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LA VICOMTÉ DE ROHAN AU XVIème siècle.

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La succession de Jean II. Après Jacques, le fantasque, et Claude, l'incapable, l'héritage de Rohan tombe en quenouille ; Anne de Frontenay et Marie de Guémené le partagent entre elles. La seigneurie de Corlay (sauf Bon-Repos) est rattachée au Guémené. Les Rohan-Gié titulaires de la Vicomté. — Bon-Repos : décadence morale, procès des dîmes. Mouvance des établissements religieux. — Les Rohan cherchent sur les champs de bataille une compensation à la ruine de leurs ambitions en Bretagne ; ils se lancent dans le calvinisme et se montrent zélés réformateurs. — La Réforme et la Ligue. — Les derniers Vicomtes négligent leurs fiefs de Bretagne. La seigneurie de Rohan est mise en ferme. — Érection de la Vicomté en duché, en faveur de Henri de Rohan (1603).

Succession de Jean II.

Jean de Rohan, désireux de sauver son héritage des mains étrangères, avait marié ses deux filles à des parents de la branche cadette. Bien lui en prit, car ce furent elles qui recueillirent en fin de compte la succession de leur père. François, l’aîné de ses fils, était tombé sur le champ de bataille de Saint-Aubin-du-Cornier ; il lui restait encore, il est vrai, deux héritiers mâles, mais l'un, Jacques, malgré deux alliances successives, restait sans postérité, et l'autre, Claude, avait été sacré évêque de Cornouailles.

Au château de Blain, le 27 septembre 1515, fut signe le mariage d'Anne de Rohan, l'aînée des filles, avec Pierre de Rohan-Gié, baron de Frontenay, et le Vicomte à cette occasion stipula que, pour la « perpétuation » de son nom, les enfants des contractants porteraient les titres et les armes de Rohan et recueilleraient toutes les terres patrimoniales. L'évêque de Cornouailles devait se contenter d'un usufruit [Note : D. M. P., III, 940. Pierre de Rohan était le troisième fils du maréchal de Gié et parent au quatrième degré d'Anne de Rohan].

Quelques mois plus tard, Jean de Rohan disparaissait de la scène politique. Les contemporains l'ont jugé avec moins de sévérité que les historiens modernes parce que, sans doute, ils ont pensé que les fautes pardonnées sont en partie effacées, et c'est la « bonne duchesse » qui leur enseigna ce pardon. Après l'échec du complot breton, il n'était resté d'autre parti au sire de Rohan que de se soumettre. Il le fit loyalement. La fille de François II ne lui tint pas rigueur de ses intrigues, puisqu'elle vint le visiter à Blain, et Louis XII se félicita de le voir à l'avant-garde de son armée. Rohan, en effet, se distingua dans la campagne d'août 1499, dans laquelle on lui attribue la prise de Vigevano.

Jacques Ier de Rohan ne montra pas moins d'empressement à servir le roi de France dont il fut un des plus brillants soldats à Milan en 1500, puis à Gênes en 1507. De Jacques de Rohan, nous ne savons presque rien. Un chroniqueur le représente comme un personnage fantasque, violent et jaloux. Bouchard et A. de Barthélémy ont retracé les tristes querelles de sa vie privée, sur lesquelles il nous paraît inutile d'insister [Note : Consulter La Bretagne et les bretons au XVIème siècle de Ch. de Calan (f. 117) et Le château de Corlay de An. de Barthélemy (f. 13). Jacques de Rohan épousa, en premières noces, Françoise de Rohan-Guémené et, en secondes noces, Françoise de Daillon].

L'aveu qu'il rendit à l'occasion du rachat de l'héritage paternel a été conservé par la Chambre des Comptes. Dans ce minu, la Vicomté apparaît sous la même forme et avec les mêmes obligations que dans les déclarations de 1461 et 1471. On y trouve, pour la première fois, la description de curieux usages à Pontivy, la quintaine des nouveaux mariés et le saut des poissonniers. Chaque année, le lundi de Pâques Fleuries, les poissonniers, réunis sur la place du Martray, montaient dans une charrette amenée par les bouchers de la ville. Ceux-ci les conduisaient — sous nombreuse et rieuse escorte, l'on peut penser — jusqu'au Blavet, où ils leur faisaient faire le plongeon, et les malheureux poissonniers étaient obligés, sous peine d'amende, de traverser la rivière d'une rive à l'autre. Le lendemain, avait lieu une réjouissance d'un autre genre, non moins divertissante. Tous les nouveaux mariés de la ville et des faubourgs devaient, à tour de rôle, rompre trois lances à la quintaine. Quelle joie de voir les jeunes épousés ainsi exhibés et faire preuve de maladresse ! Les habitants de Pontivy ne défaillaient certainement pas à fournir le char et les cordes qui servaient à la course.

A cette époque, la perception des rentes en argent se fait toujours par l'intermédiaire des sergents ; les grains sont rentrés par les vassaux dans les greniers du seigneur, sous la surveillance des receveurs et châtelains. Il semble que des convenants ont été créés « sur le bois de Noyal » et que des Landes, comme celles du Tenoust, en Noyal et St-Gonnery, sont nouvellement afféagées.

Un bailliage, appelé « le baillage de la terre à froment », fait supposer que le blé ne constituait pas la culture la plus répandue. Est-ce aussi à l'introduction de la culture de la vigne dans la région centrale de la Bretagne que nous devons de rencontrer pour la première fois des « pots de vin » comme redevances ? Preuve insuffisante assurément, car on peut observer dans la même déclaration l'apparition de redevances en poivre, et cependant la Bretagne n'a jamais produit de poivre. Bizarrerie des coutumes féodales, le poivre était toujours exigé « dans ung sac de cuir blanc » [Note : Le vin et le poivre sont une forme de chefrente. Le sire de Molac, à cause d'une terre en Pluméliau, doit trente-deux pots de vin et une demi-livre de poivre. Olivier d'Arradon, pour Kernezel, doit une livre de poivre ; le sire d'Uzel, pour diftérents héritages, une demi-livre de poivre. (Arch. L.-Inf., B 1984)].

Par une faveur spéciale, François Ier renonça à huit mille livres sur les droits de succession de Jean de Rohan, pour faciliter l'exécution des dernières volontés du défunt. Cette généreuse concession — qui représentait la moitié du rachat pour les terres de Bretagne — était un peu le don de joyeuse visite du roi et de la reine, après la réception que leur avait faite Jacques de Rohan à Blain [Note : La visite du roi et de Claude de France à Blain est du 16 noùt 1518 et le don de la moitié du rachat est du 5 septembre. (B. N. fr., 22341)]. Celui-ci était d'ailleurs en relations intimes avec François Ier, si l'on en juge par une lettre qu'il lui écrivit à son retour d'Espagne [Note : 5 décembre 1526. D. Taillandier, Histoire de Bretagne, II].

Deux ou trois jours avant la Saint-Luc 1527, Jacques de Rohan mourait subitement au château de Corlay, sans laisser de postérité [Note : D. Morice le fait mourir le 23 octobre, tandis que le nécrologe de Daoulas inscrit son décès le 16 octobre. Son corps fut inhumé dans l'église des Frères Mineurs de Pontivy]. Sa succession donna lieu à plusieurs incidents qu'il est utile de connaître.

M. de Barthélemy a raconté, d'après les archives de M. de Janzé, l'empressement des dames de Frontenay et de Guémené à prendre possession des trésors de leur frère, ainsi que les interminables discussions d'intérêt à Pontivy et à Ploërmel. Cependant, cette dernière cour avait arrêté un partage entre les trois héritiers du Vicomte. Claude, l'évêque de Cornouailles, recueillait, avec le titre, la jouissance de tout le Rohan ; mais, comme, par ailleurs, la seigneurie de Corlay, « o toutes ses appartenances sans en rien réserver, avec la forêt de Poulancre », était reconnue en héritage à Madame de Guémené, on le dédommagea par une équivalence dans les domaines de Léon. Le comté de Porhoët, y compris la châtellenie de La Chèze, restait à Anne de Rohan qui recevait, en outre, le Léon — moins ce qui passait en jouissance à Claude — les terres de Blain, Héric, La Garrache, Beauvoir-sur-Mer, l'Isle-des-Monts et la Trosnière. Les biens meubles étaient destinés à acquitter les obsèques, à règler les dettes du défunt et libérer La Garrache et Daoulas (31 octobre 1527) [Note : Transaction du 31 octobre 1527 (B. N. fr. 22342). Claude, y est-il dits, aura « d'assentement de la dame Anne » la mainlevée de la Vicomté pour en jouir « sans qu'il n'en puisse rien aliéner par vendition, donaison, eschange ». Marie de Rohan qui réclamait 3000 # t. promises par contrat de mariage, plus un « parfournissement » de 1200 #, eut suivant les termes de l'acte : Plouha et Plouézec, en Goëllo, les seigneuries de Corlay [sans en rien réserver « fors le château dudit Corlay o ses douves et édifices qui sont estimés à six vingt livres de rente »], de la Marche, près Montfort, de Quemenet, près Quimper. Comme récompense de Corlay, Claude obtint une équivalence dans la seigneurie le Daoudour et dans celle de Landerneau, paroisses de Sizun et de Ploediry. Anne de Rohan avait la charge du douaire de la veuve].

On ne s'explique pas bien les dettes dont il est question et comment furent engagés La Garrache et Daoulas, car si Jacques de Rohan était un mari peu aimable, il s'entendait plutôt à thésauriser qu'à dilapider, et, quant à son père, on le cite comme exemple pour « gouverner raisonnablement ». La réputation à cet égard de Jacques de Rohan était assez bien établie pour arriver aux oreilles de François Ier ; justement ce prince revenait de sa prison d'au-delà les Pyrénées et cherchait partout les moyens de recueillir de l'argent. « Ayant esté nagueres adverty, dit-il, que feu notre cousin le seigneur de Rohan a auparavant son deceix retiré en son chasteau de Corlay une grosse somme de deniers qui est à présent de nul proufit et en dangier d'étre perdu à james », le roi résolut de s'en emparer pour subvenir à ses « très-grans et urgeans... affaires », en s'engageant néanmoins à rembourser cet emprunt forcé aux héritiers du défunt. René de Montejean avec trois autres gentils-hommes vint à Corlay enlever les épargnes du feu Vicomte. Sur la chambre attenante à la salle basse du château on fit sauter les scellés, on ouvrit les coffres et on les allégea de tous les métaux précieux monnayés [Note : Le Château de Corlay, par A. de Barthélemy (d'après Arch. de Janzé), On trouva « 3.025 escus soulail, 105 escus couronne, 61 angelots, 4 moutons, 5 lyons, 6 escus vieux, 11 diverses pièces de doubles ducatz, etc., etc. ». La vaisselle d'or et d'argent estimée environ 40.000 # fut laissée dans les coffres ; elle fut volée peu de temps après].

Le roi eut ainsi l'occasion d'une bonne opération financière et il fit bien d'en profiter, car, en aurait-il été tenté, il n'aurait pu la recommencer au décès de Monseigneur de Cornouailles. Ce pauvre Claude qu'on a appelé irrévérencieusement mais non sans raison « l'évêque demi-idiot de Cornouailles », était en effet d'une prodigalité sans bornes [Note : Claude de Rohan avait été pourvu, en 1501, du siège épiscopal de Quimper, âgé de 22 ans. Il fut sacré en 1510 et fit son entrée le 6 juin 1518, Les revenus furent employés aux travaux d’achèvement de la cathédrale de Quimper et à la construction du palais épiscopal qui subsiste encore en partie]. Mais le roi veillait et, derrière lui, la comtesse de Porhoët ; la famille et la cour furent obligées d'en venir à la mesure extrême d’une interdiction.

La bienveillante sollicitude de François Ier à l'égard de Claude de Rohan et de ses biens, s'exerce, on peut dire, aussitôt l'entrée en jouissance de l'héritage fraternel. Moins de deux mois après le partage du 31 octobre, parut une ordonnance du roi relative à la conduite des affaires spirituelles et temporelles de Monseigneur de Cornouailles. A la lecture de cet acte, il faut convenir que Claude était un incapable. François Ier, prenant pour prétexte la proximité de son lignage avec les Rohan, nomme un Conseil au nouveau Vicomte. Anne et Marie de Rohan, ses sœurs, eurent à désigner chacune deux officiers de robe longue et deux officiers de robe courte chargés de dresser l'état des revenus et dépenses tant de l'évêché que de la Vicomté, réviser annuellement les comptes des receveurs et, en général, assurer toute l'administration des biens. Le spirituel de la Cornouailles devait être exercé par deux vicaires généraux. « Au regard de la Vicomté, y est-il dit, après l'avoir pourvu de bons et savants officiers, tant pour la justice au soulagement des sujets qui sont en grand nombre, que pour la recepte des deniers, garde des forêts et vendition ordinaire des bois, faudra adviser s'il y a point de ruines et réparations si nécessaires à faire que pour tarder il y advienne dommage et en ce cas y pourvoir promptement.... Pour ce que iceluy évêque est homme de dévotion non entendant aux faits de ce monde et que par cy-devant aucuns ont peu mal administrer ses affaires et revenus, les dessusdits (membres du Conseil) feront contraindre par justice et autres voyes raisonnables tous ceux qui auront malversé et les comptables à rendre leurs comptes de l'administration qu'ils ont eue de lui depuis le temps de feu M. de Rohan, son père, jusqu'à présent » [Note : Ordonnance du 22 décembre 1527 (D. M. Pr. III, 973)].

Autant dire que, depuis le décès de Jean II, l'administration de la Vicomté était dans une désorganisation complète, les finances au pillage du haut en bas, la justice livrée aux abus, le domaine à l'abandon. Jacques avait été déplorable administrateur et Claude précipitait les biens de sa famille à la ruine. Mais ce qui ne manque pas d'un certain piquant sous la plume du roi, se sont ses préoccupations au sujet des dettes laissées par le défunt Vicomte quand lui-même avait vidé le trésor de Corlay. Il est vrai que, malgré la remise de la moitié du rachat sur la succession de son père, Jacques n'avait pas trouvé le moyen d'exécuter les dispositions testamentaires de ses auteurs. La Comtesse de Porhoët devait aussi contribuer à « acquitter la Maison » afin que ses enfants — héritiers du nom et des armes de Rohan ? pussent « avoir mieux de quoi faire service au roi quand ils seront en âge de monter à cheval ».

Il fallut des années pour rétablir l'ordre dans les finances : fermiers et receveurs qui, en servant trop bien leurs intérêts, avaient malversé, refusaient d'obtempérer aux injonctions des réformateurs. Dix ans après sa première ordonnance, François Ier nommait une importante commission de magistrats pour faire justice des prévarications et imposer son autorité là où la Chambre des Comptes seigneuriale et le Conseil avaient échoué. Des personnages marquants composaient cette commission, c'étaient François Olivier et André Gaillard, maîtres des requêtes ordinaires, Jacques Greslot, conseiller au grand Conseil, Hervé de Quellenec, conseiller au Parlement de Bretagne, Christophe Brecel, sénéchal de Nantes, François de Guermainguy, alloué de Nantes, Pierre Le Forestier, alloué de Ploërmel, Jehan Pommereul et Nicolas du Pré, maîtres de la Chambre des Comptes de Paris, Alain de la Boissière, procureur en la Chambre des Comptes de Bretagne, Jacques Hubert, greffier de la même Chambre, et François Mingon, lieutenant du sénéchal d'Anjou, à Saumur. Toutes les personnes qui, depuis vingt et un ans et plus, avaient pris part au maniement des deniers et à l'administration des seigneuries de la Maison de Rohan, furent appelées à comparaître devant ces magistrats assemblés. Certains agents seigneuriaux avaient agi comme si les comptes ne relevaient que d'eux-mêmes ; s'ils se refusaient encore à être contrôlés, des sanctions devenaient nécessaires [Note : Lettre de François Ier, du 13 octobre 1536. (B. N. fr. 22342)]. Il est regrettable de ne pas connaître les opérations qui s'en suivirent ; elles eussent été fort instructives.

Les Rohan-Gié, titulaires de la Vicomté.

Anne de Rohan, veuve de Pierre de Rohan-Gié, s'éteignait à Blain en 1529 [Note : Son corps fut transporté à Josselin et inhumé dans l'église Notre-Dame près du connétable de Clisson]. René, l'aîné de ses fils, à peine âgé de treize ans, fut mis par son royal parent sous la tutelle de la reine de Navarre ; quelques années plus tard, il épousait Ysabeau d'Albret (1534) [Note : Tutelle des enfants d'Amie de Rohan (D. M. III, 987). Mariage de René de Rohan (D. M. III, 1017). Ysabeau de Navarre était sœur du roi de Navarre qui lui bailla 100,000 # t. pour droits successifs. Le château de Blain lui était assuré comme demeure avec 7.000 # t. de rente]. L'influence de la cour de Navarre imprima une telle empreinte sur l'héritier de la Vicomté que toute sa descendance s'en ressentit et eut à subir l'action de ce milieu. C'est là, en effet, que les Rohan de la tige de Gié puisèrent les idées de la Réforme qu'ils introduisirent dans leurs possessions de Bretagne, tandis que les Guémené restèrent toujours fidèles aux traditions des ancêtres.

A l'occasion de son mariage, René de Rohan-Gié porte le titre de Vicomte de Rohan ; il tient donc en mains le fief principal et jouit des prérogatives qui en dépendent. Dans plusieurs actes postérieurs, il agit comme chef de nom et d'armes, et les lettres royales de 1536, dont nous venons de parler, établissant un contrôle administratif, sont exclusivement en sa faveur.

En omettant d'indiquer la source, An. de Barthélemy parle d'un accord entre Claude et ses neveux, auquel le maréchal de Montmorency et le gouverneur général de la province, M. de Chateaubriand, ne furent pas étrangers. Le prélat, prenant en considération les dettes mobilières et immobilières qui grevaient sa Maison et voulant, d'autre part, subvenir aux besoins de René, abandonna, moyennant une rente annuelle, ses droits sur les seigneuries qu'il possédait dans le Léon (7 juin 1532). Il n'est pas douteux que, sous certaines conditions, le roi et l'entourage de Claude l'aient entraîné à renoncer également à ses droits sur la Vicomté.

