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Napoléon III et son voyage de Lorient à Saint-Brieuc (en 1858).

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DE LORIENT A SAINT-BRIEUC. Le 15 août : Hennebont. — Auray. — Pèlerinage de Sainte-Anne. — Vannes. Le 16 août : Réception de S. A. la Princesse Bachiocchi (Baciocchi ou Bacciochi). Napoléonville. — Enthousiasme des paysans Bretons. — Munificence de l'Empereur. — Danses du pays. Le 17 août : Départ pour Saint-Brieuc.

Jamais dans une seule journée plus de souvenirs n'ont été remués que dans celle dont l'aurore vient de se lever. C'est le 15 août, fête de la Patronne de la France, de la Mère de Dieu dont le culte est cher à la nation et aux Souverains ; c'est le 15 août, jour anniversaire de la naissance du fondateur de la Dynastie Impériale, jour désigné par deux monarques pour celui dans lequel, sous la protection de la Vierge, ils désirent qu'on les fête. Et dans ce jour, deux fois sacré, l'Empereur a quitté les pompes de la capitale, Il a renoncé aux félicitations des dignitaires de Son Empire et des représentants des puissances étrangères, Il a laissé Son trône vide : Il vient avec l'Auguste Mère de l'Enfant de France s'agenouiller dans un humble sanctuaire, célèbre dans les annales religieuses de la catholique Bretagne ; Il vient à travers ces campagnes du Morbihan, théâtre de tristes guerres civiles, et c'est au centre même de la chouannerie que le restaurateur de la monarchie française va recevoir les hommages les plus empressés des populations. On peut dire que dans cette journée mémorable, le Morbihan tout entier a tressailli : l'Empereur semblait, triomphateur pacifique, marcher de conquête en conquête.

Hennebont.

Après avoir passé le magnifique pont suspendu que traverse le Blavet, les acclamations des habitants de Lorient qui accompagnent le cortège impérial, le conduisent jusqu'à Caudan où un berceau de verdure était élevé. Là, comme toujours, le clergé s'unit aux autorités et aux habitants des communes pour venir, sous la bannière de la religion, saluer le Souverain légitime de la France. Là, comme partout, se retrouvent ces cavaliers Bretons qui sortent à chaque instant, pour se joindre à l'escorte, de ces chemins creux qui protégeaient autrefois les fiers soldats des armées royales. Une route magnifique, bordée d'arbres centenaires, conduit, au milieu de points de vue admirables, à la petite ville d'Hennebon, bâtie en amphithéâtre au-dessus d'un port rempli de barques pavoisées. Dans la ville, toutes les maisons avaient été restaurées, toutes les façades peintes en blanc, les fenêtres ornées d'emblèmes impériaux, et à l'extrémité d'un pont, se dressait un arc de triomphe autour duquel les députations des communes les sapeurs-pompiers et une foule nombreuse en habits de fête attendaient Leurs Majestés. Le maire a prononcé le discours suivant :

« SIRE,
Permettez qu'au nom de la population d'Hennebon, au nom de toutes les communes de mon canton, dont les députations se pressent autour de Vous, je dépose aux pieds de Votre Majesté l'hommage de notre respect, celui de notre reconnaissance pour l'honneur que Vous daignez nous accorder en Vous montrant au milieu de nous avec Votre Auguste Compagne.
Notre reconnaissance, Sire, Vous était acquise, et pour tous les immenses bienfaits dont Vous avez comblé la France, et pour ceux en particulier dont Vous avez daigné favoriser notre ville d'Hennebon en lui accordant un chemin de fer que Vous voudrez bien, nous l'espérons, faire exécuter dans les délais que Vous avez fixés ; l'établissement d'un haras dent nous faisons aujourd'hui l'inauguration en Votre nom, et que nous Vous prions, Sire, de vouloir bien attacher spécialement à Votre Maison ; la restauration de notre église, monument historique que nous Vous supplions, Sire, de prendre aussi sous Votre haute protection.
Ces sentiments de profonde gratitude, nous sommes heureux de les accompagner de tous les voeux de bonheur qu'à l'occasion de Votre mémorable visite, à l'occasion surtout de Votre fête, nous formons tous pour Vous, Sire, qui faites la gloire et le bonheur de la France ; pour notre gracieuse Souveraine dont la bonté et les nobles vertus pénètrent tous les coeurs ; pour le Prince Impérial, espoir de la France entière.
Vive l'Empereur ! vive l'Impératrice ! vive le Prince Impérial ! »
.

L'Empereur a répondu qu'il S'occuperait aussitôt après son retour à Paris de donner satisfaction aux désirs qui Lui étaient exprimés.

Non loin de là, devant le portail, de Notre-Dame des Voeux, ravissante église du XVIème siècle, se tenait le curé à la tête de son clergé. L'Empereur a pu apprécier par Lui-même l'urgence des travaux qui Lui étaient demandés et Sa Majesté, répondant au discours qu'avait prononcé le curé, a confirmé les paroles bienveillantes qu'Elle avait adressées au maire d'Hennebon.

A la limite du territoire de la commune, Leurs Majestés ont passé sous un arc de triomphe d'une élévation et d'une élégance remarquables, sur lequel on lisait, écrit en lettres d'or :
A SA MAJESTÉ L'EMPEREUR, LES BRETONS RECONNAISSANTS ! A SA MAJESTÉ L'IMPÉRATRICE, LA BONTÉ PERSONNIFIÉE ! DIEU GARDE LE PRINCE IMPÉRIAL ! LES BRETONS SONT A LUI !

A Saint-Gilles, à Brandérion, à Landevan, à Kerminguy, partout le long de la route, monuments de verdure et de fleurs, inscriptions éloquentes dans leur simplicité, et enthousiasme indescriptible jusqu'à l'arrivée à Auray.

Auray.

A Auray, on foule un sol fécond en souvenirs : à quelque distance, la religion druidique a laissé ses traces gigantesques dans les champs de Carnac, semés de dolmens et de menhirs, dans les grottes fatidiques de Plouarnel et de Locmaria-Ker. Aux portes de la ville, Jean de Montfort et Charles de Blois, rudes jouteurs, en vinrent aux mains en 1364, dans une action décisive où Bertrand du Guesclin lui-même combattit : Charles de Blois y perdit la vie, et Montfort resta duc de Bretagne. Enfin, dans une plaine voisine de la ville, et qui porte le nom lugubre de champ des Martyrs, les malheureuses victimes de leur fidélité à la monarchie, les prisonniers de Quiberon, tombèrent, en 1795, sous la fusillade des soldats républicains ; sur un monument funèbre, on a écrit : Hic ceciderunt ! A la Chartreuse s'élève le tombeau des martyrs ; on y lit : Gallia moerens posuit ! De quelque côté que l'on se retourne dans ce pays labouré par les guerres intestines, les pierres et les buissons eux-mêmes, témoins de tant d'exploits glorieux et tristes à la fois, parlent à l'imagination du voyageur.

Dieu merci ! on peut sans crainte, aujourd'hui, réveiller ces souvenirs : l'histoire les a consignés dans ses pages immortelles, ils sont de son domaine, et maintenant les esprits, les âmes, les coeurs, se réunissent sans arrière-pensée sur un terrain commun, l'amour de la patrie et du Monarque populaire qui la sauva d'un abîme. Aussi, à l'entrée de Leurs Majestés à Auray, une allégresse sans mélange éclatait sur tous les visages des paysans bretons accourus au devant de l'Empereur ; sur l'arc de triomphe élevé à l'entrée de la ville, on lisait : DIEU PROTÉGE LA FRANCE ! VIVE L'EMPEREUR !.

Et les autorités, et les députations des communes, et le clergé, et l'immense assemblée, répétaient le long des rues de la ville ce cri national de vive l'Empereur ! comme pour dire : « Qu'il vive ! car c'est la fin des discordes civiles ; qu'il vive ! car c'est le lien de tous les partis d'autrefois ; qu'il vive ! car il n'exclut personne ; qu'il vive ! car c'est la fortune de la France ! ».

La ville est bâtie sur une colline ; le cortège impérial descend une rue sinueuse et arrive au port : sur le Pont du Blavet, les pêcheurs ont dressé avec leurs filets comme un berceau au-dessus des Souverains : plus loin, un autre monument a été élevé par les ouvriers de la ville ; depuis Auray jusqu'à Sainte-Anne, la foule des pèlerins forme une haie continuelle, et les acclamations les plus chaleureuses accompagnent Leurs Majestés. Tous ces paysans portent la cocarde tricolore ; les femmes se sont parées de noeuds de rubans aux couleurs nationales : sur toutes les maisons, flotte le drapeau français dont on aperçoit, dans les champs loin de la route, se balancer les glorieux replis. A la porte de pauvres cabanes en terre, couvertes de chaume, on a suspendu, par honneur, les plus beaux vêtements des ancêtres, des croix, des imagés rustiques, tout ce que l'on a ; sur l'une d'elles, près Sainte-Anne, on lisait cette inscription grossièrement écrite, mais admirable et pleine de pensées :
UN INSTANT A SAINTE-ANNE ! DANS NOS COEURS POUR TOUJOURS !.

