine en 1523 ; le sieur du Plessis-Bordage en 1532 [Note : L'aveu du duché de Rohan, en date de 1638, porte le droit de capitainerie dans les mêmes forteresses, mais il semble que ce droit n'est effectivement exercé qu'à Pontivy, par le sieur de Rochemont du Pré qui jouit, pour ses émoluments, du guet de cette forteresse, valant environ 300 livres par an].

Autres résidences et manoirs.

La résidence seigneuriale du Vicomte de Rohan dans la châtellenie de Gouarec, était le manoir de Penret, appelé aussi les Salles de Penret, ou plus simplement le château des Salles, à la lisière de la forêt de Quénécan et sur les bords d'un vaste étang. Situé en Sainte-Brigitte, il avait été édifié, nous l'avons déjà vu, à l'emplacement d'une villa gallo-romaine qui dut être la demeure de fonctionnaires impériaux, puis de chefs bretons, tyerns ou mactyerns de cette région. Vraisemblablement les Rohan s'établirent en ce lieu dès le début de leur occupation, attirés, comme à Castel-Noec, par les vestiges d'une occupation ancienne. Ils se plurent même à considérer les Salles de Penret comme le berceau traditionnel de leur race, et sur l'antiquité de cet établissement ils édifièrent des légendes comme celle de Saint Mériadec, fils du roi Conan, vivant dans les solitudes de Penret, comme également celle relative à l'origine des macles de leur écu [Note : Le schiste de cette région se particularise par des semis d'oxyde de fer, en forme de losanges ou de macles. Sur les rives de l'étang, au pied même du manoir des Salles, on trouve en abondance de ces cailloux incrustés ou la couleur indigo du fer ressort assez joliment sur la pierre bleutée. Quelquefois, au lieu de losanges, on trouve de petites croix ainsi dessinées. L'abbaye de Bon-Repos a été reconstruite au XVIIIème siècle en très bel appareil de schiste maclifère. Jusqu'ici rien de surprenant, mais où le surnaturel semble commencer, c'est quand le bois « d'environ le lieu de Penret et ailleurs es forêts de la Vicomté » se trouve semé de macles ; le fait est déclaré dans l'aveu de 1471, et les témoins de l'Enquête de 1479 certifient eux mêmes que « lesdites armes sont empreintes quand l'on coupe les arbres des pourprins ». Regnaud des Bois raconte avoir vu apporter à la cour de Ploërmel une pièce de ce bois maclé à l'occasion d'un débat survenu entre Alain IX et ses enfants. Jean de Rostrenen, qui semble le plus véridique, dit aussi avoir vu au village de Saint-Mériadec, prés Pontivy (il s'agit de Stival), du bois fendu dans la coupe duquel figuraient des macles. Celui-ci a le courage d'avouer qu'il ne sait rien de la descendance de Saint Mériadec. Et cependant dans l'esprit de Jean II de Rohan, il y a une relation très proche entre le saint, les macles et l'origine des Rohan, Voici comment ce seigneur explique pourquoi, lui et les siens, quoique fils de Bretagne, — Conan Mériadec étant leur auteur direct — ne portaient plus le blason d'hermine. Les Rohan, dit-il en substance, avaient à l'origine les armes de Bretagne avec le lambel des juveigneurs, mais ils furent obligés de les abandonner parce qu'un jour, « divinement et miraculeusement », on trouva les hermines apposées sur la tombe de Saint Mériadec « muées et changées en macles ». Le prodige valait évidemment la peine d'être mentionné dans le Mémoire, mais depuis, les historiens modernes ont prouvé que Conan, l'illustre roi des Bretons, n'a jamais existé et a été imaginé pour la plus grande gloire des Rohan. Le semis de macles a, en science héraldique, une origine bien connue ; il vient des figures formées sur les cottes d'armes et sur l'écu par le croisement des bandes transversales de draps ou de fourrures].

Les Salles de Penret (aujourd'hui Perret) n'ont jamais été forteresse, mais simplement manoir fortifié, conservé comme rendez-vous de chasse après que les seigneurs eurent transporté leur cour de justice à Gouarec. On sait que les Vicomtes se sont de tout temps adonnés au plaisir de courir dans leurs forêts les bêtes fauves, et on peut présumer qu'Alain III était parti de Penret quand la poursuite du cerf prédestiné l'amena sur les bords du Blavet où il fit le vœu de fonder Bon-Repos [Note : En ce qui concerne la chasse des seigneurs de Rohan, se reporter à notre article, qui figure au Volume 1 des Mémoires de Société d'Histoire et d'Archéologie de Bretagne, année 1920].

C'est précisément parce que les Salles de Penret n'étaient qu'un manoir fortifié qu'aucun fait historique ne s'attache à son nom, mais seulement des souvenirs de résidence attestés par quelques actes. De l'année 1232, on trouve une donation à Bon-Repos, signée à Penret. A la fin du même siècle, Alain VI est en ce lieu lorsqu'il partage ses puînés (1298). Alain VIII vient au manoir de Penret chercher le repos nécessaire à sa santé, sans doute fort compromise puisque, « gisant sur un grabas », il dicte là ses dernières volontés. Le manoir était tellement écarté de toute localité, si bien isolé au milieu des forêts et des landes, que le fantasque et vaniteux Jean II en fait une sorte de prison. Après avoir ordonné le meurtre de René de Keradreux, il y enferme Catherine de Rohan, sa sœur, et, là aussi, il relègue sa fille, Anne, parce qu'elle voulait, sans son consentement, épouser le bâtard de la maison de Gonzague. La fondation de l'hôpital de Landerneau, par le même Jean II, nous reporte de nouveau au manoir des Salles. En juillet 1542, Louis de Rohan-Guémené y rédige son testament. Peut-être, à cette époque, le manoir est-il aux mains des aînés de Rohan.

Château des Salles de Perret (vicomte Rohan)

Ogée dit catégoriquement qu'en 1667 ceux-ci l'habitent. Cependant « l'ancien château des Salles » figure avec force détails dans les déclarations du duché de Rohan, en 1638 et 1682.

Le logis seigneurial et les bâtiments annexes disposés en carré forment une enceinte flanquée de tours. A l'angle nord-est, se trouvent les restes d'une chapelle fortifiée. Une vaste chemise murale, appelée au moyen-âge baille ou basse-cour, circonscrit le château proprement dit et ses jardins. C'est un abri contre les incursions et au besoin une défense contre la force armée. La muraille bien garnie de tours était en outre battue sur une grande partie de son développement par les eaux de l'étang. L'épaisseur des murs des tours est de 1m 10 à 1m 30 dans la seconde enceinte, cependant il faut distinguer une tour en fer à cheval plus forte, ayant 2m 10 d'épaisseur, et accolée au logis seigneurial. Du baille il ne subsiste qu'une tour de diamètre et d'épaisseur assez faibles.

Il est rare, quand il s'agit d'une construction militaire, que les documents historiques ne fournissent pas quelque date applicable, sinon à toute la construction, du moins à la réfection d'une de ses parties. Malheureusement nous ne possédons pour les Salles de Penret aucune donnée quelle qu'elle soit. La destruction du temps a si bien fait son œuvre qu'on ne peut guère formuler que des probabilités sur l'époque de la construction. Cependant, si on admet ces principes que la beauté de l'appareil est en raison inverse de l'antiquité et que la défense a toujours été appropriée aux moyens d'attaque, nous pensons que la fortification du manoir des Salles date du XIIIème siècle, tout au plus du commencement du XIVème. Le schiste dont s'est servi l'architecte est la pierre plate, sans poids ni consistance, qui n'aurait offert qu'une bien faible résistance à la sape, Le logis a été reconstruit en partie au XVème siècle. L'emplacement d'une chapelle calviniste montre que, même au XVIIème siècle, les Rohan ne se désintéressèrent pas des Salles de Penret. D'ailleurs nous verrons que le bourg de Penret bénéficia de leur présence.

A cette liste des châteaux de la Vicomté, appartenant ou ayant appartenu aux Vicomtes de Rohan, il faut ajouter Telent ou Telené, en Camors [Note : On trouve plusieurs seigneuries de ce nom sur le territoire de la Vicomté. L'aveu de 1471 porte, à la suite de la déclaration du bourg de Baud : « le moulin du Telené, le château du Telent à présent ruineux avec la ville dudit lieu... le bois de Telené de cent journaux... ». Nous croyons bien qu'il s'agit de Tourel-Tallen, au sud-est du bourg de Camors où M. de la Borderie a retrouvé les vestiges d'une forteresse entourée de bois, (Bulletin de l'Association Bretonne, 1886) ; à moins qu'il faille identifier Telené avec l'une des seigneuries de Talin en Malguenac, de Tallené en Quistinic, ou de Tellené en Plumelin et Guenin], Chateaumabon, en Radenac, Pleugriffet, dans la paroisse de ce nom, tous entièrement ruinés à la fin du XVème siècle, et sur lesquels les documents consultés ne nous ont rien appris. Jean de Rohan qui cherche par tous les moyens à témoigner de son opulence, met au nombre des anciens châteaux de sa famille Castel Finans, en Saint-Aignan, qui ne fut jamais qu'un oppidum gaulois [Note : Ce que Jean II semble ignorer, c'est que ses ancêtres ont possédé au XIIIème siècle plusieurs manoirs en Noyal, cités aux chapitres précédents].

***

La cour des sires et dames de Rohan. Entourage et domesticité.

Dans leurs châteaux, les Vicomtes vivaient avec grandeur. Autour d'eux se tenait une nombreuse suite des officiers civils et militaires, des nobles de leur fief, des cadets de leur famille, des pages, et cet ensemble formait une petite cour qui rappelait l'entourage des grands feudataires de France. Depuis le commencement du XIVème siècle, cette suite augmenta progressivement. Jean II de Rohan ne dédaignait pas le faste et certains actes nous font supposer sa maison sur un pied considérable. Jacques du Pé, chargé par le duc, en 1477, de recenser l'arrière-ban de Bretagne, passe en revue les nobles « de la demeure du Vicomte de Rohan ». Voici leurs noms : le sieur du Hac, homme d'armes ; Robert du Pan, Pierre Chevrel, Olivier Calouay, Jehannot Chollet, Guillaume Barade, archers, Jehan Chesne, coustilleur et un page ; messire Jehan de Lindereuc, homme d'armes ; Yvon Caignart et Guillaume L'Amour, archers ; Tristan de La Lande, sieur de Vaurouault, homme d'armes et trois archers ; le sieur de Bourbry, homme d'armes, un archer, un coustilleur, un page ; Alain de Keradreux, homme d'armes, deux archers, un coustilleur, un page ; maître Alain Aveleuc, homme d'armes, deux archers, un page ; Eonnet du Bout, deux vougiers, un coustilleur ; Jehan de Quelen, homme d'armes, deux vougiers, un coustilleur, un page ; Alain de la Cour, archier ; Jehan des Deserts, un archer, un coustilleur, un page ; Jehan de la Cour, pour maître Olivier Oudard ; Hymbert de Farges, coustilleur ; trois autres archers [Note : Lobineau, II, 1378 et B. N. fr. 8269. Acte de la Chambre des Comptes de Nantes. — (Coustille : sabre à deux tranchants. Vouge : sorte de hallebarde faite pour accrocher l'armure de l'adversaire)].

Ces gentilshommes doivent constituer la compagnie d'armes du Vicomte. Outre cette compagnie, la maison de Jean de Rohan compte un assez grand nombre d'officiers dont les fonctions sont indéterminées, mais qui certainement occupent une charge civile ou militaire puisqu'ils sont gagés. Ceux qui figurent dans un compte de la même année 1477 sont : Loys de Rosnyvinen, capitaine de la Roche-Morice, Eustache Hingant sieur du Hac, Jehan de Matignon, Guillaume de Keraudy, Jean de Saint-Morice, Galyot Geffroy, Hervé Le Heuc, René de Keradreux, Jacques de Villeblanche, Tristan de Guerguezangor, Adrien Derselles, maître Bernard Le Gluidic, Henri Comberuault, Guillaume d'Avaugour, Alain du Fou, Jean de Coëtmené, Olivier Avalleuc, argentier [Note : B. N. Fr. 8269].

Les états des années suivantes, différent légèrement quant aux noms [Note : Gentilshommes et officiers du Vicomte de Rohan. Année 1486 : Antoine de Chambon (200 #), Guillaume de Keraudy (166 #), Rolland de Coetredez (166 #), Jacques de la Villeblanche (166 #), Guillaume du Chastel (120 #), Guillaume d'Avaugour (160 #), Hervé de Malestroit (160 # ), François de la Touche (160 #), Gilles Maclec (160 # ) Années 1493 et 1494 : Antoine de Chambort (200 #), Guillaume de Keraudy (166 #), François de la Touche (100 #), Jean de la Jaille (100 #), Guillaume du Chastel (100 #), Olivier Le Heuc (100 #), Hervé de Malestroit (100 #), Rolland de Coetredez (100 # ), Prigent de Saint-Alouarn (100 #), Christophe de Kerrouant (100 #), Jean d'Avaugour (100 #), Loys de L'Abregement (100 #), Guilla.urne de la Jaille (100 # ), François de L'Epinay (100 #)., Année 1496 : Antoine du Cambout (200 # ), Prigent de Saint-Alouarn (100 # ), François de la Touche (100 # ), Guillaume de Keraudy (160 #), Jean de la Jaillie (100 #), Hervé de Malestroit (100 #), Guillaume du Chastel (100 #), Olivier Le Heuc (100 #), Christophe de Kerrouant (100 #) Rolland de Coetredrez (100 #), François de L'Epinay (100 #), Geffroi de Bonamour (100 #), Julien d'Avaugour (80 #). — B. N. Fr. 8269]. Les gages varient de 100 à 200 livres. Quelques-uns de ces officiers deviennent les conseillers intimes et compagnons fidèles du maître ; Jehan de Matignon, Tristan de Guerguezangor, Guillaume de Bogat l'accompagnent dans sa retraite à la cour de France, et on les retrouve très sérieusement compromis dans l'affaire Keradreux. Avec eux d'ailleurs, Louis de Sainte Flave, Alain Rouxel, Bertrand René, Jehan, bâtard de Saint-Gilles, Guillaume de Kerrouant, Galyot Geffroy, Prigent Venderol, sont poursuivis par la justice ducale en même temps que le Vicomte [Note : D. M. III, 339].