Après avoir quitté Quimper, où sa présence aurait pu être un scandale, Claude résida quelque temps à Pontivy, puis, Marie de Rohan le garda près d'elle au château de Guémené. C'est là qu'il mourut le 8 juillet 1540. Ses obsèques furent célébrées à Notre-Dame de la Fosse et son cœur fut transporté à Corlay. Peut-être eut-il de la dévotion comme veut le faire entendre François Ier, mais on se demande aujourd'hui par quelle aberration la Maison de Rohan entendit élever à l'épiscopat cet enfant déshérité de la Providence ! Les personnes de l’entourage immédiat de son père, parents ou officiers, l'ont connu dans son enfance tel qu'il resta toute sa vie, Les pages s'en amusaient, le tiraillant en tous sens ; il se prenait à rire sans propos et devisait stupidement. Le jeune homme mangeait rarement à la table familiale, et, s'il venait un personnage de marque, on faisait disparaître Claude dans sa chambre. Toujours des serviteurs se tenaient à ses côtés pour empêcher « qu'il ne fist quelque follye ».

Toutes ces indiscrétions nous sont révélées par une enquête de la Chancellerie de Bretagne ; enquête dont la conséquence immédiate fut la renonciation aux seigneuries patrimoniales [Note : L'enquête ordonnée par mandement du 27 avril 1532 porte en titre : Déposition sur la folie de Chaude de Rohan, évêque de Cornouaille, et en note : « Il faut le faire régir dans l'intérêt de son neveu et du nom de Rohan » (Trésor des Chartes, J, 246). Marie de Bretagne était arrière petite-fille du roi de France Charles VI, Claude de Rohan, du fait de sa mère a pu subir le poids de cette hérédité lointaine].

Corlay passe aux Guémené.

La Vicomté de Rohan se trouve alors diminuée de toute l'importante seigneurie de Corlay ; un acte du 7 octobre 1535 règle définitivement ce démembrement. Marie de Rohan, dame de Guémené, se plaignait de son partage, insuffisant, disait-elle, pour asseoir les 4200 livres tournois qui lui avaient été reconnues [Note : Marie de Rohan disait que Plouha et Plouézec, dans le Goëllo, baillés pour 1200 # de rente, valaient tout au plus 7 ou 800 # et que Corlay et La Marche, prés Montfort, comptés pour 3000 # de rente, valaient entre 16 et 1800 #. Il n'est plus question ici de la terre de Quemenet, en Cornouailles]. René de Rohan, voulant satisfaire sa tante, ajouta aux terres de Corlay, La Marche, Plouha et Plouézec, cédées en 1527, la seigneurie de Saint-Aubin-des-Châteaux, dans le comté Nantais, biens fonds qui lui étaient assurés à perpétuité comme part des successions directes et collatérales. Toutes ces terres restaient en « juveigneurie et ramage de la Vicomté de Rohan ». De la seigneurie de Corlay étaient spécialement et formellement réservés les droits sur l'abbaye de Bon-Repos qui « demeura sous l'autorité, prérogative, supériorité du Vicomte comme par le passé... » ; la dame de Guémené ne pouvait rien prétendre sur les religieux, ni sur les sujets de l'abbaye, toutefois elle jouira, est-il dit, des prééminences d'église, sépultures et chapelles, dont les sires de Guémené ont toujours joui. Par ailleurs, le Vicomte conservait une supériorité de justice sur les vassaux de Corlay ; officiers et justiciables de la seigneurie devaient comparaître et se délivrer aux plaids de Noyal « de la manière et sur les peines accoutumées », et, de plus, étaient tenus de se présenter à la cour royale de Ploërmel sous les congé et menée du Vicomte.

Cet accord fut consenti au manoir de la Villeaucher, en présence d'un grand nombre de personnes notables ; le roi le ratifia un an plus tard [Note : La Transaction (8 octobre 1535) fut passée entre Louis de Perron, sgr de Châtillon, et Renaud Bochetel, abbé de Bon-Repos, tuteurs de René de Rohan, d'une part, et Gillet de Commares, sgr de Blandin, maître d'hôtel ordinaire du Dauphin, procureur de la dame de Guémené, d'autre part, en présence du sgr de Châteaubriant, de Guy de Laval, premier président, Jean d'Epinay, Gilles de la Pommerays, maître d'hôtel ordinaire du roi, René boursault, abbé de Saint-Melaine, Hervé du Quellenec, Jean Glé, François de Kermainguy (B. N. fr. 22342 et Arch. des Forges des Salles), François Ier ratifia l'acte le 15 décembre 1536. — Nous n'avons pu identifier le manoir de la Villeaucher, qui ne semble pas se trouver dans le fief de Rohan ou de Guémené, à moins que ce ne soit la Ville-Boscher, en Trevé. Plus vraisemblablement, il s'agit de Villocher, en Nozay, que visita François Ier en 1532 — Aux plaids généraux tenus à Pontivy, le 28 novembre 1549, Louis de Rohan-Guémené fit hommage de son fief de Corlay, en juveigneurie, mais il refusa l'acte de reconnaissance pour ses autres terres, « jusqu'aux prochains plaids », afin d'avoir le temps de mieux étudier ses droits. (Barthélemy)]. Depuis ce temps, Corlay n'est jamais sorti des mains des seigneurs de Guémené.

***

Décadence de Bon-Repos.

Qu'était-il advenu de Bon-Repos depuis les temps où nous avons laissé l'abbaye florissante et digne des faveurs des plus grands seigneurs de Bretagne ? Hélas ! l'abondance des biens temporels et le relâchement de la morale religieuse l'avaient bien fait déchoir du rang élevé qu'elle occupait dés sa fondation. Petit à petit les religieux avaient cherché à se soustraire aux obligations de leur règle et à la surveillance des Ordinaires. En 1387, l'abbé de Citeaux, supérieur général de l'Ordre, procéda à la réforme de l'abbaye qui, pour un temps, revint aux règles de Saint-Benoît [Note : Le septième mercredi après Pâques de l’an 1387. (D. M. II. 534)]. Par malheur le relâchement avait gagné tous les ordres religieux. Les papes s'en émurent hautement, les rois s'en plaignirent non moins ouvertement, et on en arriva à ce point que l'autorité ecclésiastique et l'autorité civile se concertèrent pour enrayer le mal.

Dans les possessions des Rohan, les choses étaient au pire. Le Vicomte Alain VIII et Batrix de Clisson en appelèrent au Souverain Pontife. On voyait des chefs de monastères, abbés et prieurs, abandonner tous les devoirs de leur état et les obligations de leurs fondations, négliger de célébrer les offices divins, même la messe, refuser de faire l'aumône, laisser les couvents tomber en ruine, ne se souciant d'aucun entretien bien qu'ils perçussent intégralement les revenus amplement suffisants pour subvenir aux charges. Sans parler des établissements du Léon, Saint-Jean-des-Prés lès Josselin, Lantenac, Sainte-Croix, Saint-Lau, La Trinité, Bodieuc, étaient particulièrement visés. En conséquence, l'ordre fut donné par le pape Jean XVIII, à l'abbé de Bon-Repos, de visiter en personne tous les monastères des fiefs de Rohan, afin de corriger les abus et inciter les religieux à rétablir le service des fondations ; cela, sous peine de censure ecclésiastique et même, « autant qu'il sera nécessaire, appelant l'aide du bras séculier » [Note : Bulle du 28 février 1415. D. M. II, 927].

Les lettres papales pour le Vicomte de Rohan, sont de 1415 ; elles rappellent les excès qui se commettaient ailleurs et que l'assemblée générale de Paris, en 1493, voulut corriger par des règlements contre le luxe des abbés, la propriété personnelle des moines, la présence des femmes dans les maisons conventuelles et celle des religieux dans certains endroits profanes, les noces et les tavernes, ainsi que leur habitude de porter des armes défensives. Ces réprimandes en disent suffisamment long sur les désordres qui ruinèrent l'esprit monastique au XVème siècle.

Malgré ce que nous avons dit plus haut de la réforme de 1387, Bon-Repos ne fit malheureusement pas exception aux autres établissements religieux contre lesquels Alain VIII de Rohan avait porté de si pénibles accusations, et elle ne mérita pas longtemps la confiance du pape. Aux fautes de discipline, vint s'ajouter à Bon-Repos la mauvaise administration, « dissipation et aliénation » des biens de l'abbaye, particulièrement des bois de futaie dont les moines avaient la jouissance, réservée aux seuls usages du monastère. Le prieur fut mis en demeure de résigner ses fonctions d'administrateur et l'abbé prit l'engagement, en présence du Conseil de la Vicomté, siégeant à La Chèze, de mettre bon ordre à la gestion des revenus [Note : Actes du 7 août 1464 et des 3-7 juillet 1466. (B. N. ms. fr. 8269)]. Non contents de faire argent des « bois anciens » de Quénécan, les moines ou leurs serviteurs avaient été pris sur le fait, abattant des bois l'ouvre à Poulancre où ils n'avaient aucun droit.

Bon-Repos, sorti de Boquen, restait, au point de vue religieux, sous la juridiction supérieure de l'abbaye mère. Les avertissements ne furent pas ménagés par celle-ci et l'on vit, dix ans après la résignation du prieur, l'abbé de Boquen, assisté de celui de Bégard, aller interdire solennellement l'abbé de Bon-Repos, Alain de Penguilly, pour « maléfices, délits et mauvaise administration ».

Alain de Penguilly était précisément le chef du monastère auquel, en 1464, le Conseil du Vicomte avait confié le soin de rétablir l'ordre dans les affaires temporelles. Mal conseillé sans doute, l'abbé avait nommé, pour remplacer le prieur déchu, trois administrateurs et receveurs laïques : Jean Le Fresne, Jehan Le Guesnier et Jacques Boschier qui n'avaient pu ou n'avaient voulu rendre aucun compte à l'autorité supérieure. Et, curieux retour des choses, cette fois ce fut l'abbé du « benoist Moustier » qui dut céder la place à son prieur, lequel reçut la direction du couvent. Alain de Penguilly, ainsi déposé, dut se contenter d'une simple provision pour son entretien personnel. Ajoutons que l'administration de l'abbaye n'en alla pas mieux après cette nouvelle intervention. Raoul Bernard, recteur de Guégon, succédant aux receveurs laïques, tout au moins dans la perception des rentes de la juridiction de Pontivy, restait, après un seul semestre, créditeur de l'abbaye pour 1.100 livres en argent, 194 renots de seigle, et 42 renots d'avoine. Cette dette se régla par une transaction [Note : Pour récompenser le receveur de ses mises, les religieux lui garantirent 1100 # m, sur les censives de Pontivy et les deniers de la recette de la Vicomté dont ils jouissaient « par les mains du receveur d'icelle », plus 300 renots de froment par an à prendre sur les rentes et dîmes de l'abbaye aux paroisses de Noyal et Malguenac, payables par les mains des fermiers des dites dîmes. 25 mars 1477. (Arch. des Forges des Salles)].

Comme, au point de vue du temporel, le Vicomte de Rohan avait toujours maintenu sa supériorité féodale sur Bon-Repos, la décision de l'abbé de Boquen est confirmée par acte souverain de Jean de Rohan, donné à Josselin le 25 mars 1475 [Note : Charte de Boquen. Anciens Evêchés, III, 306]. Le sire de Rohan n'aurait pas manqué cette occasion d'affirmer ses droits ; dans maintes circonstances, les abbés de Bon-Repos avaient cherché à secouer la dépendance seigneuriale, et ce même Penguilly avait soulevé mille difficultés lors de sa nomination en s'opposant à l'installation par les officiers de Rohan. Le procès qu'entraîna ce refus permit au Vicomte de rappeler qu'aucun abbé pourvu par résignation, élection, collation de prélat, ou autrement, ne devait jamais être reçu et mis en possession du moustier, « sans les moyens, licence, autorité et consentement » des fondateurs. Les privilèges de Rohan étaient d'ailleurs fondés sur des titres authentiques.

Dans un appointement, consenti le 7 août 1465, en présence de Jean de Lorraine, tuteur du Vicomte, de l'abbé de Boquen, de maître Hervé Tresfranc, curé de Laniscat, et de Jean Boschart, secrétaire du Vicomte, Alain de Penguilly reconnut officiellement, en son nom et au nom de ses successeurs, les droits des Rohan. Six membres du Conseil du Vicomte furent désignés pour installer régulièrement le nouvel abbé et recevoir de lui le serment d'accomplir entièrement « le service et office du monastère... suivant les lettres de fondations » [Note : Acte du 10 juillet 1465. (B. N. ms. fr. 8269)].

Dom Morice a conservé un mandement de René de Rohan qui commet son conseiller, Pierre le Forestier, sénéchal de Porhoët, pour recevoir l'obéissance de Renaud Bochetel, grand archidiacre d'Angers. A cette époque, la Couronne s'était emparée des nominations ecclésiastiques et, à la suite du décès de Hervé de Lannion, Renaud Bochetel avait été pourvu par le pape, abbé de Bon-Repos, sur la nomination du roi. « Usant de nos droits et de ceux que nos prédécesseurs ont accoutumé jouir... etc., disent les lettres du Vicomte de Rohan, députons nostre amé et féal conseiller..... pour assister à la possession que prendra iceluy Bochetel et lui faire les sommations à ce qu'il ait à faire, promettre et jurer les redebvances, devoirs et obeissances qu'il et ses prédécesseurs nous estaient et sont tenus faire » [Note : 10 Janvier 1534 (1535 n. s.). (D. M. III, 1018)]. Jean Rousselet, un des successeurs de Bochetel, n'accepta pas, non plus, sans opposition, l'autorité temporelle du Vicomte [Note : D. Morice].

La nomination appartenait au roi. Les Vicomtes auraient voulu avoir la présentation, mais le droit de patronage n'avait pas été expressément réservé par les fondateurs. Le Conseil du Vicomte fut saisi de la question ; deux avocats de Rennes appelés en consultation conclurent que le Vicomte, par lui ou ses officiers, devait simplement induire l'abbé en possession et saisine du temporel ; de quoi il est possible d'inférer tout au plus que, durant la vacance du siège, le seigneur pouvait saisir les bénéfices [Note : « Consultation touchant l'abbaye de Bon-Repos relativement à la présentation à laquelle prétend le Vicomte de Rohan », par Laillier et Giffart. 6 octobre 1563. (Arch. des Forges des Salles)]. Nous n'avons pas de preuve que les Vicomtes aient exercé cette régale temporelle, mais ils ont exigé l'obéissance à l'entrée en jouissance, ce qui d'ailleurs n'exemptait pas les commendataires de la fidélité par serment au roi.

La commende ne pouvait qu'accélérer la décadence des monastères, elle devint une simple jouissance de revenu, un bénéfice viager auquel peu d'usufruitiers attachaient l'idée d'un devoir. Les moines cherchaient, par tous les moyens, à se préserver de la rapacité des commendataires ; de telle sorte, qu'entre les religieux et les abbés, il n'existait plus guère que des relations d'intérêts et trop souvent des procédures succédant à de pénibles exactions.

Par un instinct secret, les religieux de Ban-Repos ont eu, semble-t-il, l'intuition du péril qui les menaçait. A Renaud Bochetel [Note : Guillaume Bochetel, archidiacre d'Angers, obtint de François Ier les abbayes de Coëtmalaouen et de Bon-Repos en 1534 et en prit possession en 1535], ils opposèrent un abbé de leur choix, Guillaume de Cacé, mais leur tentative resta sans effet. Un dernier effort, après le décès de Bochetel, ne fut pas plus heureux ; ils ne réussirent pas à maintenir frère Jean du Quellenec et subirent dans la suite les protégés de la Cour.

Nous verrons à quelles honteuses querelles en arrivèrent les abbés avec leurs subordonnés et réciproquement les religieux avec leurs supérieurs. Il est indiscutable que la commende a été un régime néfaste et une des causes principales de l'état profondément lamentable des ordres religieux aux XVIIème et XVIIIème siècles.

A combien se montaient les fruits et revenus de Bon-Repos et en quoi consistaient-ils ? Nous ne pouvons en déterminer le chiffre exact pour le XVIème siècle ; il était certainement important, si l'on tient compte de l'estimation de 1800 livres de rentes donnée, en 1479, par Jean de Rohan. Le 24 juin 1541, l'abbé Guillaume Latreanus fournit un dénombrement détaillé des possessions de l'abbaye. On y retrouve les dotations de 1184, les donations du duc Jean en 1381, les dîmes nombreuses sur lesquelles il nous faudra revenir. Dans la seule paroisse de Noyal, les dîmes montent à deux cents livres, tandis que l'ensemble des tenues, domaines, moulins à blé et à foulon peuvent rapporter trois cents livres. Les prairies, jointes au monastère, contiennent environ soixante journaux, y compris celles de la métairie de la Porte. Sur la rive gauche de la rivière, l'abbaye a la propriété du bois Blaise et des « autres boays prochains » ; cependant nous ne voyons pas figurer dans l'acte le bois de Saint-Houarneau ou de Saint-Hervé, en Pellan, à l'ouest du chemin de Perret, que les aveux du XVIIème siècle ne manquent pas de mentionner comme bien de fondation. A vrai dire, le fondateur avait seulement donné aux moines, dans ce canton, le droit de paisson, mais plus tard l’abbaye s'en fit concéder l'entière propriété [Note : Une lettre confirmative des biens de Bon-Repos, par Olivier de Rohan, en 1221, porte bien que cette partie de la forêt « au-delà, du chemin de Perret » leur « a été donnée en toute propriété » ; mais ce passage est-il authentique ?]. La déclaration de l'abbé Latreanus porte encore sur les bailliage et village de Kergrist, en Saint-Michel, près de Guingamp, dont l'origine de propriété n'est pas indiquée [Note : On trouve aux archives de la Chambre des Comptes de Nantes, deux aveux de Bon-Repos relatifs à ce bailliage, en date des 3 mars 1451 et 19 octobre 1506].

Comme biens de main-morte, toutes ces possessions sont inaliénables et sans rachat, exemptes de coutume et de tonlieu par privilège des fondateurs [Note : Charte de 1184] mais non entièrement libres de charges. Les obligations relatives aux dotations consistent en messes, offices commémoratifs, oraisons et prières ; les devoirs féodaux se traduisent en légères redevances aux seigneurs dominants [Note : Au Vicomte de Rohan : 60 sous m. le jour de la mise à ferme des dîmes de l'abbaye et, par ailleurs, 4 # devant être versés à Pontivy ; — au sire de Guémené : 8 # 7 s, 6 d. m. ; — sur les dîmes, seize renots de froment aux religieux de Lantenac et six sommes de seigle au recteur de Laniscat ; — sur le bailliage de Kergrist, neuf charges de froment, mesure de Guingamp]. Le supérieur de l'Ordre reçoit, par an, vingt livres de visite. L'aumône générale consiste à faire la charité, deux fois la semaine, à tous les pauvres qui se présentent. L'abbé doit, sur les revenus, payer les gages des officiers et serviteurs du couvent, l'entretien des religieux, au nombre de dix-huit en 1541, et les réparations des bâtiments.