Tout à coup, après avoir passé le bourg de Plumeret, l'on aperçoit le clocher de l'église miraculeuse ; la route est encombrée de pèlerins, les voitures impériales peuvent à peine se frayer un passage, et bientôt à l'entrée du village apparaît un arc de triomphe monumental qui porte cette date : 15 AOUT 1858 ; ces deux noms glorieux pour le règne de Napoléon III, ROME - RIMÉE ; et cette prière des saint livres : FIAT MANUS TUA SUPER VIRUM DEXTERAE TUAE !

Voyage de Napoléon III et de son épouse Eugénie en Normandie et en Bretagne.

Sainte-Anne.

L'histoire du pèlerinage de Sainte-Anne d'Auray est intéressante : aux siècles passés, un oratoire dédié à la mère de la Vierge Marie avait existé à Plumeret, dans le champ appelé le Bocenno. De mémoire d’homme, on n'avait pu labourer l'emplacement de l'oratoire, les boeufs résistaient à l'aiguillon, le soc des charrues s'y brisait. Il y avait un dicton dans le pays : « Il faut prendre garde à la chapelle quand on laboure au Bocenno ». Autour du Bocenne, était un petit village nommé Ker-Anna, en souvenir de l'oratoire d'autrefois. C'est là, qu'habitait au commencement du XVIIème siècle, un pauvre laboureur, homme simple et craignant Dieu, du nom de Nicolazic. La Providence, qui se plaît à révéler aux petits et aux humbles ses desseins mystérieux [Note : « Abscondisti haec a sapientibus et prudentibus et revelasti parvulis ». (Evangile DE SAINT JEAN)], fit connaître à Nicolazic, par des apparitions réitérées de sainte Anne, qu'elle voulait que la femme, choisie dans ce monde pour être l'aïeule du Christ, fût honorée d'un culte spécial aux lieux qui avaient été jadis témoins de ses bienfaits. Nicolazic fut traité d'abord de visionnaire, d'esprit faible, et repoussé par le clergé lui-même : sa foi n'en était pas ébranlée.

De nombreux prodiges, dont l'histoire récente encore réunit tous les caractères de l'authenticité, confirmèrent la parole de l'humble chrétien : une statue antique avait été trouvée dans le champ par deux paysans, conduits par un flambeau descendu du ciel ; elle n'eut d'abord que le gazon pour autel, mais une enquête fut faite sous la direction de Sébastien de Rosmadec, évêque de Vannes, et de dom Jacques Bullion, bachelier en Sorbonne, et le 4 juillet 1628, la pose de la première pierre de l'église eut lieu, au milieu de trente mille pèlerins. Nicolazic mourut de joie après avoir prié quelques années au pied de la statue de sainte Anne, qu'à chaque anniversaire visitaient des milliers de fidèles. Une douce agonie précéda le dernier soupir du juste : « Voici la Sainte Vierge, disait-il, et Madame sainte Anne, ma bonne maîtresse ! ». Il fut enterré au lieu même où l’on avait trouvé la statue miraculeuse, et ses os y reposent en paix. Depuis lors, le pèlerinage de Sainte-Anne d'Auray est devenu célèbre : les Souverains Pontifes l'ont entouré de faveurs, des grâces nombreuses ont été obtenues par l'intercession de la sainte patronne qu'on y vénère, et la piété bretonne a érigé en coutume d'aller y prier dans les circonstances les plus importantes de la vie. Anne d'Autriche vint y demander la fécondité, Louis XIII, Louis XIV, Henriette d'Angleterre, Marie Leckzinska, Louis XVI, Marie-Antoinette, y envoyèrent successivement des témoignages de leur foi et de leur munificence. Il était réservé à l'Empereur Napoléon III et à l'Impératrice Eugénie de venir consacrer, par Leur présence auguste, les souvenirs religieux attachés à ce sanctuaire comblé des grâces du ciel.

La chapelle de Sainte-Anne est au fond d'une vaste cour entourée de bâtiments qui furent le couvent des Carmes, qui sont aujourd'hui le petit séminaire : rien dans l'architecture de ce modeste édifice ne peut expliquer l'émotion profonde qu'on y ressent. On pénètre dans la cour par un triple portique surmonté d'un autel extérieur, auquel aboutissent deux vastes escaliers construits sur le modèle de celui de Saint-Jean de Latran, à Rome. Ce monument porte le nom de la Scala Sancta. L'élévation de l'autel permet à trente mille personnes environ d'y suivre les cérémonies de la messe. Les murs de la chapelle sont garnis d'un nombre considérable d'ex-voto ou tableaux, qui sont comme l'histoire en images des bienfaits de la sainte. On y remarque un tableau de la Sainte Famille, donné il y a peu d'années par l'Empereur.

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Une foule innombrable stationnait dans les alentours de la vaste enceinte : dans la cour, des milliers de pèlerins étaient réunis, et, à la porte de la chapelle, le clergé du diocèse presque entier, précédé de son vénérable évêque, entouré des élèves du petit séminaire, attendait Leurs Majestés. Entre la chapelle et l'autel de la Scala Sancta s'élevait un dais de velours vert rehaussé d'abeilles d'or, et deux tentes richement décorées : sur la façade même de la chapelle, au-dessous de l'image de sainte Anne, on a placé la Couronne impériale et des drapeaux bleus, couleur de l'Enfant de France, comme pour mettre la Dynastie régnante sous la protection de la patronne de la Bretagne. A midi, le canon tonne, la musique joue, on entend au dehors un tonnerre d'acclamations : c’est l'Empereur ! Aussitôt, au milieu de l'émotion générale, Mgr de La Motte de Broons et de Vauvert évêque de Vannes, s'avance, soutenu par ses vicaires généraux, suivi de son clergé, et ce vénérable prélat, octogénaire et d'une santé altérèe par une longue vie de bonnes oeuvres, aborde Leurs Majestés sous le portique, en Leur adressant ce discours :

« SIRE,
C'est avec bonheur qu'au jour de Votre fête je viens deposer aux pieds de Votre Majesté l'hommage de notre reconnaissance, de notre dévouement, et de notre profond respect. Dans ce diocèse si profondément catholique, si éminemment français, ce que Votre Majesté ne cesse de faire pour le Souverain Pontife et pour la France a fait naître dans nos coeurs des sentiments que ne s'effaceront jamais, Daignez en accueillir avec bonté l'assurance. Daignez agréer spécialement les voeux que forme pour Votre bonheur un vieux évêque qui n'a point oublié que c'est à Napoléon Ier que son père a dû de rentrer dans sa patrie et d'y retrouver du pain.
Puisse Dieu, Sire, veiller constamment sur Vos jours si précieux, si nécessaires ! Puisse-t-il pendant de longues années encore Vous combler sur la terre de ses bénédictions ! Puisse-t-il en combler le jeune Prince auquel se rattachent tant d'espérances ! Puisse-t-il en combler la Souveraine dont le courage et la bonté exercent tant d'empire sur les esprits et sur les coeurs ! »
.

En prononçant ces paroles si admirables, le digne et saint pontife était profondément ému ; de leur côté, Leurs Majestés ne pouvaient maîtriser les sentiments qui Les agitaient : des larmes coulaient des yeux de l'Impératrice, et l'on sentait que la mâle poitrine de l'Empereur débordait d’émotion au momento où Il répondait à l'évêque :

« MONSEIGNEUR,
Je suis très-touché des paroles que Vous venez de m'adresser. Il est des jours où les Souverains doivent donner l'exemple ; il en est aussi où ils doivent suivre l'exemple des autres. C'est pour cela que, suivant la vieille coutume du pays, J'ai voulu venir ici le jour de Ma fête demander à Dieu ce qui est le but de Mes efforts, de toutes Mes espérances : le bonheur du peuple qu'il M'a appelé à gouverner. Je suis heureux d'être reçu par un prélat aussi vénéré, et Je compte sur vos prières pour attirer sur Moi la bénédiction divine »
.

A rentrée dans la cour, les cris de vive l'Empereur ! vive l'Impératrice ! vive le Prince impérial ! retentissent de tous côtés. Leurs Majestés prennent place sous le dais et traversent processionnellement la cour, précédées du clergé et suivies de toute Leur Maison. Elles sont conduites tout d'abord dans la chapelle intérieure pour faire Leurs dévotions : Elles s'agenouillent devant l'autel votif, et pendant qu'Elles y récitent pieusement les litanies de sainte Anne, le clergé chante trois fois avec animation le Domine, salvum fac Imperatorem nostrum Napoleonem, que la foule répète à l'extérieur.

Après la prière de Leurs Majestés, Elles ont été conduites sur Leur trône avec le même cérémonial : Elles étaient entourées des maréchaux, des dignitaires et officiers de leur Maison, des députés du Finistère, du Morbihan, de la Vendée ; des principaux fonctionnaires du département. On remarquait parmi les officiers généraux, le général de Cotte, aide de camp de l'Empereur.

