Web Internet de Voyage Vacances Rencontre Patrimoine Immobilier Hôtel Commerce en Bretagne

Bienvenue !

L'ORIGINE DE LA VICOMTÉ DE ROHAN (XIIème siècle)

  Retour page d'accueil       Retour page "Vicomté de Rohan"  

Boutique de Voyage Vacances Rencontre Immobilier Hôtel Commerce en Bretagne

Boutique de Voyage Vacances Rencontre Immobilier Hôtel Commerce en Bretagne

Alain, vicomte de Castelnoec, fils de Eudon, comte de Porhoët, établit sa résidence à Rohan (1128). — Les premiers seigneurs de Rohan, de Alain Ier à Alain VI. Leur rôle politique. — La formation des divisions ecclésiastiques de la Vicomté de Rohan. Annexions. Etendue du fief à la fin du XIIème siècle. — Restauration religieuse à cette époque. Fondation de l’abbaye de Bon-Repos (1184) et rapide extension de ses possessions territoriales.

La partie occidentale du Porboët est donnée à Alain de Porhoët qui établit sa résidence à Rohan.

« L'année de l'incarnation du Seigneur 1128, sous le règne de Louis, Conan étant comte de Bretagne, moi Alain vicomte, j'ai donné et donne à Saint-Martin et aux moines du monastère situé prés du château de Josselin, tout le bourg (burgum) situé devant la porte de mon nouveau château appelé Rohan, plus un moulin, la moitié de la ville, les dîmes dans la paroisse de Credin.... ; à charge de prier pour moi et pour mes défunts. Fait en notre dit château de Rohan, sous notre sceau et avec notre paraphe ». Signé A. DE ROHAN [Note : Archives du Morbihan, Fonds du prieuré de Saint-Martin de Josselin, Original parchemin].

Telle est la première affirmation authentique du fief dont nous allons essayer de retracer l'histoire.

Le 5 des calendes d'avril, de l'année précédente, promesse de donation avait été faite au couvent même de Saint-Martin de Josselin, sur l'autel, en présence de Josthe ou Josselin, fils du donateur et de plusieurs témoins [Note : Bibliothèque Nationale, Blancs-Manteaux, ms. fr. 22319. D. Lobineau, P. t. II, col. 156, et D. Morice, P. t. II, col. 653. Sans vouloir discuter ici l'origine du burgum de Rohan, il est intéressant de signaler la forme ancienne de Roc’han, ou Rochan, généralement reconnue aussi bien pour le Rohan du Porhoët, que pour les différents Rohan de Basse-Bretagne]. Entre les deux chartes, le texte ne diffère guère, si ce n'est que l'acte donné au château de Rohan, ne porte pas le motif réel de la donation faire construire une église et un cimetière tout proche du château.

Alain de Rohan, issu de l'illustre maison de Porhoët, était fils d'Eudon 1er vicomte de Porhoët, le vainqueur de Hoël de Bretagne. Bien qu'il ne fût que troisième fils, il semble, d'après les documents de l'époque, avoir partagé l'autorité avec ses frères, Josselin et Geoffroy, tour à tour titulaires du Porhoët après leur père. On le qualifie parfois avec Geoffroy de « proconsul de Porhoët » ; ailleurs, on le distingue par le titre de Vicomte du château de la Noë, uni à l'épithète d'illustris, sans doute en raison de la gloire et de la fortune qu'il s'était acquises en Angleterre.

Geoffroi Ier voulant donner un apanage à son frère Alain, lui céda vers 1120, toute la partie du Porhoët, située à l'ouest de la rivière d'Out, moins une douzaine de paroisses au sud de Josselin qui formèrent le Porhoët d' « outre l'eau », par rapport au domaine principal s'étendant sur l'autre rive.

La part d'Alain était considérable en étendue, — plus vaste peut-être que La terre réservée par l'héritier en nom du Porhoët — mais presque inculte et encore fort peu peuplée : des forêts, des landes, des paroisses dispersées et pauvres d'habitants ; à l'intersection des deux grandes voies d'accès intérieur, le Blavet et la voie romaine de Rennes à Carhaix, en un lieu fortifié naturellement, où une hauteur abrupte s'élève pour commander la vallée, une vieille forteresse féodale, connue alors sous le nom de Castel-Noec, assise sur les ruines d'un vaste camp romain. C'est là, sur les vestiges de la domination d'Aetius, qu'Alain du Porhoët établit le premier siège de son autorité. Mais homme d'action et riche de grands biens, il voulut se donner une forteresse plus en rapport avec les besoins militaires de son temps et l'importance de sa situation. L'Out qu'il avait si longtemps considéré comme l'artère principale du Porhoët, l'attira sur ses rives ; il vit sans doute dans cette voie navigable, entre autres avantages, un trait d'union entre deux villes qui devaient incarner la puissance féodale de sa race : Josselin ayant acquis déjà, une réelle importance, et Rohan dont il allait jeter les fondements. Alain savait, d'ailleurs, pouvoir compter sur l'appui de son frère Geoffroi.

Premières fondations pieuses.

Cependant il lui manquait la plus certaine garantie de réussite pour son entreprise, celle que la Providence accorde aux créations humaines qui ont appelé sur elles la protection d'en haut. A l'exemple de tant d'autres seigneurs, de son aîné principalement, le Vicomte de Porhoët, qui avait appelé les moines de Marmoutiers dans la cella de son château de Josselin, il voulut placer un établissemant de moines à côté de son nouveau castrum, force morale près de la force matérielle. Le prieuré, dont la chapelle dédiée à Saint Martin, devait être érigée plus tard en église paroissiale, fut, avec la résidence seigneuriale, le principe de vie de la ville qui donna son nom au fief tout entier.

Alain de Porhoët n'était pas à sa première fondation pieuse ; alors que Rohan n'avait pas encore été choisi pour sa nouvelle résidence, à Castel-Noec, il avait fait en faveur du monastère de Redon également une donation pour l'établissement d'un prieuré et d'un bourg. L'église et la maison conventuelle étaient construites à l'extrémité de la presqu'île, près de l'ancien camp romain dont le souvenir fut perpétué par la consécration même de l'église sous le vocable de Notre-Dame de Goard (plus tard, de la Couarde) [Note : Bizeul soutient que Garde est synonyme de camp et de là viendrait par dérivation : Goard, Coarde, Couarde. C'est une opinion qui peut être discutée]. L'année 1125, le généreux seigneur, en constatant l'exécution des conditions de sa fondation, procède à l'érection d'une nouvelle paroisse, démembrée de Saint-Bilce (Bieuzy), qu'il confie aux moines. Il leur concède, dit la charte, tous les habitants compris dans les limites de l'ancien fossé du camp et d'un certain carrefour planté d'ifs, y compris une léproserie, et leur fait en même temps de nombreuses libéralités en terres, dîmes, redevances à Saint-Bilce, Guern, Melrand et Penret ([Note : Cartulaire de Redon].

