Web Internet de Voyage Vacances Rencontre Patrimoine Immobilier Hôtel Commerce en Bretagne

Bienvenue !

L'abbaye de Saint-Jacut-de-la-Mer durant la Révolution.

  Retour page d'accueil       Retour "Abbaye de Saint-Jacut de la Mer "         Retour "Paroisse de Saint-Jacut durant la Révolution "   

Boutique de Voyage Vacances Rencontre Immobilier Hôtel Commerce en Bretagne

Boutique de Voyage Vacances Rencontre Immobilier Hôtel Commerce en Bretagne

ABBAYE DE SAINT-JACUT (Congrégation de Saint-Maur).

APERÇU GENERAL. — Nous ne répéterons point ici ce que nous avons dit ailleurs sur cet antique et illustre monastère, qui posséda jusqu'à 14 prieurés, présenta jusqu'à 22 cures, posséda des biens en Angleterre, et dont les abbés, depuis 1398, occupaient le quatrième rang parmi leurs collègues lorsque siégeaient les Etats de Bretagne.

Lors de la Révolution, les revenus de l'abbaye pouvaient s'élever à 15.000 livres environ, charges comprises, sur lesquelles 3.000 l. revenaient aux religieux bénédictins pour leur subsistance, 5.000 l. à l'abbé commendataire Barthélemy-Philibert Picon d'Andrezel [Note : Sur cet abbé, né d'une famille distinguée, à Salins, en 1757, voir un article biographique dans le Dictionnaire Historique de Feller, édition de Besançon, 1832, t. Ier. Il mourut à Versailles le premier janvier 1826, âgé de 68 ans], et 1.800 l. pour la pension du prêtre O'Sullivan, prieur commendataire de Saint-Antoine de Hautvilliers. Le reste se trouvait dépensé à payer les traitements des recteur et vicaire de Saint-Jacut, du vicaire de Lancieux, d'un des vicaires de Ploubalay et de celui de Créhen, ainsi qu'à faire exécuter les réparations annuelles aux choeurs et cancels des églises de Ploubalay, Saint-Jacut, Lancieux et Créhen, et à acquitter les impositions fort lourdes payées par ce monastère.

L'abbaye de Saint-Jacut, qui, en 1768, comptait encore 9 religieux, n'en possédait plus que quatre en 1790. L'un d'eux, D. Le Sire, ancien prieur, mourut sur les entrefaites. Nous verrons plus loin le sort des trois suivants.

Plan de l'abbaye Saint-Jacut-de-la-Mer (Bretagne).

 

INVENTAIRE DE L'EGLISE. — Nous avons retrouvé l'état estimatif dressé le 4 août 1791 par le peintre Laurent Le Bourguignon-Renaudière, des peintures et sculptures conservées dans l'église abbatiale des bénédictins de Saint-Jacut, aujourd'hui complètement détruite, et dont quelques pans de murs marquent seuls encore l’emplacement. Malheureusement, l'état précité est incomplet, très sec et fort sommaire, et les « connaissances professionnelles » de l'expert n'égalaient certainement pas son patriotisme épuré. Cependant, dans ce rapport, nous pouvons puiser quelques renseignements intéressants, ainsi qu'on en jugera par ce qui suit :

1°. - On voyait alors dans l'église abbatiale de Saint-Jacut, laquelle mesurait 107 pieds de long, 23 pieds 6 pouces de large au bout orient, et 32 pieds au bout occident, un maître-autel édifié en 1649 et qui devait être fort beau, composé qu'il était de deux ordres, dont « le premier de quatre colonnes, entre lesquelles se trouvait un tableau sur toile de l'Annonciation, assez bien traité, mais passé, mesurant 6 pieds 4 pouces sur 8 de hauteur. Entre les autres colonnes, placées dans des niches, deux statues en bois, hautes de cinq pieds, l'une de St Benoît et l'autre de St Jacut ».

Au-dessus de celles-ci étaient « peints sur bois, dans l'entablement, deux tableaux représentant l'Ecce Homo et une Vierge de Pitié, mesurant deux pieds et demi sur trois. A côté du tabernacle, se trouvaient deux anges adorateurs, aussi peints sur toile et mesurant un pied et demi sur deux ; au-dessus du tabernacle, était placé un Père Eternel en demi-rond de bosse, et tout autour du tabernacle, on avait ménagé des niches que décoraient quinze petites figures de sept pouces de haut ».

Des deux côtés du tabernacle, six petites colonnes de 13 pouces de fût en marbre noir, les panneaux de leurs piédestaux aussi en marbre, mesurant 3 pouces sur deux.

Au second ordre, les pilastres qui accompagnent la niche sont accompagnés de consoles que terminent des chérubins, le tout assez bien traité.