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La messe a été dite à l'autel de la Scala Sancta par l'un de MM. les vicaires généraux : le clergé avait pris place sur les degrés du double escalier. Pendant le saint sacrifice, la musique du 29ème de ligne jouait des airs religieux qui alternaient avec des motets chantés avec accompagnement par les élèves du petit séminaire. Au moment de l'élévation, le canon tonne, le tambour bat aux champs, la foule s'agenouille, et un mystérieux silence régne dans la vaste enceinte pendant que devant la Majesté suprême la Majesté de la puissance humaine s'incline humblement pour obtenir « le bonheur de son peuple ». A la fin de la messe, une voix s'élève et invoque, sur un air populaire, la protection de sainte Anne pour l'Empereur, pour l'Impératrice, pour le Prince Impérial ; le refrain est répété par mille voix, tous s'y associent du fond du coeur, et l'émotion qui se manifeste une fois encore sur le visage de Leurs Majestés se communique à tous les heureux témoins de cette belle fête : nul ne peut y rester indifférent. Voici le cantique chanté dans cette cérémonie :

O puissante patronne,
Aïeule du Seigneur,
Montre-toi toujours bonne
Et bénis l'Empereur.

Refrain :
Sainte Anne, ô bonne mère,
Reçois nos chants,
Exauce la prière
De tes enfants.

Des méchants la colère
Lui prépare un tombeau ;
Donne-lui, bonne mère,
L'abri de ton manteau.

Toi dont la fille est reine
De la terre et des cieux,
A notre Souveraine
Donne des jours heureux.

Ah ! protége l'enfance
Du Fils de l'Empereur ;
Qu'il règne sur la France,
Et qu'il soit son sauveur !

A l'issue de l'office, Mgr l'évêque bénit soixante mille médailles commémoratives du pèlerinage de Leurs Majestés ; Sa Grandeur entonne le Te Deum, et la procession fait de nouveau le tour de la cour. On y porte une magnifique bannière en moire blanche brodée d'or, présentant d'un côté l'image de sainte Anne et de l'autre les armes de France : c'est un don de l'Impératrice. On y porte la statue de sainte Anne dans une niche dorée, hommage de Louis XIII ; Leurs Majestés suivent sous le dais et entrent dans l'intérieur du petit séminaire.

Là, en s'entretenant avec l'évêque de Vannes et le digne supérieur de l'établissement, l'Impératrice fait don à la chapelle d'un splendide reliquaire contenant une précieuse relique envoyée récemment par le Saint-Père, de vases sacrés du plus grand prix et d'un ornement d'église. Sa Majesté agrée également l'offrande d'un chapelet faite au Prince Impérial par les élèves du petit séminaire, qui Lui ont en même temps récité les vers suivants :

De Votre Époux le nom résonne
Par des milliers do voix
Porté jusqu'aux cieux.
La foule qui Vous environne
Répète avec amour Votre nom gracieux ;
Mais nous, petits enfants du petit séminaire,
Nous pensons à Son Fils en regardant la Mère,
Et jusqu'à Son berceau volent nos coeurs joyeux.
Noble Enfant, qu'à la France
Le Ciel dans sa clémence
A donné pour sauveur,
Accepte notre offrande ;
Elle est riche, elle est grande,
Car elle vient du coeur.
Enfants du sanctuaire,
Nous prions notre Mère.
O Prince Impérial !
En Ton palais du Louvre,
Que sainte Anne Te couvre
De son manteau royal !
Enfant né sur le trône,
On dit que la couronne
Est un pesant fardeau ;
Mais sainte Anne, Ta mère,
Te la rendra légère
Jusqu'au seuil du tombeau.
On dit qu'un loup farouche
Rode autour de Ta couche,
Et veut Te dévorer ;
Mais sainte Anne, Ta mère,
A sa dent meurtrière
Oppose un bouclier.
La clémence divine,
Noble Enfant, Te destine.
Au rôle d'Empereur.
Sois égal à Ton Père,
Sois semblable à Ta Mère,
Par l'esprit et le coeur.

L'Empereur, en prenant congé du vénérable évêque, Lui a exprimé la crainte que les fatigues de la journée n'eussent un effet fâcheux pour sa santé : « Le bonheur que J'ai eu de vous voir, Monseigueur, en serait bien troublé, » a dit Sa Majesté.

Mgr de La Motte de Broons et de Vauvert avait adressé à son clergé, pour la fête d'aujourd'hui, la circulaire suivante :

« Vannes, le 18 juillet 1858.
Monsieur et bien cher recteur,

Parvenu bientôt au terme de cette longue carrière épiscopale dont nous avons consacré, de si grand coeur tous les instants à nos pieux et bien-aimés diocésains, nous croirions ne point correspondre à leurs Vœux, si nous ne les appelions encore une fois à s'acquitter avec nous du devoir de témoigner à l'Empereur que nous aussi nous sentons vivement ce qu'Il a fait pour la religion et pour la France.
Dans quelques jours, l'Empereur sera au milieu de nous accompagné de l'Impératrice dont tous admirent le courage et bénissent la bonté.
Voulant faire, mon bon et bien cher recteur, ce qui dépend de nous pour donner à nos enfants la facilité de se rendre à Vannes, où Leurs Majestés seront dans l'après-midi du 15 août, et, par là, de Leur manifester leurs sentiments de reconnaissance, de respect et d'amour, sentiments dus à tant de titres, nous ordonnons que dans les paroisses des cantons de Vannes, de Grand-Champ, d'Elven, de Questembert, de Muzillac et de Sarzeau, la procession de la mi-août ait lieu immédiatement après la grand'messe. Elle sera suivie du Te Deum, de la bénédiction du Saint Sacrement, avant laquelle on chantera le Tantum ergo, le Sub tuum praesidium, deux rois le Domine, salvum fac Imperatorem nostrum Napoleonem et les oraisons y correspondantes.
Dans les autres paroisses du diocèse, la procession aura lieu, comme de coutume, à l'issue des vêpres et sera suivie du Te Deum et d'un salut solennel auquel on chantera les prières ci-dessus mentionnées.
Le jour de la mi-août, l'Empereur assistera, vers midi, à la messe à Sainte-Anne. Nous verrions avec bonheur que le plus grand nombre possible de nos bons prêtres s'y pressât autor de Lui.
Nous invitons tous les fidèles de notre bien-aimé diocèse à adresser à Dieu leurs vœux et leurs prières les plus ferventes pour la conservation de l'Empereur, de l'Impératrice, du Prince Impérial et pour Leur bonheur.
Puisse Dieu, mon bon et bien cher recteur, exaucer nos prières ! puisse-t-il vous combler, ainsi que vos pieux paroissiens, de ses bénédictions !
+ CH. Év. de Vannes »
.

Vannes.

A quatre heures, l'Empereur et l'Impératrice arrivaient à Vannes, où Elles étaient reçues par la population et les autorités.

Vannes est une vieille cité aux rues étroites et tortueuses, posée au fond du golfe du Morbihan, le mare conclusum de Jules César. Elle a été, sous la République et en 1815, le théâtre de guerres civiles. Heureuse de la paix dont elle jouit sous Napoléon III, l'antique cité s'était parée pour recevoir son Souverain, et dans ses murs encore flanqués de tours à moitié en ruines, toutes les communes environnantes s'étaient donné rendez-vous. Ces descendants de la forte race des Venètes attendaient avec impatience la visite, inouïe pour eux et pour leurs pères, d'un monarque français ; ils circulaient dans les rues et sur les places avec leurs costumes graves et sévères, leurs longs cheveux et leur teint basané ; population froide, peu enthousiaste, mais inébranlable dans ses attachements quand une fois l'on a gagné son coeur.

Leurs Majestés ont été reçues à l'entrée de la ville sous un arc de triomphe qui semblait comme le gigantesque portique d'une longue avenue : le préfet, le général, les principales autorités s'y trouvaient, ainsi que le maire, qui a prononcé le discours suivant :

« SIRE,
Le maire et le conseil municipal Vous présentent les clefs de la ville, et déposent aux pieds de Votre Majesté l'hommage de leur respect el de leur dévouement. Les populations bretonnes que Vous venez d'honorer de Votre visite, Sire, heureuses et fières de voir au milieu d'elles notre Empereur bien-aimé, l'Élu de la nation, le Sauveur de la France, Vous ont reçu avec le plus vif enthousiasme.
Le même accueil Vous attend, Sire, dans Votre bonne ville de Vannes, et Vous, Madame, qui catholique fervente, venez d'implorer la patronne vénérée des Bretons et de placer sous sa protection Votre Auguste Époux, Votre Fils chéri, objet de notre amour et de nos espérances, Vous, qui possédez toutes les vertus et soulagez toutes les infortunes, soyez bienvenue. Daignez, Sire, et, Vous, Madame, agréer les hommages d'un peuple respectueux, reconnaissant et dévoué, qui Vous témoigne son amour et sa joie en Vous saluant de ses acclamations »
.