Bon-Repos avait sa foire qui se tenait au lieu dit : la Porte aux Moines, le jour de la Saint-Pierre. Elle fut affranchie, le 26 août 1441. Un devoir de coutume avait été accordé aux religieux à la foire de Quernestevoi [Note : Acte du 26 août 1447. (B. N. ms. fr. 22333 , f. 58)].

A l’exception des profits sur le port de Quimper et les sécheries de Cornouailles [Note : Donation de 1381], à l'exception aussi du bailliage de Kergrist, près de Guingamp, les biens et revenus de l'abbaye se trouvaient sous le fief de Rohan, aux juridictions de Corlay et de Pontivy. Bien que faisant partie du territoire de Corlay, le monastère, après le démembrement de 1535, resta dans l'obéissance directe des Vicomtes de Rohan. Les vassaux furent maintenus justiciables en appel de leurs cours respectives.

Bien entendu, l'abbaye avait sa justice particulière, à trois degrés, qui s'exerçait, au XVIème siècle, dans l'auditoire de Gouarec, à l'issue de l'audience de la Vicomté. Par lettres de 1491, Anne de Bretagne avait permis aux moines d'ajouter un troisième pilier à leurs patibulaires, privilège confirmé par le Parlement en 1662. A la vue de tous, le gibet des moines, témoin irrécusable de leur puissance temporelle, se dressait sur le tertre d'une lande située en bordure du grand chemin de Gouarec à Loudéac.

Querelle des dimes de Bon-Repos.

L'article le plus important de la déclaration de Bon-Repos est celui des dîmes. De tout temps, des dîmes avaient été libéralement concédées à l'abbaye par les vassaux nobles et surtout par les Vicomtes de Rohan.

Les dîmes de Bon-Repos sont à la douzième ou à la onzième gerbe ; cette gerbe devait être partagée avec les recteurs au tiers, parfois à la moitié, la grosse portion revenant aux religieux. Elles n'ont pas de rapport avec les limites des fiefs, des seigneuries ou des tenues particulières, mais plutôt avec les divisions des paroisses, des trèves, des frairies et surtout des cantons particuliers, appelés traits ou cours de dîmes. Elles ne souffrent d'exemptions ni réelles, ni personnelles ; s'étendent sur les terres nobles [Note : Mémoire de Lanjuinais ; nombreux actes à l'appui] comme sur les terres roturières, sur les terres à héritage comme sur les terres à convenant [Note : Mémoire de Lanjuinais ; nombreux actes à l'appui]. C'est dire que le droit est universel dans chaque dîmerie. Elles atteignent tous les blés, même les blés noirs [Note : Mémoire de Lanjuinais ; nombreux actes à l'appui]. La quotité en est uniforme et différente de celle du terrage ou champart, elles se lèvent avant celui-ci et les redevables n'en passent point d'actes recognitoires. Ces derniers caractères distinguent, plus particulièrement, la dîme essentiellement laïque de la dîme inféodée, d'origine ecclésiastique.

Lanjuinais a nettement établi l'origine des dîmes de Bon-Repos dans son Mémoire de 1786, au soutien des contestations de l'abbé de la Biochaye ; mémoire copieusement documenté qui nous sert ici très utilement [Note : Mémoire sur l'origine, l'imprescriptibilité, les caractères distinctifs des différentes espèces de dîmes et sur la présomption légale de l'origine ecclésiastique de toutes les dîmes tenues en fief, par M. Lanjuinais fils, avocat au Parlement de Bretagne. Rennes, Vatar 1786]. Les donations aux réguliers présentaient, en quelque sorte, le caractère d'une restitution à l'Eglise de redevances qui lui avaient été usurpées anciennement [Note : Les dîmes dues à l'église étaient passées, sur l'ordre des souverains, ou par usurpation directe, aux mains des seigneurs laïcs, principalement sous Charles Martel. Ainsi inféodées, elles furent transmissibles à titre de fiefs en l'air ou fiefs incorporels. Le troisième Concile de Latran (1179) reconnut les dîmes inféodées et se borna à les défendre pour l'avenir. Saint Louis autorisa la restitution des dîmes féodales au clergé sans le consentement du suzerain, consentement exigé jusqu'alors parce que la restitution apportait une diminution au fief]. Durant deux siècles, de 1184 à 1384, ces donations se poursuivent. Les Rohan qui ont dans leur main la plus grande part des dîmes inféodées de leur fief se montrent les plus généreux. Lors de sa fondation, l'abbaye reçoit les dîmes de Plussulien, Saint-Ygeaux, Merléac, Saint-Mayeuc ; au cours du XIIIème siècle, elle bénéficie de trente-cinq quartauts à Noyal, d'autres quantités de grains à Malguénac, Melrant, Silfiac, Merléac, etc. ; Jean de Rohan, en 1373, lui assigne quarante traits de dîmes, estimés 82 # 4 s. 6 d. dans les paroisses de Noyal, Saint-Gonnery, Neuillac, Cléguérec, Malguénac, Remungol et Bieuzy [Note : Actes de Bretagne déjà notés]. Lanjuinais attribue aux religieux de Bon-Repos les dîmeries de douze paroisses du duché de Rohan, et il entend par là le droit pour ainsi dire exclusif dans ces paroisses. La recette en est faite par un fermier qui fournit une rente fixe au décimateur et perçoit la redevance à ses risques et périls. De temps immémorial, dit l'aveu de 1638, depuis, tout au moins le commencement du XVIème siècle, les officiers de Pontivy procèdent chaque année, le mardi de la Pentecôte, au bourg de Noyal, à l’adjudication de cette ferme.

On souleva les oppositions les plus diverses à la perception des dîmes. Dans le but de se soustraire à cette lourde imposition de la terre, certains vassaux contestaient sa nature, son universalité ; d'autres, profitant du défaut d'actes recognitoites, alléguaient la prescription, cependant non admise pour les dîmes ecclésiastiques ; d'autres encore offraient la part rectorale et refusaient celle des moines. La question des enclaves et des nouvelles cultures ne fut pas la moins épineuse. A partir surtout du XVIème siècle, les procès se multiplièrent ; et à la fin du XVIIIème siècle les refus étaient si fréquents que l'abbaye risquait d'être dépouillée purement et simplement par le mauvais vouloir des redevables.

Lanjuinais fait remonter l'origine de toutes les récentes oppositions présentées contre la perception des dîmes de Bon-Repos aux troubles du protestantisme qui éclatèrent en Bretagne vers 1560. Les réformés se firent un mérite de refuser les dîmes aux ecclésiastiques et un grand nombre de nobles et de non nobles s'en prétendirent exempts. De là tant de procès, tant de jugements et d'arrêts destinés à contraindre les récalcitrants [Note : Les rois, pour arrêter ces abus, publièrent les édits de 1562, 1570, 1576, 1577, 1598]. A Pontivy, où les nouvelles opinions s’implantèrent sous la sauvegarde des Vicomtes, la règle de refuser la dîme aux prêtres et aux religieux se généralisa rapidement ; et même, dans le but de lever les scrupules des catholiques, on publia que le pape et le roi avaient aboli les dîmes. Plusieurs gentilshommes des environs commirent des violences pour en empêcher la perception ou pour se l'approprier. L'abbaye se trouva entraînée à poursuivre des procédures sans fin contre les réfractaires.

Heureusement pour les religieux, les Rohan-Guémené avaient persévéré dans la foi catholique ; Louis de Rohan, comme seigneur de Corlay, prit Bon-Repos sous sa protection et donna des ordres pour contenir dans le devoir ses vassaux en proche et arrière fief. Une lettre qu'il écrivit à ce sujet au sieur de Clehunault, un des plus violents ennemis des dîmes, mérite d'être rapportée : « J'ai entendu que vos hommes et sujets qui devaient la dîme à l'abbaye de Bon-Repos, écrit-il le 26 juillet 1561, ne la veulent payer cette année. J'ai voulu vous le dire, afin que vous leur commandiez, sous peine de me désobéir, et vous aussi, qu'ils ne faillent à la payer, ainsi qu'ils ont accoutumé ; car je ne voudrais que tels abus, qui sont de si mauvais exemple, fussent commis en mes terres par mes vassaux et sujets, encore moins en l'endroit de M. de Bon-Repos, que de mes autres, car il est de mes bons amis » [Note : Mémoire de Lanjuinais. Lettre tirée des archives de l'Abbaye]. Toutefois cette lettre ne fit que retarder les violences des protestants. Le sieur de Lesongard, successeur du sieur de Clehunault, avait hérité de sa haine pour les moines. Le sire de Coetquen était animé des mêmes sentiments. Non seulement l'un et l'autre empêchaient de payer les dîmes à l'abbaye, mais ils s'emparaient avec violence de celles de leur voisinage « par le moyen d'hommes armés de bois et de halebardes » [Note : Propres termes des témoins dans les enquêtes du procès, 1566 à 1570]. On dut demander des sauvegardes contre eux. Ces seigneurs jouirent, durant plusieurs années, du fruit de leurs usurpations. Deux sentences confirmées par arrêts du Parlement en 1570, ne purent encore les réduire ; il fallut plaider contre eux en 1572, pour tâcher d'obtenir l'exécution
de ces arrêts.

En 1571, l'audace des protestants des environs de Pontivy et de Corlay fut à son comble ; il y eut de leur part une espèce de conjuration générale pour abolir les dîmes de Bon-Repos. Cent chefs de famille qui avaient à leur tête un gentilhomme, Philippe du Ponthou de Kersaint, avaient refusé la dîme sur leurs terres situées dans la dîmerie de l'abbaye. Il y avait parmi eux, les représentants des familles Guillermo, Davalan, Briant, Olivier, Le Roy, Tanguy, qui, au XVIIIème siècle, renouvelèrent la querelle. Tous prétendaient à l'exemption du droit sur les terres à héritage et contestaient l'enclave. Le célébre d'Argentré se prononça nettement contre les défendeurs. Le sieur du Ponthou et ses adhérents relevèrent appel de la sentence du Présidial de Rennes, celle-ci fut confirmée par arrêt du Parlement. Le principe et l'application du droit de dîme s'est trouvé, de nos jours, trop souvent en butte à la critique, pour que nous passions sous silence un adoucissement apporté aux obligations des redevables que permet de constater le procès de 1571. M. de Kerscabin, commis au règlement de cette affaire, permit « aux hommes tenant terres sujettes audit devoir, d'emporter leurs bleds, laissant aux champs les dîmes au péril des dîmeurs » [Note : Affaire de 1571, contre les protestants des paroisses de Corlay, Plussulien, Saint-Méac, Saint-Ygeaux, Laniscat (Lanjuinais)].

A cette époque, la situation ne laissa pas d'inquiéter les moines, ou plus vraisemblablement l'abbé, bien placé pour demander au roi son appui. Jean Rousselet, commendataire, était en effet clerc et sommelier de l'oratoire de Charles IX. Sans doute est-ce par son intervention, que Bon-Repos reçut des lettres souveraines de confirmation lui assurant la perception des dîmes et prémices si fortement contestées dans la Vicomté de Rohan et la seigneurie de Corlay [Note : Lettres patentes du 23 septembre 1571 (Registres du Parlement)].

En plusieurs cantons, les dîmes de Bon-Repos s'étendaient même aux terres nouvellement cultivées, bien que ces novales appartinssent, en principe et généralement, aux recteurs. Certains gros décimateurs, comme les ordres de Cîteaux et de Prémontrés, auraient joui d'une exception. Toutefois nous ne voyons nulle part, dans leur défense, les religieux invoquer ce privilège. Une sentence arbitrale de 1312, entre les moines et le vicaire de Merléac, reconnut à Bon-Repos les novales en cette paroisse. Ce droit existait encore à Saint-Mayeuc. Il fallut, en 1447, une concession officielle des novales dans les forêts de Quénécan, Poulancre et Branguilly, pour faire cesser les troubles qu'apportaient à la jouissance des moines, les officiers mêmes de la Vicomté [Note : B. N. fr. 22333, f. 58. Acte du 26 août 1447]. Même dans la suite, les novales de Quénécan furent contestées. Marguerite de Rohan, en 1650, voulut concourir avec les recteurs aux devoirs sur les défrichements de la forêt et les moines durent « apparoir de bons et valables titres » [Note : Mémoire de Lanjuinais].

Si les dîmes inféodées grevaient lourdement la terre, il ne faut pas oublier qu'elles étaient sujettes à des charges. Le Vicomte de Rohan ne transmit à l'abbaye les dîmes référées en la charte de 1373, qu'en imposant aux religieux l'obligation de rabattre sur leur produit « les devoirs qui sont anciennement dus sur lesdites dîmes » ; devoirs peu sensibles assurément au moyen-âge, mais qui augmentèrent avec le temps et surtout aux XVIIème et XVIIIème siècles, tandis que les usurpations injustifiées, elles aussi, progressaient chaque jour. On sait que les gros décimateurs eurent à servir au clergé séculier une pension annuelle pour leur subsistance ; or, dans plusieurs cas, l'abbé et les religieux de Bon-Repos préférèrent abandonner leurs dîmes plutôt que de payer les portions congrues, par exemple à Croixanvec, à Silfiac, à Perret, et peut-être dans d'autres paroisses [Note : Sentence du présidial de Vannes du 14 août 1710. Attestation du recteur de Silfiac en 1761. (Mémoire de Lanjuinais)]. En outre, les décimateurs ont eu l'entretien de la partie de l'église paroissiale appelée chanceau, l'entretien également des ornements et livres d'église. Bon-Repos, nous en avons la preuve, contribuait à ces frais ; l'abbé d'ailleurs s'en acquittait souvent d'assez mauvaise grâce [Note : En 1645, le clergé de Noyal obtint un arrêt pour que la tierce partie du revenu des dîmes de Bon-Repos fût affectée chaque année à l'entretien de la chapelle Sainte Marguerite. (Arch. des Salles.) — Le 2 juin 1733, le Conseil du roi condamna les décimateurs de Saint-Martin-des-Prés à fournir 4000 # pour construire le chanceau de l'église (le devis total montait à 19.500 #). L'abbé fut taxé pour 3.367 # 8 s. 6 d.; il obéit et son dernier paiement est constaté par quittance de 1761. — Le recteur de Silfiac atteste, en 1761, que Bon-Repos a payé jusqu'à cette époque la portion congrue à lui et à son vicaire, que l'abbaye a fourni les ornements et livres d'église et entretenu le chanceau. (Actes cités par Lanjuinais.) — Les charges mêmes constituaient une distinction entre les dîmes féodées d'origine ecclésiastique et les terrages. Ces dîmes étaient exemptes des levées de deniers pour la construction de la nef de l'église et de la maison presbytérale des paroisses, pour l'entretien des ponts et chaussées dans les chemins de traverse, pour la nourriture des bâtards et généralement pour toutes les autres dépenses communes auxquels sont assujettis les champarts].

Les religieux avaient obtenu du duc Jean II de Bretagne l'amortissement de leurs dîmes, et comme le Vicomte de Rohan s'était plaint de la diminution qui résultait de cet amortissement pour la temporalité de sa seigneurie, le duc, par de nouvelles lettres, datées de 1422, lui accorda la proche mouvance de ces dîmes [Note : Actes du 27 mars 1421 (Arch. des Salles) et du 1er janvier 1422 (D. M. II, 1128)]. C'était là une concession plutôt honorifique qu'avantageuse, mais les seigneurs, avec juste raison, tenaient à l'intégrité de leur fief et l'obéissance entraînait d'ailleurs les droits de justice directe.

Difficultés soulevées par la mouvance des établissement religieux.

La question de la mouvance des bénéfices ecclésiastiques et des établissements réguliers à laquelle nous touchons ici, mit longtemps les Vicomtes, puis les ducs de Rohan, aux prises avec le pouvoir souverain. Les ducs de Bretagne réclamaient l'hommage direct des abbayes et prieurés au Porhoët comme du Rohan ; les Vicomtes, de leur côté, soutenaient que, par privilège spécial, ces établissements religieux avaient toujours été soumis, pour leur temporel, à leur autorité seigneuriale. En 1422, Jean V consentait à satisfaire Alain de Rohan en ce qui concerne la mouvance des dîmes parce que, deux ans auparavant, le Grand Conseil avait prononcé un arrêt en faveur du Vicomte. Cependant, maintes fois l'affaire de mouvance revint sur le tapis ; un jour réglée, un autre jour remise en cause, elle a duré des siècles et durerait encore si le régime seigneurial n'avait été aboli. A chaque nouvelle tentative, les Rohan apportaient leurs preuves appuyées sur titres incontestables et chaque fois les débats, plus ou moins longs, étaient clos par un arrêt de maintenue. Ainsi furent rendus les jugements des 3 octobre 1391, 27 septembre 1420, 24 octobre et 9 janvier 1500, 23 avril 1501, 10 novembre 1603, 20 juin 1656, 2 avril 1692, 10 octobre 1732, 8 juin 1734, etc.

L'esprit d'indépendance des moines ne manqua pas d'attiser les débats ; même nous les soupçonnons fortement, Bon-Repos en bonne place, d'avoir allumé la querelle. Des lettres de Jean IV, en date du 30 octobre 1392, enjoignent aux officiers de la cour de Ploërmel de laisser au Vicomte les « justiciement et proche seigneurie » sur le temporel des abbayes de Bon-Repos et de Lantenac, ainsi que des prieurés de Locminé, Rohan, Saint-Lau, La Trinité [Note : Arch. des Forges de Lanouée]. Quelques mois après, l'abbé de Bon-Repos fait une véritable soumission en rendant son aveu à Jean de Rohan. Il confesse avoir été plusieurs fois « ajourné, sommé et requis » tant à Corlay qu'à Pontivy, de bailler reconnaissance au seigneur de Rohan, et avoir acquis la certitude par témoignages oraux et écrits que les religieux, ses prédécesseurs, ont obéi aux Vicomtes et à leurs cours [Note : Le quatrième dimanche de Carême 1393 (n. s.) (D. M. II, 618, 619). — Le même abbé, humble frère Yves, rendit un autre aveu de son moustier le 6 septembre 1406. (Arch. des Salles)].