Le second ordre de l'autel est composé de quatre pilastres, avec au milieu un tableau représentant le Père Eternel, sur toile de quatre pieds sur cinq. La croix de l'autel mesure quatre pieds de haut, la figure du Christ, en cuivre, est assez bien traitée et mesure dix pouces. Sur l'autel, six chandeliers de cuivre passablement ciselés.

2°. La principale décoration du choeur consistait « en 16 panneaux sculptés sur bois, en bas-relief, représentant des scènes tirées de l'Ecriture Sainte. Chacun d'eux mesurait un pied huit pouces sur deux pieds dix pouces ». Au-dessus d'eux, « quatre tableaux sur toile de quatre pieds deux pouces sur trois pieds », étaient appendus. C'étaient la Vierge et l'Enfant, la Madeleine pénitente, Saint Benoît et sa soeur Sainte Scolastique.

3°. Dans la chapelle dédiée à Saint Vincent Ferrier, construite vers 1450 par l'abbé Guillaume Milon, se voyait « entre les deux colonnes qui surmontaient l'autel, un tableau de l'Enfant-Jésus adoré par les Anges », mesurant trois pieds sur trois pieds et demi, et de chaque côté de l'autel, deux statues de bois de trois pieds et demi de haut, de Saint Jean et Saint Vincent Ferrier.

4°. Dans la chapelle Saint-Etienne, se trouvait « la statue en bois d'un pied de haut de ce saint, et dans celle de Notre-Dame, le tombeau en pierre de grain de l'abbé Jean des Cognets, mesurant sept pieds de long sur deux et demi, sur lequel, dit Le Bourguignon, dans son ignorance, se voit une figure d'évêque (lire d'abbé), les mains jointes ; à son côté sont deux anges tenant un écusson représentant une croix cantonnée de quatre molettes » (ou plutôt de quatre étoiles). Le même expert signale encore au hasard, parmi les nombreuses pierres sépulcrales contenues dans l'église : « Un autre tombeau de même matière et de même grandeur, avec la représentation d'un religieux bénédictin, avec deux anges, à sa tête et les deux pieds reposant sur un chien ».

6°. « Un tableau du martyre de Ste Barbe, mesurant quatre pieds et demi sur cinq ».

7°. Dans une autre chapelle, « un tableau en toile en mauvais état de quatre pieds sur six, représentant St Benoist donnant la règle à ses frères ».

8°. Dans la sacristie, quatre tableaux sur toile représentant la Vierge, la Cène et un bénédictin et une religieuse bénédictine, ces deux derniers très passés.

9°. Enfin, au réfectoire, un tableau sur toile représentant le Christ en croix, bien peint mais passé, mesurant 3 pieds 2 pouces sur 5 de hauteur. (Archives des Côtes-d'Armor, série Q).

De tout cela, et de bien autres choses encore [Note : Les archives de l'abbaye ont été presque entièrement dilapidées. Ce qu'on en conserve aux Archives des Côtes-d'Armor est d'une pauvreté désolante], dont Le Bourguignon n'a pas pris la peine de nous parler, de la magnifique crosse abbatiale fabriquée vers 1395 sur l'ordre de l'abbé Péan de Pontfilly ; des splendides ornements historiés, brodés du temps de Guillaume Milon et conservés dans le trésor de l'abbaye, rien ne nous a été conservé.

Eglise abbatiale de Saint-Jacut-de-la-Mer (Bretagne) avant la Révolution

LIQUIDATION DES BIENS DE L'ABBAYE. — Voici, du reste, reproduit d'après une lettre de la municipalité de Saint-Jacut, au district de Dinan, en date du 21 janvier 1795, un aperçu sommaire de la liquidation des objets mobiliers existant au moment de la Révolution dans l'antique monastère du B. Jacut :

« En 1790, le ci-devant curé, maire pour le temps, fit porter à Dinan, par ordre du District, l'argenterie de la communauté ci-devant bénédictine de St-Jacut, et le 29 août 1791, le citoyen Lemasson du Vaubruand (de St-Pôtan), administrateur du district de Dinan, accompagné des citoyens Hercouet, de Dinan, et Nicolas, de Plancoët, fit la vente du mobilier de la dite abbaye de St-Jacut (laquelle produisit un total de 3.252 livres. Aucune autre des ventes effectuées à cette époque, à la suppression des communautés religieuses du district de Dinan, n'atteignit un chiffre aussi élevé).

Le 12 mars 1792, le citoyen (Denoual) du Plessix, de Dinan, muni de pouvoirs des administrateurs du District, enleva les cloches de la ci-devant abbaye, au nombre de 4 grosses cloches, 2 petites et 4 couessins de cuivre, le tout en bon état.