Malgré la rareté des documents, on parvient à se faire une idée de la domesticité du Vicomte. Pour une période de vingt ans, de 1476 à 1496, on trouve plusieurs maîtres d'hôtel : Guillaume de Keraudy, Guillaume de Bogat, François de Matignon, Jean des Deserts, Parceval de Lesormel, Galhaut de Kersauzon [Note : Guillaume de Keraudy reçoit comme gages 166 # et Jean des Déserts 180 #]. Mais il ne faut pas oublier que le titulaire de la sénéchalie féodée est toujours premier maître d'hôtel de la Vicomté. Evidemment il considère comme désormais indigne de lui, de dresser la table du seigneur et de servir les mets aux quatre principales fêtes de l'année [Note : Enquête de 1479] ; cependant, dans les grandes occasions, peut-être daigne-t-il encore exercer une partie de ses fonctions : Jean de Rostrenen a vu le baron de la Chapelle, héritier de la sénéchalie, servir Alain de Rohan, le jour de l'entrée solennelle de Peronnelle de Maillé à la Chèze [Note : B. N. Fr. 8269]. En tout cas, le sénéchal féodé entend bien ne rien céder des prérogatives honorifiques réservées à son titre.

Les autres services sont représentés par un grenetier qui est en même temps bouteiller (Yvon de Keraudy, qui reçoit 20 livres par an) ; par un écuyer de l'écurie (Jean de Matignon, 200 livres) ; par un officier de la venerie (Jean de Rohan-Gué-de-Lisle, 160 livres) [Note : B. N. Fr. 8269]. Comme tout prince qui se respecte, Jean II avait un fou et sans doute aussi, à l'exemple de son père, un héraut d'armes surnommé Rohan [Note : On nommait généralement les hérauts du nom de leur maître. Celui du duc Jeans V s'appelait Bretagne].

Dans la domesticité supérieure, on peut classer le barbier Jehan Pihan, allié à la maison de Kermeno, qui, en 1492, fut l'objet d'une faveur spéciale « pour ses bons services » [Note : Concession du rachat de Kermeno, après le décès de Françoise de Kermeno, par Jean Vicomte de Rohan, en faveur de Jehan Pihan, son barbier, pour les bons services de celui-ci (4 mars 1492). (Arch. de Kerguehennec)].

A l'occasion d'une enquête sur Claude de Rohan, Jacques de Sesmaisons nous initie aux amusements des pages à la cour de Jean II, prés duquel il est resté douze années consécutives. On le verra plus loin.

La Vicomtesse avait sa maison personnelle, sur laquelle nous possédons quelques détails, grâce à la détention de 1479. En effet, durant son emprisonnement, le duc confisqua tous les revenus de Jean de Rohan dont il confia l'administration à un receveur général, chargé en même temps de l'entretien de la Vicomtesse et de ses enfants. Pour mieux la surveiller, François II fit venir Marie de Bretagne à Vannes, chez sa mère, la duchesse Isabeau [Note : Isabeau d'Ecosse, veuve de François Ier], et lui accorda une suite de dix-huit personnes, tant hommes que femmes, au nombre desquelles il faut noter deux écuyers (Jean du Cambout et Jean des Deserts), deux chapelains et un confesseur particulier, ancien « maître d'école », on dirait aujourd'hui ancien précepteur du Vicomte, plusieurs dames et damoiselles pour l'accompagnement et le service, des valets, un page, divers subalternes, etc... Ses quatre fils et sa belle-sœur, Catherine de Rohan, eurent droit à dix personnes : nourrices, femmes et hommes de chambre, un chef queux avec sous ordre, un officier « pour la panneterie, fructerie et chandellerie », un autre « pour la boutellerie » (Guillemin du Molin), un chapelain (dom Yves Barach)..., etc… En outre, le sire de Léon avait son « maître d'école » particulier, et Claude, le futur évêque de Quimper, âgé de quelques mois, était pourvu d'une nourrice et d'un « gouverneur » [Note : D. M. III, 380].

Il n'est pas douteux, après ce que nous venons de voir, que l'entourage des Vicomtes constitue une petite cour. Officiers, chapelains, serviteurs, reçoivent des appointements plus ou moins importants, en rapport avec leur office. Les gages seulement des gentilshommes de la maison de Jean de Rohan s'élèvent à 1458 livres en 1486, à 1566 livres en 1493, à 1440 livres en 1496. Les frais de la maison de Madame de Rohan, y compris les enfants et les belles-sœurs, se montent pour 1480 à 3740 #. Sur l'état des mises d'un seul semestre de l'année 1481, on relève les renseignements suivants :

A la Vicomtesse « pour sa garde-robe, ses espilles et aumônes » : 136 #
A ses quatre enfants « pour habillements et menues affaires » : 40 #
A Catherine de Rohan « pour habillements et menues affaires » : 60 #
A Ysabeau de Rohan « pour l'entretenement d'elle et de ses femmes » : 100 #
A maître Loys de Rohan, protonotaire du Saint-Siège « pour son entretenement » : 50 #
A Antoine de Rohan « pour son entretenement » : 30 #

Pour un autre semestre, Madame de Rohan dépense 175 # de garde-robe et 50 # d'épingles et d'aumônes. Ses enfants ne lui suffisent pas, elle offre encore l'hospitalité à Mademoiselle de Guémené. En 1486, Jeanne, bâtarde de Rohan, et ses filles, bénéficient d'une pension de 50 livres. Mais arrêtons ici nos investigations, la curiosité nous entraînerait trop loin [Note : Etat de la maison de Rohan. D. M. III, 380. — Loys, Ysabeau et Antoine, étaient enfants d'Alain IX et de Peronnelle de Maillé. Ces deux derniers vivaient avec leur mère à Blain]. Cependant avant de clore cette digression, discrète incursion dans le domaine privé, qu'on nous permette de signaler l'inventaire générai des meubles de la communauté d'Alain IX et de Peronnelle de Maillé qui fournit de précieux renseignements sur la garde-robe, les bijoux, la vaisselle d'or et d'argent des seigneurs de Rohan [Note : Inventaire de 1462, notice de M. de Barthélemy sur Corlay].

On peut encore juger de la richesse et du train des Rohan, d'après l'état de la maison du petit-fils de Jean II, Louis V de Rohan-Guémené, qui, suivant un acte de Dom Morice, avait plus de soixante-dix officiers et serviteurs à gages entretenus à ses frais [Note : La Maison d'un seigneur de Guémené en 1542, par M. L. Galles. S. Polymathique du Morbihan., Année 187].

***

Conseil du Vicomte et Chambre des Comptes seigneuriale. — Officiers du domaine et du fief.

Les Vicomtes avaient aussi les organes administratifs au moyen desquels le pouvoir peut utilement exercer son action et veiller à la bonne conduite des affaires: tout d'abord un Conseil et une Chambre des Comptes.

En matière administrative, le Conseil du Vicomte a une compétence, sinon universelle, comme le Conseil ducal, du moins une compétence très étendue ; le seigneur le consulte sur beaucoup de questions particulières ou générales, et le duc reconnaît son autorité. Lors de la grande discussion soulevée par le rachat du Porhoët, les conseillers soutiennent l'exemption du droit [Note : Procès de Jean du Bois Guéhenneuc, procureur du duc, contre le Vicomte. 10 novembre 1411. (B. N. Fr, 22332, f. 37-38)]. Dans la querelle de préséance aux Etats, « les gens du Conseil » de chacun des prétendants furent écoutés et chargés de concilier les parties. Un témoin du baron de Vitré relate que Alain de Rohan arrivant à Vannes, la veille du jour assigné pour le parlement de 1451, escorté de plusieurs chevaliers et écuyers et des gens de son Conseil, se rendit aussitôt au château de l'Hermine près du duc. Les « révérences » faites, Jehan de Keradreux, l'un des membres du Conseil, prit la parole en présence du souverain pour lui exposer les droits du sire de Rohan et ses prétentions. De ce Conseil, faisaient encore partie le sire de Rieux, marié à la fille aînée du Vicomte, le sire de Guémené, Olivier de Rohan-Gué-de-Lisle, Jehan Uguer, seigneur de Vaene, et « plusieurs aultres dont n'est nombré le nom ». Ainsi débuta ce mémorable débat [Note : Déposition pour le comte de Laval, aux fins de connaître les événements qui accompagnèrent le règlement du duc Pierre, le 25 mai 1451 (Taillandier)]. Et à ce propos, Jean de Rohan, dans son Mémoire, rappelle que ses prédécesseurs ont toujours « usé de grands et sages serviteurs en leur Conseil ».

Le Conseil délibère sur les affaires particulières de la seigneurie, décide par exemple de l'afféagement du domaine [Note : Les 19 août 1436 et 19 avril 1445, mandements donnés à La Chêze pour la désignation de deux commis au prisage des terres féagées dans le Léon : « Nous, Alain Vicomte de Rohan, seigneur de Léon... pour ce qui a été arrêté par la déliberation de notre Conseil tenu à La Chéze... etc. » (Inventaire Arch. Grégo.)]. Il est appelé à se prononcer parfois dans les questions emportant les conséquences les plus graves. C'est devant un véritable Conseil qu'Alain IX dicte l'engagement d'inaliénabilité du 24 décembre 1422 ; les deux dignitaires ecclésiastiques de la Vicomté, les abbés de Bon-Repos et de Lantenac, puis le recteur de La Chèze, scellent la convention à la suite des intéressés. Un siècle plus tard, Claude de Rohan délibère, « avec le Conseil de ses parents, amis et consanguins, et aultres », sur le partage et l'assignation de l'héritage paternel. Les principaux membres de ce Conseil sont Jehan d'Acigné, Jehan d'Espinay seigneur du Boisdulié, procureur spécial du sire de Châteaubriand, Guillaume de Guerguezangor seigneur de la Villegicquel, procureur de François de Rieux seigneur d'Aeérac, maître François Bérard, procureur de René sire de Montejehan [Note : Bibl. Nantes fr. 1534].

Dans bien des règlements délicats où il ne veut intervenir lui- même, le Vicomte donne pouvoir au Conseil. Maîtres Jean Lespervier et Eon Boschier, ses conseillers, reçoivent procuration de Jean de Rohan, le 29 janvier 1461, pour régler les demandes en dédommagement du recteur de Pontivy, qui se trouve lésé par l'établissement des Cordeliers dans sa paroisse [Note : B. N. fr. 8269, f. 9]. Jehan des Deserts, conseiller et contrôleur, est chargé, en 1488 de faire droit aux réclamations des habitants de Pontivy expropriés par les travaux du nouveau château.

Le Conseil du Vicomte ne semble avoir exercé qu'exceptionnellement les pouvoirs judiciaires. Du moins, nous n'avons que peu d'exemples qu'il se soit immiscé dans la juridiction seigneuriale, et ces exemples se rapportent uniquement à Bon-Repos. Les religieux ayant accusé les officiers de la Vicomté de les troubler dans certains droits de dîmes et de coutumes, portèrent leurs plaintes devant le Conseil du Vicomte qui se prononça sur quelques points litigieux, tandis que sur d'autres les moines furent invités à se pourvoir devant la cour de Pontivy [Note : 26 août 1447. (B. N. fr. 22333, f. 58)]. Plus tard, quand le révérend abbé de Penguilly prétendit s'installer à Bon-Repos par simple droit de résignation, il se vit condamné par le Conseil à reconnaître formellement l'autorité seigneuriale, sous peine d'être « rejeté et mis au niant... », et quand l'abbé se fut soumis, maître Jean Lesprevier, alloué de la Vicomté, Colas de Boésyvon, maître d'hôtel de Jean de Lorraine (tuteur de Jean de Rohan), Yvon Boschier, procureur de la Vicomté, Jean Boju, receveur général de la Vicomté, Charles de Botmar, également procureur, et Jacques Boschart, secrétaire de la maison de Rohan, tous « gens du Conseil », reçurent mission de le mettre en réelle possession, après avoir levé le sequestre [Note : 10 juillet 1465. (B. N. fr. 8269)]. La mauvaise administration de l'abbaye conduisit encore Alain de Penguilly devant le Conseil ; tour tour, la gestion de l'abbé puis celle du prieur y fut déclarée funeste [Note : 7 août 1464, 3 et 7 juillet 1466. (B. N. fr. 8269)].

Le Vicomte en est président ; des conseillers en titre d'office, parfois pourvus d'autres charges, le composent ordinairement ; mais le seigneur est libre d'y appeler, suivant les circonstances, qui bon lui semble, membres de la famille, dignitaires ecclésiastiques, hommes en situation, personnes de la suite..., etc., car ses conseillers sont avant tout des collaborateurs dévoués, qui possèdent la confiance du maître.