L'arrêt le plus notoire est celui du 27 septembre 1420, constamment invoqué dans la suite. Sur le différend où Alain de Rohan et Béatrix de Clisson se trouvaient défendeurs, le duc ordonna une nouvelle enquête. Maîtres Olivier de Chamballan, sénéchal de Ploërmel, James Le Flanc, alloué de Nantes, et James Le Bel, désignés par lui pour examiner les titres et entendre les témoins, formulèrent des conclusions que Jean V fit siennes en ces termes : « Déclarons que la juridiction et seigneurie proche sur lesdits abbayes et prieurés et leurs hommes et sujets, à cause de leur temporel situé sous nostre barre de Ploërmel, appartient et demeure sera pour tout le temps advenir à nostre Cousin et Cousine et leurs hoirs à en user et jouir comme de leurs autres sujets.. sauf et réservé à nous la haute seigneurie à nostre cour de Ploërmel, comme suzerain » [Note : B. N. ms. fr. 22332 f. 77 et Arch. des Salles]. Ce fut donné au parlement général de Vannes, en présence d'un grand nombre d'évêques, d'abbés et de seigneurs laïcs. Une autre forme de sentence, plusieurs fois rapportée, reconnaît aux Vicomtes « la possession de justicier lesdits religieux et leurs hommes tant à instance de cour que de parties, de les taxer et juger amendables, de prendre et exécuter, sur eux et leurs biens, pour les taux et amendes jugées et taxées tout ainsi que le seigneur proche peut faire en son fief » [Note : Arrêt du 10 novembre 1603 (B. N. ms. fr. 22332, f. 77)]. On comprend aisément que ces droits si formellement exprimés pouvaient gêner les moines.

Aux plaids généraux de Ploërmel de 1501, les abbés et prieurs de Rohan et de Porhoët sont condamnés à rendre aveu au seigneur de Rohan ; c'est donc qu'ils ont eux-mêmes provoqué un nouveau démêlé [Note : Arrêt du 23 avril 1501 (B. N. ms. fr. 22341, f. 5 et Arch. des Salles)]. Après tant de jugements conformes, Alain de Penguily, que nous connaissons déjà pour avoir refusé la mise en possession par les officiers de Rohan, ne trouve rien de mieux que de fournir aveu de tous ses biens au duc de Bretagne « dont il les tient, prétend-il, comme fiefs d'église » [Note : Chambre des Comptes, Nantes]. Il n'est pas douteux que l'abbé se fit rappeler à l'ordre comme il le méritait.

Par ces confirmations successives, les juges de la Vicomté eurent le droit incontestable de connaître, dans leur ressort, toutes les matières bénéficiales réservées dans le reste de la province et, depuis 1552, aux présidiaux [Note : Avant cette date, il semble que le Conseil du duc ait eu seul la connaissance de ces matières. — Le privilège auquel nous faisons allusion fut abandonné par les juges de Rohan à la fin du XVIIIème siècle]. De la sorte, les cours présidiales ne jugèrent qu'en seconde instance pour le Rohan et le Porhoët, et c'est à ce titre, évidemment, qu'on voit plusieurs procès relatifs aux dîmes se dérouter aux sièges de Vannes et de Rennes. La mouvance religieuse de Rohan s'étendait en outre « aux églises paroissiales, presbytères, autres bénéfices et gens d'église » [Note : Arrêt du Parlement de Rennes, du 2 avril 1692, rendu sur appel de sentence des commissaires réformateurs du domaine du roi à Ploërmel les 14 et 18 décembre 1683].

Louis XIV accorda à Marguerite de Rohan des lettres patentes qui maintiennent les droits féodaux de la princesse vis à vis des bénéficiers, dans tous ses fiefs, tant de Haute-Bretagne que de Basse-Bretagne [Note : 26 avril 1656. (Biblioth. Nantes, fr. 1729)].

Nous rappellerons ici les noms des établissements réguliers secondaires sur lesquels la Vicomté exerçait sa mouvance ; ce sont les prieurés de Locminé, Baud, Saint-Nicolas de Blavet, La Couarde, Saint-Gildas de Bieuzy, Saint-Martin de Rohan, et proche cette dernière ville, les prieurés de Notre-Dame de Bonne-Rencontre et de Saint-Samson. La Trinité, en Mohon, et Saint-Lau, en Piumieux, rendirent longtemps aveu aux seigneurs de Rohan vu qu'une grande partie de leurs biens relevaient de la châtellenie de La Chèze, héritage d'Aliénor de Porhoët [Note : Aveux des prieurés de la Trinité et de Saint-Lau au Vicomte de Rohan, 18 juillet 1405 .(B. N. ms. fr. 22332)].

Sur le même territoire de La Chéze, se trouvait l'abbaye de Lantenac, fondée par Eudon II, l'aïeul d'Aliénor. Son histoire se résume en quelques actes sans importance et de ce qu'elle n'a pas d'histoire on peut inférer que, au moins jusqu'à la Ligue, elle vécut dans le calme, le travail et la prière.

Les auteurs des Evêchés de Bretagne ont trouvé la preuve que, dès le XIIIème siècle, les religieux de ce monastère étaient parvenus, dans les plaines abritées des forêts, à produire le lin que nous ne pouvons plus guère obtenir que sur le littoral ; ils auraient même été les promoteurs de cette industrie des toiles qui fit la fortune de Loudéac jusqu'au XVIIIème siècle. On sait aussi qu'ils contribuèrent à l'introduction de l'imprimerie en Bretagne.

L'art typographique apparut en Bretagne en 1484, quatorze ans après sa première apparition à Paris. A cette date, on connaît l'atelier de Bréhant-Loudéac, dirigé par Robin Foucquet et Jean Crès, « sous n. h. Jehan de Rohan, sgr du Gué-de-Lisle » ; sur vingt-trois incunables bretons, douze en sont sortis. Lantenac en imprima trois, postérieurs de quelques années à ceux de Bréhant (1491) ; l'atelier du monastère était conduit par Jean Crès qui ne collaborait plus avec Robin Foucquet.

Il est vraisemblable que l'imprimerie, sise au terroir de Bréhant-Loudéac, se trouvait établie, non au bourg même, mais plutôt sur la rivière du Lié, proche le château de Jean de Rohan, dont un beau logis du XVème siècle est encore actuellement conservé. Lantenac n'est éloigné que de quatre ou cinq kilomètres du Gué-de-Lisle ; les guerres qui désolèrent la Vicomté de Rohan à cette époque, firent sans doute délaisser l'atelier du Gué-de-Lisle. Lorsqu'elles commencèrent à s'apaiser, Jean Crès voulut, semble-t-il, reprendre son œuvre et se mettre sous la protection des moines. L'atelier de Lantenac eut peu de durée et ne produisit guère ; peut-être l'imprimerie ne put-elle survivre à son premier protecteur, le seigneur du Gué-de-Lisle, qui mourut en 1493 [Note : Lepreux, Gallia typographica, t. IV, Province de Bretagne, p. 281.285 (Fouquet et Grès à Bréhant-Loudéac, 1484-85) et p. 141-142 (Crez à Lantenac (1487-1491). L'Imprimerie en Bretagne au XVème siècle Société des Bibliophiles bretons, 1878. — Jean de Rohan était le chef d'une branche cadette sortie des Vicomtes de Rohan. (Se reporter à notre notice sur le Gué-de-Lisle qui paraîtra au chapitre des hautes justices du Duché)].

Bien entendu l'abbaye de Lantenac dut la plupart de ses biens à Eudon de Porhoët, son fondateur, puis à la générosité des Rohan ; les ducs de Bretagne eux-mêmes lui accordèrent à plusieurs reprises leur protection [Note : En fondant Lantenac, Eudon II de Porhoët concédait aux moines le lieu de Lantenac, la totalité de sa dîme de Loudéac, son droit de past à Loudeac, cent quartauts de seigle sur la dîme de Ménéac, le moulin de Trémusson, les droits d'usage dans la forêt de Loudéac (bois vert et sec, fauche des herbages, paisson des porcs), la terre de Donico et plusieurs « villæ ». — Dans la suite, les religieux reçurent cinq quartauts de froment sur les revenus de la terre de Griffet par donation des seigneurs du — cinquante livres de rente, données par le Vicomte de Rohan sur les revenus de la forêt de Loudéac, — trente livres de rente par ailleurs, — des Rohan encore : la métairie de Saint-Potan, en Loudéac, et 45 boisseaux de froment sur les moulins de La Chéze. Jean Ier de Rohan fonda en leur faveur une chapellenie, près de Rohan et au diocèse de Saint-Brieuc, appelée vulgairement le prieuré du Clos qu'il ne faut pas confondre avec le prieuré de Saint-Martin ou du Clos, situé à la porte du château de Rohan, diocèse de Vannes, et dépendant de Marmoutiers. — Le duc Jean V, à plusieurs reprises, prononça l'amortissement des biens de l'abbaye et des remises de rachat. Henri, dauphin de France, en 1546, donne aux religieux une sauvegarde pour la conservation de leurs droits contre les « haigneurs et malveillants ». (Voir pour ce qui précède Arch. C.-du-N. fonds Lantenac ; B. N. fr. 22319, fol. 225 ; fr. 22332 ; fr. 22333, f. 55 ; Bibl, Nantes fr. 1539)]. Lantenac, dit le Mémoire de 1479, vaut de 4 à 500 livres, tandis que Bon-Repos lève 1800 livres de rente ; on comprend de suite la différence de situation entre ces établissements monastiques et pourquoi Lantenac fit peu parler d'elle.

Deux autres abbayes encore se trouvaient sous la vassalité de Rohan: Langonnet et Lanvaux, à deux extrémités opposées de la Vicomté ; Langonnet pour quelques tenues seulement, Lanvaux pour des rentes et des dîmes en Camors et Plumelin [Note : Aveu des religieux de Lanvaux, rendu au Vicomte de Rohan, le 25 janvier 1410. D. M. II, 846].

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Les Rohan cherchent sur les champs de bataille une compensation à la ruine de leurs ambitions en Bretagne.

En se ralliant de bonne heure à la France — avant l'heure, pourrait-on dire, — les Vicomtes de Rohan avaient compté assurer à leur Maison la première place en Bretagne ; les événements ne leur ayant pas été favorables, ils cherchèrent sur les champs de bataille une compensation à la ruine de leurs ambitions. Jean II avait déjà sur le chemin de la France rencontré les honneurs les plus flatteurs ; ses fils et leurs successeurs trouvèrent à la suite des armées françaises la célébrité des plus illustres capitaines. Malheureusement cette gloire fut ternie, à diverses reprises, par des intrigues de guerre civile auxquelles les Rohan ne surent se soustraire, et aussi par des désirs trop ardents de fortune. Si, aujourd'hui encore, le nom de Rohan évoque tout d'abord un grand chef militaire, il n'est pas moins vrai que celui-ci, qui fut l'apôtre de la religion réformée en France, au XVIIème siècle, porta les armes durant huit années contre son roi et sa patrie.

Une conséquence fâcheuse, mais presque inévitable de l'étendue de leur action, fut, pour les Rohan, l'abandon progressif de la Bretagne. Forcément, ils subirent l'attraction de la Cour, peu à peu ils délaissèrent le fief, berceau de leur famille, et négligèrent les châteaux de la Vicomté ; Josselin demeura digne, quelque temps encore, de les recevoir [Note : Françoise de Tournemine, veuve de René de Rohan, y demeura. Elle mourut à Josselin le 28 janvier 1609], mais quand les loisirs de la paix et les obligations des charges de la Cour leur permirent de goûter le repos provincial, c'est dans la demeure vaste et imposante du château de Blain, situé à la porte de Nantes, qu'ils résidèrent de préférence.

Jacques de Rohan, tout jeune homme, marche, à deux reprises, comme volontaire, à la conquête du Milanais. Pierre de Rohan-Gié, son beau-frère, tombe courageusement à Pavie. René, fils de ce dernier, et dont nous avons déjà parlé à propos de la succession de l'évêque de Cornouailles, se trouve, avec l'élite de la noblesse bretonne, à la conquête du Roussillon dirigée par le Dauphin ; puis en Picardie avec le roi ; en Bretagne, contre les Anglais, comme lieutenant général du gouverneur Jean de Brosse ; au siège de Boulogne sous le maréchal de Biez ; enfin, il se fait tuer en Allemagne à trente-six ans [Note : D. M. III, 1047, 1059. B. N. fr. 22342]. Après lui, viennent les héroïques capitaines du parti calviniste, « Monsieur de Pontivy » [Note : Jean de Rohan, fils de René Ier, Vicomte de Rohan], le baron de Frontenay [Note : René II de Rohan], Henri « Le Grand », Soubise, etc..., et, parmi les soldats de ces deux générations, ii conviendrait de donner place aussi aux femmes.

Ce fut René Vicomte de Rohan qui, au nom de la noblesse et du tiers état, reçut le serment du Dauphin lors de son couronnement, à Rennes, comme duc de Bretagne, en 1532.

René de Rohan avait un frère, nommé Claude, qui reçut en partage quatre mille livres tournois de rente sur différentes terres du Poitou et de Normandie. François Ier tenant son Conseil à Vannes, le 28 septembre 1537, approuva ce partage [Note : Autorisation de François Ier, en date du 28 septembre 1537 (Bibl. Nantes fr. 1534). Ce partage fut quelque peu modifié par un autre accord du 4 février 1538 (B. N. fr. 22342)]. La présence du Vicomte près du roi à cette occasion ne fut, sans doute, pas étrangère à l'autorisation qu'obtinrent la même année les habitants de Pontivy, d'organiser un papegault dans les faubourgs de leur ville. Le souverain, moins que quiconque, pouvait contester l'utilité de l'exercice des armes et d'ailleurs il attachait de sérieuses exemptions fiscales aux vainqueurs de ces jeux ; aussi, est-il malaisé de comprendre la subtilité des habitants de Pontivy qui, pour donner plus de poids à leur requête, montrèrent au roi la ville « assise sur la coste de la mer et en un lieu où les ennemys y peuvent de jour à autre facilement descendre » [Note : Lettres de 1537. Arch. communales de Pontivy. « Ordonnons ceux des hacquebutiers, arbalestiers et archiers des ville et forsbourgs dudit Pontivy qui abasteront respectivement chacun en son jeu le papegault mis en l'air... soient et demeurent francs, quittes et exempts durant l'année qu'ils auront abbattu ledit papegault de touz droictz d'impotz, billot et appetissement, à savoir ceulx du nombre desditz arbalestiers et hacquebutiers de chacun huict tonneaulx de vin et ceux desditz archiers de six tonneaulx des creux d'Anjou, d'Orléans, et Gascoigne, ou aultre quelz qu'ils soient, qu'ils et chacun d’eulx vendront ou feront vendre par le menu et détail durant ladite année seulement es ville et forsbourgs »]. En toutes choses les appréciations peuvent différer ; cependant, quand, du nord ou du sud, pour atteindre la capitale du Rohan, il faut une journée de cheval vers l'intérieur de la province, on ne peut s'imaginer que Pontivy soit un port de mer. Si l'on veut se faire une idée de la richesse de cette localité, on se reportera au rôle des fouages déterminé par les Etats. Tandis que Saint-Brieuc, Landerneau, Quimper, Penmarch, Hennebont, Vannes, Guingamp sont taxés à 500 # chaque ville, Le Conquet, Quintin, Fougères, Ancenis, Pontivy doivent contribuer à l'impôt pour 300 #; Paimpol, Douarnenez, Redon, Clisson sont tenus de fournir 200 # ; Guemené, Josselin, Ploermel, Guingamp, Saint-Pol, 100 # [Note : Registre des Etats de 1552].

L'inhumation de René de Rohan eut lieu à Nancy, en 1552 ; Isabeau de Navarre, sa femme, lui survécut vingt années. Leur fils, Henri, premier du nom, fut mis dès ce moment sous la curatelle du roi de Navarre et du cardinal de Lorraine. Celui-ci prit soin de l'éducation du jeune Vicomte et le fit instruire dans la foi catholique. Mais le roi de Navarre étant mort, sa fille attira le Vicomte en Béarn, lui donna pour curateur Antoine de Bourbon, son mari, et le fit renoncer à la communion romaine [Note : D. M. III, 1146]. Ces projets furent approuvés et secondés par la douairière de Rohan qui éleva aussi à la cour de Béarn ses deux autres fils, Jean et René. Ce dernier devait un jour hériter de la Vicomté.

La Réforme.

Les Rohan étaient dès lors gagnés à la Réforme. Henri de Rohan, sans manifester le prosélytisme de ses frères, demeura en parfaite harmonie de sentiments avec la cour de Navarre et même se montra zélé réformateur, puisqu'il ne cessa de protéger ouvertement ses coreligionnaires du pays Nantais ; c'est à son influence que les églises de Blain, Josselin et Pontivy durent leur fondation [Note : Manuscrit de Philippe Le Noir — fils de Guy Le Noir, sr de Crevain, pasteur de la Rochebernard en 1617-1630 — lui-même pasteur à Blain. Un de ses parents, André Le Noir, sr de Beauchamp, fut, de 1614 à 1617, pasteur de la Maison de Rohan. (Document cité par Vaurigaud dans son Histoire des Eglises Réformées de Bretagne)].

Il est d'ailleurs hors de doute que la Bretagne serait restée impénétrable aux doctrines de Luther et de Calvin si de grandes familles, comme les Rohan, les Rieux, les Laval, les d'Avaugour ne les eussent introduites et trop souvent imposées dans leurs fiefs. « Nulle conquête, dit Vaurigaud, en parlant des Rohan, ne fut plus précieuse pour les Eglises de notre province, car nulle famille ne se montra plus dévouée, plus fidèle à leur défense que cette noble famille des Rohan. Ce fut un privilège peu commun pour les Réformés de ce pays, de compter parmi ceux qui ont contribué à la fondation ou au développement de leurs Eglises, des personnes et des familles d'un caractère moral si élevé, d'une conviction religieuse si persévérante et si sincère » [Note : B. Vaurigaud, t. I].

Faible de caractère, Henri de Rohan s'associa aux tentatives du prince de Condé en vue d'enlever le pouvoir à Catherine de Médicis et aux Guises. Les projets découverts, il réussit toutefois à sortir d'embarras et devenu libre de tout engagement, il se retira alors en Bretagne pour y rester à l'écart des troubles politiques jusqu'à sa mort.

A la Noyale de 1561, le Vicomte entraîna le ministre de Nantes, nommé Cabannès [Note : Antoine Bachelard, dit Cabannès, originaire d'Aix-en-Provence, envoyé en France par l'église de Genève, fut le premier pasteur de Nantes] et, en sa présence, celle de ses frères et de plusieurs autres seigneurs, il lui fit prêcher publiquement l'Evangile.