Le mot « castri » qui figure dans l'acte, peut être interprété dans le sens du camp romain, dont la trace subsistait assurément, ou dans le sens du château féodal des Porhoët. Celui-ci ne pénétrait pas dans la presqu'ile de Castennec, mais en fermait l'entrée, et il semble bien que l'église de la Trinité qui devait desservir la nouvelle paroisse ait été construite précisément dans son enceinte [Note : Les travaux exécutés pour établir la route moderne ont mis à jour des murs de deux métres d'épaisseur, construits avec soin, en pierres taillées et appareillées, qui appartiennent évidemment à cette forteresse (Cayot Delandre). — La tradition veut que le village de Castennec ait été, sous la domination romaine, une ville et le lieu d'un marché considérable ; elle s'appuie sur certaines franchises des habitants de ce lieu et sur la coutume de la mesure dite de Castel Noec (mensuram Castrinoioci) qui s'est perpétuée jusqu'au XIIIème siêcle (Cayot Delandre et Bizeul). Des érudits ont identifié Castennec avec Sulim, de la Table de Peutinger, lieu consacré à la déesse Sulis qui était vénérée à Bath, en Angleterre, sur un promontoire entouré d'eau, comme à Castennec. (Voir l'étude de M. Leroux, dans le Bulletin de la Société Académique de Nantes). Quoiqu'il en soit, l'existence de foires à Castennec révèle l'établissement des hommes remontant à une haute antiquité. Il paraît très probable qu'un oppidum gaulois a précédé ici le camp romain. La configuration des lieux rappelle d'ailleurs la situation de Castel Finans, en Saint-Aignan, dominant un autre coude du Blavet, où M. de Keranflec'h a retrouvé des vestiges de l'occupation gauloise]. Là se trouve une preuve certaine de l'occupation du château par les moines, et bien que le donateur mentionne une tour encore debout, dominant le Blavet, on peut conjecturer que le Castel d'Alain de Porhoët était dans un délabrement qui approchait de la ruine fatale, et qu'en l'abandonnant aux religieux du prieuré de Goarde avec tous les vassaux qui restaient groupés autour de ses murs croulants, il avait jeté ailleurs les bases d'un nouveau siège féodal.

Morvan, évêque de Vannes, approuva la fondation des prieurés de Castennec et de Rohan, et les successeurs d'Alain ratifièrent les donations, en y ajoutant eux-mêmes d'abondantes aumônes.

Alain, premier Vicomte de Rohan, n'aurait survécu que quelques mois à l'installation des moines à Rohan, et, suivant la chronique de Rhuys, serait décédé l'année même 1128. Son fils Alain, deuxième du nom, fixa dans son fief, par différentes concessions, les chevaliers du Temple, récemment arrivés en Bretagne. Le duc Conan IV, en 1160, confirmait les fondations faites à cet ordre ; parmi celles-ci se trouvent une aumônerie à Priziac, des hôpitaux à Saint-Maclou (Locmalo) et Pontivy.

Politique des premiers seigneurs de Rohan.

A cette époque, la branche cadette de Porhoët semble vouloir se séparer définitivement de la branche aînée représentée par Heudon II, le champion de la cause bretonne dans la guerre de succession. Elle se rallia à la politique anglaise que l'adversaire d’Heudon de Porhoët inaugurait en Bretagne, et soutint cette politique les armes à la main. Par le mariage du Vicomte Alain III avec Constance, sœur de Conan IV, ces tendances s'affirmèrent de plus en plus. Constance avait dédaigné le trône d'Ecosse, croyant arriver à celui de France, mais elle avait manqué le but en voulant trop sûrement l'atteindre.

Les Rohan qui avaient servi l'influence anglaise au XIIème siècle, secondérent l'influence française au siècle suivant. Pierre Mauclerc chercha tout d'abord à se faire des alliés de ces grands seigneurs ; dés 1224, au début de la lutte contre la noblesse bretonne, il obtint l'appui d'Olivier, vicomte de Rohan, à condition que, la guerre finie, le duc indemniserait son allié de tous les dommages qu'il aurait subis. C'était le temps où les sires de Fougères, ces intrépides défenseurs de l'indépendance bretonne, a peine relevés de leurs pertes, recommençaient la guerre contre la créature du roi de France. Pour lancer le Vicomte de Rohan contre le sire de Fougères, le duc, par un traité secret, s'engagea à ne faire la paix avec ce dernier que de concert avec « son cher et fidèle Vicomte », et pour entraîner celui-ci, par une évolution ambitieuse, dans un rapprochement avec l'Angleterre, il lui concéda au delà de la Manche la valeur de deux cents marcs en terres [Note : D. M. t. I, col. 376, 871, 872].

Main V de Rohan qui avait succédé à son frère Olivier, était le premier mari d'Aliénor de Porhoët dont il sera question plus tard.

***

L’oeuvre monastique avant et après l’invasion des Normands.

Dans un ouvrage précédent [Note : Essai sur le Porboët. Champion 1906], nous avons parlé du Pagus trans Sylvam, ce pays des forêts profondes occupant la région centrale de la Bretagne, et qui forma le Porhoët.

Quelque grande que fût la difficulté de pénétration dans cette région boisée et désertique, aucun obstacle ne résista à la mission des premiers apôtres de l'Armorique venus d'outre mer. Semant les préceptes de l'évangile, ils y apportèrent les principes de la civilisation, aussi est-il juste de dire que dans la formation de notre nation armoricaine, l'élément religieux a joué un rôle capital et essentiel. La preuve est appuyée sur des textes et une tradition immuable ; elle est aussi fixée par des empreintes ineffaçables dans le sol même de la Bretagne.

Un des caractères du régime monastique aux VIème et VIIème siècles, est l'obligation du travail manuel. Les règles de saint Columba nous apprennent qu'outre la prière, la lecture et l'écriture des livres saints, les moines de Grande Bretagne et d'Irlande occupaient leur temps à l'agriculture dans ses diverses activités : labourage, semailles, récoltes, battage, transport de la moisson ; plusieurs historiens ont suffisamment montré que ces préceptes furent partout observés en Armorique. Les religieux ne craignirent pas de pénétrer au cœur même de la péninsule et de s'y fixer au milieu des forêts. « Tout autour de leurs établissements, dit La Borderie, les saints et les moines brisaient ce réseau envahisseur de bois et de halliers ; puis ils défrichaient, labouraient, ensemençaient et remplaçaient les chênes par les moissons » [Note : Bulletin de l'Association Bretonne. Année 1850]. Ceux qui désiraient pratiquer une vie plus ascétique que celle du monastère se retiraient non loin de là dans quelque solitude où ils pouvaient vaquer à la méditation sans être troublés, sans rompre cependant le lien fraternel qui les rattachait à la communauté. Bien rares malheureusement sont les noms, parvenus jusqu'à nous, de ces hardis pionniers, de ces saints personnages, insulaires ou autres, qui apportèrent leur heureuse influence dans la partie occidentale du Parhoët devenue le fief de Rohan. Nous connaissons saint Gonnery qui vint s'établir dans la forêt de Branguily, saint Behand, réfugié à Priziac, saint Samson né à Gouarec, saint Yvy échoué sur les rives du Blavet, sainte Loyale qui fut décapitée et mourut à Bignan ; nous connaissons saint Gildas et saint Bilce, les deux anachorètes de Castel-Noec, saint Guthwal, le fondateur de Locoal-Plouguernevel et de Locoal-Camors où il serait mort, saint Elouan enterré à Saint-Guen, saint Morvan à Saint-Aignan, saint Mériadec à Stival ; on a conservé encore le souvenir de saint Meliau vénéré comme fondateur de Plumeliau, de saint Rivalain à Melrand, etc...