Après la réponse de Sa Majesté, le cortège, traversant les plus beaux quartiers de la ville, qui tous avaient été pavoisés et ornés avec élégance, est entré dans les petites rues qui aboutissent à la cathédrale, et qui sont tellement étroites que la voiture impériale pouvait à peine y passer. Aux fenêtres, on saluait Leurs Majestés des plus vives acclamations, et les dames agitaient leurs mouchoirs et des bouquets pour témoigner leur joie de voir leur gracieuse Souveraine.

Arrivées devant l'antique cathédrale, qui contient le tombeau de saint Vincent Ferrier, Leurs Majestés ont été reçues par un de MM. Les vicaires généraux, qui Leur a adressé les paroles qui suivent :

« SIRE,
Interprète des sentiments du chapitre de la cathédrale et du clergé de la ville de Vannes, j'ose prier Votre Majesté de vouloir bien agréer l'hommage de notre respect le plus profond et de notre parfait dévouement. En Vous Sire, nous vénérons le Souverain que Dieu a tiré des trésors de sa miséricorde pour rassurer et consolider son Église, pour préserver la France du plus grand des fléaux et la replacer au rang qui lui appartient parmi les nations.
Madame, nous aimons à contempler en Votre Majesté une nouvelle et pieuse Esther. Comme elle, Vous êtes assise sur le plus beau trône de l'univers ; comme elle, Vous aimez à répandre Vos bienfaits sur Votre peuple ; comme elle, Vous nous encouragez à pratiquer la vertu par Votre auguste exemple. Nous nous ferons donc toujours un devoir d'adresser au Ciel des prières pour la prospérité du règne de notre Empereur, pour le bonheur d'une Epouse bien-aimée et pour le Prince Impérial, objet de tant de voeux et d'espérance »
.

L'Empereur a répondu :

« Je vous remercie des voeux que vous formez pour Notre bonheur et pour celui de Notre Fils. Je ne pouvais douter du sentiment du cierge de Vannes, car Je suis encore tout ému des paroles pleines de dévouement et d'affection que M'a adressées le digne évêque qui est à votre tête ».

Après le chant du Domine salvum, le cortège s'est dirigé vers la préfécture : la haie était formée par les sapeurs-pompiers, les députations des communes rurales et les troupes de la garnison.

A l'arrivée à la préfecture, une députation de jeunes filles, accompagnées par les dames de la ville, a offert une corbeille de fleurs à l'Impératrice, et Mlle de Camas, au nom de ses compagnes, a dit à Sa Majesté :

« MADAME,
En vous priant d'agréer ces fleurs, les jeunes filles de Vannes sont heureuses de mettre aux pieds de Votre Majesté, l'hommage de leur dévouement. L'honneur auquel nous sommes appelées nous comble de joie, et le souvenir de cette grâce insigne ne sortira jamais de nos cœurs où le nom de Votre Majesté sera éternellement gravé à côté de celui de la Reine des anges, dont nous célébrons aujourd'hui la fête avec celle de notre Souverain bien-aimé. Puisse cette grande protectrice de la France continuer à veiller sur elle en lui conservant son Empereur, son Impératrice et l'Auguste Rejeton qui doit perpétuer Leur race ! C'est là le premier et le plus cher de nos voeux »
.

A cinq heures a eu lieu la présentation des autorités. M. de Sivry, sénateur, président du conseil général, s'est exprimé en ces termes :

« SIRE,
Le conseil général vient déposer aux pieds de Votre Majesté les hommages de son respect et de son dévouement. Dans les contrées où les idées monarchiques et religieuses ont dominé de tout temps, Votre Majesté est certaine de rencontrer plus qu'ailleurs les sentiments de gratitude et d'admiration, par la position qu'Elle a faite à la France et le rang qu'Elle a su lui rendre dans les conseils de l'Europe.
Le pays a vu avec reconnaissance les sources de sa prospérité permanente rassemblées, développées, fécondées, prendre depuis six ans un degré d'accroissement jusqu'ici sans exemple, malgré des jours d'épreuves dont la Providence, nous l'en supplions, ardemment préviendra désormais le retour. Cette prospérité, par la volonté toute-puissante de Votre Majesté, deviendra l'état normal du pays, qui ne demande plus que la stabilité gouvernementale, gage de sécurité et de bien-être pour les nations comme pour les individus.
Après le succès de nos armes, Votre politique habile et généreuse, résistant aux séductions de la gloire, a rendu la paix au monde au moment précis où la guerre nous devenait inutile.
La France se repose avec confiance sur Votre Majesté du soin de son honneur et de ses intérêts pour elle ; comme pourtant le passé est garant de l'avenir, Dieu en Vous donnant un Fils a voulu assurer plus encore la perpétuité de Votre Dynastie et le bonheur de la France.
Grâces lui soient rendues de cette nouvelle preuve de sa bonté miséricordieuse ! Que l'Auguste Mère du Prince Impérial, image de la bienveillance gracieuse sur le trône, permette au conseil général de déposer à ses pieds les voeux qu'il forme, avec toute la France avide de La contempler, pour qu'Elle jouisse longtemps auprès de Votre Majesté d'une félicité exempte d'orages !
La Bretagne, qui salue de ses acclamations le fait, unique dans ses annales, de la visite du Souverain, semble pour ainsi dire exclue depuis près d'un demi-siècle de toute participation aux faveurs attribuées aux autres provinces ; elle a le ferme espoir que la venue de l'Empereur est le point de départ d'un nouveau système ; que les voies de fer, les canaux imparfaitement achevés, les perfectionnements industriels, l'agriculture, les courants maritimes et commerciaux vont prendre leur essor. Elle ne restera plus en dehors des avantages gouvernementaux sous le règne juste et glorieux d'un Prince acclamé trois fois par huit millions de suffrages »
.

L'Empereur a répondu :
« Je serais heureux, en effet, si de Mon passage dans le pays date une ère de plus grande prospérité pour la Bretagne.
C'est dans le but d'étudier de plus près, et sur les lieux mêmes, les besoins de la France, que J'ai entrepris Mon voyage. J'aime à compter sur les conseils généraux et sur leur zèle de tous les jours pour Me seconder dans la réalisation des projets que Je ferai préparer dans ce but si désirable »
.

M. Lefelvrier, en présentant le conseil d'arrondissement, a dit à l'Empereur :
« SIRE,
Je suis heureux de Vous exprimer, au nom du conseil d'arrondissement de Vannes, le bonheur qu'il éprouve aujourd'hui dêtre admis à l'honneur de déposer aux pieds de Votre Majesté bien-aimée l'hommage loyal et sincère de sa cordiale reconnaissance, de son profond respect, de son amour fidèle et de son dévouement sans bornes »
.

L'Empereur a remercié, en termes pleins de bienveillance, le conseil d'arrondissement des sentiments qui venaient de Lui être exprimés par l'organe de son président.

M. du Bodan, procureur général, qui assistait à la réception comme membre du conseil général du Morbihan, a présenté à Leurs Majestés les tribunaux de Vannes et de Ploermel : l'Empereur a répondu avec une affabilité particulière aux quelques paroles qui Lui ont été adressées par cet éminent magistrat.

Le soir, un feu d'artifice du plus bel effet réunissait le long des quais une multitude immense ; au fond, sur la belle place qui se développe au pied d'un coteau surmonté d'une plantation remarquable, avaient été dressées des tentes ; celle du milieu, tendue de velours rehaussé d'or était occupée par Leurs Majestés et les personnes de Leur Maison. De là il Leur était donné de jouir d'un charmant coup d'oeil ; deux galeries de verres illuminés, se prolongeant sur les deux quais à une longue distance, reflétaient dans l'eau de la mer agitée par la brise leurs couleurs variées ; des nacelles, éclairées par des lanternes vénitiennes, sillonnaient en tout sens le port, au chant des choeurs de jeunes gens qui y voguaient ; sur les quais la musique militaire se faisait entendre, et, pour achever le tableau, les gerbes d'or d'un feu d'artifice s'élevaient de temps en temps dans les airs aux cris de vive l'Empereur ! vive l'Impératrice ! vive le Prince Impérial ! mille foi répétés par la foule.

En ville, l'illumination était splendide : on remarquait surtout la disposition pleine de goût des lustres et des couronnes de feu qui garnissaient une longue allée d'arbres par laquelle on retourne du port à l'une des places de la ville.

16 août.

Le lendemain matin, après avoir distribué dans la cour de la préfecture plusieurs décorations, et agréé l'hommage de douze vaches bretonnes de la plus jolie espèce, Leurs Majestés quittaient Vannes vers dix heures, au milieu des démonstrations les plus expressives de l'enthousiasme des habitants.

Le voyage impérial vers le nord du Morbihan s'accomplit dans les mêmes conditions que les précédentes journées : la Bretagne continue de faire à ses Souverains une de ces splendides ovations qu'il est aussi difficile de concevoir que de décrire. Les paysans, à la sortie de Vannes, accompagnaient le cortège, non-seulement à cheval, mais dans des chariots où l'on entassait le plus grand nombre possible de voyageurs : c'était un curieux spectacle que celui de cette longue file de cavaliers et de voitures se poussant mutuellement, encombrant les routes, et disputant de vitesse les uns aux autres : quand la chaise de poste impériale en dépassait quelques autres, des acclamations s'élevaient : vive l'Empereur ! et l'on redoublait de vitesse.