Quelques mois après, Jean de la Favède était nommé et installé pasteur de l'église protestante à Pontivy. Dix années plus tard, le chef-lieu de la Vicomté accueillait le synode provincial. Il est vraisemblable que le pasteur de Pontivy résida au château seigneurial ; en tout cas, c'est la chapelle du château qui servit aux cérémonies du nouveau culte.

La Favède était originaire de la Roche-Bernard. Lorsque le consistoire de Rennes lui eut assigné Pontivy (29 décembre 1562), ses compatriotes voulurent l'appeler près d'eux à la place de Louveau, réputé trop sévère, mais le synode provincial repoussa cette demande en maintenant La Favède à son poste. Celui-ci exerçait la médecine en même temps que le ministère évangélique. Depuis le jour fameux de la Saint-Barthélemy jusqu'en 1576 ou 1577, il abandonna pour ainsi dire son église ; du moins il n'y remplit plus les fonctions pastorales. Il comparut cependant au synode provincial de Vitré, en décembre 1577, avec le titre de pasteur de Pontivy ; mais « il y fit assez méchante figure, étant accusé d'avoir molli pendant la persécution ». On lui donna un mois pour opter entre le ministère et la médecine. Le délai expiré, il ne fit aucune réponse [Note : Vaurigaud, ouv. cité].

A l'automne de 1578, le synode de Blain eut encore à s'occuper de cette affaire. Il fut résolu qu'à moins de le faire gratuitement et uniquement dans son église, un pasteur ne pouvait exercer simultanément la médecine et le ministère. Ainsi pressé, La Favède demanda la permission d'exercer tout au moins dans sa demeure. On la lui refusa. Il opta alors pour la médecine et renonça au ministère [Note : Vaurigaud, ouv. cité].

La Favède n'eut point de successeur. En 1583, la décadence de l'église de Pontivy était si complète qu'il n'en est point parlé au synode de Josselin, toutefois elle laissa des traces jusqu'à la fin du siècle suivant. Considéré seulement comme annexe de Ploërmel, le siège seigneurial du Porhoët fut choisi par l'Assemblée à cause de la sûreté de son château où se tint la réunion, et surtout à cause du pouvoir que le seigneur de Rohan exerçait dans le pays [Note : Manuscrit Le Noir déjà mentionné. Les rares adeptes du luthéranisme à Josselin s'assemblaient dans un local voisin du prieuré de Saint-Martin qui a conservé longtemps l'appellation de Huguenoterie].

Les attaques fréquentes de goutte et de gravelle dont Henri de Rohan souffrit à la fin de sa vie, l'assagirent et l'obligèrent à rester durant plusieurs années dans la soumission aux édits du roi. Charles IX vint le voir jusqu'à Blain, parce que, dit-on, le Vicomte, retenu par la maladie, n'avait pu se rendre à Nantes pour saluer le souverain (1565), et celui-ci, par lettres du 17 juin 1569, lui accorda une sauvegarde pour sa famille et ses biens [Note : Reg. Parlement Bretagne], faveur particulièrement propice aux Réformés qui se réfugièrent nombreux au château de Blain pendant la deuxième guerre civile. Tandis que Henri de Rohan offrait ainsi asile et protection aux calvinistes, ses frères combattaient avec ardeur, en Poitou et en Angoumois, à la tête de l'année des Réformés.

René survécut à Henri et à Jean. Avant qu'il recueillit le titre de Vicomte de Rohan, ses faits d'armes l'avaient distingué à l'égal des plus grands capitaines. Pour suivre son action, il faudrait retracer toute la guerre qui déchira la France à cette époque, s'arrêter aux épisodes glorieux de Lusignan et de la Rochelle, rappeler le courage de Catherine de Parthenay-Soubise, son épouse, etc....

L'intrépide huguenot, comme on le suppose, n'eut point le temps de s'occuper de ses terres de Bretagne; il n'y pensa guère que pour s'y mettre à l'abri de la poursuite des Ligueurs. La Vicomté cependant lui est redevable d'une intervention royale pour la protection des forêts.

Intervention royale pour la conservation des forêts.

Depuis longtemps déjà les Rohan se plaignaient des pillages, exactions, vols et délits de toute nature qui se commettaient dans leurs bois malgré que les usages fussent réglés suivant les ordonnances royales et malgré l'établissement d'une maîtrise seigneuriale chargée tout particulièrement de la surveillance et de la répression des abus. Ne faut-il pas voir dans ces pillages précisément l'effet d'un relâchement de surveillance des forestiers abandonnés à leur initiative par suite de l'absence des seigneurs depuis le commencement du XVIème siècle ? Nous savons qu'ils n'étaient pas à l'abri des reproches, donnant parfois eux-mêmes l'exemple des abus [Note : Lettres d'Henri de Rohan interdisant à ses gardes et forestiers de prendre bois mort et mort bois dans ses forêts, 1567 (Arch. château Lanouée)] et n'accomplissant point les obligations de leur charge ; ce qui cependant ne les empêchait pas de récriminer et de dire « qu'ils avaient trop peu d'estat » [Note : Lettre missive de Quermainguy en 1555 (Bibl. Nantes, ms, fr. 1555)]. René de Rohan les menaça de destitution et de peines sévères s'ils ne poursuivaient pas les délinquants [Note : Lettres de René de Rohan, en 1582 (Arch. de Kerguehennec)].

Le Vicomte obtint de François Ier des lettres d'une grande importance pour les forêts du Rohan et du Porhoët. Des vassaux prétextant d'anciens usages allaient à l'encontre de toutes les ordonnances; d'autres, « par pur larcin », dégradaient, coupaient, abattaient les bois de haute futaie, soutenant que personne ne pouvait les empêcher de prendre du bois, les forêts de la Vicomté étant « forestables », c'est-à-dire libres à tout venant, sujettes à la coupe tant que les vassaux n'étaient pas pris sur le fait la hache en main ou charroyant le bois volé. Dans ce dernier cas, on disait que les pillards « appelaient » les gardes et forestiers « au son de la congnée et du fouet ». Une infraction en amenait une autre; le gibier du seigneur n'était pas plus respecté que le bois.

Par son mandement du 10 juillet 1543, le roi ordonne à ses officiers de procéder, conjointement avec ceux de la Vicomté, à une réformation complète de la police. Preuves et titres devaient être présentés. Tous ceux qui ne pourraient, ou ne voudraient se soumettre à cette obligation, dans le délai prescrit, seraient déboutés de toutes prétentions. Quant aux usagers régulièrement fondés, leurs droits, dit le mandement, seront « revysez, reillez, moderez et limitez » selon les prescriptions des ordonnances antérieures, et ils prendront leur bois « à la maistre marque et marteau » du seigneur. Les riverains pourront être astreints à clôturer les bois..., etc. En outre, les commissaires du roi pourront procéder contre les délinquants, connaître les infractions et les juger immédiatement. L'appel de ces causes devait être porté directement au Parlement de Bretagne [Note : Bibl. Nantes fr. 1554. Sur le même sujet : Lettres de Henri III, du 15 septembre 1576 (Arch. de Kerguehennec)].

La copie de ce mandement, conservé à la Bibliothèque de Nantes, est accompagnée du procès-verbal de bannie au bourg de Plumieuc. Lecture faite « à haulte et intelligible vouez », devant le peuple assemblé à l'issue de la grand'messe dominicale, le sergent de la cour de Porhoët ajourne tous les paroissiens de Plumieuc, prétendant des usages dans la forêt de Lanouée, à comparaître au siège de la paroisse quinze jours après la publication [Note : Relativement aux usages dans la forêt de Lanouée, un Vicomte de Rohan avait eu un long procès, quelques années auparavant, avec Jean du Cambout, seigneur de cette paroisse, 1510-1514 (Arch. C.-du-N. Inventaire Arch. Bon-Repos)]. Sur ce, les lettres royales sont affichées sur le grand portail de l'église en présence de plusieurs témoins.

C'est la preuve évidente que ces lettres ne sont pas restées sans exécution. Elles n'eurent pas cependant une portée suffisante pour couper court aux abus. A leur tour, Henri de Rohan, René II, firent appel au roi. Henri III ordonna alors une enquête afin de punir les coupables et de vérifier les titres, et fit procéder à une nouvelle réformation dans l'esprit de celle de 1543 [Note : Arch. de Kerguehennec. Lettres du 15 septembre 1576].

L’administration directe abandonnée par les seigneurs. La Vicomté mise en ferme.

L'administration de la Vicomté, au XVIème siècle, n'est plus ce qu'elle était aux siècles précédents lorsque les seigneurs étaient eux-mêmes les administrateurs de leur domaine et les justiciers de leurs vassaux. Depuis le décès de Jean II, nous avons vu le désordre dans les finances, les forêts livrées au pillage ; la justice se trouvait non moins désorganisée.

François de Quermainguy, sénéchal de Blain, qui s'intitule curateur oneraire d'Henri de Rohan, fait, au commencement de 1556, une rapide inspection des terres du jeune Vicomte et n'en rapporte que de fâcheuses nouvelles [Note : Bibl. Nantes, ms. fr. 1555, Lettre de François de Quermainguy à Ysabeau de Navarre, douairière de Rohan]. Il trouve partout des offices vacants ou des officiers non régulièrement pourvus [Note : Dans la juridiction de La Chèze, il n'y avait aucun officier soit juge, procureur ou notaire qui eût pris confirmation], La justice n'est plus rendue à Rohan ni à Gouarec ; ce qui amène Quermainguy à demander au roi de Navarre, curateur honoraire du vicomte, la réunion des juridictions de ces deux sièges à Pontivy. En la juridiction de Baud, il n'y a ni sénéchal, ni procureur, mais un seul juge, l'alloué, sans suppléant.

Ressource suprême, la Vicomté est mise en ferme ; Quermainguy ne connaît pas de moyen plus sûr pour subvenir aux « grandes dettes de la Maison » [Note : « Selon le revenu que on a peu avoir principallement de la Vicomté de Rohan et terres de Léon es années dernières, je trouve et par l'advys de ceulx qui se y cognoissent que ce seroyt, pour aclerer à paier les debtes, bien profitable de bailler les dites terres à ferme, sans toutefoys tant bailler sur les deniers cazuelz connue on a faict par cy devant » (Lettre de Quermainguy)]. Déjà, en vue du règlement des créances, le feu roi de Navarre [Note : Henri de Rohan avait été mis, en 1552, sous la curatelle de Henri, roi de Navarre, et celle du Cardinal de Lorraine. Celui-là étant décédé en 1555, Antoine de Bourbon, le nouveau roi de Navarre, fut nommé curateur à la place du défunt prince] avait fait bailler à un orfèvre une partie de l'argenterie du mineur. Il y a longtemps que la Maison de Rohan traîne de lourdes dettes après elle ; depuis Alain VIII, il en a été maintes fois question.

La proposition du curateur pour parvenir au meilleur rendement de la seigneurie de Rohan n'est pas une innovation. Lui-même laisse entendre que cette mesure a déjà été employée, et d'ailleurs nous rencontrons, en 1547, un « fermier de la Vicomté », le sieur de la Tronchaye, qui délivre Yvon Jouan, sieur de Coëtdrezo, receveur, une reconnaissance pour un état des recettes et des devoirs de la seigneurie [Note : Arch. des Salles].

René II mourut dans la place forte du calvinisme, à La Rochelle, en 1586. Il était âgé de 36 ans. Son corps resta en dépôt dans cette ville durant les troubles de la Ligue et fut, après la paix, transporté à Blain ; les vicomtes de Rohan, devenus protestants, avaient délaissé la nécropole catholique de Bon-Repos pour le temple de Blain.

Henri Ier fut inhumé en ce lieu par les ministres de sa religion [Note : Il fut inhumé, dit Crevain, dans l'enfeu de la grande église du lieu sans aucune pompe romaine, suivant les désirs de son testament. Un mois après Henri de Rohan, mourut Judith de Rohan, sa fille unique, dont l'héritage et les titres passèrent au baron de Frontenay, cadet de Rohan, 24 juillet 1575] ; René II — nous l'avons dit — s'y fit transporter ; Catherine de Parthenay, qui décéda au Parc, en Poitou, avait exprimé le désir de reposer à Blain ; Henriette de Rohan, sa fille, et Marguerite sa petite-fille, devenue héritière du nom, Marguerite de Béthune, veuve d'Henri duc de Rohan, d'autres peut-être qui nous échappent, y furent ensevelis.

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La Ligne. Les Vicomtes ardents défenseurs du parti buguenot. Leur domaines occupés par les royaux subissent toutes les rigueurs de la guerre.

A la veille de la disparition de René de Rohan, le roi de Navarre qui avait été le plus ferme espoir du parti calviniste, inquiet des mouvements des ligueurs, signait avec eux le traité de Nemours et publiait le fameux Edit d'Union (8 juillet 1585) : les Réformés devaient abjurer dans le délai de six mois ou sortir de France en vendant leurs biens. Toutes les seigneuries du Vicomte furent saisies, sa veuve Catherine de Parthenay-Soubise obtint prolongation de trois mois du délai imparti par l'Édit et mainlevée pour le même laps de temps, du tiers de la succession qui lui était assuré par contrat de mariage ; mais le roi, quelque peu défiant des sentiments de sa cousine, spécifiait les conditions de cette mainlevée temporaire : en attendant le partage définitif, tous les biens devaient être mis sous ferme et la Vicomtesse ne jouirait que par les mains des fermiers ; celle-ci s'engageait, publiquement, à ne secourir ni aider d'aucune façon les adversaires de la Couronne et à faire sa soumission avant l'expiration des trois mois [Note : 11 mai 1586. Arch. d'I.-et-V. B. II, f. 198]. A la même époque, Françoise de Tournemine qui s'était convertie au catholicisme, à la fin de sa vie, et dont la fidélité ne pouvait être suspectée, puisqu'elle « approchait journellement la reine-mère », obtenait de Henri IV mainlevée pleine et entière de son douaire qui comprenait Josselin [Note : 16 mai et 11 novembre 1586. Registre du Parlement 8, f. 198].

Il était d'un grand intérêt pour le roi d'amener à son parti la Vicomtesse de Rohan, en raison de l'influence qu'elle exerçait en Poitou et en Bretagne. Cette influence pouvait contre-balancer, dans la province, le pouvoir de Mercœur qui s'engageait dans une guerre dynastique ; la Vicomtesse était maîtresse de la destinée d'un fils, encore trop jeune pour agir par lui-même, mais qui devait forcément jouer un rôle considérable dans le parti auquel il appartiendrait. Aussi, Henri de Navarre était-il disposé à bien des accommodements avec elle. Malgré ces bonnes dispositions, Catherine de Parthenay resta sincèrement attachée au protestantisme.

Mercœur, le chef de la ligue bretonne, dés le commencement de la lutte, envahit les fiefs des Rohan, ceux des aînés parce que calvinistes, ceux des cadets, parce que catholiques ralliés au roi huguenot.

Le dimanche, troisième jour de décembre 1589, Philippe-Emmanuel de Lorraine, avec une forte troupe et quatre canons, tenait assiégés la ville et le château de Pontivy. De là il envoyait sommer Guémené de se soumettre, menaçant de pillage le château et toute la seigneurie. Le capitaine de Saint-Georges se tint pour averti et se rendit, après avoir discuté avec le sieur de Goulaine les articles de la capitulation ; ses soldats sortirent de la place « bagues saulves », et les gentils-hommes qui s'étaient retirés dans le château : Rimaison, Launay, Kerdisson, Kerhamon, restèrent libres. Un poitevin, le sieur de Donnerie [Note : M. Tuault l'appelle le sgr de la Dorinière], et quarante hommes d'armes vinrent occuper la place.

Avant de quitter le Rohan qu'il venait de frapper au cœur, Mercœur voulut infliger lui-même une leçon à François Le Sénéchal, compagnon d'armes de la Hunaudaye, qui avait emprisonné un de ses zélés partisans et se fortifiait avec une sérieuse garnison dans son château de Carcado, en Saint-Gonnéry. Malgré d'énergiques efforts, le château fut pris, puis rasé ; les terres mises au pillage.

Plus tard, Philippe de Lorraine trouva à Kerveno, dans la paroisse de Pluméliau, une défense sans doute mieux préparée. Durant trois semaines, il s'obstina devant les murs du château, sans réussir à s'en rendre maître [Note : Archives de Carcado et de Kerveno. Voir les notices sur les seigneuries de Carcado et de Kerveno qui figureront au volume du duché de Rohan].

Guémené ne resta que peu de temps aux ligueurs ; le 28 janvier, c'est-à-dire moins de deux mois après la capitulation, les habitants du lieu, aidés de l'ancienne garnison, chassèrent Donnerie. Quarante arquebusiers s'y installèrent, cette fois sous L'autorité du prince de Dombes. M. Tuault, l'intendant de Guémené, sous l'émotion des troubles, écrivait à son maître pour l'informer que, malgré l'intervention du sieur de Goulaine et de son frère, le sire du Faouet, bien des violences avaient été commises : les soldats de Mercœur s'étaient enfuis vers Pontivy en dérobant les meubles du château et les tapisseries ; la correspondance heureusement avait pu être sauvée ! A l'heure où l'intendant traçait ces lignes, les choses étaient rentrées dans l'ordre et les fermiers exerçaient leurs droits comme par le passé [Note : Relativement à ce qui précède sur le Guémené, voir D. M. III, 1503 et B. N. ms. fr. 22313].

Nous n'avons pas connaissance que, dans la suite, Guémené ait été l'objet d'attaques sérieuses, ce qui ne veut pas dire toutefois que la place fut respectée par le parti des ligueurs ; en septembre 1592, les Espagnols s'y installèrent durant trois semaines et pillèrent outrageusement les environs [Note : Registres paroissiaux. Inventaire Rosenzweig]. Louis de Rohan, premier prince de Guémené, aveugle dès sa naissance, s'était retiré en Anjou au château du Verger, où il donnait une large hospitalité aux catholiques. Si Henri IV l'honorait de sa bienveillance, Mercœur de son côté lui marquait les dispositions les plus favorables ; il lui accorda mainlevée de ses revenus et sauvegarde pour ses personnes et ses biens [Note : B. N. ms. fr. 22311 et 22342]. Ces garanties cependant ne suffirent pas à protéger Corlay ; peu de forteresses furent aussi disputées.