Le 15 frimaire 1793 (5 décembre), le citoyen Farmont, capitaine des Douanes à Saint-Jacut, porta à Saint-Malo les ornements de ladite abbaye, par ordre du citoyen Lemasson du Vaubruand, délégué à cet effet par le district de Dinan, et prit un reçu des citoyens Delourmel (de Ploubalay), Nicolas, Carillet et Robinot (les trois de Plancoët).

Le 13 germinal an II (2 avril 1794), le citoyen Debry, de Dinan, commissaire, a fait enlever les fers existant aux fenêtres de la ci-devant abbaye-Jacut, lesquels ont produit un total d'environ 3.900 livres de fer.

Le 17 vendémiaire an III (8 octobre 1795), le citoyen D...., agent national de Jacut, a livré au district de Dinan, avec le concours du citoyen Debry, des ornements trouvés dans la ci-devant abbaye Jacut, avec l'horloge et les plombs, tant provenant de la ci-devant église paroissiale que de la dite abbaye ; il livra aussi des cierges et remit procès-verbal du tout au district de Dinan ». (Archives des Côtes-d'Armor, série L/v, district de Dinan).

Quant à la liquidation des biens immobiliers que les bénédictins possédaient à Saint-Jacut, elle produisit un total de 58.210 livres., dans lesquelles l'abbatiale ou manoir de l'abbé rentrait pour 3.000 l. ; la métairie de la Guérinais pour 20.000 l. ; la Barberie pour 17.000 l. ; la Gueurie pour 10.400 l. ; les Ebihens 2.000 l., et la Colombière 60 livres. (Archives des Côtes-d'Armor, série Q).

Cependant, les bâtiments conventuels, avec leurs dépendances et les terrains adjacents, n'avaient pas trouvé acquéreurs. Leur situation retirée et l'importance de leurs locaux les rendaient difficilement utilisables ; aussi, le gouvernement d'alors, pour en tirer quelque profit, jugea-t-il devoir les mettre en location.

Le premier locataire de l'abbaye de Saint-Jacut fut le recteur de la paroisse ; nous lisons en effet ce qui suit dans une requête de D. Denis Huet, dernier prieur : « Vous savez, d'ailleurs que le curé de Saint-Jacut est fermier de la maison conventuelle, que depuis plusieurs mois il sollicite notre sortie et qu'il a employé plusieurs moyens pour en accélérer l'instant... ». Le désir de voir s'éloigner des religieux peu édifiants, ainsi que son intention d'utiliser pour la paroisse l'église et les locaux conventuels, à la place de ceux trop exigus et menaçant ruine où il exerçait le culte et prenait son logement, nous expliquent la détermination du recteur de Saint-Jacut. Toutefois, lorsque devant les événements de plus en plus sombres, l'abbé Bêttaux, fut forcé de s'enfuir, l'abbaye de Saint-jacut fut louée pour trois ans, à commencer du premier février 1793 pour finir au premier février 1796, au profit de Jean Le M.., de Saint-Jacut, aux conditions suivantes : entretenir la taille des arbres fruitiers, payer la contribution foncière et payer 155 livres au premier février de chaque année.

Une nouvelle ferme fut conclue au district de Dinan le 18 vendémiaire an IV (10 octobre 1795), pour une durée de six ans, à commencer du 23 octobre de la même année, au profit de Charles Hervé, de Saint-Jacut, cautionné par Julien. Hervé, à charge pour le premier de fournir chaque année, au premier vendémiaire, 17 quintaux de grains, moitié froment, moitié avoine, et de payer la contribution foncière.

 

DEPREDATIONS DE L'ENCLOS DE L'ABBAYE. — Mais, en concluant ce bail, Charles Hervé avait fait une mauvaise affaire, ainsi qu'il l'expose dans la pièce ci-jointe, adressée en 1800 au préfet des Côtes-du-Nord (aujourd'hui Côtes-d'Armor). On y verra à quelles déprédations fut soumis l'enclos des moines de Saint-Jacut. Voici quelques extraits de la pétition en question :

« ... En effet, Citoyen, la chouannerie étant organisée, portant partout le trouble et l’épouvante, et l’abbaye étant sur le bord de la mer, à une lieue environ du fort des Ebihens, il y fut, pour la sûreté et la garde de cette île, caserné de la troupe, qui y a resté tout le temps de la chouannerie et depuis [Note : Il ne devait vraisemblablement plus se trouver de garnison à l'Abbaye, quand, à environ six heures du soir, le 6 janvier 1800, 60 chouans se portèrent sur Saint-Jacut, où ils passèrent la nuit, enfoncèrent les magasins, s'emparèrent des planches et charpentes que contenait l'abbaye, et les distribuèrent aux Jaguens. (Archives Côtes-d'Armor, Lm 5, 150)].