A Meucon, à Grandcharnp, des berceaux de verdure ornaient la route : dans ce dernier bourg, tous les membres du conseil municipal à cheval conduits par M. le comte Henri de La Bourdonnaye, membre du conseil général, se sont joints à l'escorte de Leurs Majestés.

A Bignan, sur l'arc de triomphe, on lisait : VIVENT L'EMPEREUR ET L'IMPÉRATRICE LONGTEMPS ! VIVE L'EMPIRE TOUJOURS !.

« Vers midi [Note : Nous empruntons au Constitutionnel la relation très-détaillée que ce journal a donnée de la visite de Leurs Majestés à Mme la Princesse Baciocchi], et à vingt kilomètres de Vannes, un arc de triomphe dressé sur la route, surmonté des armes impériales, formé d'arbres verts, de fleurs, de pavillons, d'instruments aratoires, entouré de laboureurs maintenant des boeufs attelés à la charrue, a signalé l'entrée du grand chalet élevé sur la lande de Cornhoët, par S. A. Mme la Princesse Napoléon Baciocchi, cousine germaine de l'Empereur, et chez laquelle Leurs Majestés avaient bien voulu accepter à déjeuner. Les paysans avaient placé sur l'arc de triomphe cette inscription, en Breton : DEUT MAD ER KORN ER HOET. Bienvenus à Cornhoët.

Voir   Voyage de Napoléon III en Bretagne " La princesse Napoléon-Elisa Baciocchi. "

De jeunes enfants des écoles de Moustoirac jetaient des fleurs devant Leurs Majestés, et Mlles Félicie Jégo et de Kerouarn ont eu l'honneur de Leur offrir des bouquets. L'Empereur portait l'uniforme de général de division, l'Impératrice une délicieuse toilette bleu de ciel à bordure blanche, et un ravissant chapeau de même couleur.

La Princesse a reçu, à leur descente de voiture, l'Empereur et l'Impératrice qui l'ont cordialement embrassée, et, après quelques instants de repos dans le chalet, Leurs Majestés ont visité cette élégante construction et en ont approuvé les détails. Indépendamment de plusieurs objets d'art, Son Altesse avait eu la delicate attention d'orner les appartements des portraits de Napoléon Ier et de ceux de l'Empereur, de l'Impératrice et du Prince Impérial. On y voyait aussi celui de sa mère, S. A. I. la Princesse Élisa, sœur chérie de Napoléon Ier, et qui, pendant qu'elle gouvernait le grand-duché de Toscane, a réalisé, dans ce beau pays les améliorations que sa fille vient tenter en Bretagne.

Au déjeuner de Leurs Majestés, qui a eu lieu dans une salle rustique, formée d'arbres équarris, tapissée de mousse et de plantes agrestes, ont pris place, avec Son Altesse, Mmes de Lourmel et de Labédoyère, dames du Palais, et la marquise de Piré ; S. Exc. M. le maréchal Vaillant, ministre de la guerre, grand maréchal de la Cour, S. Exc. M. le maréchal Baraguey d’Hilliers, commandant supérieur des divisions de l'Ouest ; M. le lieutenant général Duchaussoy, commandant la 16ème division militaire ; M. le général Niel, aide de camp de l'Empereur ; M. legénéral Fleury, aide de camp et premier écuyer de Sa Majesté ; M. le général Morin, commandant à Vannes ; M. le comte de Lezay-Marnezia, chambellan de l'Impératrice ; MM. de Cadore et de Brady, officiers d'ordonnance de l'Empereur ; M. le docteur Jobert de Lamballe, médecin de Sa Majesté ; M. le marquis de Piré, député d’Ille-et-Vilaine, chevalier d'honneur de S. A. Mme la Princesse Baciocchi ; M. Poriquet, préfet du Morbihan ; M. de Bourgoing, écuyer de l'Empereur ; M. Soumain, sous-préfet de Brest ; M. Montférant, sous-préfet de Ploermel, et M. le comte Henry de La Bourdonnaye, membre du conseil général du Morbihan.

Sur la route et sur la lande, étaient rangés les paysans, à cheval, dans leur pittoresque costume : chapeaux à larges bords, longs cheveux flottants, habits blancs bordés d'ornements rouges et noirs ; chaque commune ayant un drapeau, et conduite par ses notables et son curé. Quelques-uns de ces braves gens, ceux de Beignon, ceux du canton de Guer, avaient fait vingt-deux lieues pour voir Leurs Majestés. Plus de vingt communes étaient représentées par leurs maires et leurs conseils municipaux. Ces magistrats seuls avec les membres des conseils généraux et d'arrondissement, les juges de paix, les médaillés de Sainte-Hélène, de Crimée, ont pu être admis dans le parc, ainsi que les députations de jeunes filles. Au dehors, sur les bruyères, stationnaient les hommes venus à pied, les enfants, les femmes portant des coiffures, des vêtements dont la coupe rappelle ceux du XVème siècle. Les habits des hommes portent souvent sur la poitrine la date de leur confection, brodée par le tailleur.

Cette foule qui savait par tradition, que, depuis Henri IV, aucun souverain n'avait visité la Bretagne, a accueilli, à leur arrivée, comme à leur départ, Leurs Majestés, par les cris répétés de vive l'Empereur ! Vive l'Impératrice ! vive le Prince Impérial !

La Princesse Baciocchi avait, depuis plusieurs jours, donné des ordres pour réunir dans la ferme de Cornhoët les vivres de toute espèce nécessaires à ces populations dévouées et dont le nombre a été évalué à près de cinq mille personnes.

Le chalet de Cornhoët est situé non loin de la route impériale, à vingt kilomètres de Vannes et à dix de Locminé, dans la commune de Bignan, canton de Saint-Jean de Brévelay, arrondissement de Ploermel. Apporté en pièces de Paris, le chalet a été monté en un mois et demi par d'habiles ouvriers, auxquels l'Empereur a daigné faire témoigner sa satisfaction, pour un ingénieux trophée, formé d'outils et de branchages, élevé prés de la maison, et portant une inscription en l'honneur de Sa Majesté.

Placé sur un plateau de bruyères, au milieu d'un vaste parc, le chalet domine au loin la lande ; au nord et au levant, les montagnes Noires forment son horizon ; au midi des mamelons surgissent ombragés de bouquets de pins, de hêtres et de chênes ; à l'ouest s'étendent des bois peuplés d'essences diverses. Le terrain présente sans cesse des ondulations favorables à l'écoulement des eaux, et le pays, bocagé, est d'une verdure, d'une frondosité charmantes. Son aspect ne satisfait point seulement le paysagiste et l'agriculteur, l'archéologue lui-même trouverait des objets d'étude dans les dolmen qui s'élèvent sur la lande de Cornhoët, pareils aux pierres de Carnac et de Locmariaker ; et il ne serait point surprenant que dans les fouilles que la Princesse va faire exécuter autour de ces monuments druidiques, on ne découvrit des tombeaux, des armes, des bijoux, dignes de rivaliser avec le bracelet d'or, magnifique spécimen de l'art celtique, récemment trouvé, dans une grotte, par le maire de Plouarnel.

En s'établissant dans le Morbihan, le plus abandonné, le plus pauvre, jusqu'à présent des départements de la Bretagne, au coeur d'un arrondisseinent, d'un canton, aujourd'hui profondément pacifiés, mais qui furent autrefois le plus ardent foyer de la chouannerie, Mme la princesse Baciocchi ne s'est point dissimulé les difficultés qui l'attendraient dans son exploitation. Aussi Son-Altesse ne commence-t-elle ses travaux que sur une échelle qui lui permet d'en surveiller même l'exécution.

Sur les landes de Lanvau qui ont 72 000 hectares et plus de vingt lieues de long, la Princesse a fait aux communes et aux particuliers l'achat de 500 hectares, Les étables, les bergeries, s'élèvent en face du chalet, et pourront contenir avant peu cent bêtes à cornes, la plupart pour le labour et la reproduction, et cinq mille moutons des meilleures races de France et d'Ecosse.

Les défrichements n'auront pour but, d'abord, que de convertir les bruyères en pâturages, en prairies artificielles, et ce n'est que lorsque, par la fumure, les engrais, le drainage, les labours profonds, les terres auront été aérées, amendées, fertilisées, en un mot, que la grande culture, proprement dite, sera mise en pratique par les procédés les plus puissants de la science.

La Princesse Baciocchi n'ignore aucun des secrets de l'agriculture moderne ni de l'art de l'éleveur, et tous les agronomes ont admiré aux concours régionaux et aux expositions universelles les produits primés envoyés de son domaine du Vivier dans le département de Seine-et-Marne.

L'exemple donné par l'Empereur dans ses terres de La Sologne et des landes de Gascogne, a tourné au profit de la Bretagne, et la province entière a déjà remercié Sa Majesté de l'établissement fondé par Sa cousine, germaine dans les bruyères du Morbihan.