Avant d'appartenir à Saint-Sauveur de Redon, le territoire de la Coarde avait été occupé par les disciples de saint Gildas. En 538, Gildas et Bieuzy fixèrent leur ermitage dans une grotte des bords du Blavet, au sud de Castel-Noec. Bieuzy se chargea plus particulièrement de l'instruction des habitants et donna naissance à un centre paroissial auquel il laissa son nom. Gildas s'occupa des moines de Rhuys, ses frères, venus le retrouver dans sa solitude, et utilisa dans l'enceinte du camp romain les matériaux d'un ancien temple pour la construction d'un monastère. La fondation de saint Gildas ne survécut malheureusement pas aux ravages des Normands, mais, comme nous l'avons déjà vu, sur le lieu même de cette fondation le Vicomte de Castel-Noec, premier du nom de Rohan, appela de nouveau les bienfaits de la civilisation monastique. L'établissement en faveur des religieux de Redon sembla sans doute à l'un de ses successeurs avoir été fait au détriment des premiers occupants, car, à une date inconnue, mais postérieure à 1124, les moines de Rhuys reçurent en donation plusieurs terres voisines de l'ermitage de saint Gildas afin d'y installer

Promontoire de Castennec ou Castel-Noec (Bretagne) au XIIème siècle.

LE PROMOTOIRE DE CASTENNEC OU CASTEL-NOEC au milieu du XIIème siècle.

eux aussi un couvent. La chapelle attenant à la grotte du saint servit de centre à ce bénéfice et le prieur eut sa demeure dans le village de Prioldy (maison du prieur). La situation de la chapelle, tout proche la rivière, a fait donner au petit monastère le nom de prieuré du Blavet, mais il est plus communément appelé Saint-Gildas de Bieuzy.

Si ce n'est à saint Gildas lui-même, c'est assurément aux disciples de l'apôtre du Vannetais que Locmenech (lieu des moines), aujourd'hui Locminé, doit son origine. Les moines fondèrent en ce lieu une abbaye qui eut sans doute un rayonnement important dans le pays. Ruinée également par les barbares du nord, elle fut relevée par les soins de Félix, moine de Saint-Benoît-sur-Loire, appelé à cette intention et afin de faire reconstruire l'abbaye de Rhuys, par le duc Geoffroi, en 1008. Quand le moine Félix reçut la bénédiction abbatiale, il se fixa à Rhuys et conserva le prieuré de Locmenech sous sa dépendance. Autour de la chapelle dédiée au Sauveur et du couvent, situés en Moréac, se groupèrent des habitations qui formèrent le bourg, dont plus tard le prieur devint naturellement le chef spirituel et le seigneur temporel.

La destruction de Rhuys, de Saint-Gildas de Bieuzy et de Locmenech, n'est qu'un trait de l'histoire dévastatrice des Normands qui, à plusieurs reprises, ravagèrent la Bretagne aux IXème et Xème siècles ; on leur attribue en effet la ruine de toutes les abbayes et de la plupart des établissements religieux secondaires de cette époque. Ces pillards remontant le cours des eaux, pénétraient dans les campagnes les plus écartées de la mer ; cependant il ne paraît pas vraisemblable que leurs ravages aient atteint les modestes communautés rurales de l'intérieur. Les abbayes pillées, incendiées, et ruinées, on vit leurs possesseurs fuir, emportant avec eux les reliques des saints, les objets du culte, et les biens qu'ils avaient pu sauver. Devant la dispersion de la communauté mère, beaucoup de moines durent suivre les traces de leurs supérieurs, d'autres restèrent cachés dans les monastères, et, après eux, personne ne vint prolonger la vie monastique. C'est ainsi que l'invasion des Normands entraîna en Armorique l'anéantissement de l'œuvre monastique fécondée par l'évangélisation des premiers missionnaires du christianisme.

Il reste de cette époque le souvenir de nombreux établissements religieux dispersés dans les campagnes. Citons entre autres : les Moustoir de Silfiac, Plélauff, Saint-Jean Brevelay, Remungol, Neuillac,… le Moustero de Plouray, le Moustaer-Ryaval de Stival, le Moustoir-Kerbras de Noyal, Moustoirac en Locminé, Coet-er-Moustoir en Cléguérec, Moustoir-Rialan, ou Rivalun, et Moustoir-Babu en Ploerdut, Mousterein et Moustoir-Podo en Saint-Tugdual, etc... auxquels il faut ajouter d'autres noms significatifs comme le Cloître en Plumeliau et en Guern, le Coitre en Saint-Aignan, Claudy en Noyal et Moreac, Kerminizy en Saint-Tugdual, et les composés de Lan (résidence monastique) assez répandues.

Des agglomérations plus ou moins importantes ont subsisté sur les vestiges de certains moutiers, mais ailleurs la trace de ceux-ci est à jamais perdue. Le précieux cartulaire de Redon a conservé le texte d'un jugement royal de l'année 871, sur l'action en usurpation intentée contre le mactyern de Cléguérec par les religieux du monastère de Saint-Duccocan, dépendant de l'abbaye de Saint-Sauveur. L'étude approfondie de cette charte par M. de Keranflec’h a permis d'identifier l'emplacement de Saint-Duccocan avec celui de l'église actuelle de Perret. Tout à côté, mais sur le territoire de Lescouet, se trouvait aussi un couvent sous le patronage de saint Serge, correspondant vraisemblablement à la chapelle dédiée aujourd'hui à saint Roch. Depuis lors les monastères de Saint-Duccocan et de Saint-Serge ne figurent ni dans l'histoire de l'abbaye de Redon, ni ailleurs ; toute trace en a disparu. C'est là un exemple frappant de la disparition à travers les siècles du souvenir des fondations pieuses.

En demandant à l'abbé de Saint-Benoit-sur-Loire des religieux pour reconstruire et repeupler les abbayes de Saint-Gildas et de Moréac (Locminê), le duc de Bretagne reconnaissait publiquement l'action heureuse exercée par les moines et les avantages qu'avaient assurés à la province leurs vertus et leurs bienfaits. L'exemple de ce prince fut bientôt suivi par les barons et les seigneurs, ils rappelèrent les moines et rivalisèrent de zèle pour leur établissement ; même les plus humbles serviteurs de Dieu voulurent par des donations prendre part à cette restauration religieuse qui marqua le XIème siècle et se prolongea jusqu'à la fin du siècle suivant.