Cette garnison, qui était souvent changée, a tour à tour disposé de l'enclos affermé à l'exposant et s'opposa à ce qu'il en jouit, disant qu'ils se sacrifiaient pour la garde des biens nationaux et qu'ils avaient le droit de disposer du produit de l'enclos de leur caserne.

Cet enclos était planté de plus de 200 arbres fruitiers de toute espèce et de grands pommiers en plein vent ; tous ces arbres étaient en plein rapport. La garnison ne pouvant plus obtenir du bois de chauffage pour la raison que les chouans interceptaient les routes, et d'un autre côté ne pouvant s'en procurer, attendu la rareté du bois en ce lieu, elle coupa les arbres fruitiers de l'enclos, qu'elle a brûlés, tant pour cuire sa soupe que pour se chauffer... ».

A l'appui de sa pétition, Charles Hervé joignait le 28 septembre 1800 le certificat suivant : « Nous soussignés, ex-maire et adjoint de la commune de Saint-Jacut, certifions qu'étant en activité durant l’an V, nous avons eu pleine et entière connaissance que les militaires étaient casernés dans la ci-devant communauté des Bénédictins et que, de plus, les logements de la cour d'entrée servaient de corps de garde, que ces militaires ont tout dilapidé, tant dans les maisons que dans les jardins, puisqu'ils ont abattu tous les ormes qui y étaient et qui consistaient en plusieurs avenues considérables. De plus, ils ont coupé tous les arbres fruitiers du dit jardin, disposé des fruits à couteau également que des pommes à cidre, et faisaient un tort considérable à la levée... ».

 

DEPREDATIONS, VENTE ET RUINE DES LOGEMENTS DE L'ABBAYE. — Le vandalisme révolutionnaire devait aussi s'exercer cruellement sur les bâtiments mêmes de l'abbaye : le notaire Christophe Le Restif, de Dinan, ayant été envoyé le 27 avril 1798 expertiser l'ancien monastère, trouva « le tout, ainsi que l'église, dans le plus mauvais état, la majeure partie des portes et fenêtres enlevées, ainsi que les grilles des fenêtres, presque tous les planchers, poutres, poutreaux, doublages et cloisons détruits, ainsi que les couvertures en plusieurs endroits ; enfin, le tout est, dit-il, dans un état de dégradation extrême ».

Aussi dut-il se borner à évaluer à peine à 3.000 livres des immeubles que d'autres experts avaient estimés 10.000 livres le 20 décembre 1790. Ainsi, à toutes les époques, s'est évaporé, sans profit pour la chose publique, le « milliard des congrégations ».

Le résultat le plus clair, c'est que lorsque la maison conventuelle de Saint-Jacut, son église et quatre journaux et demi de terrain furent mis en vente le 13 juin 1798, leur adjudicataire, Joseph Delourmel, président de l'administration du canton de Ploubalay, les paya 61.000 frs., sut mise à prix de 2.370 frs. Mais ces chiffres ne doivent pas nous faire illusion. Ce brave homme, à cause de la dépréciation de la monnaie, de la chute du franc, dirait-on maintenant, déboursa pour son acquisition environ 1.500 francs en bon numéraire, soit pour l'Etat une perte de 8.500 francs sur l'estimation de 1790. Il est vraiment fâcheux que pour un prix aussi minime, la municipalité jaguenne n'ait pas eu l'intelligenee de racheter l'ensemble de ces bâtiments, et de sauver ainsi l'église abbatiale de la destruction. Celle-ci du reste marcha bon train. Le contrat passé le 21 août 1806 par Delourmel à l'occasion de la revente de l'abbaye à Joseph Pognant, demeurant à Roche-Good, en Saint-Briac, ne parle plus que de ruines. Les bâtiments des moines étaient devenus une carrière en exploitation. Le vendeur se réserve le droit d'enlever la taille pour faire deux portes, un portail, une cheminée de chambre, une pierre tombale à choisir parmi celles qui sont dans l'église, ainsi qu'un dessus d'autel. Il recevait en outre quatre mille francs comme prix d'achat de l'acquéreur.

Disparus désormais le cloître aux arceaux gothiques, l'église aux voûtes ogivales, les vieux tombeaux de granit avec les statues des chevaliers ou des seigneurs abbés : la Révolution a passé par là. En dix ans, elle a détruit, au nom de ses principes, l'oeuvre de dix siècles. (A. Lemasson).

© Copyright - Tous droits réservés.