La Chambre des Comptes, composée de doctes gens, revise la comptabilité et donne bon avis sur les questions financières. Son premier devoir est de surveiller, scruter, juger tous les actes de finance des receveurs particuliers ou des fermiers. Elle seule a qualité pour prononcer l'acceptation des comptes. Les séances sont tenues par un président, des maîtres, des auditeurs et des procureurs [Note : D. Morice. A. N. MM. 758. — Nous connaissons seulement Alain de Kerguiziau, « maître des comptes de la Vicomté » en 1463, et Alain de la Bouexière, « procureur en la Chambre des Comptes du Vicomte de Rohan » en 1538. Nous passons sous silence un grand nombre de « procureurs » ou « procureurs généraux », car il est impossible de distinguer sous cette simple désignation les procureurs ordinaires des procureurs fiscaux et des procureurs à la Chambre]. Nous croyons qu'il faut confondre le président avec l'officier qui, à la fin du XVème siècle, porte le titre de « contrôleur de la maison du Vicomte ». Jean des Deserts, dont il a déjà été question, paraît dans plusieurs actes avec ce titre ; avant lui, Guillaume d'Avaugour exerce la même fonction et est chargé « de la conduite des causes de la maison de Rohan » durant la détention de Jean II.

Au point de vue financier, et suivant le Mémoire de Jean II, le sénéchal héréditaire conserve en principe le rôle de centralisateur des « rentes, fermes et amendes » ; mais il y a aussi, du moins à partir du XVème siècle, un receveur général de la Vicomté. Les Rohan, en créant cet office, voulurent mettre aux côtés du sénéchal héréditaire un fonctionnaire dépendant directement d'eux et susceptible de remplacer celui-ci jusqu'à s'y substituer définitivement dans le service de la recette. Dans les documents de cette époque, on rencontre des receveurs généraux et des argentiers [Note : Nous citerons par exemple : Jean Boju, receveur général (1465), Charles de Botmar, receveur de la Vicomté (1465), Olivier Avaleuc, argentier (1477) et receveur général des terres de la Vicomté (1479-1484), Jacques Perce, argentier (1486), François Rolland, receveur général (1505).... etc.]. On peut imaginer l'argentier comme le détenteur du numéraire, sorte de banquier, tandis que le « receveur de la Vicomté » ou le « receveur général des terres du Vicomte » fait les « recettes, mises et acquits » [Note : Compte des dépenses durant la détention de Jean II] et remplit pour le domaine des fonctions analogues à celles d'intendant général. C'est à lui que revient la police et la surveillance de la grande foire de Noyal. Il reçoit 120 livres d'émoluments [Note : D. M. III, 380. — Testament d'Alain IX (D. M. II, 1764). — Mandements du Vicomte relatifs aux constructions des châteaux de Rohan, Pontivy et Josselin (Arch. de Kerguehennec)].

Nous trouvons, en 1539, un trésorier général [Note : Martin de Chamrais, trésorier général du Vicomte de Rohan (1539)] ; comme dans la chambre des comptes de Bretagne — car il ne faut pas oublier que l'organisation administrative des baronnies est inspirée des institutions du pouvoir supérieur — sa place se trouve au-dessus du receveur général et, dans sa main, il réunit toutes les recettes ordinaires et extra- ordinaires.

On éprouve quelque difficulté à comprendre les attributions des deux officiers de finance, l'argentier et le trésorier général, l'un à côté de l'autre. Cependant, il y a peut-être, entre ces deux offices, une disposition qui rappelle la distinction qui existait à la cour de Jean V entre le trésorier receveur général et le trésorier de l'épargne ; l'un administrait plutôt la comptabilité de l'Etat, l'autre la comptabilité privée.

Au XVème siècle, la Chambre des Comptes de la Vicomté de Rohan siège au château de la Chèze. Alain VIII ordonne dans son testament, de régler les travaux d'installation entrepris, en 1421, « autour de la Chambre des Comptes de la Chèze » [Note : D. M. II, 1145]. Elle se tient, en 1481, à Josselin, puis est transférée à Blain, probablement à la fin du même siècle, et son ressort s'étend alors à toutes les terres de Rohan en Bretagne.

Le roi François Ier qui intervient lui-même, le 13 octobre 1536, pour mettre ordre aux affaires de son jeune cousin de Rohan, époux d'Isabeau de Navarre, reconnaît que « les prédécesseurs du Vicomte ont d'ancienneté Chambre des Comptes en leur Maison et sont par icelle accoutumés faire contraindre leurs receveurs et comptables par saisissement de leurs biens et arrest de leur personne ». Cependant, depuis la mort de Jacques de Rohan (1527), un tel relàchement, accompagné de malversations, s'était produit du haut en bas de l'administration seigneuriale, que le roi se vit forcé d'adjoindre à la Chambre des magistrats nommés par lui aux fins de contrôler les comptes des receveurs de la Vicomté [Note : B. N. fr. 22342].

Si la Chambre de Rohan est copiée sur celle de Bretagne, la Chambre de Rohan, à son tour, a certainement inspiré celle de Guémené ; c'est pourquoi nous citerons l'extrait d'une enquête faite au soutien des droits du sire de Guérnené, enquête qui résume et confirme ce que nous savons de ces chambres des comptes seigneuriales. Jehan Le Veslè, seigneur de Launay, procureur de Louis de Rohan, comparaissant aux plaids généraux de la cour royale d'Hennebont, certifie que les seigneurs de Guémené « ont droit d'user de Chambre des Comptes avec auditeurs des comptes, où le seigneur et ses prédécesseurs ont accoutumez commettre et instituer pour ouir, examiner et expédier les comptes de ses revenus, fermiers et aultres qui tiennent et reçoivent ses revenus, et en outre de contraindre les receveurs de ses terres en quelque pais qu'ils puissent être, à venir rendre leurs comptes devant les auditeurs et de faire déduction à ladite chambre desdits comptes, arrêsts et conclusion de leurs comptes et mesme de les arrester et tenir en otage par deffault et jusqu'à enterriner le payement selon que lesdits receveurs, fermiers et autres comptables seront trouvés devoir et estre demourés en reste et de terminer l'arrest et déduction de leurs dits comptes » [Note : Enquête du 14 mai 1526. (B. N. fr. 22342, f. 6)]. Cette déclaration est signée de plusieurs témoins.

Dom Morice dit que la Chambre des Comptes dressait encore les mandements des officiers, les concessions d'usage dans les forêts et autres lettres de donation [Note : A. N. M. M. 758].

***

Justice ordinaire et extraordinaire. Officiers de robe longue.

En raison de son étendue, la Vicomté avait dû être partagée en plusieurs ressorts de juridiction. Ces ressorts, depuis le XIVème siècle, n'ont, pour ainsi dire, point été modifiés, si ce n'est que Pontivy a absorbé Rohan ; ce sont : Corlay pour la seigneurie de Corlay, Loudéac pour le territoire de la forêt de Loudéac, Gouarec pour la châtellenie de Gouarec, Baud pour la partie sud de la seigneurie de Rohan, et enfin Pontivy pour tout le reste de cette même seigneurie. Rohan n'a plus qu'un juge, détaché de Pontivy, qui, une fois la semaine, va y tenir audience ; La Chèze est rentré dans le giron du Porhoët dont, en réalité, elle a toujours féodalement dépendu. Chacun des sièges a, toutes les semaines, « délivrance ordinaire » de justice et, une fois l'an, des « plaids généraux ». Tous les justiciables de la Vicomté peuvent, en outre, librement et sans assignation, présenter leurs causes pendantes aux grands plaids ou parlement de Noyal qui se tient solennellement durant la grande foire de ce lieu. Les assises de Noyal commencent le 7 juillet, au lendemain de l'ouverture de la foire, et se prolongent pendant plusieurs jours ; « la délivrance faite, s'en retournent lesdits sujets chacun à sa barre ordinaire » [Note : Mém. de 1479. Un arrêt de la cour de Ploërmel, de 1463, dit que les plaids de Noyal duraient huit jours et non pas quinze ou vingt, comme le prétend Jean II de Rohan].

En l'absence de l'alloué du Vicomte, au sénéchal féodé et héréditaire revient la présidence de tous les plaids ; mais, le plus souvent, celui-ci les « expédie » par son lieutenant dont la nomination est soumise à l'agrément du seigneur. Par tous les moyens, le Vicomte cherche à diminuer et abolir les gênantes prérogatives du sénéchal féodé ; il ne laissera échapper aucune occasion de léser celles-ci. Sous prétexte que le lieutenant du sénéchal remplit mal ses attributions, Alain VIII refuse la collation et veut supprimer l'office. Mais le sénéchal proteste énergiquement, en appelle à la justice ducale qui, par sentence de la cour de Ploërmel, en date du 5 octobre 1407, lui donne raison et confirme ses droits [Note : D. M. II, 799]. Malgré tout, au cours du XVème siècle, la position du lieutenant s'est modifiée désavantageusement. Suivant l'accord de 1258, le sénéchal et son représentant doivent exécuter les ordres du Vicomte ou de son alloué, faire les prises et citations ; ils sont sous leur dépendance, mais en leur absence ils peuvent, l'un ou l'autre, tenir les plaids. Or, acceptant de mauvaise grâce la prééminence de l'alloué, le sénéchal de bonne heure s'est abstenu de siéger aux plaids ; son représentant a exercé à sa place, mais sous l'autorité toujours plus restreinte de l'alloué, de sorte que celui-ci est reste seul juge en fait. C'est ce qui semble ressortir des lettres de réception de Jacques de Lantivy de Kernazel, comme lieutenant du sénéchal féé de la Vicomté, en 1519. L'officier, dit Jacques de Rohan, « sera tenu comparoir et assister à noz plez en présence et en compagnie de l'alloué de la Vicomté... » [Note : B. N. fr. 22337, f. 215, et fr. 22341, f. 309]. Il n'est plus question ici de présider les plaids.

François de Kermingol, sieur du Verger, reçu lieutenant au nom de Jeanne de la Chapelle, le 15 décembre 1540, est certainement un des derniers mandataires du sénéchal féodé. Avant lui, ont exercé cette charge : Jean Talhoët, Jean Robelot, Jean Jocet, Louis de Lopraic, Eon Rolland, Jean Loret, Robert de la Martinière, Jean de Kerguezengor, Jean du Bouhier (figurant tous dans une enquête de 1481), Louis Fraval (1485), Guillaume Maillart (1499), Guillaume Maillart sr de la Boulaye, sans doute fils du précédent, présenté le 29 août 1506 par Louise de Malestroit, tutrice de Guyon de la Chapelle. Enfin, après Jacques de Lantivy et François de Kermingol [Note : Dans le procès relatif à l'extinction de la charge de Sénéchal féodé, celui-ci est appelé François Ravigol. Sans cette dernière orthographe, nous aurions identifié Kermingol avec Rumengol] on rencontre François de la Coudraie, lieutenant du sénéchal féodé, en 1590 [Note : Beaucoup de ces noms sont fournis par un état des grands officiers de la maison de Rohan (Nouv. acq. fr. 4709)]. En ce qui concerne les fonctions de la sergentise qui leur appartiennent, les titulaires de la sénéchallie ont aussi un mandataire ; Louis de Kercado exerçait comme sergent feodé de la Vicomté, au nom de Jeanne de la Chapelle, épouse de Raoul du Juch (1520), et encore, en 1548, Alain de Rosmadec présente au sire de Rohan un officier pour serpenter le grand bailliage de la Vicomté [Note : Productions de 1639, lors du procès avec Marguerite de Rohan].

On aura remarqué, par ce qui précède, que les grands sénéchaux de Rohan avaient parfois des motifs d'empêchements essentiels pour ne pas, par eux-mêmes, rendre justice et exercer la sergentise ; la sénéchallie, en effet, par droit successif d'aîné, pouvait tomber en quenouille, ou se trouver en tutelle.

Les Vicomtes, à cette époque, laissent donc généralement à leur alloué le soin de tenir les plaids des barres particulières et des grands jours de Noyal. Jean de Rostrenen est obligé de remonter dans ses souvenirs à vingt années en arrière pour trouver un Rohan à l'assemblée principale des plaids ; d'après ce témoin, Alain IX aurait « hanté » la Noyale en 1459 [Note : Mém. 1479]. Pendant les grands jours, le cours de toutes les justices inférieures est suspendu et les affaires pendantes sont évoquées à Noyal. En principe, les vassaux roturiers et nobles doivent sans exception y comparaître afin de rendre leur hommage et avouer les rentes ; « congé » leur est donné pour se retirer. La comparution des arrière-fiefs est réglée suivant l'ancienneté et l'importance des seigneuries. Une querelle de préséance aux assises de Noyal est rapportée par le même Jean de Rostrenen. Le procureur du sire de Laval et Olivier de Rohan se disputaient, l'un à cause de Camors et Moréac, l'autre à cause du Gué-de-Lisle ; chacun prétendait se délivrer le premier à congée de personne et de menée ; finalement le seigneur du Gué-de-l'Isle l'emporta. Aux causes pendantes des barres ordinaires de la Vicomté et des justices seigneuriales inférieures s'ajoutent les causes des marchands forains.

L'alloué de la Vicomté est alors, nous le répétons, le premier juge réel, par conséquent un personnage considérable ; aussi, il semble opportun d'ajouter quelques noms à ceux que nous avons déjà donnés au chapitre précédent.