Le fief que Geoffroi de Porhoët concédait en partage à son frère, possédait déjà deux prieurés, celui de Locminé relevé par saint Félix et celui de Baud, ou de Notre-Dame des Neiges, dépendances de Rhuys. Nous venons de voir comment Alain de Rohan, lui-même, marqua son gouvernement par deux fondations pieuses. Avant l’installation des religieux de Redon à la Couarde, l'année 1120, deux généreux donateurs, habitant sur l'autre rive du Blavet par rapport à Castel-Noec, Hervé, fils de Jagu, et Eudon, fils d'Audren, firent « l'aumône » à l'abbaye de Saint-Florent de Saumur de la terre où se trouvent actuellement la chapelle et le cimetière de Saint-Nicolas-des-Eaux. Ces deux personnages augmentaient leur libéralité du bois nécessaire à la construction de l'église et du couvent, abandonnaient des droits de pâturage, de chauffage, de four, des dîmes, dont il faut retenir celles du marché de Plomeleau (Plumeliau). Morvan, évêque de Vannes, Raoul, archidiacre du chapitre de Vannes, et les prêtres de Plumeliau ratifièrent la donation, en concédant aux moines tout ce qui concerne le soin des âmes et les droits casuels [Note : D. Morice, P., I, 430. - Le prieuré de Saint-Nicolas-des-Eaux, appelé encore Saint-Nicolas-du-Blavet, ou Saint-Nicolas-de-Castennec, a été quelquefois attribué à l'abbaye de Redon, par suite d'une confusion avec celui de la Couarde qui lui appartenait incontestablement. D'autres fois, il a été attribué à Saint-Gildas-de-Rhuys, par suite d'une nouvelle confusion avec le prieuré de Saint-Gildas-du Blavet ou de Bieuzy. Il y avait là, groupés dans un rayon très court, trois prieurés distincts,: Saint-Gildas, la Couarde, et Saint-Nicolas, dépendant de trois abbayes différentes. Le chanoine Le Menée fait ressortir cette distinction en s'appuyant sur des documents indiscutable, (Bulletin de la Société Polymathique du Morbihan)].

L'ignorance et les dérèglements dans lesquels était tombé le clergé séculier, favorisèrent considérablement l'accroissement des religieux, car, pour obéir aux réformes dictées par le pape, les prélats multiplièrent la vie conventuelle dans les campagnes. Sans supprimer les desservants ordinaires, le rôle de ceux-ci fut diminué par l'assistance du clergé régulier auxquels les évêques confièrent le service des paroisses voisines des monastères ; les fondations monacales furent encouragées, les bénéfices augmentés.

Ordres militaires.

A côté des ordres purement religieux apparurent les ordres militaires. Ces derniers avaient pour objet le soin des malades dans les hôpitaux et la surveillance des routes au point de vue de leur sûreté. Templiers et Chevaliers de Saint-Jean-de-Jérusalem se rencontrent pour la première fois en Bretagne, au milieu du XIIème siècle ; ils y furent favorablement accueillis et, avec la protection des seigneurs, acquirent rapidement des biens. Aux possessions des Templiers mentionnées dans la confirmation de Conan IV, il faut ajouter celles des Chevaliers de Saint-Jean ou Hospitaliers : les hospitales de Saint-Fiacre-Radenac, de Kerfourn, Saint-Aignan, Moustoirac, l'aumônerie de Guémené, et d'autres établissements confondus avec ceux qu'on attribue généralement aux Templiers : Tourel-Tal-Len en Camors, le Temple ou Saint-Adrien en Baud, le Croisty en Saint:Tugdual, Saint-Yves de Lignol, Notre-Dame de Crenenan en Ploerdut, Moneru en Saint-Allouestre, etc... [Note : La charte relative à l'Ordre de Saint-Jean-de-Jérusalem (1160), et celle qui énumère les biens des Templiers (1184) sont considérées comme apocryphes. Cependant rédigées, vers la fin du XIIIème siècle, d'après des documents anciens, elles n'en ont pas moins un grand intérêt et une valeur réelle].

Poursuivie par Philippe Le Bel, la milice du Temple fut supprimée en 1312, et les Chevaliers de Saint-Jean recueillirent alors tous leur biens. En l'absence de documents écrits, il est téméraire de se prononcer sur l'origine des biens de l'un ou de l'autre ordre ; d'autant, qu'après la suppression des Templiers, les Hospitaliers ne rougirent ni du nom, ni des biens de la milice du Temple [Note : Geslin de Bourgogne : Les Ordres Militaires.]. On connaît cependant une charte de 1217, par laquelle Pierre Mauclerc fait restituer aux Templiers les hospites de Jugon, de Moncontour, et de Lemmon. Dans le nom estropié de Lemnon, se demandent les auteurs de la Bretagne féodale et militaire, ne pourrait-on pas reconnaître Saint-Léon, où la tradition place un des établissements de la milice du Temple ? C'est possible.

Une autre pièce, de 1182, énumère parmi les biens des Templiers en Bretagne : Guerncadiou que M. Longnon suppose devoir être Guervezo en Silfiac, et parrochia de Clibiriac, qui peut se traduire par Cléguérec. Là se limitent les textes, encore ceux-ci restent-ils très obscurs.

***

Limites de la Vicomté à son origine.

Avant d'étudier ce qu'était primitivement le Rohan, il était nécessaire de faire ressortir les influences qui s'exercèrent dans la formation des divisions territoriales. A l'origine, la Vicomté de Rohan occupe l'angle Nord-Ouest de l'évêché de Vannes. L'Out — de Lantillac à Hémonstoir, — le Blavet et le ruisseau du Doré, aujourd'hui canalisé, forment les limites orientale et septentrionale ; à l'Ouest la Vicomté s'appuie sur l'Ellé, de sa naissance à la Roche-Periou ; au Sud sur le cours Stanghingant, l'étang actuel de Pontcallec, le cours inférieur du Sarre qui se jette dans le Blavet près de Saint-Rivalain. Là se produit une brusque descente jusqu'à l'Evel. Puis deux lignes brisées à angle droit, allant de l'Evel à Saint-Jean-Brévelay (inscrivant Camors), et de Saint-Jean-Brévelay à Pleugriffet, — ferment le Sud-Est. Les grandes circonscriptions féodales qui bornent le territoire ainsi délimité sont : le Porhoët, le Poher, la Vicomté de Gourin, le Quémenet-Heboë, le domaine d'Auray et l'Argoët.

Constance de Bretagne apporte à Alain III de Rohan les seigneuries de Corlay et de Mûr.

Contrairement à l'opinion généralement admise, faisant de Corlay un simple démembrement de Rohan, cette châtellenie taillée dès le XIème siècle dans le vaste apanage des comtes de Poher — cadets eux-mêmes de l'illustre maison de Cornouaille, — fut apportée aux Rohan par Constance de Bretagne-Penthièvre, sœur de Conan IV, qui épousa Alain III de Rohan et qui fonda, sur son propre héritage, l'abbaye de Bon-Repos en Laniscat.