Après déjeuner, l'Empereur, voulant récompenser le zèle et l'activité de M. Soumain sous-préfet de Brest, a daigné lui remettre Lui-même la décoration de la Légion d'honneur ; puis Sa Majesté a reçu les députations et S'est entretenue, avec les autorités locales des besoins du pays, et spécialement de ceux des agriculteurs, dont le sort est l'objet des constantes préoccupations du Souverain.

L'Empereur, après avoir examiné la lande et la qualité du terrain, a traversé le parc et la route à pied avec l'Impératrice, et Son Altesse, S'est rendu à la ferme, a parcouru la salle du banquet offert à tous les conseillers municipaux par la Princesse, et S'est promené sans gardes au milieu des paysans qui se pressaient autour de Leurs Majestés, en poussant des cris de joie. Les détachements envoyés sur les lieux n'ont eu aucune peine à maintenir l'ordre.

A trois heures, Leurs Majestés, après avoir invité Son Altesse, qui avait déjà assisté aux fêtes de Brest, à Les rejoindre à Rennes, sont montées en voiture ; au moment du départ, un immense vivat est sorti de cinq mille poitrines, et une formidable escorte de huit cents paysans à cheval acclamé le cortége impérial.

A deux kilomètres du chalet, à Colpo, les habitants avaient spontanément, et sans le concours des autorités, élevé un arc de triomphe d’un goût champêtre, voulant témoigner leur reconnaissance pour la restauration faite aux frais de la Princesse Baciocchi de leur ancienne chapelle presque ruinée depuis la révolution. Cette manifestation n'était point indifférente dans une localité qui, autrefois, présentait le plus grand nombre de réfractaires du département, et où il ne s'en trouve plus un seul. La chapelle, ornée de tableaux dus au pinceau habile de M. Rota, peintre italien distingué, possède un orgue, don de la Princesse, et un autel sculpté qui fait le plus grand honneur à un jeune artiste breton, M. Gaumerais, de Rennes. Son Altesse, avec sa maison, avait inauguré hier, pour la fête de l'Empereur, la chapelle nouvellement bénie par le vénérable recteur de Bignan. L'arc de Colpo portait ces mots : VIVE L'EMPEREUR ! VIVE L’IMPÉRATRICE LONGTEMPS ! VIVE L'EMPIRE TOUJOURS !
les colonnes de Saint-Jean de Brevelay : A L'EMPEREUR ! AU SAUVEUR DE LA FRANCE !

Avant d'entrer à Locminé, agréable petite ville, le cortège est passé sous un superbe arc de triomphe entouré d'une belle compagnie de pompiers et surmonté d'un immense aigle esployé.

M. Cassac, maire de Locminé et membre du conseil général, a dit :

« SIRE,
Les populations bretonnes attendaient avec une vive impatience le jour où elles auraient eu le bonheur de posséder au milieu d'elles Votre Majesté ainsi que Votre Auguste Compagne qui, pour les honorer de Sa présence, n'a pas reculé devant les fatigues d'un aussi long voyage.
Les habitants du Morbihan, Sire, ont voulu, par leurs chaleureuses acclamations, témoigner à Votre Majesté leur reconnaissance pour le bien que Votre fermeté et Votre prudence ont produit dans ces contrées.
En effet, Sire, tourmentés autrefois par le fléau de la guerre civile, en proie à des déchirements intérieurs, elles ont éprouvé, sous l'influence de Votre parole si loyale et si généreuse, le besoin de la réconciliation et l'amour de la paix.
Votre Majesté a fait appel au dévouement des hommes de cœur des divers partis honnêtes ; Vous avez tenu compte à plusieurs de celui qu'ils avaient témoigné à des Dynasties que le souffle des tempêtes politiques a renversées ; Vous avez loué la fidélité de tous à des gouvernements qu'ils ont servis, tant qu'elle a pu être utile à la France.
Conservateurs avant tout, ils ont lutté sans cesse pour maintenir le bon ordre et s'opposer à un bouleversement social ; malgré leurs efforts, ils allaient succomber. L'anarchie était flagrante ; le vaisseau de l'Etat menaçait de sombrer au milieu des orages ; la main ferme d'un pilote habile et prudent pouvait seule le guider, mais nul n'osait affronter le danger. Vous seul, Sire, avez eu le courage de saisir le gouvernail et d'assurer son salut.
Quelques hommes, que le danger effrayait, doutèrent un instant que seul Vous eussiez pu suffire à une si lourde tâche ; mais visiblement secondée par la Providence, assurée désormais du concours de tous les hommes énergiques et dévoués, Votre Majesté a terminé l'oeuvre de consolidation en rétablissant la pyramide sur sa base, en rassurant les bons et faisant trembler les méchants.
Non-seulement, Sire, Vous avez donné la paix au monde et assuré la tranquillité à nos populations morhihannaises mais tous Vos efforts tendent à leur procurer un bien-être moral en encourageant l'instruction primaire et en favorisant la creation de salles d'asile.
L'amélioration de leur sort n'a pas non plus échappé à Votre sollicitude, Vous avez donné, par de larges subventions, des encouragements à l'agriculture, et, pour Vous seconder dans le but que Vous Vous proposez, une Princesse de Votre famille a sacrifié les jouissances et le calme, que lui assurait sa haute position, pour vivre dans la solicitude et user de son influence sur l'esprit de nos cultivateurs en dirigeant leur éducation professionnelle par l'adoption des bonnes méthodes de culture et l'emploi des nouveaux instruments aratoires. Grâces lui en soient rendues, Sire, ainsi qu'à Votre Majesté !
En retour de tant de bienfaits, Sire, Votre Majesté, a bien droit de compter sur notre dévouement ; il ne Vous fera pas défaut, Sire, Votre Majesté peut en être convaincue.
Et Vous, Madame, qui entourez le trône d'une si brillante auréole par l'éclat de Vos vertus et de Vos heureuses qualités, Vous, l'objet du respect et de l'admiration de la France entière, recevez en mon nom et au nom de mes concitoyens l'expression de nos sentiments les plus respectueux. Que les bénédictions du Ciel, que nous appelons sur Votre auguste tête et sur celle de Sa Majesté l'Empereur, se répandent aussi sur le Prince Impérial, au sort duquel les destinées de la France sont désormais si étroitement unies »
.

En remerciant le maire de Locminé, l'Empereur lui a remis mille francs pour être répartis entre la salle d'asile, le bureau de bienfaisance et les médaillés indigents.

Pendant que l'Empereur daignait répondre avec bienveillance à l'allocution du maire, l'Impératrice voulait bien accepter des fleurs que lui offraient de jeunes filles portant des capots, des coiffes d'un dessin charmant et d'une forme conservée, à coup sûr, depuis le temps d'Anne de Bretagne.

Devant l'église paroissiale de Saint-Colomban était réuni tout le clergé du canton, quarante prêtres conduits par le doyen. Sur le parvis, le curé, M. l'abbé Montferant, a remercié Leurs Majestés des bienfaits de Leur présence et des améliorations que la résidence de la Princesse Baciocchi apportera dans le pays, dans des termes que nous nous plaisons à citer :

« SIRE,
Le clergé paroissial du canton de Locminé s'unit de grand coeur à son pieux et vénérable évêque pour offrir à Votre Majesté un juste tribut de respect, d'amour et de reconnaissance pour tout le bien qu'Elle continue à faire à la religion et à ses ministres.
Vivez longtemps, Sire, pour jouir de la paix et de la prospérite que Votre mission toute providentielle Vous a appelé à procurer à la France.
Longues années à la vertueuse, l'auguste Compagne que le Ciel Vous a donnée.
Longues années au jeune Enfant sur la tête duquel Dieu fait reposer l'avenir de notre chère patrie !
Nous associons, Sire, aux mêmes voeux, la Princesse de Sa Famille, qui veut bien vivre au milieu de nous, et contribuer, au prix de son repos, à assurer dans notre pays le développement d'améliorations utiles.
Nous allons demander, Sire, au Dieu tout-puissant de bénir et l'Empereur et Sa Famille »
.

A l'entrée comme à la sortie, ces populations fidèles et naïves se pressaient autour de la voiture, acclamant l'Empereur, et heureuses d'admirer leur belle et catholique Impératrice.

A près de quatre heures, Leurs Majestés ont quitté Locminé par une route couverte d'une foule enthousiaste, et sont heureusement arrivées à cinq heures à Napoléonville ».

Napoléonville.

Cette ville est située sur la rive gauche du Blavet, au point où le canal de Nantes à Brest, cette belle création de l'Empereur Napoléon Ier, vient rejoindre cette rivière. Le 20 floréal an XII, le chef de la Dynastie Impériale décrétait de Milan la canalisation du Blavet, et créait à Pontivy une ville à laquelle il donnait son nom. Une place magnifique, sur laquelle s'élèvent la sous-préfecture, le palais de justice et d'immenses casernes de cavalerie, ne tarda pas à se dessiner de larges rues furent tracées ; mais les circonstances les laissèrent pour la plupart à l'état de projet. Jamais aucun Souverain n'avait visité ce point central de la péninsule armoricaine.