Olivier de la Motte est alloué de la Vicomté en 1315,
Gilbert de la Houlle en 1322-2 [Note : Gilbert de la Houlle était en même temps alloué de Rohan et de Porhoët],
Guillaume Arturi en 1410,
Michel Desprez en 1425,
Yves de Quilbignon....,
Guillaume de la Loherie en 1439 [Note : On trouve : de la Locrie, Lalorié. Il était sénéchal de Gouarec, en 1435],
Jean Huguet seigneur de Vaene en 1451 [Note : Jean Huguet semble avoir exercé en même temps comme sénéchal de la Chèze et alloué de la Vicomté],
Jean Loret.....,
Jean de Lespervier en 1463-1468 [Note : L'Epervier ou Lesprevier était également sénéchal de la Chèze et alloué de la Vicomté],
Jean Dindo en 1479,
Alain Avaleuc en 1480,
Pierre Audren en 1522,
F. Daniel en 1545,
François Berard en 1555,
Louis de Cadillac en 1590-1595.

A la fin du XVème siècle, l'alloué de la Vicomté reçoit 120 livres de gages, plus « les distributions » [Note : Mém. de 1479].

Si l'on descend aux juridictions particulières de Pontivy, Corlay, Gouarec, Loudéac et Baud, on trouve comme officier principal un sénéchal qui remplit les fonctions de juge ordinaire et doit vraisemblablement prendre part à l'administration de la seigneurie, surtout dans l'exécution des ordres et mandements du seigneur ; il est parfois assisté d'un lieutenant qui le supplée pour la justice, et d'un receveur chargé de la recette particulière. Ainsi, la châtellenie de Corlay a des receveurs appelés châtelains ; nous connaissons Yvon de Keraudi, châtelain en 1494, et Michel de Guergorlai en 1529 [Note : Le Vicomte soutient que la juridiction de Corlay a, de tout temps, été qualifiée de chatellenie, et que les receveurs sont encore appelés chatelains, 23 février 1493 (Arch. C.-du-N., E 1704)].

Les charges dont nous venons de parler, sont recherchées de la noblesse, mais on sait que, malheureusement, par occasion, celle-ci abusait de l'autorité que lui conféraient ses prérogatives ; des gentilshommes se conduisaient comme des gens sans aveu. Jehan de Rimezon, durant qu'il fut lieutenant de la juridiction de Pontivy, se livra aux plus audacieuses prévarications. Au cours d'une enquête de 1506, dix-sept témoins viennent certifier des « pilleries et vexations » dont l'officier seigneurial se rendit coupable, mettant la justice à l'encan et débattant à prix d'argent la liberté des détenus. Un certain Olivier de Remungol qui possédait hébergement à Plumeliau, était, semble-t-il, de connivence avec Rimaison. Ce qui, par contre, ressort de cette affaire, c'est que le seigneur de la juridiction poursuivait et punissait les coupables, quel que fût le rang auquel ils appartenaient [Note : Arch. Morb. — Revue de Bretagne. Octobre 1912].

Les contredits ou appels sont portés directement des barres de Rohan et de Porhoët à la cour de Rennes, premier siège souverain, avec Nantes, après le Parlement. C'est là un privilège exceptionnel ; les hautes seigneuries et les baronnies ressortissent généralement à la sénéchaussée et, de celle-ci, les appels vont au siège de Rennes ou de Nantes, enfin au Parlement. Pour les vassaux d'arrière fief, la règle est que les appels suivent exactement l'ordre des mouvances. Encore, la Vicomté de Rohan n'est-elle pas seulement sujette à la justice ducale en cas d'appel, les premières instances mêmes sont de la juridiction souveraine aux jours des obéissances et menées pendant lesquels la justice ducale entre en connaissance des affaires personnelles du seigneur et des causes des arrière-vassaux qui lui sont portées.

On se rendra compte, par ce qui suit, dans quelles conditions le sire de Rohan se délivre à Ploërmel.

Le sire de Rais ayant réclamé à la cour ducale de Nantes de jouir des mêmes privilèges de justice que le Vicomte de Rohan, à Ploërmel, Bertrand Millon, sénéchal de ce siège, exposa, par certificat du 5 janvier 1448, quelles étaient les prérogatives du Comté de Porhoët et de la Vicomté de Rohan aux plaids de la sénéchaussée. La déclaration de Bertrand Millon, contresignée des autres juges, ses associés, offre pour notre étude un intérêt capital, car elle nous fait assister à un acte important des assises de Ploërmel et nous apprend quelles étaient, au milieu du XVème siècle, les relations exactes du sire de Rohan avec son suzerain, au point de vue judiciaire.

Voici ce que dit le document dont nous suivrons de très près le texte :

Le Vicomte a coutume de se délivrer directement, ou par procureurs, au premier jour des plaids généraux de Ploërmel « a congié de sa personne... et aussi de menée pour ses sujets », d'abord pour le Comté de Porhoët et ensuite pour la Vicomté de Rohan, devant le sénéchal ou son alloué, tenant le grand siège, « et non point devant lieutenant ne autre commis juge, ne en autre auditoire ».

S'il y a des plaintes sur les tenues du seigneur, pour empiètements de justice ou autres préjudices, elles sont exposées par les officiers du duc qui en requerrent réparation.

Quand un des sujets du seigneur est cité la barre de Ploërrnel, à instance de particulier ou d'office, l'assignation doit être adressée par le sergent du duc au sergent du Vicomte [Note : Il s'agit ici du grand sergent féodé ou sergent au grand bailliage de la Vicomté] pour la faire connaître et exécuter ; si le sergent du duc agissait directement, sans passer par l'intermédiaire susdit, la citation ne serait pas valide et le défendeur n'aurait pas à y répondre, même, celui-ci, le Vicomte et son sergent seraient fondés à demander dédommagement et à réclamer une amende.

Cette formalité d'assignation est obligatoire, sauf dans le cas d'un délit où le sergent ducal, étant présent, aurait pouvoir de procéder par lui-même.

Pour ce qui touche les citations adressées à la personne du seigneur ou aux officiers, ses représentants, tant à instance de parties que d'office, elles doivent se faire par le sergent ducal.

Après l'examen des causes présentées par les officiers du duc contre le seigneur, le procureur de Porhoët et après lui le procureur de Rohan [Note : Il s'agit évidemment du procureur fiscal], demandent qu'on leur accorde les délais en usage pour « parlier » [répondre] et se font excuser pour les ajournements nouveaux. Par ces procédés dilatoires, ils peuvent, à deux termes, empêcher leurs sujets de venir à la cour, la première fois en demandant un délai, et la seconde en présentant une excuse ; mais à la troisième sommation le sujet est tenu de comparaître par lui-même ou par procureur, sans quoi, défaut est prononcé contre lui et la relation du sergent ducal fera foi en ce qui concerne l'ajournement et le fait d'accusation.

Quand le Vicomte, à cause du Porhoët et de la Vicomté, en ce premier jour des assises, a obtenu ses ajournements, les autres seigneurs qui ont l'habitude de se délivrer aux plaids, le même jour, tant pour eux que pour leurs hommes, ont leurs ajournements en la même forme que précédemment. Une fois ces ajournements donnés, justice est rendue au sire de Rohan pour ses affaires particulières, à commencer par les affaires du Porhoët, et sans interruption, sauf toutefois si le procureur de la sénéchaussée a quelque cause pressée ou s'il se trouve un mandement du duc à publier. Qu'il se produise opposition à ce mandement, à moins que le sire de Rohan n'y consente, la discussion est renvoyée à l'issue de l'expédition des affaires du Vicomte. Celles-ci étant terminées, il est rendu justice aux autres titulaires de fiefs ayant droit à la « congée » de personne.

Après cette justice personnelle des seigneurs privilégiés de la sénéchaussée, la « menée » de Porhoët [Note : Les vassaux que le comte de Porhoët a menés avec lui pour être expédiés devant la barre supérieure et qui ont démandé à se présenter à la session des plaids de la cour ducal] est alors appelée devant le sénéchal ou son alloué, tenant le grand siège, « et non devant le lieutenant ne aultre juge commis ». La menée de Rohan vient à la suite de celle de Porhoët. Quant aux menées des autres seigneurs, elles sont appelées à leur rang devant l'alloué ou le lieutenant. Les menées de Porhoët et de Rohan ne doivent pas être interrompues, excepté cependant si, par suite de leur nombre, les affaires ne peuvent être réglées le même jour. Cependant les prérogatives de justice n'en doivent souffrir aucun dommage et les congés de personnes [Note : Les causes personnelles des seigneurs qui ont droit de se délivrer le deuxième et le troisième jour] qui viennent régulièrement au deuxième et au troisième jour des plaids sont maintenues à leur rang ; les causes des vassaux de Porhoët et de Rohan ne doivent être reprises qu'à la suite de ces congés. Nonobstant tout ce qui précède, le sénéchal peut fixer jour durant les plaids pour délivrer des offices.

Quand les vassaux du sire de Rohan ont reçu justice, ses procureurs peuvent demander que ceux-ci se retirent et la session des plaids est close. Si les parties sont déclarées hors de cause, elles sont renvoyées devant les dits procureurs, « nonobstant contestation de pleit ou aultres espleds qu'ils eussent entreux, s'il n'y a jugement en garde de court, ou sauvegarde, ou atemptat proposez » ; si les parties n'ont pas été mises hors de cause, la cour les renvoie à la prochaine session des plaids [Note : D. M. II, 1441].

Si les plaids généraux de Ploërmel coïncident avec les plaids généraux de Noyal, fixés à date régulière, le Vicomte de Rohan n'est pas tenu de se rendre à la cour ducale ; prérogative reconnue et sanctionnée par arrêt du 24 septembre 1463 [Note : B. N. fr. 8269].

Quant à la justice criminelle, elle se rend régulièrement dans la Vicomté. Les malfaiteurs y sont punis de mort par un exécuteur que les Rohan nomment de droit. Regnaud des Bois et Jean de Rostrenen ont vu Olivier de Quezouret [Note : Nous supposons qu'il faut lire : Querizouet] et Yves Gobelet, ce dernier natif de Locminé, exercer leur office de bourreau dans les fiefs de Rohan et de Porhoët. Le duc dépourvu d'exécuteurs, les fit même venir à Vannes trancher des têtes. Une fois durant sa vie, le Vicomte peut grâcier un de ses sujets ; il est justicier suprême car, jusqu'en 1536, l'appel des sentences criminelles n'existe pas en Bretagne.

Jean II de Rohan auquel le roi Charles VII devait beaucoup, et qui dans son âge avancé se contentait de « décorer et embellir » ses terres, obtint d'augmenter les fourches patibulaires de la Vicomté en les portant de quatre « potz » de bois à six « potz » de pierres, « avec chevallet au dessus ». Il y avait donc distinction établie, non seulement dans le nombre des pots, mais aussi dans les matériaux qui servaient à leur construction [Note : Lettres royales du mois de septembre 1496 (D. M. III, 785). Nouvelles lettres d'Anne de Bretagne, du mois de septembre 1505, et confirmation de Louis XII du mois de novembre (Arch. Kerguehennec). De la même époque (1491), on trouve des lettres patentes d'Anne de Bretagne pour les patibulaires de Bon-Repos].

***

Devoirs et corvées des vassaux.

La déclaration de 1471 est malheureusement extrêmement diffuse en ce qui concerne les devoirs des vassaux vis-à-vis du seigneur.

Le domaine est subdivisé en bailliages, arrondissements plus on moins étendus de tenues [Note : Etendue d'une paroisse ou même d'une section de paroisse] dont les rentes et les redevances féodales doivent être cueillies par un seul collecteur, dit sergent bailliager, lui-même continuateur du bailli ou prévôt rencontré aux XIIIème et XIVème siècles. Ces derniers, pour une raison ou pour une autre, ont disparu de la scène et leurs auxiliaires immédiats dans l'administration seigneuriale se sont trouvés naturellement désignés pour remplir leur charge, du moins en partie.

Le sergent bailliager présente les rentes ainsi recueillies, au receveur particulier, ou à celui qui en tient l'emploi.

Très variables sont les rentes quant à leur nature, à leur importance, à leur mesure, à leur désignation. Il y a les rentes par deniers, les rentes par grains (froment, seigle, avoine), les redevances de poules et chapons, qui frappent les tenues à héritage comme les tenues à domaine congéable, et auxquelles s'ajoutent les corvées et les obligations féodales. Les rentes en monnaie dues par les villes sont appelées censives ; les treguisières ou trevisières sont des rentes en grains qui semblent ne se distinguer des autres que par le nom ; les chefrentes se rapportent aux « fiés gentils » ou terres nobles, parce qu'elles tirent leur origine de concessions de terres aux seigneurs d'arrière fief. Les mesures les plus communes sont celles de Baud, de Pontivy, de Corlay, et la mesure Caignarde. On se sert ordinairement comme capacité du boisseau, de la pairée, du quart ou quartier, de la cuve, de la petite et grande crublée [Note : La cuve pour avoine vaut trois boisseaux d'avoine menue ou un boisseau, et demi d'avoine grosse. A Naizin, il faut sept grandes crublées pour faire une cuve, à Pozcussec, il faut cinq petites crublées pour faire une cuve (Aveu de 1471). Cela paraît invraisemblable]. Les termes sont à la moitié, au tiers ou au quart.

Parmi les rentes en argent, signalons la rente appelée garde que les « bourgeois et tenours de Locmenech..... taillent et régaillent par eux chaque an » [Note : 30 # à la mi-aût et 30 # le 1er février], la viande de Noël dérivée de l'ancien droit de gîte que les fiefs gentils des bailliages de Baud et de Largoët payent le 2 janvier [Note : 4 # 3s 2d. Nous ignorons l’origine de ce fief de Largoët dont un ruisseau a conservé le nom jusqu’à nos jours, il comprenait six villages], les conquest de Largoët dus encore par les nobles de ce bailliage [Note : 62 sous en août et 62 sous à Noël] de Malguenac et qu’on appelle mellage et barach [Note : 18 sous à Noël pour le mellage et 15 deniers avec froment en août pour le barach], et encore un curieux devoir de 10 livres au bailliage de Cleguerec, nommé la viande à chiens.