La qualification de dame de Mûr et de Corlay donnée à cette princesse dans la généalogie de La Rivière-Mur, établie sur titres authentiques devant le Parlement de Bretagne, si sévère en pareille matière, ne laisse aucun doute à cet égard [Note : Arrêt de la Réformation de 1670]. Elle montre de plus, que, au XIIème siècle, Mûr et Corlay ne font qu'un seul et même fief avec deux seigneuries distinctes. Celle de Mûr appartient à la maison de Mûr, représentée dans la fondation de 1184 par Cadoret de Mûr, dont un des descendants, nommé Christophe, épousa, en 1357, Louise de la Rivière et commença la lignée des La Rivière-Mûr. Plus étendue et plus importante, est la seigneurie proprement dite de Corlay, en possession de tous les attributs quasi régaliens des plus hautes baronnies bretonnes : justice complète, sceau des contrats, mesures particulières, connaissance de tous les cas, hors celui de faux monnayeur. Elle occupe un massif accidenté servant de nœud aux trois principales chaînes bretonnes, le Mené, l'Arhès et les Montagnes Noires, coupé de vallées et de gorges profondes dont, jusqu'au XVIIème siècle, la forêt de Poulancre couvre le centre, formant avec les bois de Mûr, de Caurel, du Quelenec, du Roz, une masse forestière presque ininterrompue, semée de clairières habitées.

Dans une de ces clairières, près du point de jonction des deux vallées de Gourveaux et de La Martyre, dont les eaux descendent au Blavet par un défilé rocheux, se trouvait la forteresse féodale qui aurait précédé, dans la seigneurie de Corlay-Mûr, celle de Corlay. Détruite par le feu après l'avènement d'Alain Fergent, elle ne fut pas reconstruite. M. de Keranflec’h en a découvert les vestiges à Saint-Gilles-Vieux-Marché (deux enceintes, corps de place forte et motte servant de réduit) ; il expose nettement qu'elle doit être considérée comme le chef-lieu primitif de ce territoire [Note : Notice sur les retranchements de Saint-Gilles-Vieux-Marché, par Ch. de Keranflec’h. Société d’Emulation des Côtes-du-Nord, 1890, Confisqué, pour félonie ou autre motif, sur Rivalon an Broch, le fief de Mur et Corlay serait passé par Berthe, fille du Comte de Bretagne et femme d'Alain Le Noir, Cte de Penthièvre, à Conan IV dont la sœur épousa Alain III de Rohan. Pour cette transmission, voir également l'étude de M. de Keranflec'h]. Les Rohan choisirent Corlay pour y édifier un nouveau château, en 1198 [Note : Gautier du Mottay : Répertoire Archéologique], ne laissant à Saint-Gilles que les ruines de la forteresse primitive, des halles, et une quintaine qu'on se disputa encore longtemps sur la place de l'église.

Une des conséquences vraisemblables de la ruine de Saint-Gilles fut le développement que prit à cette époque la localité de Saint-Léon, située à une faible portée ouest de Vieux-Marché. La tradition représente Saint-Léon comme un centre commercial et manufacturier qui, au cœur de la Bretagne, aurait été un riche entrepôt entre les deux mers. Son importance religieuse était considérable on parle de sept églises, dont quatre tout au moins sont connues ; les Templiers y possédèrent un établissement, et là était le siège de la paroisse avant qu'il ne fût transporté à Merléac, fin du XIIIème siècle ou dans les premières années du XIVème [Note : La mutation était déjà opérée en 1317 lorsque l'official de Poher régla un désaccord survenu entre le Vicomte, le vicaire de Merléac, et le chantre de Quimper, relativement aux oblations de l'église Saint-Jacques qui venait d'être reconstruite. D. M. I, 1276].

La seigneurie proprement dite de Corlay, démembrée du Poher, était constituée des paroisses qui ont invariablement formé son territoire dans la suite des temps : Corlay avec une partie de Haut-Corlay, Plussuilen, Laniscat comprenant Rosquelven, Saint-Gelven et Saint-Igeaux, ses trêves, Saint-Martin-des-Prés, Merléac avec Saint-Léon et le Quillio sa trêve, Saint-Mayeux comprenant le Vieux-Marché et Caurel, ses trêves ; localités qui nous apparaissent pour la première fois — et ceci est significatif — dans la fondation de Bon-Repos et les donations à cette abbaye.

Pour composer la seigneurie de Mûr, il faut évidemment prendre les paroisses de la Cornouaille qui tiennent entre l'Out, la châtellenie de Corlay, le Blavet, et le territoire Vannerais, autrement dit : Mûr et ses dépendances Saint-Guen et Saint-Connec, Neuillac avec Hémonstoir et Kergrist, ses trêves, et enfin Saint-Caradec. Cette seigneurie ne resta pas longtemps intacte : dès le XIVème siècle elle se trouvait partagée en trois principaux fiefs dont les domaines étaient enchevêtrés.

Gouarec semble avoir été une dépendance de la châtellenie de Corlay.

C'est bien intentionnellement que précédemment nous avons laissé Plouguernevel en dehors de la Vicomté et de la seigneurie de Corlay. Au confluent du Sullon — qui limite le Corlay à l'ouest — et du Blavet, à l'endroit même où cette dernière rivière dévie brusquement son cours du nord vers l'ouest, se trouve le siège très ancien d'une seigneurie qui porte le nom de Gowarec ou Gouarec (le coude).

Dans l'acte de fondation de Bon-Repos, Gouarec est cité comme limite extrême du droit de pêche concédé aux moines. Il est donc, à cette époque, dans la possession des Rohan, et peut-être était-ce simplement une dépendance de Corlay, fixée sur le territoire de Plouguernevel, en la trêve de Saint-Gilles [Note : La chapelle de Saint-Gilles-Gouarec est restée église tréviale jusqu'.à la Révolution]. Aucune raison sérieuse ne s'élève contre cette supposition. Plouguernevel tire son origine du Poher, comme Corlay et Mûr, et la baronnie de Rostrenen à laquelle nous rattachons presque tout son territoire, n'était pas encore formée lors de l'annexion de Corlay à la Vicomté.

Les Rohan firent de leur seigneurie de Gouarec une châtellenie, qui avait son fermier-receveur en 1280. Ogée certifie l'existence à Gouarec, en 1400, d'un « fort château » nommé le manoir de Gouarec. Bien que nous croyions devoir nous référer rarement à cet auteur, ce qu'il avance ici est confirmé par l'aveu de la Vicomté de 1471 qui signale « l’apparence de ville (forte)... et de grandes douves ». A cette date, les puissants seigneurs avaient renoncé à ce siège féodal, en tant que place fortifiée, sans doute parce que leur immense fief n'était déjà que trop garni de châteaux, aussi coûteux d'entretien qu'inutiles. Mais ils crurent bon de conserver à Gouarec les prérogatives afférentes : justice, foires, coutumes, mesures particulières, moulins, etc..., toutes choses d'ailleurs qui marquent incontestablement, comme pour Corlay, l'indépendance originelle de la seigneurie.