Entre tant d'autres, le chef-lieu du Porhoët devint une des principales villes de garnison des ligueurs. Philippe de Lorraine avait de suite compris les services que devait lui rendre Josselin comme place d'armes au centre de la Bretagne. L'importance Lie la position stratégique ne faisait pas de doute ; le château dressé sur un rocher escarpé était facile à garder ; son possesseur pouvait porter ses coups de part ou d'autre, jusqu'aux côtes, et tomber rapidement sur l'adversaire.

Josselin, attaqué par Saint-Laurent, fut pris à la fin d'avril 1589 et, depuis cette époque, les ligueurs conservèrent toujours la place [Note : Injonctions du Parlement de Bretagne aux rebelles qui assiègent Josselin, de poser les armes, 14 et 20 avril 1589 (Registres du Parlement). Ogée raconte la défense de la ville par le capitaine Sébastien de Rosmadec ; l'attaque était conduite par Saint-Laurent]. A maintes reprises Mercœur y revient ; c'est à Josselin qu'il rassemble son armée (mai 1590) contre Henri de Bourbon, qui a signalé son entrée dans la province par des succès à Hennebont et à Quimperlé. Deux ans plus tard, là encore, il rallie toutes ses troupes, Espagnols et Bretons, pour les passer en revue avant de marcher sur Craon [Note : Histoire de Bretagne, par B. Poquet]. La mémorable bataille est du 23 mai 1592 ; le 18 juillet, Mercœur est de retour « au camp de Josselin » ; nous le savons par une commission donnée à Pierre Gattechair, sr du Rouvray, pour faire la montre de la garnison de La Chèze [Note : B. N. ms. 22311, f. 114].

On ne pourrait retracer des événements de la Ligue en Bretagne un récit très ordonné. Cette guerre compte certaines actions militaires d'un intérêt général, mais elle offre surtout une série de petits combats, d'engagements particuliers, d'assauts de villes, de surprises et de pillages dus à des bandes armées plus ou moins régulières qui battaient la campagne en tous sens. Ces bandes s'évitaient souvent, parfois elles se rencontraient. Ainsi se livra à Loudéac un combat héroïque qu'il convient de mentionner.

Jean d'Avaugour, seigneur de Saint-Laurent, maréchal de camp de Mercœur, que nous venons de voir s'emparer de Josselin, s'était mis en campagne au mois de mars 1591 et assiégeait Moncontour. Le Marquis de Coëtquen, son beau-père, l'un des meilleurs chefs royalistes, ne voyant que les conséquences qu'aurait pour son parti la perte de cette ville, n'hésite pas à combattre son gendre et s'avance jusqu'à Loudéac. Il a seulement 120 chevaux et un petit détachement d'arquebusiers, mais des officiers réputés se joignent à lui : le Comte de Combourg et son fils, Thomas de Guemadeuc, La Bouteillerie, Boisfeillet, le baron de Molac, colonel d'infanterie. A cette nouvelle, Saint-Laurent abandonne Moncontour et marche précipitamment sur Loudéac. Coëtquen qui logeait dans la ville, n'a que le temps d'en sortir ; le combat aussitôt s'engage avec violence ; les cavaliers se chargent furieusement; Guémadeuc et La Bouteillerie sont blessés ; l'infanterie de Molac fait merveille, mais finit par faiblir ; Saint-Laurent va être victorieux. Alors Coëtquen s'élance, prend les ennemis à revers et détermine la défaite du capitaine ligueur qui se retire en désordre laissant derrière lui une centaine de morts et de prisonniers. Du côté des vainqueurs, Guémadeuc était blessé mortellement [Note : D. Morice. Histoire, t. II, f. 404 et B. Pocquet, d'après les Mémoires du temps].

Sur le territoire de Pontivy, au pied de la chapelle de la Houssaye, un pont de bois jeté autrefois sur le ruisseau de Signan, fut témoin d'un autre brillant fait d'armes. Le chanoine Moreau, dans son Histoire de la Ligue a rapporté cette anecdote.

Les Etats de la Ligue allaient s'ouvrir, l'année 1594, dans la ville de Lamballe. Quelques députés de Cornouailles, pressés de s'y rendre, avaient obtenu, pour leur protection, de Lezonnet, capitaine de Concarneau, une compagnie de 150 salades sous la conduite de René du Dresnay, sr de Kercourtois, jeune homme de grand mérite et fort brave comme on le verra. La petite troupe de cavaliers, sans incident, avait traversé les évêchés de Quimper et de Vannes, quand, arrivée en vue de Pontivy, elle décida, afin de s'éviter des dépenses d'hôtellerie, de « nuiter » au village de la Houssaye. Le calme régna sur la nuit ; mais à l'aube, quelle ne fut pas la surprise des Conquernois de se voir cernés par six à sept cents arquebusiers commandés par Camors et Granville, du parti contraire à la Ligue ! Les royaux s'emparent du pont de la Houssaye. « Cependant le sieur de Kercourtois avait de belle heure pris son cheval ; avant aucun autre se présente seul sur le pont et à coups d'épée les fait reculer. Les arquebusades pleuvaient sur lui comme la grêle, cependant aucun coup ne porta, aussi avait-il un cheval qui se maniait des mieux, et ne cessait de crier à ses compagnons : Ça, ça mes amis, à moi, courage, voici une belle occasion d'acquérir de l'honneur ! Mais pas un de sa compagnie ne voulut rendre combat ; ils s'enfuirent tous, laissant leur capitaine engagé au combat..... Kercourtois se fût sauvé cent fois pour une s'il eût voulu, mais plutôt la mort. Il s'opiniâtra tout seul à la défense de ce pont, pensant que ses gens qu'il voyait s'enfuir, confus de laisser leur chef à la boucherie, se fussent ralliés et fussent revenus, après s'être un peu rassurés ; mais en vain, il fut abandonné de tous ». Tentant un dernier effort, Kercourtois s'avance « de furie » sur le pont; par malheur, un des pieds de sa monture s'engage entre les planches ; le courageux lieutenant de Lezonnet tombe avec son cheval et meurt d'un coup d'épée au défaut de la cuirasse [Note : Histoire des Guerres de la Ligue en Bretagne, par le Chanoine Moreau].

Le même historien, spécialement attaché à retracer les troubles de la Cornouailles, dont il devait être parfaitement informé puisque ses fonctions le retenaient à Quimper, parle de plusieurs attaques de Corlay. Sans doute, peu de temps après l'occupation de Pontivy et de Guemené, Corlay tomba aux mains de Mercœur qui s'y tient, à la fin de juin 1591, surveillant Henri de Bourbon venu camper à Quintin. Exactement douze mois plus tard (juin 1592), les royaux prennent le château et s'y fortifient sérieusement [Note : « D'autant qu'il était ruineux et peu tenable, le firent fortifier de retranchements et terrasses de la manière qu'ils en firent une assez bonne place de défense » (Moreau)]. En février 1593, Mercœur qui, à son tour, marche sur Quintin, réduit Corlay en passant ; mais, à peine Philippe de Lorraine s'est-il éloigné, que Liscoët reprend la place aux Espagnols qu'on y avait laissés et en fait le centre d'opérations militaires plus profitables à ses intérêts qu'au service du roi [Note : La reddition de Corlay est du 8 mars. Liscoët était soutenu dans l'attaque de Corlay par Sourdéac et Kergomar. Il passa par les armes toute la garnison espagnole. « Par ses diligences, dit Moreau, Liscoët s'y fortifia si bien qu'il en fit une place propre pour ses desseins, qui étaient de tirer la guerre au bas pays, où l'oie était encore grasse »]. A cet audacieux pillard qu'était Liscoët, succède un véritable bandit, le capitaine ligueur Guy Eder de Beaumanoir, connu sous le nom de baron de la Fontenelle [Note : Début de 1594]. Le capitaine royaliste, appelé sans doute près du maréchal d'Aumont qui préparait une expédition en Basse-Bretagne, avait abandonné sa prise. De nouveau les royaux purent combiner un investissement pour en chasser La Fontenelle.

A la suite de l'affaire de Crozon, étant venu à Quimper reposer ses troupes singulièrement affaiblies par les maladies, d'Aumont attendait des renforts promis par le roi. De Rennes, ceux-ci allaient le rejoindre, lorsque Montmartin qui les commandait reçut, en route, l'ordre du maréchal de s'emparer de Corlay. Montmartin se mit en mesure d'obéir, prévenant toutefois son chef que les Espagnols, campés à douze lieues de là, pourraient accourir au secours des assiégés. Il s'empara facilement de la ville, bloqua La Fontenelle dans le château et essaya de parlementer. Fontenelle répondit évasivement car il attendait les Espagnols qui, de Blavet, s'avançaient en effet vers Pontivy. Montmartin pressa le maréchal de le secourir ; alors celui-ci se rapprocha enfin avec son corps d'armée et les Anglais. Montmartin continuait les entrevues ; tour à tour cajoleur ou furieux, il menaçait de ruiner le château à coups de canon. Or il n'en avait aucun. La Fontenelle savait bien que le château ne résisterait pas à des pièces d'artillerie montées sur la butte du Haut-Corlay ; il promit d'ouvrir les portes si on lui en montrait et délégua un de ses officiers pour s'en rendre compte. Les assiégeants, après avoir fait boire fort généreusement celui-ci, l'emmenèrent jusqu'à Guingamp où ils le firent passer et repasser devant un canon, toujours le même, si bien que l'officier ligueur en vit dix, et rapporta la chose. Cette fois convaincu, La Fontenelle se rendit avec 300 hommes bien armés. Le maréchal mit au château une garnison sous les ordres du capitaine La Mouche [Note : B. Pocquet, d'après les Mémoires de Montmartin].

Ceci se passait à la fin de janvier 1595. Le siège avait duré douze jours et on ne comprend guère pourquoi les Espagnols, sur lesquels comptait La Fontenelle, restèrent immobilisés à Pontivy. Montmartin prétexte les difficultés du trajet de Pontivy à Corlay, compliqué par la traversée « d'une forêt fangeuse » et par le passage de cours d'eau enflés par les pluies ; ces obstacles n'étaient pas sérieux. Il est vrai que durant le même temps, le sieur de Saint-Jean et cinquante arquebusiers battaient l'estrade aux environs de Pontivy et surveillaient le détachement de troupes étrangères [Note : Mémoire de Montmartin].

La trève que signa Mercœur à Fougeray avec les royaux (1596) fut le prélude de la paix. Il était évident que les deux partis éprouvaient un sentiment intense de lassitude ; d'ailleurs la Ligue n'avait plus de raison d'être, Henri IV ayant abjuré : en fait, un grand nombre de chefs ligueurs se soumirent. Mercœur sentait s'écrouler ses ambitions ; cependant, trois années encore, il s’efforcera de soutenir la guerre civile. Usant de tous les moyens en son pouvoir pour arrêter les défections et retenir près de lui ses principaux auxiliaires, il prononce la confiscation de tous les biens des royaux ; Saint-Laurent, le fidèle lieutenant, doit avoir pour sa part les terres de la Maison de Rohan et du Marquis de Coëtquen, à l'exception toutefois des biens de Rohan au comté Nantais, réservés à Talhouet, gouverneur de Redon. Toujours protégé, le patrimoine de Guémené est sauvegardé [Note : Correspondance du duc Mercœur. Documents sur la Ligue, par M. de Carné, t. I, p. 147].

A cette époque, Pontivy, La Chèze, Josselin, sont encore aux mains de Philippe de Lorraine [Note : « Le sieur de Querberio, gouverneur de La Chèze, commande es ville et château de Josselin, en l'absence du sieur de Saint-Laurent, sous l'autorité de Mercoeur ». 21 septembre 1597], tandis que Corlay, depuis janvier 1595, reste aux royaux, sous le commandement, tantôt du sieur de la Mouche, tantôt de La Fontaine.

Cette dernière place va revenir en la possession de son légitime seigneur. Louis de Rohan, en effet, négocie directement avec le roi le départ de la garnison. Ne pouvant obtenir raison des chefs royaux, Henri IV intime l'ordre au maréchal de Brissac, alors son représentant en Bretagne, de retirer incontinent ses troupes du château de Corlay « afin que le prince de Guémené puisse y faire entrer une garnison de 80 hommes sous ses ordres » [Note : Lettres du roi à M. de la Mouche, capitaine de Corlay, et au maréchal de Brissac, des 1er septembre et 10 décembre 1597. (B. N. ms. fr. 22342)]. L’ « oie grasse » était suffisamment plumée.

Terrifiés par les brigandages, les vassaux de Corlay avaient-ils, comme tant d'autres, abandonné leurs chaumes pour fuir au fond des bois ?... On peut se le demander lorsqu'on voit La Fontaine, — le même personnage vraisemblablement qu'Honorat de Bueil, Sr de Fontaines, célèbre par ses méfaits, — à l'abri des murailles de Corlay, frapper les bourgeois de Saint-Brieuc de lourdes contributions [Note : « 440 écus esgaillés en forme d'avance par quelques particuliers, le général ayant à fournir cette taxe pour la garnison de Corlay ». « 286 écus payés à La Fontaine, commandant le château de Corlay ». Le geôlier tardant à apporter cette somme fut emprisonné. (Comptes de Lorent Bagot, procureur de Saint-Brieuc, du 1er octobre 1595 au 30 octobre 1596. Arch. C.-du-N.)]. Même la fantaisie lui vint d'appeler les habitants de cette ville à réparer les fortifications de la place ; heureusement ceux-ci purent se libérer de la corvée moyennant deux barriques de vin [Note : Même source].

Conséquences des violences et des brigandages. Fléaux qui s’en suivent.

C'est là, entre mille, un exemple des vexations dont se rendaient coupables les chefs, qu'ils fussent ligueurs, royaux, Anglais ou Espagnols. Ainsi commandés, les soldats se crurent toutes les licences permises. Si les villes et les châteaux n'étaient pas à l'abri des surprises à main armée, des pillages et des incendies, qu'était-ce donc pour les malheureux paysans livrés sans défense aux appétits déchaînés de la soldatesque ! La Ligue en Bretagne offre, durant près de dix ans, le même spectacle navrant. Pour connaître toute la vérité, il faut lire les récits émouvants du ligueur Moreau, il faut écouter les doléances des royalistes aux Etats de 1592. Au roi, ceux-ci essayent de peindre l'état des campagnes jadis fertiles, maintenant ravagées, désolées, presque désertes. « Les gens de guerre, disent-ils, n'ont omis ni espargné aucune espèce de violences pour espuiser la substance du pauvre peuple, ils ont exercé toutes les cruaultés que la corde, le fer et le feu leur ont pu administrer pour rançonner le païsan laboureur et le marchand du plat pays... Ils ont pillé, bruslé les maisons et les meubles, ils ont pris le bétail, jusqu'aux porcs... Ils ont violé femmes et filles, sans aucune considération d'âge... Le peuple a été contraint d'abandonner maisons et familles pour chercher l'espoir de la sûreté aux forets, entre les plus cruelles bestes, néantmoins la rigueur de l'hyver, aimant mieux habiter avec les animaux sauvaiges et chercher leur vie que de languir et de mourir de tourmens et de faim entre les mains des gens de guerre » [Note : Etats tenus à Rennes, le 28 décembre 1592. (Arch. I.-et-V. C. 2643) — Histoire de B. Pocquet]. Encore aujourd'hui, dans le pays qui nous occupe, on retrouve les traits exacts de cette peinture.

La région centrale n'a cessé pour ainsi dire d'être traversée par des corps réguliers et des bandes d'aventuriers ; trop souvent ils s'y arrêtèrent. Après l'occupation des soldats de Mercœur qui se conduisirent en voleurs de grands chemins, Guémené devint la proie des Espagnols dont le passage est révélé par la note brève mais éloquente d'un registre paroissial. « Ces étrangers, dit le recteur de Melrand, pillent toutes les paroisses environnantes, enlevant les bestiaux et d'autres biens sans nombre qu'on ne pourrait estimer » ; et quelques jours plus tard, — quand il s'agit sans doute d'un autre passage de troupes — le même témoin observe qu'il y a « grandes tristesses entre le peuple de la dite paroisse parce qu'il faut payer par tête de meson quatorze fouaiges, tout ensemblement, forte et foeble, sans excuse, laquelle chose est grande ruine » [Note : Inventaire des registres paroissiaux du Morbihan, par Rosenzweig. Melrand, 10 septembre et 4 octobre 1592]. Par une enquête officielle, nous savons que les paroisses de Silfiac, Lescoët, Mellionnec, Plelauff, Saint-Caradec-Tregomel, Seglien, furent complètement pillées [Note : En 1604, les recteurs adressèrent au roi une requête collective pour demander décharge des décimes dont ils restaient redevables. Après une enquête officielle qui confirma la vérité de leurs allégations, il fut fait droit, en 1605, à leur requête. (Arch. Morbihan. Cité par Luco dans le Pouillé de Vannes)].

Priziac et le Faouët durent souffrir particulièrement du voisinage de La Fontenelle qui résida à différentes reprises au château de Cremenech [Note : Le manoir fortifié du Cremenech qui se trouvait en Priziac, appartenait au sieur de Kerservant. Il eut à soutenir trois sièges].

Bien entendu, l'abbaye de Langonnet, proche d'une lieue de Cremenech, subit tous les outrages de Guy Eder. « Les garnisons de Rostrenen et de Corlay qui tenaient pour le roi, se battaient souvent à l'abbaye et aux, environs ». Pour l'attaque ou la défense, l'église abbatiale fut jetée bas, les archives furent réduites en cendre. Avant qu'il se transportât au fort Tristan, La Fontenelle, exerçant ses ravages, allait et venait sans cesse de Carhaix au Cremenech ou à Langonnet, de Cremenech à Corlay dont, on le sait, il s'empara au commencement de 1594 [Note : Mémoire rédigé en 1754. (Association Bretonne 1850)].

A peu de chose près, les autres abbayes eurent le sort de Langonnet ; quand de nobles bandits ne s'en saisissaient pour eux-mêmes, faisant du couvent leur repaire, les bénéfices récompensaient des services militaires.

Sous prétexte de protéger le monastère, le seigneur de Liscuit, en Laniscat, Troilus de Mezgouez, s'empare de Bon-Repos, dès l'année 1583.