Le guet est un devoir qui tire son origine de l’assistance des vassaux roturiers à la défense du domaine qu’ils exploitent. Par suite de la ruine complète des châteaux de Corlay et de Pontivy, les Vicomtes, lors de l’aveu de 1471, ne prélèvent ce droit qu’à Rohan, où il est même question de « reguet » ; à La Chèze et à Josselin pour le Porhoët. Les Salles de Perret ont été omis, puisqu’en 1682 ce château lève le guet à raison de six sous par feu. Les lettres ducales rétablissant le guet à raison à Pontivy et à Corlay, autorisent le Vicomte et ses officiers à « contraindre lesdits hommes et sujets à la garde desdites places, ou à payer accens de guet selon l’usement du pays et la constitution du Parlement touchant ce fait de l’an 1420 » [Note : D. M. III, 525. Confirmation du roi, le 23 décembre 1491 (B. N. fr. 8269 f. 361). La constitution de 1420 ordonne : « il ne sera levé sur celui qui se accensera en plus large que la somme de seix soulz par an sauf au seigneur ou son capitaine de contraindre sans poier accens ». Planiol]. Faute de défenseurs les seigneurs peuvent appeler encore à cette époque leurs sujets sous les armes. Jean de Rostrenen a vu les vassaux du Porhoët faire le guet à Josselin. Mais, le recours aux armes reste une exception. Le guet consiste ordinairement au XVème siècle en une redevance pécuniaire réservé à l’entretien des forteresses ou à la solde en une redevance pécuniaire réservée à l’entretien des forteresses ou à la solde des hommes qui en ont la garde. Le guet frappe les vassaux de proche fief et d’arrière fief ; il s'étend sur tout le territoire de la châtellenie et se perçoit à 5 ou 6 sous par feu [Note : Voir la note précédente]. De fréquents litiges sont soulevés par la levée de ce droit. Quand Jean de Rohan voulut rétablir le guet de Corlay à Merléac, les paroissiens firent opposition aux collecteurs et tentèrent le refus d’imposition. Naturellement un procès s’en suivit qui, au bout de trois ans, aboutit à un accord. Il fut convenu, entre Charles de Kerriec sr du Moustoir, procureur spécial du Vicomte, et l’assemblée des paroissiens se tenant dans l’église de Merléac, que ceux-ci verseraient cinq sous de guet par an, au lieu de six, et que les veuves et les mineurs, au-dessous de quatorze ans, en seraient exempts. Restait au seigneur le choix du devoir effectif ou du cens, avec, en outre, le droit de requérir les paroissiens pour le curage des douves du château ou autre corvée semblable [Note : Acte du 22 fèvrier 1493, Arch. C.-du-N. E 1704].

Il va sans dire que Merléac n'est pas seul assujetti aux corvées du château de Corlay, mais encore toutes les paroisses de la châtellenie, de même que tous les hommes de la Vicomté, sont astreints à l'entretien des moulins [Note : Aveu de 1471].

Les actes ne parlent pas des corvées extraordinaires pour la réédification des châteaux, notamment à l'effet d'amener les matériaux nécessaires aux nouvelles constructions ; elles n'en existent pas moins partout en Bretagne [Note : Dans l'aveu de 1471, il est bien dit que les hommes du bailliage de Rohan doivent « lever le boays des œuvres et réparation du château »].

Outre le guet, l'entretien des châteaux et des moulins, les autres obligations féodales s'appliquent à l'exploitation des terres de la réserve, au service personnel du seigneur, à la chasse seigneuriale et à la garde des prisonniers.

Les sujets de la paroisse de Noyal sont tenus à « fenner, râtelier, charroyer » les foins des prés de Rohan, de Tremussan [Note : Tremuzon sur l'Oust, en amont de Rohan et à hauteur de Saint-Gonnery] et de Pontivy ; ceux de la juridiction de Corlay, à clore les prés ; ceux de Gouarec, à transporter le foin de Gouarec aux Salles de Penret. Lorsque le seigneur réside à Rohan, Pontivy ou Corlay, les vassaux vont chercher dans les forêts tout le bois nécessaire à la maison du Vicomte ; ils sont chargés d'assurer le service des lettres et des vivres, de porter venaison ou gibier, objets de détail..., etc. Si, pour le seigneur les officiers s'approvisionnent aux grandes foires de Noyal, les sujets de cette paroisse doivent le « portage », de même qu'ils ont à faire le transport, de Pontivy à Penret, de tous les objets mobiliers nécessaires pour le séjour du Vicomte au manoir des Salles. Les habitants de Pontivy lui bâillent « couettes, couvertures et serges » pour le même séjour, et, en été, ils doivent se livrer à la pêche afin de le fournir de poisson. Le devoir de huée est un des plus répandus dans le Rohan. La hue consistait à rabattre le gibier sous bois avec force cris ; c'est de là que nous vient l'expression « chasser à cor et à cris ». Pontivy, Ruban, Noyal, Gouarec, Corlay et, bien entendu, les vassaux des forêts, doivent la huée.

Quant à la garde des prisonniers, elle est assez compliquée, vu qu'il n'y a de prison qu'à Rohan, L'ancien chef-lieu, et que, avant, durant et après les plaids, les bourgeois et manants des sièges particuliers de juridiction sont rendus responsables des prisonniers. En cas de condamnation, ils doivent les escorter jusqu'au lieu du supplice ou à la geôle du château de Rohan. Comme alors les plaids de Rohan se tiennent à Pontivy, les habitants de cette première ville conduisent les détenus à la justice de Pontivy, puis les ramènent s'il y a lieu à Rohan. Dans la juridiction de Corlay, les sujets du village de Kergadou, en Saint-cayeux, ont mission spéciale de mener les prisonniers à Rohan ; mais en raison de la longueur du trajet, ils sont exempts d'autres corvées, sauf toutefois la huée.

Bourgeois et villageois répondent des justiciables. Ils font ce service à tour de râle ; « s'ils défaillent ou qu'ils soient en coulpe, le Vicomte les peut punir comme geôliers déliquants » [Note : Enquête de 1479]. Au commencement du XVIème siècle, les habitants de Pontivy voulurent s'affranchir d'une obligation peu digne de nobles bourgeois.

Pontivy qui, progressivement, avait grandi au point de devenir la ville principale de la Vicomté, qui possédait un château nouvellement construit, un couvent de Cordeliers, deux hôpitaux [Note : Enquête de 1479]., sept foires annuelles et un marché hebdomadaire, des halles ou cohues, une maison de justice joignant au four banal et située « sur la place au blé devant l'église paroissiale » [Note : Reconstruction du four banal. Acte du 21 mars 1453. (Arch. de Kerguehennec)], ne pouvait se passer de geôles. C'est effectivement ce qui ressort d'un débat entre les bourgeois et le Vicomte de Rohan. Ceux-ci reconnaissent bien avoir de tout temps assuré la garde des prisonniers, mais certifient n'avoir jamais fait la conduite à Rohan. Pour un motif qui reste ignoré, le seigneur prétendit faire renaître l'ancienne coutume, mais finalement il accepta une transaction avantageuse. Les Pontiviens rachetèrent le devoir de garde et de conduite et « franchirent leurs héritages » moyennant trois cents livres [Note : Acte du 16 juin 1503. (Arch. Pontivy AA)].

***

Commerce. Foires et marchés.

Nous parlions à l'instant de foires et de marchés, on sait que ces assemblées, créées pour favoriser les échanges, permettaient la perception de droits seigneuriaux fixés par la coutume. Gens du dehors et gens de la localité, librement ce jour-là, exposaient et commerçaient, à certaines conditions toutefois de taxes sur l'étalage et le mesurage auxquelles nul ne pouvait se soustraire.

La coutume n'est pas encore contrôlée, mais le souverain se réserve toute création de foires, avec ou sans coutumiers [Note : Etablissement d'une foire à Pontivy au jour de la Sainte-Anne, 2 octobre 1417 (B. N. fr. 22332). — Rétablissement d'un marché à Rohan, 14 février 1476 (Reg. de la Chanc.). — Etablissement d'un deuxième marché à Pontivy, le vendredi. Octobre 1584 (Reg. Parlement)... etc]. Cette concession entraîne des obligations pour le seigneur, trop souvent porté à n'y voir que la réalisation de ses profits, et à ce propos nous rappellerons une pièce intéressante où perce le souci des réformes chez le duc Jean V. Celui-ci est connu pour son amour du peuple et la protection qu'il accorda au commerce et à l'industrie. A la suite d'une crise économique survenue en Bretagne, il défendit l'exportation, hors du duché, des objets et denrées dont la conservation en ce pays lui semblait utile ; nécessairement, par mesure de conséquence, il dut se préoccuper de développer les échanges à l’intérieur. C'est sans doute pourquoi la cour ducale de Ploërmel reçut l'ordre de faire exécuter, même de rigueur, les ordonnances relatives à l'établissement des foires. Alain VIII fut mis en demeure d'édifier sans délai des cohues à Josselin, La Trinité, Pontivy, Corlay, La Chèze, de réparer les ponts les plus fréquentés, de mettre en état les fours du Porhoët et de la Vicomté [Note : Causes pendantes à Ploërmel entre le duc et le Vicomte de Rohan. Instance de procès pour faire édifier cohues à Josselin... etc., réparer ponts et fours ès terrouers de Rohan et de Porhoët, 1420 (Château d'Auray)]. Sur les entrefaites, le Vicomte mourut et son fils ayant à régler les dépenses de la succession, se vit obligé d'adresser au duc une demande de sursis pour répondre à l'ajournement du procureur de Ploërmel [Note : Lettre du 30 septembre 1429 (Arch. de Kerguehennec)].

Dans la seconde moitié du XVème siècle, Noyal et Corlay possèdent trois foires, Rohan quatre, Pontivy sept, Baud et Gouarec deux. Chacune de ces localités a son marché hebdomadaire ; de même les bourgs de Saint-Léon, Loudéac, Locminé, La Trinité. Les coutumes de foires à Rohan rapportent au seigneur la faible somme de 12 # tandis qu'à Pontivy et à Corlay, elles lui procurent 180 # [Note : Sur les revenus des coutumes et des fermes de la ville de Pontivy, la famille d'Estuer recevait; par la main du receveur de la Vicomté, la rente annuelle de 50 # 10s]. Perret eut aussi ses foires. Nous les trouvons mentionnées, pour la première fois, dans certaines lettres d'Anne de Bretagne qui exemptent d'un billot les régaires de Saint-Pol, Treguer, Saint-Brieuc, « les lieux de Rheuys, Saint-Aubin-du-Cormyer, la forêt de Brecellien… les foires que l'on tient en la paroisse de Noyal, Rohan, Penret » [Note : Lettres du 20 mai 1504. (Arch. com. de Sarzeau)]. La duchesse ne fait que confirmer une franchise ab antiquo dont l'origine doit remonter aux premières tentatives des Vicomtes pour établir un courant d'échanges sur leurs terres [Note : Les aveux de 1471 et de 1682 et le Mémoire ne s'accordent pas absolument sur la nature et l'étendue de ces franchises].

Chose assez curieuse, les « manans et demeurans » des forêts de la Vicomté jouissent de franchises exceptionnelles : exemption de tailles, fouages, taxes de toutes sortes imposées par le duc ou les Etats, et ils peuvent librement aller à Rohan, Penret ou Noyal, débiter du vin . Les privilèges des forêts et des localités en question furent, à plusieurs reprises, sanctionnés par les ducs [Note : Mémoire 1479].

Les foires de la Vicomté, les plus anciennes et qui sont restées toujours les plus suivies, sont les foires de Noyal. Elles ont tiré leur nom des lieux mêmes où se tenaient ces assemblées : la Noyale, à Sainte-Noyale, premier siège de la paroisse, la Houssaie, où l'on peut admirer encore une jolie chapelle dédiée à la Vierge, et la Brolade, au village de la Brolade sur l'Oust, où devait certainement exister une chapelle à Saint-Broladre [Note : On trouve d'ailleurs, autant Broladre, Brolazre, que Brolade. A l'origine, les foires étaient très fréquemment instituées en l'honneur d'un saint et le clergé bénéficiait d'une partie des revenus de la foire. Brolade avoisinait le village de Signan qu'on retrouve encore sur la carte entre Pontivy et Cohazé, Le pont actuel de Signan n'est-il pas l'ancien « pont de Brolade » qui servait aux communications de la foire ?].

Ce qui a surtout contribué au succès des foires de Noyal, c'est qu'elles étaient libres et exemptes de coutumes et trépas [Note : Les trépas ou péages atteignent toutes les marchandises qui traversent le domaine seigneurial, On les perçoit généralement au passage des ponts, mais parfois aussi sur les routes] ordinairement imposés ailleurs. La foire dite de Noyale, fixée au 6 juillet, attirait un concours particulier de peuple, parce qu'elle était accompagnée des grands plaids de la Vicomté, où venaient nombreux les officiers, les vassaux nobles et roturiers ayant à requérir justice ou à rendre hommage, les sujets faisant négoce ou vendant le produit de leurs terres ; on s'y donnait rendez-vous de fort loin, des évêchés de Saint-Malo, Saint-Brieuc, Vannes et Quimper. « Foire authentique, la plus renommée, dit un arrêt de 1463, où il abonde plus de gens et marchands que en aultre de ce pays et duché et de toutes les basses marches de France » [Note : B. N. fr. 8269]. En 1522, lorsque l'amiral Thomas Howard, avec une flotte anglaise de soixante navires, vint attaquer Morlaix, la ville se trouvait complètement dégarnie ; les principaux bourgeois et les gouverneurs étant partis pour la foire de Noyal qui se tenait à vingt lieues de là.