Dans les extensions de Gouarec, il faut placer les droits honorifiques des églises et chapelles de Plouguernevel, et certaines rentes dans cette même paroisse groupées en un « bailliage de Plougirnevel » (1471), devenant simple « rôle » dans la suite ; tandis qu'il ressort clairement et indiscutablement, par les actes de la baronnie de Rostrenen, aux XVIIème et XVIIIème siècles, que la plus grande partie et les premières prééminences de Plouguernevel, de Locmaria et de Bonen, ses trêves, appartenaient à Rostrenen [Note : Prise de possession de la baronnie de Rostrenen par Florimonde de Keradreux (1670) et Etat de la baronnie en 1777. Voir : La Baronnie de Rotrenen, par la Comtesse du Laz ; Vannes, 1892]. Réserve faite pour la seigneurie de Gouarec, nous maintenons que de ce côté, Plélauff, Mellionnec et Plouray, étaient les dernières paroisses de la Vicomté [Note : En continuant, Priziac bisait partie du Rohan, mais l'abbaye de Langonnet était dans les limites de la baronnie].

Au XIIème siècle, la Vicomté possède déjà un nombre important de paroisses et de trêves. L'exploitation du sol y est réglée.

Si maintenant nous jetons un rapide coup d'œil sur le territoire même du Rohan, nous constatons que les plus anciennes chartes révèlent, au IXème siècle, l'existence des paroisses de Cléguérec Silfiac et Guern, des lieux de Penret et de Priziac. Saint Bilce a laissé son nom à Bieuzy après y avoir édifié un oratoire ; les moines établis en Moréac dans les premières années du XIème siècle ont perpétué leur souvenir à Locminé [Note : Cartulaire de Redon, par G. de Corson, p. 135, 198, 219, 354 et D. M., I, 228]. A cette époque, on connaît Noyal par ses « plebs », Neuillac et le « tribum » de Saint-Guenin, aujourd'hui simple chapelle en Plouray, par des chartes particulières [Note : Cartulaires de Redon et de Sainte-Croix de Quimperlé. Tribum a la signification de trêve]. Puis, au siècle suivant, les donations à Saint-Sauveur de Redon, les fondations de prieurés et les confirmations données aux ordres militaires mentionnent, outre les lieux qui précèdent : Seglien (1108), Plumeliau et Saint-Nicolas-des-Eaux (1120), Castennec constitué en paroisse, Melrand (1125), Rohan pris sur Saint-Gouvry et limité par Crédin (1127), Locmalo, Pontivy sans doute encore frairie de Cohazé, mais en voie de devenir « parrochia » (1160) [Note : Cartulaire de Redon, Preuves de l'Histoire de Bretagne. Cartulaire du Morbihan, par Rosenzweig]. Cohazé, en effet, a toujours été considéré comme paroisse-mère de Pontivy.

Une tradition à laquelle on peut ajouter foi, attribue à saint Gonnery la fondation de la paroisse de ce nom, à saint Meriadec celle de Stival [Note : Comme à Saint-Elouan, la fondation de Saint-Guen, trêve de Mûr]. Baud remonte au-delà de la fondation du monastère de N.-D. des Neiges, car il faut observer que le prieuré et le siège de la paroisse n'ont jamais été confondus. S'il faut en croire Albert Le Grand, saint Clair serait mort l'année 96 de notre ère, à Reginea, aujourd'hui Reguiny. Aux circonscriptions ecclésiastiques qui devaient exister dans le Rohan primitif, n'hésitons pas à ajouter encore les paroisses de Saint-Aignan et Malguenac qui figurent en même temps que Penret et Pontivy dans la fondation de 1184.

En principe tous les Plou et leurs dérivés trahissent une origine antérieure au XIIIème siècle, ici ce sont : Plouray, Ploerdut, Pleugriffet, Plumelin, Plumeliau. Dans cet ordre d'idées, c'est-à-dire dans les noms d'ancienne origine celtique, il convient de classer les composés de Lan, comme Langoëlan, Pellan forme primitive de Plélauff, de Ran, comme Melrand déjà rencontré, de Loc comme Locmalo précédemment cité, Locuon, trêve de Ploerdut, et Locmeltro, trêve de Guern [Note : D'après les celtisants les plus sérieux, Plou est synonyme de paroisse, Lan d'établissement ou résidence monastique, Loc de chapelle ou lieu saint. Le Ran est une unité de propriété sans synonyme exact]. Le Croisty, qui signifie maison de la croix, a porté assez tard le titre de « parrochia » qu'il semble n'avoir cédé qu'a la fin du XVème siècle à Saint Tugdual ; on le rencontre au XIIème siècle dans une charte de Sainte-Croix de Quimperlé.

Ailleurs nous avons expliqué la création des « Moustoir » ; la plupart eurent une vie religieuse assez courte, cependant quelques-uns surmontèrent l'épreuve des barbares et du temps ; ainsi, ont été conservés Moustoir-Remungol et Moustoirac [Note : Dans la seigneurie de Mûr on trouverait Hémonstoir et Mouster-Caradec désignant, jusqu'au XVème siècle, la paroisse de Saint-Caradec].

En nous en tenant aux données purement historiques, il est donc aisé de conclure que la Vicomté de Rohan, au XIIème siècle, n'est pas une région désertique et dépeuplée comme certains auteurs l'ont pensé jusqu'ici. De grandes circonscriptions territoriales existent ; elles portent la désignation de paroisses et sont parfois subdivisées en trêves ou frairies. Le nombre de celles-ci augmenta dans la suite. En effet, pour répondre aux besoins des populations rurales éloignées des églises primitives, il fallut multiplier les centres religieux ; on le fit, tout en respectant les anciennes circonscriptions du diocèse. Mais cette multiplication au lieu de se produire, comme dans les villes, par des érections de paroisses, eut surtout pour effet la création d'un nombre assez important de succursales [Note : Le système des trêves prévalut, parce que créer de nouvelles paroisses c'eût été du même coup diminuer sérieusement l'importance des anciennes et amoindrir par conséquent les dîmes et les droits honorifiques des desservants qui n'y auraient pas consenti].

Avant la fin du XIIème siècle et à la suite des annexions de Corlay, Mûr et Gouarec, le fief de Rohan comporte déjà en étendue l'importance que lui accordent les aveux du XVème siècle. Les églises n'étaient pas rares, bien que dispersées, et l'homme qui fécondait la terre à la sueur de son front, avait fait de larges brèches dans les forêts. Le sol était la propriété des seigneurs et une sorte de contrat, entre détenteurs du fonds et cultivateurs, fixait les droits et les usages respectifs.

Nous voulons parler de l’usement à domaine congéable. Il sera nécessaire d'y revenir plus longuement; disons seulement, en passant, que la population présentait deux classes bien distinctes, les seigneurs propriétaires du fonds et les tenanciers chargés de la mise en valeur du sol, et disposant pour cela, moyennant redevance, de tous les avantages que la terre et sa culture pouvaient leur procurer. Sur les récoltes se prélevaient la redevance seigneuriale, la dîme ecclésiastique et le droit d'usage au moulin. Ce dernier n'était pas, vraisemblablement, d'un revenu négligeable, car le Vicomte de Rohan, en assurant leur subsistance aux religieux de Castel-Noec et de Rohan, concède aux moines un moulin. Avec la culture, l'élevage des animaux contribuait au développement des relations d'échange. Les moines appelés à Saint-Nicolas-des-Eaux reçoivent un droit de pâturage ; c'est donc que le pacage était déjà réglementé. Bon-Repos obtiendra, nous le verrons, la jouissance de privilèges analogues à ceux qui précèdent.