Lanvaux est d'abord occupé par le sieur de Sourdeval, mais ne s'y trouvant pas suffisamment en sûreté, celui-ci abandonne l'abbaye, « Il y eut autant d'abbés que d'années que dura la guerre, car le duc de Mercœur donnant tous les ans le revenu de l'abbaye, tantôt à un colonel, tantôt à un capitaine, tantôt à un gentilhomme, aux uns pour récompenser leurs services, aux autres pour se remettre en équipage, tous à l'envi pillèrent ce monastère de manière qu'on n'y laissa que ce que l'on n'avait pu consumer ou emporter ; et ce qu'il y a de plus cruel, c'est que les voisins et les vassaux ne furent pas les derniers à contribuer à une spoliation si monstrueuse et si déplorable » [Note : Procédure tirée des Arch. du château de Robien. — Papiers Rosenzweig]. Jean Auffray, le premier religieux qui put revenir, trouva l'abbaye « dénuée de titres, ouverte à tout venant, sans portes ni fenêtres.... » ; il découvrit cependant un rentier de l'abbaye dans un cabaret [Note : Procédure tirée des Arch. du château de Robien. — Papiers Rosenzweig].

Dans le brigandage, La Fontenelle avait un émule fameux : Anne de Sanzay, comte de la Magnanne, également du parti de la Ligue.

A Lantenac, où s'établit ce dernier en 1582, il n'eut pas la peine de chasser les moines ; un calviniste du voisinage, Hervé de Kerguezangor, seigneur de la Ville-Audren en Cadelac, s'en était chargé (1565) ; mais il restait un logis et un bénéfice alléchant. La Magnanne s'installa dans les bâtiments conventuels avec une bande de 5 à 600 routiers, fit de l'église l'écurie de ses chevaux et du réfectoire l'étable des bestiaux. On devine les déprédations que commirent ces nobles aventuriers. MM. Geslin de Bourgogne et de Barthélémy donnent sur ceux-ci des renseignements, tirés des archives des Côtes-du-Nord (aujourd'hui Côtes-d'Armor), qu'il est bon de rappeler.

Hervé de Kerguezangor avait été, tout d'abord, chargé de l'éducation des héritiers de Rohan, enfants d'Isabeau d'Albret, mais la douairière de Rohan dut s'en séparer pour cause de vols. Alors, La Ville-Audren, à la faveur des troubles, se mit à la tête d'une bande qui terrorisa le pays. Se sentant protégé par ses anciens élèves, il résolut de s'emparer de Lantenac : ayant trouvé dans la campagne l'abbé Jean Fabry, il le força de signer sur la croupe de son cheval un acte de renonciation en faveur de Claude de Kerguezangor, son fils. Les moines chassés de l'abbaye, il emporta tout ce qui paraissait à sa convenance et afferma le reste.

Tout réussissait à cet abbé d'un nouveau genre ; mais il arriva que dix marchands de Rennes qui voyageaient de compagnie, furent attirés dans son manoir de Launay, près de Mur, et qu'ils ne reparurent plus. Leurs familles obtinrent que Kerguezangor et sa femme fussent poursuivis : les vieillards qui déposèrent dans une enquête de 1643 se rappelaient avoir vu passer « l'armée » qui, après avoir vainement cherché, à Lantenac, La Ville-Audren et sa femme, les arrêta à Launay. Le roi saisit les revenus de l'abbaye pour les rendre au vrai titulaire, mais les moines ne revinrent pas dans cette maison délabrée. La Ville-Audren s'empoisonna dans les prisons de Rennes ; sa femme convaincue d'avoir trempé dans le meurtre des dix marchands fut décapitée.

L'abbaye déserte n'était plus qu'un bénéfice chargé de quelques messes. Antoine Charbonneau qui avait succédé à Jean Fabry traita à différentes reprises soit avec un fermier, soit avec le clergé de la Chèze, mais les enquêtes, faites à la fin des troubles, prouvent que les obligations spirituelles de Lantenac n'taient pas remplies. Le 23 juillet 1582, Antoine Charboneau résigna en faveur de Mathurin Dénéchault qui fut Le prête-nom de La Magnanne.

Avec les idées alors en vogue, rien ne paraissait plus naturel que d'attibuer à un laïque un bénéfice ecclésiastique. Le roi ne trouvant rien de plus commode pour retraiter à peu de frais un officier mutilé à son service, parent et filleul du connétable de Montmorency, voulut disposer de Lantenac. Rome résista de son mieux à un tel emploi des biens de l'Église, mais Rome était loin et sans force en ces jours de désordre universel ; à l'aide d'un prête-nom, ou parvint sans peine à la tromper.

Le roi en donnant Lantenac à La Magnanne, avec le titre de procureur général de l'abbé, n'était pas fâché sans doute d'éloigner ce serviteur compromettant.

Peu après qu'il eut occupé le monastère, La Magnanne bataillait en Poitou contre les huguenots, lorsque sa femme, Jeanne de Rosmadec, mourut à Lantenac ; ses héritiers, ou soi-disant tels, s'abattirent sur l'abbaye qu'ils pillèrent. L'un d'eux même, le sire de Carcado, s'y établit, avec une centaine d'hommes, et pour le déloger il fallut recourir au Conseil du roi (15 mai 1587).

Quand la guerre éclata en Bretagne, Anne de Sanzay se mit du parti des royaux, pour un temps seulement, car il se rallia ensuite au parti adverse. Après son emprisonnement Morlaix, il vint à Lantenac lever une troupe de 500 pillards avec lesquels il se jeta sur Quintin [Note : Anciens Evêchés de Bretagne, IV].

Même les établissements religieux plus modestes et ceux dont la situation au cœur des villes aurait dû assurer le repos, eurent à souffrir des violences des gens de guerre. « A cause desdites guerres et gendarmeries qui puis six ans et plus ont toujours esté oudict quartier », supplient les Cordeliers de Pontivy aux Etats de 1591, il a été de toute impossibilité de prêcher et de recueillir la moindre aumône ; leur couvent est « du tout ruyné » par « les tranchées et fossez » qu'on y a faits. Ils ne peuvent subsister sans un secours [Note : Requête présentée aux Etats de 1591 par les religieux de Saint-François, de Pontivy. (Arch. Morbihan)]. Pour des religieux en quête de prosélytes, l'état des routes n'était certes pas engageant, et les calamités de cette terrible guerre ne faisaient que croître avec l'impunité. Le prévôt des maréchaux qui vient d'accomplir, au commencement de 1597, un voyage à travers la Bretagne, rend compte à une séance du Parlement « qu'il se trouve par les chemins grandz nombre de corps mortz de faim, que les gens de guerre courent les foires et marchez, volent le pauvre peuple, tant au cartier de Kerheix, Baud, que aultres... » [Note : Registres du Parlement. Greffe de la Cour. Séance du 8 février 1597. (Arch. I.-et-V.)].

De pires atrocités encore devaient frapper la Bretagne. La guerre avait amené la famine, celle-ci déchaîna la peste. Ces terribles fléaux décimèrent les campagnes en 1598. « Es mois de août, septembre, moururent à Pontivy environ trois cents personnes ; Malguenac ne fut pas moins atteint ; La Trinité perdit deux cent quarante âmes ... », etc. [Note : Registres par. du Morbihan. Les épidémies de peste et de dysenterie se firent maintes fois sentir au cours du XVIIème siècle. De 1627 à 1633, la peste sévit dans différentes paroisses. Cette dernière année, à Locminé, « la contagion a délogé la plupart des habitants. Ceux qui n'ont pas trouvé où se retirer aux champs ont rendu bossu le cimetière de quelques 250 corps ». En 1695 et 1696, la dysenterie fait de grands ravages à Neuillac, Pontivy, Bieuzy et autres localités], et pour comble de malheur, les loups, attirés par l'odeur des cadavres, se ruèrent sur les morts et les vivants, achevant de désoler le pays.

Tous ces maux devaient forcément dépeupler les campagnes. Luco, en parlant de la région de Guémené, dit que, pour trouver des moyens d'existence, les survivants durent se retirer dans les villes : « Ils ne revinrent que lentement dans ce pays devenu désert et où tout manquait, vivres, logements, et bêtes pour cultiver la terre. D'ailleurs, de ceux qui rentraient, on exigeait des redevances anciennes qu'ils ne pouvaient fournir. Aussi, en 1604, voyait-on encore dans ces paroisses (Lescoët, Mellionnec, Plélauff, Silfiac, Saint-Caradec-Tregomel), un très grand nombre de villages abandonnés et presque toutes les terres incultes. Les recteurs eux-mêmes avaient dû quitter leurs bénéfices n'y pouvant plus vivre » [Note : Pouillé de l’évêché de Vannes, par Luco].

La paix définitivement signée fut un soulagement immense pour la Bretagne. Cependant, malgré tout, le banditisme s'exerça longtemps encore sur les routes. Deux fois, le château de Corlay fut attaqué par des aventuriers qui s'en emparèrent. En novembre 1598 d'abord, par Thomas Devoton, sieur de la Rivière, et Jean Folliard, dit La Fortune, qui payèrent cette audace de leurs têtes, devant la justice de la châtellenie ; ensuite, en janvier 1616, par le sieur de Vauguérin, contre lequel le Comte de Brissac, lieutenant général de la Province, dépêcha le sieur de Precrehan [Note : B. N. fr. 22343. An. de Barthélemy dit que les pillards sortirent du château le 15 janvier (Arch. C.-du-N.)]. Ces attaques prouvent que l'édit de 1599, relatif à la démolition des fortifications des villes et châteaux en vue de prévenir le retour des guerres civiles, ne fut pas généralement exécuté ; il ne le fut d'aucune façon, semble-t-il, dans les possessions de Rohan [Note : Le démantèlement de Corlay avait cependant été spécialement ordonné].

Nous venons d'entrevoir les fâcheuses conséquences économiques de la Ligue ; au point de vue religieux, elle eut une répercussion non moins grave. Dans les abbayes, les moines ne revinrent que timidement, et quand ils reprirent possession de leurs biens, la propagande protestante, tout autant que les hommes d'armes, avait ruiné les bénéfices. Les vassaux endoctrinés par les agitateurs de la réforme refusaient les dîmes [Note : A cette époque, Bon-Repos en appela au célèbre jurisconsulte d'Argentré pour la défense de ses droits de propriété]. Dans certaines paroisses, les desservants durent fuir devant la disette et la dépopulation; les édifices du culte tombaient faute d'entretien ; le dérèglement moral s'était introduit à la maison presbytérale comme à l'église. L'autorité ecclésiastique intervint heureusement pour rétablir la discipline et les mœurs sacerdotales un instant compromises [Note : Injonction faite aux prêtres, lors des visites pastorales, d'assister au service divin et habits décents et avec la tonsure, d'expulser les prêtres vagabonds ou suspendus, d'acheter des ornements et du linge, de réparer les églises..., etc. (Registres paroissiaux de 1599 et 1600)].

Le protestantisme s’éteint définitivement à la fin du XVIIème siècle.

Depuis que La Favède avait renoncé à son ministère pour exercer la médecine, l'Eglise réformée de Pontivy s'était affaiblie progressivement jusqu'à disparaître des états synodaux. Toutefois, sous la cendre, un timide foyer doctrinal était entretenu par les maîtres de la Vicomté. Les traces du calvinisme persistèrent dans le Rohan jusqu'à la fin du XVIIème siècle. La Favède qui renonça à son ministère en 1578, mourut vers 1587; Il faut traverser plus d'un demi-siècle pour lui trouver un successeur : Briant, pasteur de l’Eglise de Pontivy en 1645. Cette église se réunit alors au château des Salles de Perret où l'on voit encore aujourd'hui les vestiges d'un édifice qui servait de temple. A la même époque, Vaurigaud cite un nommé Ramet, comme ministre de Pontivy, connu par une plainte qu'il porta devant le synode provincial de Charenton, et cependant Briant se retrouve, très postérieurement, titulaire de Pontivy et Morlaix, l'une des treize Eglises munies de pasteurs en 1660 [Note : B. Vaurigaud].

La duchesse Marguerite de Rohan fut la dernière de sa lignée qui demeura fidèle au protestantisme. Henri Chabot, son époux, ne partageait pas ses sentiments religieux et les enfants de leur union furent élevés dans le catholicisme. Tant qu'elle vécut, Marguerite de Rohan, donna protection et asile à ses coreligionnaires ; mais, après sa mort, aucune influence ne vint arrêter l'affaiblissement des idées calvinistes.

A peine est-elle descendue dans la tombe (9 août 1685), que le sieur Morin, ministre résidant à Pontivy, se retira à Caen et, de là, au Danemarck ; alors, les derniers fidèles se dispersent ou renoncent à leur religion. Le procureur du siège de Pontivy abandonne ses fonctions pour rejoindre Sedan, son pays d'origine ; le sieur Coudère, venu du Languedoc pour exercer la pharmacie, y retourne avec toute sa famille. A Pontivy, le 8 décembre 1685, une douzaine de protestants se convertissent et parmi ceux-ci, le gouverneur de la ville, Henri de Portebize, sa femme, Marie Bidé, et ses domestiques, le sieur Jean Mascarène de la Rivière, fermier général de la Vicomté..., etc. ; quelques jours plus tard, sept autres personnes abjurent [Note : Arch. Nat. TT. 236 (Etat des Gens de la Religion Prétendue Réformée sortis de Bretagne depuis 1681) et Registres paroissiaux Morbihan]. C'est évidemment le dernier spasme de la Réforme dans le fief de Rohan...... ; c'est la chute des dernières feuilles de l'arbre implanté d'une terre étrangère et qui n'a pu trouver aucune source de vie dans le sol breton.

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Le vrai sens de la vie monacale se perd dans cette crise.

Bien après les troubles, le chevalier de Sanzay et Troilus de Mezgouez restèrent maîtres des abbayes de la Vicomté.

En 1599, le vicaire-général de l'ordre se présenta avec les magistrats royaux de Ploërmel pour reprendre possession de Lantenac ; il trouva l'abbaye dans un état navrant : les portes de l'église avaient été murées par les soldats qui s'y étaient retranchés, l'intérieur portait partout les traces de l'invasion militaire ; les édifices claustraux, les moulins achevaient de s'écrouler ; des bois si nombreux il ne restait plus que trente-sept souches d'arbres. Un pauvre prêtre, qui était censé dire la messe, habitait ces ruines et, pour tout mobilier, il n'avait qu'un « mi-coffre ». Les revenus furent alors déclarés saisis au nom du roi pour être consacrés à l'entretien de trois religieux. Mais La Magnanne parvint à les recouvrer sous condition de payer la pension de ces religieux, et il est probable que la nomination de Guillaume Dupont, comme abbé non bénéficier de Lantenac, est la conséquence d'une transaction entre le roi et son ancien capitaine [Note : A la mort de Dénéchault, le roi donna le titre d'abbé à Guillaume Dupont, « en faveur du comte de la Magnanne »].

La confiance du souverain était fort mal placée, Sanzay s'empressa de le prouver en ne tenant pas ses engagements vis-à-vis des religieux.

Après de longues réclamations de la part des Bénédictins, le Parlement finit par placer d'autorité, en 1605, dans les ruines de cette abbaye, un puis trois religieux à qui La Magnanne dut délivrer un calice d'étain. Malgré de nombreux recours judiciaires, ils y vécurent dans une misère complète, manquant même des objets les plus indispensables au culte [Note : D'après Jollivet, Henri IV fit d'abord mettre Lantenac en économat et nomma pour receveur un nommé de la Carrière qui dilapida si bien les revenus qu'il ne s'y trouvait plus rien lorsque les Pères Le Guen et Le Roy y furent envoyés en 1606. Ceux-ci s'adressèrent à la justice et un arrêt du Parlement condamna le receveur à leur payer une pension et à leur remettre, avec les clefs de l'église, un missel, un calice l'étain, et les ornements indispensables pour dire la messe]. Les choses allèrent ainsi jusqu'en 1615, date à laquelle le seul moine resté à Lantenac demanda et obtint qu'on lui adjoignit quatre religieux réformés. Ces derniers appartenaient à ce que l'on nommait la « Société de Bretagne » [Note : La « Société de Bretagne » fut composée de l'association des monastères de Redon, Léhon, Le Tronchet, Landevennec et La Chaume qui avaient adopté la même réforme de Saint Benoît].

Sept années plus tard, les visiteurs généraux déclaraient que la vie des religieux était irréprochable ; mais qu'endettés par la mise en état décent de l'église, ils ne pouvaient relever eux-mêmes les bâtiments nécessaires à la pratique de leur règle ; qu'ils allaient donc être retirés si l'abbé, resté inconnu, ou qu'on feignait de ne pas connaître, ne leur venait en aide dans un court délai. La Magnanne se décida alors à produire l'abbé, de qui les cinq moines de Lantenac prirent à ferme pour 700 livres les terres de l'abbaye. Ainsi, après soixante ans, les religieux recommencèrent à cultiver, mais comme simples fermiers, le sol que leurs prédécesseurs avaient défriché [Note : Ce qui précède sur Lantenac nous a été fourni par Geslin de Bourgogne et de Barthélemy qui ont dépouillé aux archives des Côtes-du-Nord (aujourd'hui Côtes-du-Nord) le fonds de Lantenac, composé de quelques actes d'origine diverse. Une enquête, de peu d'années postérieure à la Ligue, constate que les protestants avaient détruit tous les titres de cette abbaye].

Les moines ne rentrèrent à Bon-Repos qu'en 1600. Quelques-uns, sans doute, étaient restés cachés dans les paroisses, puisque dans la convention qui intervint alors, les religieux invoquent l'ordre intimé par Monsieur de Clairvaux qui les visita, « de vivre toutz en commun ». Ils requièrent instamment l'abbé, ou plus exactement le « procureur de l'abbé », de leur assurer les moyens d'existence, l'entretien du service divin et les réparations du couvent. La Gallia Christiana apprend que François Le Ny, nommé en 1579, se démit en 1606. Mais de fait, il n'y avait de titulaire que Mesgouez, ancien favori de Catherine de Médicis, ancien vice-roi de Terre-Neuve. Le nom de l'abbé ne paraît dans aucun acte.

Mesgouez, est-il dit dans l'accord de juillet 1600, vint se joindre aux moines assemblés en Chapitre et voici en substance ce qu'il arrêta pour une durée de six années : l'abbé jouira des deux tiers de tous les fruits de l'abbaye, les religieux devant se contenter de l'autre tiers, à charge pour eux de subvenir à leur entretien personnel, à celui de tous les bâtiments du monastère et aux frais d'aumônes. Cependant, l'abbé devra faire les grosses réparations et acquittera les décimes au roi [Note : L'impôt des décimes s'élevait alors pour Bon-Repos à 170 écus]. Outre leur tiers, les religieux jouiront de la métairie attenant au couvent et il leur incombera de faire pour l'abbé les charrois de bois requis, — sans doute en vue des réparations. Au cas où celui-ci viendrait résider à l'abbaye et aurait des bestiaux pour ses besoins, ces animaux seront herbagés avec ceux de la métairie [Note : Arch. des Salles]. Le contrat signé de Guillaume Legalles, prieur, et de cinq frères, n'est qu'un vulgaire marché à ferme où l'usufruitier s'adjuge la copieuse part des bénéfices en se soulageant de toutes charges d'entretien, de fondations et d'aumônes.