L'ouverture de la foire était précédée de la « levée du gant » par le receveur de la Vicomté qui, à travers les rangs des forains, promenait solennellement l'insigne seigneurial et donnait ainsi le signal des transactions commerciales. Les denrées échangées avant la levée du gant étaient confisquées et acquises au seigneur qui en disposait à son gré. A Bellechère, un peu à l'écart du reste de l'assemblée, se tenait le marché aux chevaux ; l'écuyer des écuries du Vicomte y venait, avant tout autre, faire un choix pour son maître.

Si les forains se prenaient de querelles ou de contestations, il leur était rendu justice immédiatement par les officiers des plaids et, pour veiller aux marchandises, le guet de nuit était assuré par les vassaux de la paroisse de Noyal. A la tombée du jour, ceux-ci, armés de bâtons, se présentaient devant le receveur, ou son commis, chargé d'organiser ce service.

Le Vicomte a ses mesures de contenance pour les grains et les liquides, et ses mesures de longueur pour les draps ; au moins une fois l'an, et moyennant quatre deniers, les commerçants devaient « estalonner leur verge », c'est-à-dire contrôler leur aune sur la mesure autorisée.

Ainsi se trouvaient garantis l'ordre, le bon droit et la probité. Bien au contraire de ce qu'on pourrait peut-être penser, les officiers usaient rarement de rigueur contre les trafiquants [Note : Jean de Rostrenen dit qu'il « n'a point vu que les officiers usassent de rigueur contre les marchands ». Enquête de 1479] et le Vicomte lui-même intervenait pour faire cesser des tracasseries suscitées mal à propos. En 1476, les fermiers de la traite foraine [Note : La traite, droit levé sur les marchandises qui entrent ou sortent du duché] se plaignirent que les forains de Noyal se rendaient coupables de fraudes à leur préjudice, fraudes protégées, disaient-ils, par les officiers du Vicomte. Mais, de son côté, le seigneur de Rohan formula ses griefs à la cour de Ploërmel, accusant les agents du fisc de molester les commerçants. François II envoya son alloué enquêter sur place et, en forme de conclusion, il rappela chacun aux règlements « Les marchands qui exportent paieront la traite sous peine de 60 # d'amende et confiscation de marchandise, ceux qui revendent dans le duché devront prendre lettres de vérification » [Note : Lettres de François II du 27 juin 1476. Arch. Kerguehennec. — Les foires de Noyal perdirent, dans la suite une partie de leurs franchises ; à la fin du XVIIème siècles étaient soumises « à l’étalage, coutume, aunage et mesurage », ne conservant que l'exemption de traite foraine et de billot].

***

Impôts.

Outre les rentes que les sires de Rohan percevaient chaque année sur les vassaux, ils frappaient ceux-ci de taxes extraordinaires ou plus simplement doublaient les rentes et chefrentes, dans les occasions exceptionnelles, soit pour payer une rançon lorsqu'ils étaient prisonniers de guerre, soit pour subvenir aux dépenses de leur mariage ou à l'établissement de leurs enfants [Note : Ces perceptions extraordinaires étaient encore admises au XVIIème siècle. Louis de Rohan-Guémené donna ordre en 1639 à son fermier général « de percevoir à raison de son mariage le double des rentes et chefrentes qui lui sont dues en temps ordinaire ». Arch. C.-du-N. B 316 ; juridiction Corlay].

Les souverains de la province ne pouvaient imposer les sujets de la Vicomté sans le consentement formel du titulaire de la seigneurie, ce qui fait dire à Jean de Rohan dans son Mémoire : « Le Vicomte peut subvenir au duc non seulement par hommes mais par deniers... ; lorsque besoin est en fait, consent et octroye aux Etats du pays que ses hommes et sujets baillent au prince pour l'entretien et garde du païs, tribus, rouages, tailles, impôts ».

Il faut cependant observer que, depuis le règne de Jean Le Roux, cette liberté d'imposition fut soumise à l'autorisation du souverain [Note : Ordonnance du 1er février 1386 qui interdit aux seigneurs laïcs et ecclésiastiques de mettre sur leurs sujets ni imposition, ni taxe, ou subside quelconque, sans autorisation expresse du duc]. Par là le duc posa le principe de l'exclusivité du droit d'impôt pour le souverain, car si les services publics ou ies guerres nécessitaient des subsides, les barons et grands feudataires ne pouvaient les lui refuser ; si, à leur tour, les seigneurs se trouvaient dans l'obligation de faire appel à l'épargne de leurs sujets pour réparer leurs châteaux ou opérer des payements extraordinaires, ils devaient solliciter une licence préalable [Note : Le 16 septembre 1386, Jean IV donna licence au Vicomte pour la levée de « livrages » qu'il avait coutume de percevoir sur ses vassaux, et il ajoute « comme nous avions fait défense à touz et chacun noz feaulx et subgez ne non lever, ne fere lever livrages ne impositions en nulle manière sinon par notre congié » ; Arch, L.-Inf. E, 129. — Voici cependant un cas qui semble aller à l'encontre des ordonnances ducales. Jeanne de Navarre, douairière de Rohan, leva un fouage de 20 sols « par le consentement des chevaliers et écuyers des terroirs que nous tenons en douaire, dit-elle, et du consentement et volonté de notre cher fils le Vicomte », 22 juillet 1400. D. M. II, 705]. Alain IX et Jean II de Rohan obtinrent des billots d'une ou plusieurs années [Note : Le billot, taxe sur la vente des boissons en détail] et, d'autre part, eux-mêmes consentirent à la levée de billots et de fouages sur leurs vassaux en faveur des ducs. Dans ce dernier cas, la levée est généralement faite par les receveurs du duché et, pour sauvegarder les droits du seigneur, le duc lui accorde des lettres de non préjudice où l'avenir se trouve réservé en ces termes « Voulons que le temps de l'impôt révolu nos droits et les leurs (des seigneurs de Rohan) soient entiers en l'état qu'ils l'étaient au temps de paravant ledit consentement... ». Souvent aussi, le duc y reconnaît les franchises dont nous avons parlé plus haut. Mais, à vrai dire, nous ne voyons pas, qu'à cette époque, le souverain ait besoin d'un accord avec le seigneur, ni même de son autorisation explicite ; tandis qu'au siècle précédent, c'est bien le seigneur qui dispose de l'épargne de ses sujets. Voyez plutôt comment le duc Jean IV obtient un écu d'or par feu dans la Vicomté : « Chacun nos hommes, dit le sire de Rohan, mensonniers et estaigiers, le riche aidant le povre, à estre esgaillé, levé et cueilli par noz gens et officiers chacun en sa terre.... et le duc commettra des commissaires pour quérir lesdits deniers en chacun noz terroirs. Ce fouage atteindra tous noz sujets de fiefs et arrière fiefs sans nul en excepter fors gentilshommes ayant hommes estagiers contribuant audit fouage et povres mendiants,... sauf un courtage de mille écus octroyé par le duc sur la levée audit Vicomte » [Note : 7 mars 1366. (B. N. fr. 22339)]. Un courtage ! le mot ni le moyen n'ont vieilli ; aujourd'hui encore pour obtenir d'un banquier ou d'une maison de crédit le service de ses clients, il faut consentir une forte commission.

Le fouage était la principale source alimentant les recettes du trésor ducal ; il se levait seulement dans les campagnes, mais était remplacé dans les villes par une autre contribution, dite taille ou aide [Note : Ajoutons que les deux ordres privilégiés, clergé et noblesse — à condition de ne pas faire de commerce — étaient exempts du fouage et de la taille ; de même que les métayers cultivant des terres nobles pour le compte de nobles]. Certains de ces impôts revenaient fréquemment, trop fréquemment pour n'être qu'une charge légère ; d'autant qu'il faut songer, quand il s'agit de billots et de traites, que la fiscalité ducale ne diminuait en rien les coutumes particulières des seigneuries [Note : Lettres de Jean V au Vicomte de Rohan, 18 octobre 1428. Arch. Kerguehennec]. Dans certains cas, la perception ne laissait pas d'être rigoureuse. Il nous souvient d'une enquête, remontant à 1252, au sujet d'un différend entre le sire de La Chèze, Pierre de Cheminé, et le prieur de La Trimité, dans laquelle il est déclaré, à propos de la taille, que si les maisons qui la doivent ne l'acquittent pas, le seigneur a le droit de faire enlever les portes des habitations jusqu'au paiement intégral de l'imposition [Note : Enquête faite par Alain, évêque de St-Brieuc, et Thomas de Chemillé. (B. N. fr, 22337, f. 200)].

***

Moulins.

Mais revenons à l'exploitation et à l'administration de la seigneurie qui n'ont pas été suffisamment étudiées. Le seigneur, on ne l'ignore pas, a le monopole des moulins et des fours auxquels sont astreints tous les vassaux du fief, domaniers et simples tenanciers. Nous avons parlé de la reconstruction du four de Pontivy ; à Corlay il y en avait un qui était affermé trente sous ; Gouarec et Rohan possédaient également le leur. La banalité du moulin est une des grosses ressources du revenu seigneurial. A l'époque dont nous nous occupons, les Rohan ont édifié des moulins sur presque tous les cours d'eau du terroir de la Vicomté ; surtout des moulins à blés, mais aussi des moulins à foulon et à tan. Ceux qu'on trouve mentionnés dans l'aveu de 1471 sont, pour la seigneurie de Rohan : les moulins de Rohan (à moudre et à fouler), de Pontivy (à moudre et à tanner), les moulins de Gouret, de la Roche, de Kereven, paroisse de Noyal, le moulin de Kerdréan en Cleguérec, le moulin Gallay en Melrand, le moulin de Chateaunoec près du passage de ce nom, le moulin de Telené en Guénin, le moulin de Kerdezel en Baud où il y a une pêcherie ; — pour la châtellenie de Goarec : le moulin du manoir des Salles, les moulins de Goarec et de Kerroc ; — pour la seigneurie de Corlay : les moulins à moudre et à fouler de Corlay [Note : Les moulins de Corlay sont les plus importants avec ceux de Pontivy ; ils rapportent au seigneur 160 renots de blé et 6 livres monnaie], les moulins de

Gocncan, de Doulas [Note : Moulins de Doulas sur lesquels les abbés de Bon-Repos prélèvent trois renots et Les abbés de Coetmalaouen neuf renots] et de Saint-Léon, ce dernier à blé et à foulon. Il faut aussi songer aux moulins d'arrière-fief — il n'existait, pour ainsi dire pas, de seigneurie inférieure sans moulin — dont ne bénéficiaient certainement pas les Vicomtes, mais dont usaient parfois leurs tenanciers, suivant certaines conditions.

***

Forêts : étendue, administration, élevage et forges.

Les forêts tiennent une grande place dans les aveux et le Mémoire. Bien que le bras du colon les ait fait sensiblement reculer, elles occupent encore environ le tiers de la Vicomté. Dans la seigneurie de Rohan on cite les forêts de Branguilly (ayant une lieue de long sur la moitié de large) [Note : Ne pas oublier que la lieue de Bretagne valait cinq des kilomètres de nos jours. — On fixe généralement l'ancien journal à environ 48 ares] et de Loudéac (quatre lieues sur deux), puis les bois détachés de Kergourio (200 journaux) et de la Haye (110 j.) proche l'Oust et la ville de Rohan, vestiges de « la forêt de Credin » dont il est question dans un acte de 1205, les bois ou « brousses » de St-Gelan (400 j.) [Note : Sans doute pour Saint-Géran], de Rostrar (12 j.) et de Noyal (200 j.) qui anciennement devaient se rattacher à Branguilly, les bois de Plessé (?) (100 j.), de Poulfan en Camors, de Telené en Plumelin et Guénin. La forêt de Quenechan (deux lieues sur une lieue et demie) avec ses dépendances, la forêt de Caffarn [Note : Pour Cavern ou Cavarn] et les brousses de Penret (1000 j.), le bois de Beduzic en Cleguérec (200 j.) couvraient la majorité de la châtellenie de Goarec. Sur le territoire de Corlay se voyaient la forêt de Poulancre (3000 j.), le bois de Kersol en Saint-Mayeux (20 j.) ; proche la ville de Corlay, les bois de Funoët (40 j.) et de Colloët (50 j.) [Note : Les contenances que nous produisons ici sont, bien entendu, celles de l'aveu de 1471. On ne peut se fier aux chiffres du Mémoire qui généralement doublent la réalité. D'ailleurs, les contenances des déclarations seigneuriales paraissent bien fantaisistes. En 1682, Branguilly aurait eu deux lieues de long sur une lieue et demie, et Quénécan est donné avec quatre lieues sur trois. — Le Porhoët possède la forêt de Lanouée : les témoins de l'Enquête s'accordent à reconnaître la grande valeur de ses futaies. La châtellenie de La Chèze a sur son territoire la forêt de Loudéac, les bois de Cesfau, de la Plesse et de Cretgonet].

A la tête de chaque forêt, est placé un garde ou « surgarde » qui se fait assister de « tel nombre de forestiers nobles qu'il lui plaist ».

Les forestiers sont désignés aussi sous le titre de « subgardes » ou « sous-gardes » ; leurs fonctions se transmettent souvent de père en fils.

Poulancre est rattaché à Quénécan, Branguilly à Loudéac.

Les forêts sont « nobles » disent les documents, nobles aussi sont les offices institués pour leur conservation, et l'on voit même des bâtards de Rohan en être pourvus. Charles de Botmar est surgarde de Quénécan, vers 1450, après lui, Bertrand Serie occupe cet office ; un peu plus tard, on trouve Jean, bâtard de Rohan, seigneur de Bonamour, garde de Loudéac (1481).