***

Fondation de Bon-Repos. Largesses en faveur de cet établissement.

Les nombreuses largesses en fonds de terre faites aux moines laboureurs par les premiers seigneurs de Rohan, permirent à ceux-là de se mettre en relation, avec les populations rurales et de leur inculquer les saines méthodes de culture et d'élevage. Il serait exagéré de croire que toutes les maisons religieuses, à cet âge, fussent des colonies agricoles ; mais il est notoire qu'un des ordres les plus célèbres, celui de Citeaux, faisait de l'application constante aux travaux manuels des champs une des prescriptions les plus rigoureuses du régime claustral. « Quand Pierre Le Vénérable prit la direction de cette maison, elle ne comptait pas moins de deux mille établissements pareils à des essaims partis de la maison-mère pour aller aux quatre coins de la chrétienté, arroser de leur sueur les terres et les donations qu'ils eurent à cœur de féconder » [Note : Histoire ecclésiastique de Fleury].

Poussés par le souci du développement de l'agriculture, c'est aux Cisterciens de Boquen que s'adressèrent Alain de Rohan, troisième du nom, et sa femme Constance de Bretagne, quand ils voulurent fonder l'abbaye de Bon-Repos qui devait devenir la nécropole de leur maison.

Entre les landes arides de Laniscat et les mystérieuses profondeurs de la forêt de Quénécan, au confluent de deux vallées étroites, celle du Doulas (le ruisseau de la mort) et celle du Blavet, sur les rives mêmes de cette abondante et sinueuse rivière, le lieu le plus frais, le plus calme, le plus ombreux, le plus mystique, là, est venu s'asseoir, voici sept cents ans, la bienheureuse Sancta Maria Bona Requie, si digne de son nom.

Au récit de la fondation qu'en fait un gentilhomme du XVème siècle, Jean de Rostrenen, comment douter de l'intervention de la Providence dans le choix de ce lieu de paix et de méditation « Un Vicomte, dit-il, étant à la chasse en la forêt de Quénéguen, travailla fort à poursuivre un grand cerf lequel s'enfuit jusques à la rivière de Blavet en laquelle l'animal se mit et illec fut pris et tiré hors ; et ce fait, ledit Vicomte, se sentant lassé et travaillé à ladite poursuite, s'endormit au lieu où est situé à présent l'abbaye et, prenant son repos, en son dormir, luy vint en vision qu'il fonda illec une abbaye... étant après qu'il fut réveillé, fit illec édifier ladite abbaye et voulut qu'elle fut appelée l'abbaye de Bon Repos pour ce qu'il s'y estait très bien reposé et pris grand plaisir en cette vision et songe » [Note : Enquête de 1479. D. Taillandier].

A cause du rôle important joué par cette abbaye dans le fief et dans la maison de Rohan, nous devons plus en détail étudier sa fondation.

Alain de Rohan, avant d'énumérer les conditions matérielles offertes à cet établissement, appelle sur lui, son épouse, ses ancêtres et ses successeurs, les prières des moines qui, d'ailleurs, auront la charge de veiller sur son dernier sommeil. A l'exemple de son père, Alain, l'héritier du nom, désigne l'abbaye comme lieu de sa sépulture. Les donateurs mettent ensuite les religieux en possession de six villæ s'étendant depuis l'église de Saint-Aignan jusqu'aux croix de Treguenanton [Note : En Bretagne la villa (le ker de nos jours) est un domaine rural correspondant tantôt à une métairie, tantôt à un village] ; trois de celles-ci sont l'aumône de vassaux, les fils de Morvan. On peut identifier avec certitude Treguenanton avec Treguanton situé sur la rive gauche du Blavet dans le sud de Saint-Gelven, et se rendre compte, par la distance de Saint-Aignan à ce village, de l'étendue du bien fonds concédé, qui est encore augmenté de deux villages à Kernestevoi, là où se trouvait une chapelle de Saint-Michel.

Les moines pouvaient disposer du cours du Blavet et de ses rives, entre Gouarec et Treguenanton, pour y établir des pêcheries, des barrages et des moulins. Ils pouvaient dans la forêt de Quénécan, prendre du « bois vert » pour la construction et la réparation de leurs édifices (couvent et moulins), ainsi que le « bois mort et sec », nécessaire à leur chauffage et aux autres usages domestiques ; ils pouvaient y faucher de l'herbe pour leurs bestiaux et, « sans droit de panage » mettre leurs porcs dans la forêt, en même temps que ceux du Vicomte. Durant la saison où les troupeaux du seigneur n'y venaient pas, les porcs de l'abbaye devaient rester dans un canton réservé en deçà du chemin de Perret.

A ce qui précède, Alain de Rohan ajoutait toutes les dîmes qu'il possédait à Plussulien, Merléac, Saint-Ygeaux et Saint-Mayeux, deux quartiers de froment sur les redevances annuelles des moulins de Pontivy « pour fournir au luminaire de l'église », la montagne de Corlay avec toutes ses dépendances qu'on désignerait aujourd'hui par tout le Haut-Corlay, enfin, en Angleterre, l'église de Foleborne dans l'évêché d'Ely (ou Elieusi).

Toutes ces choses sont concédées franches, libres et quittes des droits de coutume, tonlieu, passage et autres, « sans aucune réservation de droit temporel » pour le Vicomte, ni ses héritiers, afin que les religieux, leurs hommes et leurs serviteurs, jouissent en paix de leurs biens.

Ce fut fait la veille de la fête de Saint Jean-Baptiste de l'an 1184, du consentement des fils et petit-fils du donateur, et en présence des abbés de Clairvaux et de Savigny, des sires de Vitré, de Fougères, de Mayenne, de Daniel, sénéchal, et de plusieurs autres témoins qui apposèrent leurs sceaux [Note : Archives des Côtes-du-Nord. (Original parchemin)].

La charte de fondation de Bon-Repos offre sur plusieurs points un intérêt capital. On y voit que les pavages en forêts se trouvaient réglementés et soumis à des droits. Les troupeaux de porcs du Vicomte n'y viennent qu'à certaine époque, à la glandée d'automne vraisemblablement, et le reste du temps, l'accès des bois est interdit. Le pacage n'est pas moins sévèrement restreint puisque les religieux eux-mêmes n'ont pas l'autorisation d'envoyer à Quenécan leurs autres animaux d'élevage [Note : Le terme de panage s'appliquait spécialement à la glandée des porcs, tandis que le pacage s'appliquait au pâturage des chevaux et des bêtes d'aumaille] ; ils doivent faucher l'herbe et non la faire paître. Remarquons encore, toujours à propos de la forêt, qu'à la fin du XIIème siécle la jouissance du bois n'est point laissée à tout venant ; les droits du seigneur sont formellement établis, et celui-ci distingue le bois vert du bois sec, pour les usages de construction ou de chauffage. Nous reviendrons d'ailleurs sur ces questions forestières, mais il importait de faire observer l'intérêt de la charte de 1184.