Il semble que, dans la ville qui porte le nom de l'Empereur, la réception de Leurs Majestés devait être encore, s'il est possible, plus chaleureuse et plus enthousiaste que partout ailleurs. A l'entrée de la rue principale, un véritable monument avait été construit : c'était un triple portique surmonté de l'aigle aux ailes déployées, et de faisceaux de drapeaux au milieu desquels se lisaient des inscriptions à la louange de Leurs Majestés, Il conduisait à une longue et large avenue de mâts vénitiens, d'oriflammes, de guirlandes formant berceau, bordée de maisons régulièrement bâties, toutes pavoisées aux couleurs nationales. A l'extrémité de cette avenue se développait la vaste place, entourée comme d'un triple cercle de décorations. Mais ce qui rendait la fête véritablement incomparable, c'était l'affluence de la population. Cette avenue, cette place étaient couvertes de plus de trente mille paysans venus des extrémités de l'arrondissement et des arrondissements voisins. Il y en avait de toute espèce de costumes, les femmes portant la coiffure que rappelle celle des environs de Naples. Une double haie de cavaliers en veste blanche brodée sur les coutures s'étendait depuis l'arc de triomphe jusqu'à la préfecture : tous portaient au chapeau des cocardes ou des rubans tricolores ; on comprenait, en voyant cette foule empressée, qu'elle n'était pas venue seulement par curiosité, mais surtout pour manifester son dévouement à la Dynastie Napoléonienne et protester hautement contre tout sentiment contraire.

Dire l'enthousiasme avec lequel l'entrée de Leurs Majestés a été accueillie serait impossible ; à l'arc de triomphe, la route, les talus, les champs voisins étaient couverts de peuple dont les acclamations s'élevant avec une énergie qui devait réjouir le coeur de Leurs Majestés, laissaient à peine le temps au maire de prononcer le discours suivant en présentant à l'Empereur les clefs de la ville.

« SIRE,
Le corps municipal de Napoléonville a l'honneur de Vous présenter ses hommages respectueux, et tous, tant que nous sommes, habitants de l'arrondissement et des cantons environnants, saisissons avec bonheur l'occasion d'exprimer de vive voix à Vos Majestés nos sentiments d'amour et de fidélité ; de cette fidélité qui, dans nos cœurs bretons, sera toujours aussi vive et, durable que la fleur de nos landes.
Daignez, Sire, recevoir ces clefs de Napoléonville, de même que les noms qui décorent les rues, les places, les quais et les promenades indiquent que la cité avait en quelque sorte formé un pacte de famille avec son fondateur Napoléon Ier, ainsi depuis, en recouvrant le nom de Napoléon ville, elle a renouvelé avec Votre Majesté ce pacte que nos enfants tendront aussi à cimenter avec S. A. I le Prince impérial, ce pacte que nous cimentons incessamment de nos acclamations.
Vive l'Empereur ! vive l'Impératrice ! vive le Prince impérial ! »
.

Après quelques mots de réponse de l'Empereur, le cortège, précédé et suivi de détachements de cuirassiers et de hussards, a parcouru lentement la longue avenue et, en faisant le tour de la place, est entré à la sous-préfecture. Les cris de vive l'Empereur ! Vive l'Impératrice! vive le Prince Impérial ! s'échappaient de toutes les poitrines.

Défilé des couples bretons.

Après la réception d'une députation de jeunes filles qui ont adressé à l'Impératrice des compliments de bienvenue en Lui présentant une corbeille de fleurs, après la réception des femmes des principaux fonctionnaires, l'Empereur et l'Impératrice se sont rendus dans une tribune élégamment ornée, d'où Leurs Majestés embrassaient d'un seul coup d’oeil l'ensemble remarquable offert par l'immense place qui s'étendait devant Elles. Aussitôt des milliers de bras se sont levés, des milliers de voix ont acclamé la présence des Souverains, et cette foule compacte qui ne laissait aucun espace vide se remuait comme les flots de la mer et semblait frémir de joie. Sous la tribune ont défilé des cavaliers bretons au nombre d'environ quinze cents: ils étaient presque tous habillés de grands habits blancs à basques, et coiffés d'immenses chapeaux rands qu'ils agitaient en passant devant Leurs Majestés ; en croupe, ils avaient leurs femmes parées de leurs babits de fête, et presque toutes en robe rouge avec des broderies d'une grande richesse.

Rien deplus original et en même temps de plus imposant que ce spectacle : ces hommes qui saluaient ainsi de leurs cris enthousiastes les Souverains légitimes de l'Empire, c'étaient des maires, des conseillers Municipaux, de riches et influents propriétaires ; ils étaient venus, comme les innombrables populations du Finistère et du Morbihan, comme celles que nous verrons dans les Côtes-du-Nord [Note : aujourd'hui Côtes-d'Armor] et l'Ille-et-Vilaine, spontanément, librement, comme des témoins de la reconnaissance publique qui consacrait de nouveau par des réceptions triomphales la légitimité de la Dynastie régnante.

Réceptions.

Puis a eu lieu, dans les salons de la sous-préfecture, la réception des autorités religieuses, civiles et militaires : M. le comte Napoléon de Champagny, député de l'arrondissement de Ploermel, s'y était joint pour offrir à Leurs Majestés ses hommages respectueux et les sentiments d'amour et de fidélité des populations de son arrondissement. Le sous-préfet, en présentant le conseil d'arrondissement, a dit à l'Empereur :

« SIRE,
En entrant dans l'arrondissement de Napoléonville, Votre Majesté ne verra point les magnificences qui ailleurs ont frappé Ses regards, mais Elle trouvera sur Son passage une population profondément religieuse, amie de l'ordre et de la paix, unissant dans ses prières les noms de l'Empereur qui protége tout ce qu'elle aime, de l'Impératrice qu'elle vénère comme l'ange de la charité, et du Fils que Vous avez donné à la France pour continuer Votre oeuvre de gloire et, de prospérité ! »
.

Le vénérable curé de Napoléonville, qui administre depuis plus de cinquante ans la paroisse, a dit à l'Empereur en lui présentant le clergé :

« SIRE,
C'est sous l'influence de la vive et chaleureuse impression que fait naître dans nos coeurs la présence de Vos Majestés impériales que, pleins de reconnaissance envers l'auguste et bien-aimé Souverain qui daigne honorer de Sa présence les habitants d'une ville fière de porter un nom aussi cher à nos cœurs, nous venons déposer à Vos pieds le tribut de nos respectueux hommages et de notre profonde vénération.
Nous remercions le Seigneur de nous avoir réservé l'insigne honneur d'être aujourd'hui auprès de Vos Augustes Personnes le fidèle interprète des sentiments d'amour et de fidélité dont le clergé de ce vaste diocèse est animé pour Elles et Leur Impériale Dynastie à qui la France doit sa gloire, son bonheur et son repos.
Puissent, Sire, les ferventes prières que nous allons adresser à Dieu, attirer sur Vos pas les plus abondantes bénédictions du Ciel ! Puisse l'ange du Seigneur Vous accompagner et Vous protéger dans tout le parcours de ce long et glorieux pèlerinage au milieu des acclamations mille fois répétées de nos pieuses et fidèles populations bretonnes !
Nos coeurs, Sire, Vous ont constamment suivi, et, ils ne cesseront de Vous accompagner de leurs voeux les plus ardents jusqu'à ce que Vos Majestés Impériales soient rentrées dans Leur capitale, comblées de joie et de bénédictions.
Dans ce moment solennel, Sire, s'il nous était permis d'émettre un vœu en faveur de nos chers paroissiens, les pieux habitants de Napoléonville, que j'ai l'honneur et la consolation de diriger depuis plus d'un demi-siècle, ce serait celui de voir moi-même, avant de descendre dans la tombe, poser la première pierre d'un monument religieux qui leur manque, d'une église en harmonie avec les pressants besoins de cette importante commune, et digne du nom qu'elle a l'honneur de porter.
Le besoin de cette nouvelle église, Sire, avait déjà été reconnu par l'Empereur Napoléon Ier, et le plan, tracé par ordre de Sa Majesté Impériale, n'est resté jusqu'à ce jour sans exécution que par suite de fâcheux événements politiques.
Le religieux empressement, Sire, que Votre Majesté Impériale ne cesse de mettre à faire disparaître des lacunes aussi regrettables, et à faire exécuter scrupuleusement les dernières volontés de Son Oncle et illustre prédécesseur, nous fait espérer qu'Elle daignera aussi étendre Sa sollicitude paternelle et Sa munificence impériale sur une ville fière de porter Son nom »
.

L'Empereur a répondu :

« MONSIEUR LE CURÉ,
Je suis très-reconnaissant de ce que vous venez de Me dire. Je ne doute pas que vos prières n'appellent les bénédictions du Ciel sur Moi, sur l'Impératrice et sur le Prince Impérial. De votre côté, vous ne devez pas douter de tout l'intérét que Je porte à cette ville et que Je n'examine avec une très-grande attention la question de votre église. Moi aussi Je serai heureux de poser bientôt la première pierre d'un monument projeté par l'Empereur Mon Oncle. J'en examinerai les plans avec vous dans la soirée »
.