Nous connaissons à la même époque, ou à quelques années près : Yvan de Keropers, Guillo et Jean Pocart, Joseph Boschier, Jouhan Robic « officiers forestiers » de Quénécan ; Jehan de Quelen, seigneur du Broutay, et Guillaume du Cam, forestiers à Loudéac. Ce dernier, qu'il faut identifier avec Guillaume de Kerme « receveur des forêts de Branguilly et de Loudéac » en 1504 et 1506, est chargé, par le Vicomte Jehan de Rohan, d'opérer sur sa recette des versements aux ouvriers qui travaillent à « l'œuvre et édifice » du château de Josselin [Note : Dans les premières années du XVIème siècle, Guillaume de Kerme verse à différentes reprises 665 #. (Arch. du château de Lanouée)]. Notons encore ; Jehan du Boisbertelot, parent sans doute de l'abbé de Bon-Repos du même nom, « forestier » de Quénécan et Poulancre (1506), Philippe Picaud, « sousgarde » de Lanouée (1533)..., etc. A la fin du XVème siècle, le garde de Quénécan reçoit 25 livres de gages.

Au-dessus de tous les officiers des forêts, il existe un receveur général, qui remplit le rôle d'administrateur principal [Note : « Toutes les forêts de la Vicomté se gouvernent par un receveur » (Aveu de 1471)]. Dans certaines circonstances, ce haut fonctionnaire s'intitule « controle des bois et forêts de la Vicomté », comme le fait Alain des Deserts, chargé en 1488 de différentes enquêtes [Note : Arch. des Salles].

« Forestiers et subgardes, — dit le Mémoire, en parlant de la Vicomté, — plus de cinquante officiers ont été également du temps des prédécesseurs et plus ». Chiffre très exagéré, à moins qu'on y comprenne les « vendeurs, controlles, clercs » et autres employés de grades subalternes.

La connaissance des délits appartient aux juges ordinaires qui prononcent sur les procès-verbaux des officiers. Les gardes et forestiers sont autorisés aux prises et confiscations contre les délinquants et leur témoignage fait foi. Ils ont pour eux la moitié des amendes qu'ils rapportent.

L'administration et la surveillance des bois sont donc régulièrement assurées dans la Vicomté de Rohan au milieu du XVème siècle et certainement bien antérieurement. Il suffira pour s'en convaincre de se reporter aux débats de la fin du XIIIème siècle et du commencement du siècle suivant, relatifs au douaire de Thomasse de la Rochebernard. La Vicomtesse de Rohan ne doit user des futaies de son douaire qu'à « l'ordonnancement » du seigneur de Beaumanoir et ne peut exploiter Poulancre que sous le contrôle du même officier « en la manière qu'il estait accoutumé ou temps dudict vicomte » [Note : Bibl. Nantes C, 1548. Les titulaires d'un douaire n'avaient pas droit à l'exploitation des bois].

Et déjà l'administration seigneuriale veille attentivement à la vérification et à la limitation des droits d'usage. En 1319, Sevestre de la Feillée, gentilhomme de la paroisse de Loudéac qui se livre à l'élevage, est obligé d'avoir recours à un jugement arbitral du Vicomte de Donges pour défendre, contre Jean de Rohan, ses droits de pâturage et ceux de ses métayers, dans la forêt de Loudéac. Grâce à cet arbitrage, il obtient satisfaction pour le pacage, le bois de chauffage et le bois de réparation [Note : Nous regrettons de ne pouvoir donner in-extenso cette pièce curieuse. Le seigneur de la Feillée obtint pour lui et ses « ménagers » le droit de pâturage destiné aux haras et aux autres bêtes, limitées à 240 porcs, 120 bœufs de labourage ... vaches. Dans Haute-Forêt, Sevestre et ses successeurs furent autorisés à établir des « parcs » (sans doute s'agit-il d'enclos pour les bêtes), à prendre les bois nécessaires à la construction de ceux-ci, « mais non autrement couper », tandis que Basse-Forêt devait lui fournir, ainsi qu'à ses ménagers, le chauffage et le bois de réparation pour les édifices seigneuriaux, spécialement pour les moulins de la Feillée. Le règlement des usages de la seigneurie de Belle-Isle et autres possessions de Sevestre, au Comté de Porhoët, était remis à plus tard. (Bibl. Nantes, ms. fr. 1590)]. On constatera, à propos de l'élève des chevaux et des accords avec Aubin Gaupichier (1308), que les nouvelles jouissances ne sont consenties qu'à bon escient.

Les enquêtes de 1488, faites par ordre du « très redoubté et puissant seigneur Monseigneur le Vicomte de Rohan », sur des vols de bois d'œuvre « martelés », commis à Quénécan, attestent que les officiers des forêts exerçaient leurs fonctions avec conscience. On y voit, en outre, que depuis cent ans au moins les usages de l'abbaye de Bon-Repos étaient réglés de la façon suivante : pour leur chauffage, les religieux ne prenaient librement que « le bois mort ». Ils étaient autorisés à faire abattre des bois de réparation, destinés à l'abbaye, mais à condition seulement que l'abattage eût lieu en présence d'un religieux responsable ; encore, le seigneur se réservait d'en vérifier l'emploi. Si, par ailleurs, les moines ou leurs sujets se permettaient d'aller seuls dans les bois « pour prendre », ils pouvaient être poursuivis comme les simples vassaux.

Jeanne de Navarre elle-même, devenue veuve de Jean de Rohan, n'a droit qu'au bois mort pour son chauffage [Note : Dans un accord de 1409, entre Alain VIII de Rohan et son frère Charles de Guémené, le Vicomte reconnaît avoir troublé la douairière dans la jouissance de ses droits de bois mort et de panage dans les forêts, pour une valeur de 10,000 livres. (Biblioth. Nantes 1548)].

Trois quarts de siècle après l'aveu de 1471, l'administration forestière est établie sur la même base ; cependant elle possède alors une maîtrise, justice particulière des eaux et forêts [Note : L'origine des justices particulières des eaux, bois et forêts, est due aux ordonnances royales de 1516, 1518, 1534, 1544 1545]. Un mandement du roi François Ier — sur lequel nous aurons à revenir — ordonne la réformation des forêts de la Vicomté et du Porhoët qui « de tout temps et ancienneté ont esté régies et gouvernées par les officiers ce commis par nostre dict cousin et ses prédécesseurs, comme maître de ses eaux et forêts, soubzgarde, juge, lieutenant, procureur, greffier, forestiers, sagriers, gruyers et sergeants » (1543) [Note : Bibl. Nantes, fr 1554. Acte du 10 juillet 1543].

Les empiétements de toutes sortes rendaient nécessaire une révision des droits d'usage, droits que les riverains possédaient en vertu d'une prescription séculaire ou d'une faveur spéciale, mais qu'ils étendaient à leur profit d'une façon abusive [Note : Se reporter à la fondation de Bon-Repos, pour voir les usages concédés à cette abbaye. — Lors de la fondation de Lantenac, Eudon de Porhoët donne dans la forêt de Loudéac « tout le bois vert ou sec qui sera nécessaire aux religieux ; tout ce qu'ils voudront d'herbe pour faire leurs foins, pour la pâture des animaux et la paisson de leurs porcs », 1149. (Evêchés de Bretagne, f, 247, tome IV) — Eudes de Porhoët concède à Alain de Rohan, en 1221, le droit d'usage pour lui dans la forêt de Lanouée, droit de prendre du bois sec et vert pour l'usage de son manoir de Bodiec et en outre le pacage pour cent porcs et le pâturage pour cent bœufs, et cela à perpétuité. (Archives de Kerguehennec). Olivier, Vicomte de Rohan, accorde un usage viager de bois de réparation à Aubin Gaupichier pour l’entretien d’un moulin (23 avril 1308) (Nantes, ms, fr. 1545)].

Il faudrait remonter à la communauté des forêts pendant l'occupation romaine pour découvrir l'origine des droits d'usage ; et, pour bien les comprendre, une étude préparatoire, qui ne peut trouver place ici, ne serait pas superflue [Note : Au moyen-âge on distinguait dans les forêts deux catégories d'essences : les arbres à fruits et les autres. Les premiers étaient ceux, comme chênes, hêtres, châtaigniers, frênes, qui produisaient des fruits pouvant servir à engraisser les porcs, Les sine fructu arbores, parmi lesquels se classent les trembles, bouleaux, aulnes, charmes, genevriers..., etc., étaient désignés sous le nom de morbois ou mortbois, qu'il ne faut pas confondre avec le bois mort, bois sec sur pied ou tombé. La coupe des arbres sans fruits resta libre longtemps dans les diverses provinces ; les vassaux les prenaient sans délivrance pour leur chauffage. C'est ainsi que la Coutume de Bretagne (Titre 25, Art, 621) dit que l'enlèvement du bois non encore débité dans la forêt d'autrui ne constitue aucun délit, à moins qu'il ne s'agisse d'arbres portant fruits... Ces derniers, laissés en futaies, constituent la réserve du seigneur, les sujets en jouissent pour le pacage et la glandée de leurs animaux. Voici ce qu'apprennent les coutumiers, mais nous avons peine à nous figurer, dans la réalité, les vassaux faisant, pour le chauffage, distinction entre les différentes essences de la forêt, surtout quand le forestier du maître ne s'y montre pas, ou rarement, et que les fruitiers, comme dans le Rohan, priment de beaucoup les autres bois. Au contraire, nous nous figurons parfaitement les sujets allant dans la forêt seigneuriale, à leur commodité, c'est-à-dire, au plus proche et à suivre, pour y prendre leur chauffage. Il s'établit alors sur les « rives et égouts » des coupes à révolution très courte, parce que autrefois, plus que de nos jours, le paysan breton ne brûlait guére que des fagots. On trouve mention de ces taillis de lisières dans les déclarations des XVème et XVIème siècles. Quant aux arbres dont ils ont besoin pour « ardoir » ou édifier, les vassaux, durant plusieurs siècles, les ont pris sans plus de contrôle].

Ces jouissances subsistèrent lors du partage des terres au moyen-âge et, durant plusieurs siècles, les pâturages et glandées, les bois de chauffage et de construction, restèrent libre [Note : En outre du pâturage à herbage des bêtes à corne appelées « bêtes d'aumaille », des chevaux et des porcs, il y avait la glandée ou glandaison réservée à ces derniers animaux]. Comme on se l'imagine, il fallut fort longtemps pour les réglementer.

Depuis le début du XIIIème siècle surtout, les seigneurs particuliers s'appliquèrent à limiter les droits en question, à les régulariser. Ils arrivèrent ainsi avec une fermeté progressive et grâce aussi à l'appui des souverains, à contrôler les coupes pour le chauffage, à réduire le bois de construction, à n'autoriser le pacage qu'à certaines conditions et à ne reconnaître des jouissances gratuites que sur titres authentiques. Parvenu enfin à la complète disposition de ses bois, le seigneur affirma sa possession en imposant des servitudes aux usagers.

On trouve dans le Rohan et le Porhoët, des corvées assez variées ayant cette origine : aide et cris aux chasses du Vicomte, capture de chevaux sauvages, charrois de bois du seigneur, transport de ses bagages en cas de déplacement d'une résidence à une autre. Ces servitudes en nature étaient acceptées bien plus facilement qu'on ne le pense généralement, et les vassaux eussent souhaité n'en avoir jamais de plus pénibles à remplir. Mais, à celles-ci, devaient s'ajouter des cens.

Après ce qu'il a été dit de l'administration des forêts de la Vicomté, nous pensons que les usages, dès la fin du XIVème siècle, étaient sérieusement contrôlés et en voie d'être réglementés. Au siècle suivant, les panages sont accensés par tête ou plutôt par troupeau, le chauffage gratuitement accordé est réduit au bois mort, du moins en principe, et le bois d'œuvre n'est consenti qu'à quelques vassaux privilégiés [Note : A côté des usages de Bon-Repos, à Quénécan (enquêtes de 1488) on peut faire figurer les usements de la forêt de Brecelien d'après le règlement du Comte de Laval, en 1467. Les seigneurs laïcs et religieux, riverains de la dite forêt (actuellement Paimpont), peuvent « sans merc ni montre » prendre le bois nécessaire à leur chauffage et aux réparations de leurs manoirs, métairies, moulins, ponts, clôtures ; mais, comme dans la forêt de la Vicomté, le chauffage est restreint au « boais mort choaist sur feuille », c'est-à-dire trouvé à terre ou versé. Voilà pour le principe ; nous ne certifions pas que dans l'application les usagers nobles n'allassent pas parfois jusqu'aux essences vulgaires comprises sous la dénomination de mortbois].

L'aveu de 1471 estime les pacages de ta Vicomté à 140 livres de revenu annuel et porte que chaque porc est taxé « pour le temps de la glandaison » à 15 deniers.

Les concessions sont plus rarement accordées et seulement sur titres écrits, contre l'augmentation d'une rente ou en récompense des loyaux services d'un vassal [Note : Concession du 20 mai 1488, par le Vicomte de Rohan, à Jouhan Robic du « droit de mener dans la forêt de Quénécan, 16 bêtes d'aumaille, 12 porcs, 10 bêtes chevalines sans panage, ni paisson (c'est-à-dire sans taxe spéciale), avec pouvoir audit Robic de réédifier et réparer sur sa tenue de la Lande de Moalbren, à son plaisir couper bois morts pour son chauffage, clore ses prés, prairies, faucher de la litière es frotages de la forêt », consenti pour une augmentation de rente et pour les bons et agréables services rendus au seigneur de Rohan (Arch. des Salles). Jouhan Robic est un des officiers forestiers qui dépose aux enquêtes de la même année].