Peu de temps après, Alain faisait savoir à ses sénéchaux de Bretagne et d'Angleterre qu'il avait donné à sa nouvelle abbaye les églises de Costeseia, de Bambourg, de Huningeham, de Foleborne, et la moitié de celle de Bereford dans la Grande-Bretagne. Costeseia et Huningeham provenaient du propre de Constance de Bretagne et lui avaient été donnés lors de son mariage, par son frère Conan. Ces fondations furent confirmées par Geoffroi, duc de Bretagne, et, plus tard, par son épouse lorsqu'elle occupa seule le trône, par les évêques de Vannes et de Cornouaille, dont les diocèses séparés par le Blavet portaient les biens de l'abbaye, par les successeurs du fondateur, même par le grand pape Innocent III qui bénit l'universalité de ces dons [Note : Preuves de D. Morice et D. Lobineau].

Avant de mourir, en 1204, Alain IV de Rohan, outre ce qu'il possédait de terre en Caurel [Note : C'est ainsi que les religieux de Bon-Repos sont entrés en possession de la forêt de Caurel], laissait à Bon-Repos une rente annuelle de dix quateria de froment [Note : Quarteria, mesure communément employée, se traduit par quarts, quartiers ou quartants] sur sa dîme de Noyal, et, quelques années plus tard (entre 1205 et 1213), son fils, Josselin, à l'occasion de la dédicace de l'église abbatiale, doublait cette rente. Nous connaissons l'acte de donation de Josselin de Rohan, par le procès qui s'en suivit. Il y eut, croyons-nous, opposition, de la part du Vicomte, pour la levée du revenu de l'abbé, et celui-ci lança les foudres de l'Eglise contre son bienfaiteur récalcitrant. Enfin Josselin se soumit, confirma les vingt quartants et l'abbé accorda son pardon en levant l'excommunication [Note : Dans la transaction finale intervenue entre les parties, Josselin mentionne formellement les dix quartants « donnés à l'abbaye lors de la dédicace de l'église de cette abbaye. » B. N. Latin 17723, f. 158].

L'année 1224, le pape Innocent IV dut intervenir de nouveau pour garantir les franchises de l'abbaye et défendre, sous peine d'ex-communication, de lever coutumes et péages sur les hommes et les produits de l'abbaye.

Durant tout le XIIIème siècle, il y eut un mouvement de générosité extraordinaire en faveur de Bon-Repos libéralités des divers membres de la famille de Rohan, largesses de prélats et de barons étrangers, oblations de riches vassaux ou de simples fidèles. Certains seigneurs recommandent le repos de l'âme d'un des leurs, d'autres, par la cession d'une dîme ou d'une terre, veulent attirer sur eux-mêmes les bénédictions du Ciel, d'autres encore, en un renoncement complet de leur personne et de leurs biens, comme Olivier et Guillaume de Caurel, et Guilloux, fils de Faber, se donnent au monastère, avec tout ce qu'ils possèdent, demandant en retour que l'abbaye veuille recueillir leur dépouille mortelle.

Olivier de Rohan qui va partir pour la Croisade, assure aux moines la possession des vingt quartants de froment légués par son défunt frère Geoffroi Ier ; il y ajoute, pour son compte, dix autres quartants, plus la part qui lui revient dans les chevaux sauvages, communs entre lui et son frère Alain, et accorde encore aux religieux le droit de pâturage dans sa forêt de Quénécan pour leurs chevaux, leurs brebis et tous les animaux servant à l'entretien de l'abbaye, « autorisant le pacage comme pour ses propres animaux » (1225).

En désignant le monastère comme lieu de sa sépulture, Josselin, oncle d'Ollivier, porte à trente-cinq quartants les revenus de Bon-Repos sur les dîmes de Noyal, et affecte cette augmentation à la construction « d'une chapelle abbatiale » (1249).

Les affectations sont extrêmement variées : Catherine de Rohan fait don d'un moulin dont les revenus serviront au pain et au vin des messes, plus un journal de terre pour aider à payer le luminaire (1235) ; Mahaut de Montfort attribue une dîme à la pitance des moines pour le jour de la Conception de la Vierge (1235) ; Aliénor de Porhoët donne un quartant de froment sur les moulins de Corlay, « pour servir à la consécration des hosties » (1250) ; Henri de Moréac donne huit sous de rente, « pour entretenir une lampe » (1230). Les moulins de Corlay, ainsi que les foires de la localité, avaient été précédemment grevés par Geoffroi de Rohan, de cent sous de rente, « pour que les moines pussent acheter du vin pour leur consommation à l'époque des vendanges ».

A la situation modeste du début succéda vite l'abondance et la richesse. Dès 1217, les moines sont en situation d'acheter deux tenues à Laniscat ; en 1218, ils acquièrent une terre à Geoffroi Le Borgne ; quelques années plus tard, ils avancent la somme considérable de deux cents livres à Audren, fils de Birsic, qui engage ainsi ses quatre « villæ » pour soutenir une guerre contre le viguier de Minebriac,... etc. Mais, avec la richesse, vint l'esprit de contention, de controverse et de dispute, L'ère des procès se prolongera jusqu'aux derniers jours de l'abbaye. Les premières difficultés surgiront d'abord de l'exercice des droits de propriété, puis de l'esprit d'indépendance des moines qui n'accepteront plus la vassalité du Vicomte de Rohan ; enfin, l'abbaye deviendra un champ clos entre les religieux et l'abbé.

Il n'est guère possible d'énumérer toutes les fondations, trop nombreuses et se ressemblant beaucoup. Par suite de ces donations, les droits de Bon-Repos, à la fin du XIIIème siècle, s'étendaient dans les paroisses et trêves suivantes : Laniscat, Saint-Gelven, Caurel, Saint-Ygeaux, Saint-Mayeux, Plussulien, Saint-Léon, Merléac, Corlay, Plouguernével, Malguenac, Melrand, Gouarec, Pontivy, Silfiac, Neuillac, Saint-Martin, Bodeou, Noyal, Cléguerec, Guern, Mellionnec, Ploerdut, Allineuc, Langoelan, Ménéac, La Halmoet.

Dans cette situation florissante, il semble que les religieux durent abandonner de bonne heure la culture, pour la confier à leurs propres sujets ; cependant parmi tant d'actes parvenus jusqu'à nous, nous ne connaissons, pour cette époque, qu'un afféagement de douze sillons consenti par Bon-Repos, moyennant une livre de cire [Note : La documentation concernant lion-Repos est fournie par les Archives des Côtes-du-Nord (aujourd'hui Côtes-d'Armor) qui possèdent quelques chartes de l'abbaye sauvées de la destruction et un inventaire analytique des archives de Bon-Repos dressé par les religieux au XVIIIème siècle (Ce fonds a déjà été étudié par MM. Geslin de Bourgogne et de Barthelemy qui ont publié la plupart des actes inédits) ; — par les manuscrits de la Bibliothèque Nationale (entre autres Ms. fr. 22337 et Ms. I. 17723, 17092) ; — par les archives particulières de M. de Janzé, châtelain des Salles de Quénécan (surtout des copies) ; — enfin par les Actes de Bretagne édités par D. Lobineau et D. Morice].

(H. Du Halgouet).

© Copyright - Tous droits réservés.