Troilus de Mesgouez aurait conservé la jouissance de Bon-Repos jusqu'à la mise en possession de l'abbé Antoine de Mori, en 1606 [Note : D. Morice. Histoire III. Liste des Abbés de Bon-Repos].

Quelques faits épars dans les archives du temps donnent une pénible impression de l'état d'esprit qui régnait à Bon-Repos dans le siècle qui suivit les troubles de la Ligue. Les religieux se distinguaient par les excès les plus invraisemblables. Nous n'en voulons pour preuve, qu'une poursuite de la justice de Corlay contre le prieur et les moines pour tentatives de meurtres et viols à main armée. An. de Barthélemy raconte ainsi ce brigandage : « Dans la nuit du 21 au 22 janvier 1674, dix hommes masqués assaillirent la maison des époux Bertho, au village de Kereven, trêve de Caurel. Après avoir enfoncé plusieurs portes, ils pénétrèrent dans la chambre des deux époux qu'ils arrachèrent de leur lit et traînèrent en chemise sur le chemin de la chapelle Saint-Gelven. Pendant que les uns maintenaient et maltraitaient le mari, les autres, ayant à leur tête le prieur de Bon-Repos et l'un de ses religieux, s'efforçaient d'entraîner à leurs coupables désirs la femme enceinte. Promesses et menaces épuisées, ils s'apprêtaient à violer cette malheureuse, quand les habitants des maisons voisines attirés par les cris, forcèrent la bande de misérables à s'éloigner. Ils le firent en tirant des coups de fusil et de pistolet et jurant de casser la tête à qui oserait les suivre » [Note : Arch. C.-du-N. - Anciens Evêchés, t. II]. Quelques années plus tard, en 1694, le cuisinier de l'abbaye assassine un habitant de Laniscat dans le moulin de Bon-Repos [Note : Arch. des Salles].

Ce sont, pour tous, de terribles et dangereux voisins que ces moines ! Un seigneur de Correc, messire Toussaint des Cognets [Note : Seigneurie de Correc, en Laniscat], les voit un jour arriver en armes à Saint-Gelven pour s’opposer aux plaids de sa juridiction (juin 1687). « Saint Bernard dont ils prétendent suivre la règle, dit à ce propos le chevalier des Cognets, n'allait cependant point le fusil sur le bras et la queue troussée ». Il eût pu ajouter qu'à Bon-Repos l'habit ne faisait pas le moine.

A la suite de l'affaire des plaids qui fut portée devant la cour de Ploërmel, des religieux vont, la nuit et avec des fusils, jeter l'effroi chez certains vassaux de Correc. Ils sont accompagnés d'un « coupe-jarret », repris de justice, condamné à la peine capitale, qui vit à l'abbaye.

Le seigneur n'a pas de peine à prouver l'ancienneté de ses plaids et, d'autre part, le lieu des assises se trouve dans les limites du fief de Correc, comme tout le bourg d'ailleurs, tandis que les religieux ne possèdent dans celui-ci qu'une maison qu'ils ont fait bâtir pour acquérir des droits à Saint-Gelven. Correc a ses écussons dans l'église paroissiale et les moines se vantent tout haut qu'on ne les y verra pas longtemps.

Le chevalier des Cognets, cela se conçoit, en avait lourd sur le cœur ; aussi, ayant à s'entretenir du procès avec le procureur de Ploërmel, il saisit l'occasion pour lui conter le dernier trait de la chronique locale. « Plus, dimanche dernier, au pardon d'une chapelle qui relève d'eux, ils y étaient plusieurs religieux lesquels ayant à leur suite plusieurs sonneurs et bâtons en mains ils faisaient lutter et faisaient faire lice de bonne grâce, c'est-à-dire à bons coups de bâtons..... il fallut chercher le sieur prieur qui se délassait dans quelque lieu voisin, afin d'ôter le bâton des mains d'un de ses religieux qui, se sentant de grande chaleur avec le jallet qu'il avait pris, frappait sur ce pauvre peuple si violamment que, sans la prudence du sieur prieur, il y fut arrivé désordre » [Note : Arch. Morbihan. Sénéch. de Ploërmel, B. 1629-1632].

Pour excuser des forfaits comme celui qu'il rapporte, M. de Barthélemy rappelle que c'était alors le moment de la grande réaction protestante et que tous les moyens étaient mis en œuvre pour entraîner le clergé, tant séculier que régulier, à se déshonorer.

A vrai dire, les anciens sentiments de ferveur monastique sont morts, aucune tentative de réforme ne pourra désormais les faire revivre ; les religieux ont perdu le sens de la vie monacale et dans l'oubli des règles qui, à travers les âges, avaient fait la grandeur de leur ordre, ils donnent les signes d'un nouvel état d'esprit qui les conduit à la ruine. En 1790, un dominicain écrira : « On souffle sur les corps réguliers et ils vont disparaître comme la poussière ».

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Le calme renaît dans les possessions de Rohan. Erection de la Vicomté en Duché-Pairie.

Henri de Rohan, le fils du défenseur de Lusignan et de Catherine de Parthenay, trop jeune pour disputer lui-même ses biens à Mercœur, passa son enfance en Poitou aux côtés de son intrépide mère. Il fit ses premières armes sous l'égide du roi Henri IV qui l'honora de son amitié et sut, de bonne heure, deviner chez cet adolescent les qualités morales d'un caractère fortement trempé [Note : Sur la jeunesse d'Henri de Rohan, D. Morice donne cette opinion d'un auteur contemporain. « Ennemi du plaisir dans un âge où les autres le recherchent avec ardeur, il dormait peu, méprisait la somptuosité des habits, était frugal à table, ne buvait ordinairement que de l'eau et a continué ce genre de vie jusqu'à sa mort. Toujours occupé à se vaincre lui-même, jamais il ne fut plus satisfait de sa personne que lorsqu'il avait passé des jours sans manger ou des nuits sans dormir, lorsqu'il avait souffert les ardeurs du soleil ou les rigueurs du froid. Il supportait toutes ces fatigues à la chasse afin de s'habituer peu à peu à celles de la guerre. Aussi devint-il si fort et si vigoureux que jamais homme ne supporta plus facilement que lui les incommodités de la vie. Telles furent ses mœurs jusqu'à dix-huit ans »].

Henri de Rohan rentra en Bretagne sur les pas du pacificateur et reprit ainsi, dans la Province, possession de ses fiefs si longtemps disputés et piétinés par les soldats des différents partis. On peut présumer que le jeune Vicomte s'appliqua quelque temps à mettre ordre à ses affaires, puis, profitant de la tranquillité politique, Henri de Rohan employa ses loisirs à visiter les principales cours d'Europe. Partout, sa naissance, son esprit, son caractère, ses formes aimables lui valurent un accueil flatteur.

A son retour, le roi le créa pair de France et érigea la Vicomté de Rohan en duché-pairie.

Henri de Rohan, à tous égards, méritait cette distinction. En qualité de petit-fils d'Isabeau d'Albret, il était cousin-germain d'Henri IV et par conséquent son légitime successeur à la couronne de Navarre, à défaut d'enfant mâle. Les sires de Guémené, cadets de Rohan, « en considération de la grandeur de leur Maison et des mérites de leurs prédécesseurs », n'avaient-ils pas déjà été élevés à la dignité princière ? Le roi, en distinguant particulièrement Henri de Rohan, agit équitablement.

C'était une tradition des juristes de la Couronne que le titre de duc, le plus considérable de France, ne devait être appliqué à une terre que si celle-ci, par sa valeur, justifiait ce privilège, et si, par le total de ses revenus, elle permettait à son possesseur de faire largement figure de grand seigneur à la Cour. La Vicomté constituait certes un bel apanage, cependant, par suite de démembrements successifs, elle avait subi avec le temps une diminution importante. Au siècle précédent, la seigneurie de Corlay avait été détachée dans les circonstances que nous savons ; l'érection de Guémené, quelque temps plus tard, confirma la perte d'une autre circonscription territoriale assez étendue qui comprenait trois paroisses entières, Saint-Caradec-Trégomel, Plouray, Mellionnec et une partie de Plouguernevel. Ce territoire, qu'on a appelé parfois la châtellenie de Plouray, avait été engagé par les Vicomtes au XVème siècle, puis libéré [Note : Voir au chapitre précédent], puis sans doute de nouveau hypothéqué au profit des sires de Guémené auxquels il finit par échoir définitivement. En 1547, ceux-ci jouissent féodalement des paroisses susdites qui, à l'occasion de l'érection, sont officiellement incorporées à leur fief patrimonial [Note : Un état des plaids et hommages de la cour de Guémené tenus le 6 février 1547, apprend que la mouvance de cette seigneurie comptait les recteurs et paroissiens de Locmalo, Ploerdut, Langoelan, Saint-Tugdual. Priziac, Lignol, Persquen, Silfiac, Lescoet, Saint-Caradec-Trégomel, Plouray, Mellionnec, Plouguernevel et plusieurs chapelains, (parmi lesquels, sans doute, ceux du Merzer et du Lescherlin) (B. N. fr. 22342). Nous avons ainsi la composition exacte du Guémené au milieu du XVIème siècle. Il ne nous est pas permis de préciser davantage la date à laquelle la châtellenie de Plouray passa au Guémené, mais dés 1530 Louis de Rohan-Guémené jouissait de la paroisse de Saint-Caradec-Trégornel, puisque, sur sa demande, François Ier accorda des marchés à Kernascleden. Quand Charles IX érigea le Guémené, il annexa à cette seigneurie et sous le même titre, tous les fiefs que Louis de Rohan possédait au diocèse de Vannes : Guémené, La Roche-Moisan, Trefaven, les fiefs de Léon, Plouhinec et Groye, et la châtellenie de Plouray ; ensemble de 35 paroisses dans lequel la châtellenie primitive de Guémené-Guingant ne figurait que pour un tiers. Septembre 1570 (Arch. L.-Inf, B. 1559)]. Aussi, l’an 1603, on ne trouva pas la Vicomté de Rohan d'assez belle taille et en état de soutenir convenablement son nouveau titre ; on l'agrandit en lui annexant la châtellenie de La Chèze avec ses vingt et une paroisses distraites du Comté de Porhoët, agrandissement d'ailleurs conforme à l'édit de 1579, aux termes duquel les fiefs de dignité devaient comprendre des domaines d'étendue respectable et plusieurs châtellenies. Hevin disait que la dignité nécessitait « quantité et qualité de terres ».

L'acte de 1603 marque dans l'histoire du Rohan un fait considérable et dont l'intérêt est tel qu'on ne peut se dispenser de donner à cette place le texte des lettres royales, au moins dans leurs parties essentielles.

« Henry, par la grâce de Dieu Roy de France et de Navarre, à tous présens et advenir salut. Comme l'une des plus grandes et principales marques de l'aucthorité des Roys se recognoist et consiste en la distribution de l'honneur, aussi leur plus grand soing est qu'un si cher et si précieux ornement soit sincérement dispensé à la mesure du meritte et de la vertu de ceux qui doibvent estre participans, afin de faire cognoistre et tesmoigner à la postérité que la dispensation de leurs libéralitez et biensfaits respond en juste proportion à la considération des services et fidélité de leurs serviteurs. Ce que considérant et faisant en jugement de ceux ausquels les lettres d'honneur de nostre Estat se pourroient dignement despartir, Nous avons jetté l'œil sur nostre très cher et très ami Cousin Henry, Vicomte de Rohan, Prince de Léon, Comte de Porthouet, tant pour la mémoire de l'ancienne et signallée noblesse et vertu de ses prédécesseurs, mesmement de feu nostre très cher et très amé Oncle René, Vicomte de Rohan, son père, que pour la valleur et fidelité que nous avons cognue comme hereditaire en luy en toutes les occasions où nous lui avons commandé, estant chose nottoire que les Maisons de Ruban et de Léon desquelles est le chef nostredit Cousin sont remplies de toutes les considérations qui nous peuvent mouvoir departir à nostredit Cousin Henry de Rohan le mesme tiltre de Duc et Pair de nous, que nos prédécesseurs Roys ont departi à ceux qu'ils en ont estimé dignes pour le grand et signalé rang qu'ils ont tousjours tenus depuis le premier establissement de ce Royaume près les Roys de France et de Navarre nos prédécesseurs et près la anciens Roys et ducs de Bretagne et pour la belle et grande lignée des personnes illustres qui en sont descendus en ligne masculine : Au moyen de quoy sçavoir faisons que nous, désirans à l'exemple de nos prédécesseurs, non seulement conserver, mais accroistre les grandes et anciennes Maisons de nostre Royaume ésquelles principalement la vertu et fidélité se trouvent conjointes à la noblesse et antiquité, mettant aussy en considération que laditte vicomté de Rohan, comme celle qui depuis plus de mil deux cens ans a tenu ce tiltre et qui s'estend en bien quarente parroisses et que ladite Vicomté contenant les terres de Rohan, Pontivy, Goirec, Les Salles et Loudeac et la seigneurie de Cheze, atenante et contigüe à icelles, sont des plus belles et anciennes terres de nostre royaulme, tant pour les droicts, honnoraires, tailles, revenu et consistance d'icelles, que pour estre composées des villes et bourgs il y a marchez ordinaires tous les jours de la sepmaine et les plus belles foires de nostre province de Bretaigne au lieu de laquelle est scituée ladite ville de Pontivy sur une grosse et belle rivière nommée Balavuet ; y ayant au reste en ladicte Vicomté nombre de beaux et riches fiefs et qu'estans toutes lesdictes terres réunies à une mesme foy elles seroient dignes et capables du nom et tiltre de duché et en pourroient entretenir la dignité et splendeur. Pour ces causes et autres considérations à ce nous mouvans par l’advis d'aucuns princes de notre sang, de plusieurs autres grands et notables personnages et seigneurs de nostre court estans prés de nous, et de nostre certaine science plaine puissance et auctorité royalle, Nous ladicte Vicomté de Rohan contenant les terres de Rohan, Pontivy, Goirec, les Salles et Loudéac et la chastellenie de la Chèze avec leurs appartenances s'estendant aux trois éveschez de Vannes, Saint-Brieuc et Cornuaille, réunyes et réunissans soubz une seulle et mesme foy qui nous sera portée par ledit sieur de Rohan et icelle vicomté de Rohan, creé erigée et establye, créons, érigeons et establissons par ces présentes signées de nostre main en Duché et Pairrye de Rohan ; voulons qu'iceluy nostredit Cousin Henry de Rohan soit doresenavant nommé Duc de Rohan et Pair de France à telz semblables honneur; droits, prérogatives, prééminences en tous endroits, faicts de guerre, assemblées de noblesse, courts et compagnies, et tout ainsy que les autres Ducs et Pairs de France en jouissent et usent, lequel Duché et Pairrie nostredit cousin tiendra en foy et hommage de Nous et de Nostre Couronne de France et comme tel sera tenu de nous faire et prester nouveau serment au nom, tiltre et qualité de Duc de Rohan et Pair de France. Voulons et Nous plaist qu'en cette qualité luy et ses successeurs Ducs de Rohan nous rendent et à nos successeurs leurs adveuz et desnombremens et aussy que leurs vassaulx et tenanciers des fiefz mouvans dudit Duché le recognoissent et luy prestent la foy et hommaige, rendent leurs adveuz et desnombremens et declarations qu'à l'occasion escherra au mesme tiltre de Duc et Pair de France. Voulons aussy et nous plaist que la justice dudit Duché et Pairrie soit doresenavant exercée et administrée audit Duché de Rohan par les officiers qui y sont de présent ou seront pour l'advenir establiz soubz le nom, tiltre, scel et auctoritté de Duc de Rohan et Pair de France, aux honneurs, auctorittez, prérogatives et prééminences appartenans à Pair et Duc, et tout ainsy que les Pairs et Ducs de nostre royaulme en jouissent en justice, soubz le ressort de nostre Parlament de Bretaigne, à la charge que deffaillant la ligne masculine de nostredit Cousin et de ses descendants masles ladicte qualité de Duc et Pair demeurera esteinte et retournera ladicte terre en l'estat qu'elle estoit auparavant ladicte érection sans que par le moyen d'icelle ny de l’edit faict à Paris en l'an 1566 et autres procédures et subséquentes mesures, nos derniéres déclarations des derniers décembre 1581 et mars 1582 vérifiées en nostre Cour de Parlement sur l'érection des Duchés, Marquisats et Contéz, l'on puisse prétendre ledit Duché de Rohan estre réunir et incorporé à nostre Couronne, ny nous ou nos successeurs y prétendre pour ce aucun droit ; desquels nos édicts ordinaires et déclarations Nous avons pour les susdictes considérations excepté et réservé, exceptons et réservons de nos grâce et auctorité que dessus, ledit Duché et Pairrie de Rohan, appartenances et dépendances sans laquelle exception et réservation nostredit Cousin n'avoit voullu ny ne vouloit accepter ladicte présente création. Sy donnons en mandement à nos amez et féaulz..... A Fontainebleau au mois d'avril l'an de grâce 1603 et de nostre régne le XIIIIème. Signé HENRY » [Note : « Régistré au Parlement le 7 Aoust 1603 après remonstrances faittes au Roy et commandement verbal de Sa Majesté. » (B. N.. fr. 4585, f° 163)].

De ce qui précède, il résulte que les lettres royales créent un état nouveau pour le Rohan et le Porhoët. Le fief de Guethenoc cruellement amputé, défiguré, se trouve réduit aux limites de la seule châtellenie de Josselin ; son antiquité et la noblesse de son origine lui valent de ne pas être englobé, absorbé tout entier, par le nouveau Duché.

Par ailleurs, il faut se garder de confondre les circonscriptions de la seigneurie nouvellement érigée avec l'ancienne Vicomté du même nom. Ainsi composé, le Rohan fut divisé en six châtellenies sur lesquelles nous reviendrons dans la suite de notre étude ; retenons cependant, dès maintenant, qu'en élevant le Rohan en Pairie, le roi porte l'hommage et la foi à la Couronne de France et le ressort de la juridiction seigneuriale au Parlement de Bretagne.

Arbre généalogique des Rohan-Gié ( Bretagne).

(H. Du Halgouet).

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