L'absence d'actes réguliers reste encore fort tard l'obstacle d'une réglementation générale et définitive. Louis XII y revient par un édit de 1515 et met tous les usagers du royaume en demeure de prouver leurs droits dans les forêts, par la présentation des titres.

En traitant du droit de pacage des vassaux dans les forêts, nous sommes naturellement amené à parler des animaux que le Vicomte y entretenait pour son compte. A une certaine époque, le seigneur eut ses troupeaux de porcs et de bœufs [Note : Concession de 1221 (Arch. de Kerguehennec)] ; au XVème siècle, il y élève encore des troupeaux de vaches qui vivent dans les bois sous la garde de pâtres et trouvent abri dans les « vacheries » [Note : Déclaration de 1471], mais c'est au développement de la race chevaline et asine que les Rohan ont porté un intérêt spécial.

La reproduction à l'état libre offre les meilleures garanties pour la formation d'une race saine et vigoureuse. Les chevaux sauvages ont toujours réuni, au plus haut degré, les qualités de rusticité, de résistance et de vitesse ; pourvoyant à leur entretien, ils savent supporter les intempéries les plus rigoureuses et se contenter de la nourriture la plus grossière.

Les conditions où s'est reproduite durant plusieurs siècles la race chevaline en Bretagne, sont peut-être la seule cause de la rusticité légendaire du bidet de la région centrale.

Les Vicomtes de Rohan possèdent des chevaux d'élevage au XIIIème siècle, et sans doute même dès l'origine de la seigneurie ; c'est une réserve pour les besoins de la guerre, en même temps qu'un haras. En 1225, voulant contribuer à la prospérité de Bon-Repos et s'assurer les prières des moines, Alain III de Rohan fait don à l'abbaye qu'il avait fondée, de la moitié de ses chevaux sauvages de Quénécan [Note : D. Morice, P. I, 856].

Mais les Vicomtes ne firent pas de cet élevage un privilège exclusif, ils donnèrent à plusieurs de leurs vassaux nobles la faculté de créer des haras à côté et dans le voisinage des leurs. Il est vrai que certaines de ces concessions sont empreintes d'un caractère viager essentiellement profitable au seigneur. En voici un curieux exemple : Alain de Rohan, le fondateur et bienfaiteur de Bon-Repos, accorda à Aubin Gaupichier, écuyer, sa vie durant, l'usage de la forêt de Loudéac pour ses chevaux, ses ânes et leurs produits, à condition que ce gentilhomme lui laissât, à son décès, la moitié de tous les animaux ; et comme Gaupichier survit à deux Vicomtes, Olivier, petit-fils d'Alain, renouvelle, en 1308, le contrat précédent. Le Vicomte obtient, à l'occasion de cette confirmation, que Gaupichier lui assure en outre, à sa mort, tous les chevaux, juments, poulains et ânes que l'écuyer possède dans la forêt de Quénécan et ses dépendances. Contre un modeste usage viager de bois de réparation, le seigneur de Rohan reçoit encore la promesse que celui-ci lui laissera ses ânesses « pour maintenir les haras de la Vicomté en bon état » [Note : Bibl. Nantes, ms. fr. 1545]. Ce Gaupichier est comparable à un riche propriétaire-éleveur de nos jours, entretenant des reproducteurs dans plusieurs lieux différents.

Toujours de la même époque, nous avons d'autres actes attestant l'importance prise dans la Vicomté par l'élevage en question et le commerce des chevaux.

Le 2 février 1269, Jeanne, veuve d'Olivier de Montauban, abandonne à titre de vente, à Alain VI de Rohan, son troupeau de chevaux de la forêt de Loudéac (totum equicuium nostrum) [Note : Bibl. Nantes, ms. fr. 1541]. Sevestre de la Feillée, un autre seigneur riverain de la même forêt, y jouit d'un droit de pâturage étendu pour ses « haras » et autres animaux de sa maison [Note : La Feillée, manoir et seigneurie, par. de Loudéac] ; et sans doute il se livre, dans d'autres régions de la Province, à un véritable trafic de chevaux, car il signe en 1312 une obligation de 320 livres monnoie — somme considérable pour le temps — avec un certain Jouffroy Le Borgne, valet du diocèse de Nantes, constituée sur des achats de chevaux [Note : Bibl. Nantes, ms. fr. 1590].

Après la mort de Jean Vicomte de Rohan (1396), Jeanne de Navarre, sa veuve, accepte que, dans son douaire, fussent compris les haras de la Vicomté, estimés à dix mille francs d'or ; mais il est constaté, plusieurs années plus tard, qu'Alain, l'héritier de Jean, n'a pas voulu se dessaisir des haras, au grand détriment de la douairière [Note : Bibl. Nantes, ms. fr. 1548].

L'aveu de 1471 parle des officiers affectés spécialement à l'entretien des haras des seigneurs de Rohan, à Branguily et à Quénécan, et le Mémoire fameux de 1479 mentionne, parmi les richesses de la Vicomté, cinq à six cents chevaux pour la seule forêt de Loudéac. Nous savons que les chiffres du Mémoire ne peuvent être acceptés sans réserve ; ajoutons foi plutôt à un témoin de l'enquête, Benoist de Bellouan, qui se souvient d'« environ trois cents bêtes chevalines » à Loudéac, ce qui est déjà respectable.

Les Rohan devenus Comtes de Porhoët, mettent des cavales à Lanouée, comme d'ailleurs ils en ont introduit dans leurs domaines du Léon lorsqu'ils ont hérité de cette baronnie.

Nés dans la libre nature des bois et à l'écart de toute contrainte de l'homme, ces animaux deviennent aussi farouches que les bêtes fauves qui font l'objet des belles chasses seigneuriales ; aussi, leur capture n'est-elle pas aisée. Pour y parvenir, les gardes, qui en sont chargés, doivent avoir recours aux sujets des rives de la forêt. Ceux-ci, à titre de corvées, doivent des journées pour courir et cerner les bêtes indomptées. Les mêmes hommes sont appelés à rabattre le gros gibier lors des grandes randonnées cynégétiques. Les chevaux étaient poussés dans des « raiz », ou clôtures de filets, tendus verticalement, jusqu'à ce qu'ils y fussent pris.

A la foire annuelle de la seigneurie qui se tient à l'occasion des plaids généraux, les produits des haras sont amenés par tous les chemins qui conduisent à Noyal. Il en arrive plusieurs milliers. Le sire de Rohan se réserve le droit de faire, avant tout autre, le choix des animaux qui lui sont nécessaires. Les chevaux réunis au village de Bellechère, défilent, avant l'ouverture des échanges commerciaux, devant l'Ecuyer d'Ecurie ou le Grand Maître d'Hôtel, chargés des achats. Quand la foire se transporte à Pontivy, au XVIIème siècle, le rassemblement des chevaux se fait au pied du château [Note : Aveux et déclaration de la Vicomté et du duché].

Plusieurs auteurs ont émis des hypothèses diverses sur l'origine de la race particulière à la région de Corlay. Le plus généralement, et cette opinion est appuyée sur la tradition, on rapporte à l'introduction du sang arabe, datant des croisades, les qualités qui distinguent cette race.

Nous pouvons aujourd'hui, sur des assertions indiscutables, fournir un fondement solide à cette tradition. Aurélien de Courson, ancien conservateur de la Bibliothèque du Louvre, écrivant au préfet du Finistère, s'exprime en ces termes : « Un document qui fait partie des portefeuilles de l'abbaye de Saint-Germain-des-Prés apprend que, en 1213, le Vicomte de Rohan amena dans son fief neuf étalons qu'il avait reçus en présent du Soudan d'Egypte » [Note : Arch. Finistère. Communiqué par M. Bourde de la Rogerie, archiviste de ce département]. Nos recherches pour retrouver cette pièce sont restées infructueuses, mais le document n'en existe pas moins et le renseignement d'un auteur tel que Courson conserve la valeur d'un acte authentique.

On vient de voir comment les Rohan ont développé et encouragé l'élevage du cheval au moyen-âge ; cependant il serait inexact de croire qu'ils ont été les seuls à s'y intéresser.

La reproduction des chevaux — comme celle des autres animaux domestiqués — était une source de revenus fort recherchée ; beaucoup d'autres grands seigneurs s'y livraient dans leurs domaines ou l'autorisaient dans leur fief. Les exemples encore ici ne manquent pas, mais il faut remarquer qu'ils sont fournis surtout par la région forestière de l'ancien Poutrocoët, dont le Rohan occupe le centre [Note : Dans le fief de Quintin qui joignait au nord les châtellenies de Loudéac et de Carlay, le seigneur de Harmouet avait droit, sans redevance, d'entretenir cent juments dans les forêts du sire de Quintin (Aveu de 1549, rapporté par Ropartz dans son Histoire de Guingamp). — A l'autre extrémité de la Vicomté, dans la forêt de Brecelien, au comte de Laval, l'abbé de Paimpont tenait « haraz de chevaulx et jumens privez ou sauvaiges » qui, pour se distinguer des bêtes des autres usagers, étaient marqués d'une « faczon de croce » (Usement et Coutumes fixés le 30 août 1467)].

Dans les derniers siècles, l'élevage du cheval a considérablement diminué dans la seigneurie de Rohan. Le règlement des forêts de 1613 ne mentionne qu'un troupeau peu important dans la forêt de Loudéac, à la surveillance duquel une seule personne suffit ; et dans la déclaration faite par Marguerite de Rohan (1682), il n'est plus question de haras [Note : Article 79 du Reglement des forêts du duché de Rohan, en date de 1613. —Déclaration de la Duchesse de Rohan de 1682].

Les forêts ont un rôle économique et social. Celle de Loudéac alimente « dix grosses forges » affermées 160 livres. On y fabrique des fers de charrues, des « leschefrais », des plats, poëles à frire, galletières, broches, landiers, trepieds, bandages… etc., c'est-à-dire un grand choix d'ustensiles de la vie rurale et agricole.

Il n'est pas aisé de s'expliquer pourquoi la déclaration de 1471 ne parle que des forges de Loudéac, car il en existait certainement ailleurs, et nous admettons — jusqu'à preuve contraire, — suivant les renseignements de Jean de Rohan, que Poulancre et Quénécan avaient, à la même époque, de « grosses forges à ouvrer le fer » [Note : Mém. de 1479. Nous parlerons au chapitre du duché des forges de Lanouée au. Comte de Porhoët ; il y avait aussi des forges à Querrien, en La Prénessaye].

Aperçu sur les revenus de la Vicomté.

Et maintenant, veut-on se faire une idée approximative de ce que la Vicomté pouvait rapporter de revenu aux seigneurs de Rohan ? Olivier Avaleuc, dans son état de 1480, porte aux recettes des terres « charges ordinaires rabattues et ce que les doairères tiennent à présent » :
« La Vicomté de Rohan, sans y comprendre les forêts et Corlé, monte à : 1.400 #
La recepte des boays et forests d'icelle Vicomté, sans y comprendre les paissons : 1.000 #
Corlé : 800 # ».

Pour le Porhoët, y compris la forêt de Lanouêe, il donne le chiffre de 1.700 # et pour la châtellenie de la Chèze, 800 # [Note : D. M., III, 380].

Les Vicomtes, dès cette époque, donnent à bail les revenus de leurs terres. Moyennant 870 livres et pour six ans, Jean de Rohan afferme la seigneurie de Corlé à différents consorts : Jean Danyou, sr de la Frece, Perceval Danyou, son fils, Edouard Le Carniguel, sr du Spernouet, et Charles Marigo, sr de Kerguiffiou. Du contrat, passé aux Salles de Penret, le 29 avril 1502, l'on exceptait, bien entendu, le château et ses « deportz », le droit de guet, les bois et forêts, les panages, le produit des haras, la pêche et la chasse [Note : Corlay, par de Barthélemy].

Ceux qui composent le fief.

Nous avons tenté de décrire la condition de vassalité des sujets roturiers ; la Vicomté de Rohan comptait en outre un grand nombre de sujets nobles dont les possessions territoriales constituaient le fief. Ces gentilshommes, nous les avons déjà rencontrés à la cour du Vicomte, faisant partie de sa suite, enrôlés comme officiers d'administration, conseillers, serviteurs ; on les a vus aux plaids de Noyal prêter la foi et l'hommage, rendre aveu de leurs terres, présenter leurs requêtes au seigneur et lui demander justice. A l'appel du Vicomte, ils viennent se ranger sous sa bannière, mais déjà les gentilshommes sont plus occupés de faire valoir leurs biens et défendre leurs droits que de batailler. L'ère des veillées d'armes et des chevauchées guerrières a pris fin.

Parmi, les possesseurs de fiefs les plus marquants, Jean de Rohan se flatte de citer les sires de Laval, de Dieux, de Derval, de Rostrenen, de Penhoët, de Coëtmen, de Guemené, occupant les premiers rangs de la hiérarchie féodale en Bretagne.

Abbés et prieurs sont assimilés pour le temporel aux seigneurs laïcs. Ils se délivrent eux et leurs hommes aux plaids de leur circonscription et comparaissent aux grands jours ; plusieurs doivent, — mieux qu'un simple hommage, — une chefrente plus ou moins importante [Note : Par exemple, le prieur de Locminé, dont dépend tout le bourg de Locminé et qui possède foires et marchés, dépose en deux termes 60 # sur la croix située à l'entrée de l'église paroissiale].

(H. Du Halgouet).

© Copyright - Tous droits réservés.