Le maire, à la tête du conseil municipal, à prononcé les paroles suivantes :

« SIRE,
En honorant de Sa présence le centre de la Bretagne, Votre Majesté ouvre pour notre pays une ére nouvelle, et nous espérons qu'Elle-même conservera un heureux souvenir de l'enthousiasme qu'Elle y fait naître.
Peu de provinces ont été plus souvent que la nôtre citées pour leur énergie et leur dévouement. Il n'en est pas chez lesquelles le citoyen soit plus instinctivement marin ou soldat; aussi l'histoire dit assez ce dont la Bretagne est capable dans les moments solennels et suprêmes, et lorsque la France, menacée par le déchaînement des passions anarchiques, a cherché son salut en acclamant la Dynastie Napoléonienne, nulle autre contrée ne s'est distinguée par une aussi imposante manifestation de suffrages.
Sire, la création de Napoléonville au milieu d'un pays pauvre, et jusque-là trop oublié, avait pour but d'y répandre, avec les idées napoléoniennes, les principes vivifiants de l'activité industrielle ; mais le temps a manqué à Napoléon Ier pour y achever Son oeuvre ; c'est à Vous, Sire, qu'il était réservé d'en être le second fondateur, et déjà Vous avez hautement manifesté l'intention de ne pas laisser cette oeuvre inachevée, lorsque, par la généreuse intervention de Votre auguste volonté, Vous nous avez dotés de l'une de ces voies rapides qui doivent, dans peu d'années relier la Bretagne au reste de la France.
Heureuse et fière de porter le nom glorieux que Napoléon Ier lui avait donné et que Napoléon III lui a rendu, la cité bretonne des Napoléons se repose sur Vous, Sire, du soin d'accomplir ses destinées »
.

« MADAME,
Depuis Anne de Bretagne aucune Souveraine n'avait visité cette province, pays des saintes inspirations et des nobles dévouements.
Anne de Bretagne, la plus digne et honorable Souveraine qui eût été depuis la reine Blanche, mère de saint Louis, fut un ange de bienfaisance : Anne de Bretagne a trouvé, après plus de trois siècles, son émule dans l'Impératrice Eugénie.
Oui, Madame, dans le domaine infini des objets qui protègent et soutiennent la charité de nôtre époque, Vous avez choisi le lot le plus précieux Vous avez adopté l'enfance et la pauvreté ; c'est-à-dire que Vous entourez de Votre sympathie généreuse ce qu'il y a de plus cher et de plus saint en ce monde : grâces Vous en suit rendues !
Madame, le souvenir de Votre voyage dans notre pays de Bretagne ne sera pas seulement écrit sur le marbre et le bronze, il sera gravé dans nos coeurs »
.

L'Empereur a répondu :

« Vous aussi, monsieur le maire, je vous remercie de ce que vous Me dites de gracieux pour Moi et pour l'Impératrice. Je n'ai pas oublié que c'est le conseil municipal qui a demandé le premier que le nom de Napoléon fût rendu à cette cité. Je connaissais déjà les mâles vertus du peuple breton ; J'ai voulu venir étudier par Moi-même toutes les qualités des habitants de ce fidèle pays ».

En recevant les ingénieurs des ponts et chaussées, l'Empereur s'est enquis longuement de l'état des routes, des projets de chemins de fer, et surtout de l'état du canal de Nantes à Brest. « Je veux, » a dit l'Empereur, en parlant de cette grande voie de communication, « que les canaux fonctionnent en même temps que les chemins de fer, et concourent avec eux à la prospérité du pays ».

L'Empereur a dit aux membres du bureau de bienfaisance qu'Il avait appris avec une grande satisfaction que, pendant la disette, on avait pu donner le pain à un prix très-modéré à la classe indigente, et que, grâce au concours de la charité privée, on était parvenu à abolir la mendicité dans le pays.

Le président du tribunal, en présentant la magistrature et le barreau, a prononcé le discours suivant :

« SIRE,
Les membres du tribunal de Napoléonville et les juges de paix de l'arrondissement sont heureux de pouvoir déposer aux pieds de Votre Majesté et de S. M. l'Impératrice l'hommage de leur profond respect et de leur dévouement le plus absolu.
Ils voient en Vous l'homme providentiel qui, après avoir sauvé la France du désordre et de l'anarchie, lui a rendu, à l'intérieur, la puissance et la prospérité ; à l'exterieur, le rang qu'elle doit occuper parmi les nations.
Sire, un peuple n'oublie pas de tels bienfaits, et les transports de la joie publique, qui servent d'escorte à Votre Majesté, Vous donneront la conviction que Vous ne laisserez en Bretagne que des cœurs reconnaissants et entièrement dévoués à Votre Auguste Personne et à Votre Dynastie »
.

Après les réceptions, Leurs Majestés sont allées dans la cour de la sous-préfecture, et ont assisté au défilé des médaillés de Sainte-Hélène. L'Empereur a fait prendre les noms de plusieurs de ces militaires infirmes et leur a promis d'améliorer leur position. La foule compacte qui remplissait la place, forçant l'entrée de la cour, est venue spontanément à la suite des médaillés de Sainte-Hélène pour saluer une fois encore Leurs Majestés de ses acclamations. Pendant plus d'une heure, l'Empereur et l'Impératrice ont été entourés et pressés par plusieurs milliers de paysans dont les cris remplissaient la cour : cette manifestation, dont jamais Souverain n'avait encore été honoré, devait se renouveler le lendemain à Saint-Brieuc.

Avant le dîner, où étaient réunies les principales autorités, l'Empereur a fait appeler le curé de Napoléonville et lui a dit :

« Je vous donne quatre cent mille francs pour votre église ; je désire qu'on se mette à l'oeuvre tout de suite, car je veux l'inaugurer dans deux ans ».

Aussitôt que cet acte de munificence a été connu du public, un mouvement de reconnaissance et d'enthousiasme a éclaté, et pendant tout le dîner de Leurs Majestés, les cris de vive l'Empereur ! vive l'Impératrice ! vive le Prince Impérial ! retentissaient à intervalles égaux et arrivaient jusqu'aux oreilles des Augustes Visiteurs.

Le soir, l'illumination de la ville impériale présentait l'aspect le plus éblouissant : des guirlandes de lampions serpentaient autour de la place ; la caserne de cavalerie, construite au bas de la montagne, resplendissait de mille lumières, La façade de la cour de la sous-préfecture était, éclairée à giorno, et bientôt les premiers préludes du hautbois et du biniou, qui semblent avoir le don d'électriser les paysans bretons, invitent la foule à organiser dans la cour et sur la place des danses nationales. Leurs Majestés s'approchent des danseurs : Elles, parcourent les rangs et semblent contempler avec un vrai plaisir l'animation et l'entrain de toute la population. Plusieurs fois les capricieux circuits de la gavotte forcent Leurs Majestés à Se retirer devant le flot des danseurs : Elles cèdent la place en riant, et bientôt le son du biniou ne suffit plus à l'excitation des cavaliers ; ils chantent en breton des couplets rimés et cadencés qui se terminent régulièrement par le nom de Napoléon. A la gavotte, à la dérobée succèdent, pour la clôture, le passe-pied, le jabadao national, dont l'originalité a captivé pendant quelques instants toute l'attention de Leurs Majestés, Réunis en rond, les danseurs et les danseuses tournent pendant quelques instants en se tenant la main, puis se séparant tout à coup, danseurs et danseuses commencent un chassé-croisé général qui continue jusqu'au moment où chaque danseur ayant fait le tour du cercle, les couples se trouvent formés comme au début. Au moment où le danseur, ayant croisé devant la danseuse, vient dans le rond faire un saut, il agite son chapeau en l'air en saluant Leurs Majestés par un chaleureux vivat, suivi du cri prolongé qui sert d'appel aux habitants dans les campagnes.

Après avoir assisté au feu d'artifice, Leurs Majestés se sont retirées dans leurs appartements, et les danses ont continué jusqu'au moment où la pluie, qui tombait pour la première fois depuis le commencement du voyage, a forcé le peuple de chercher un abri.

17 août.

Le lendemain, avant de quitter Napoléonville, Leurs Majestés ont admis auprès d'Elles une députation de jeunes enfants mis avec beaucoup de goût, qui ont offert à l'Impératrice, pour son fils, deux petites statuettes habillées à la mode du pays, et un costume Breton complet pour le jeune prince. Sa Majesté s'est montrée trés-touchée de cette attention, et Elle a témoigné sa reconnaissance à ces jeunes enfants.

A dix heures précises, Leurs Majestés sont montées en voiture ; malgré le mauvais temps, une foule compacte stationnait dans les rues par où le cortège devait passer, afin de saluer une dernière fois encore les Augustes Voyageurs.

Bien que la pluie ait continué pendant une grande partie du trajet, l'Empereur a trouvé sur sa route, comme les jours précédents, une escorte nombreuse de cavaliers Bretons qui ont accompagné sa voiture jusqu'aux portes de Saint-Brieuc.

(J. M. POULAIN-CORBION).

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