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LA COLLEGIALE DE NOTRE-DAME DU MUR

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I - Apercu historique.

Le pape Innocent XI (1676-1689), dans la Bulle par laquelle il reconnaît à Notre-Dame du Mur le titre de Collégiale, constate, non sans amertume, que les actes primordiaux de la fondation ducale aussi bien que la Bulle pontificale qui l'a confirmée ont péri, soit par suite de l'incendie de la Chambre des comptes de Nantes, soit par suite des incursions des Anglais sur les côtes de Bretagne, et tout spécialement à Morlaix, soit par l'incendie du Bullaire lui-même (Archives du Finistère, G. 185). Plurimi Britanniæ loci ab Ang lis miserum, in imodum, sœpius fuerunt devastati, ipsaque rationum Camera in urbe Nannetensi ubi et arca actorum ejusdem provinciæ fuit combusta…… ipse Mons Relaxus ab eisdem Anglis plura expertus fuit incendia, in quibus fere omnia loci acta et instrumenta certum fecere naufragium et verisimile est erectionis Bullam quæ nec in Bullario etiam incendiato reperitur periisse in tam communi excidio.

En revanche, à partir du XVIème siècle les documents abondent, aux Archives départementales du Finistère, sur cette église dont l'histoire est étroitement liée à celle de la ville de Morlaix.

Comme le déclare Innocent XI dans la Bulle déjà citée, cette église fut fondée par les ducs de Bretagne, dans l'enceinte du château de la ville de Morlaix, pour leur service particulier. Dicta Ecclesia Dominæ Mariæ de Muro fuit fundata ab antiquis Britanniæ ducibus pro suo domusqus suæ servitio intra castelli Montis Relaxi muros.

C'est donc à cette circonstance que cette chapelle doit son nom du Mur, et ce n'est qu'après coup qu'on a pu voir une certaine analogie entre ce mot Mur et le mot Breton Meur et traduire N.-D. du Mur par Sainte-Marie Majeure, à raison de la prééminence de cette chapelle sur toutes les églises de la ville de Morlaix. Albert Le Grand l'appelle, il est vrai, Notre-Dame-le-Meur, mais outre que le Meur peut être pris ici pour le Mûr, nous possédons un acte de 200 ans antérieur, qui, comme l'acte pontifical cité plus haut, traduit N.-D. du Mur par Capella B. M. de Muro, et cet acte émane de Mgr Jean de Coëtquis, évêque de Tréguier, le 7 mai 1454.

Telle n'était, pas l'opinion de M. de Blois, qui écrit (Histoire de Morlaix, page 254) : « L'orthographe du mot Mur dans N.-D. du Mur n'est pas exacte et a induit en erreur un grand nombre de personnes qui ont cru que cette église tirait son nom du mur du château près duquel elle était située et dont elle était la chapelle, et que sa dénomination latine devait être : Sancta Maria de Muro Castri. Mais le nom que lui donne le peuple de toute antiquité détruit entièrement cette erreur : il l'appelle en breton Itron Varia ar Veur, qu'on peut traduire en latin par Sancta Maria Major, en français par N.-D. la Grande ou Sainte-Marie Majeure. Telle est l'opinion du P. Albert Le Grand, qui avait fait beaucoup de recherches sur les antiquités de Morlaix, et qui écrit toujours Notre-Dame le Meur. Le mot Meur au sens de Grand est perdu dans notre breton et ne se trouve plus que dans des composés comme Meurbed, Portzmeur, Clozmeur, etc. ».

Les documents latins sont en faveur de la première opinion, la seconde est peut-être plus vraie si la statue, comme nous le croyons, est antérieure à la Collégiale. Albert le Grand aura pu recueillir son nom populaire, facilement transformé plus tard, en raison de la situation de l'église [Note : Il y aurait intérêt à cet égard à consulter un savant comme M. Loth, le doyen de la faculté des lettres de Rennes, qui dirait ce qu'il faut penser, au point de vue du breton de l'époque, des appellations Itron Varia ar Veur ou ar Vur].

Le fondateur de N.-D. du Mur fut Jean II, duc de Bretagne de 1286 à 1305, qui mourut à Lyon écrasé par la chute d'une muraille, le jour même de l'entrée du pape Clément V en cette ville. La fondation fut faite en 1295 pour 8 chapelains auxquels fut assurée une rente de 200 livres monnaye, ou 240 livres tournois, équivalant à cette époque à une somme de 24,000 livres, s'il faut s'en tenir à l'estimation des chanoines du Mur dans un mémoire de 1752.

La pose de la première pierre de la chapelle de N.-D. du Mur se célébra solennellement le jour de l'Assomption, 15 août 1295, comme nous l'apprend Albert Le Grand, en présence de Geffroy Tournemine, évêque de Tréguier, Guillaume de la Roche-Tanguy, évêque de Rennes, Henri [Note : Le Catalogue des Evêques de Nantes, Tresvaux, page 72, ne lui donne pas d'autre nom], évêque de Nantes, Thibaut de Moréac [Note : D'après le Catalogue des Evêques de Dol, Tresvaux, page 280, Thibaut de Moréac ne fut sacré qu'en 1301. En 1295, c'est Thibaut de Pouencé qui est évêque de Dol. Mais Albert-Le Grand met Thibaut de Moréac à Dol dès 1287], évêque de Dol, et Guillaume de Kersauzon, évêque de Léon.

En même temps, le duc Jean transféra dans cette chapelle la Confrérie de la Trinité pour les fabricants et marchands de toile, déjà établie dans l'église paroissiale de Saint-Matthieu, et dès lors une partie des revenus de cette confrérie, dont nous avons parlé, fut affectée à l'entretien des chapelains et à l'augmentation du service divin dans la chapelle du Mur.

Cet édifice ne fut achevé qu'après plus d'un siècle et demi de travail. Albert Le Grand nous apprend que ce fut frère Even Begaignon, de l'ordre des Frères-Prêcheurs du couvent de Morlaix, devenu en 1360 évêque de Tréguier, qui officia à la position de la première pierre du magnifique portail de l'église collégiale de N.-D. le Meur, où le duc Jean IV, assisté de plusieurs princes, barons et seigneurs, mit la première pierre le jour de l'Assomption Notre-Dame l'an 1366.

Ce ne fut qu'en 1426 que l'on commença la construction de la tour et seulement en 1431 que, sur les instances du duc Jean V, les 8 chapelains furent réunis sous la présidence d'un prévôt pour former un véritable collège, si bien que cette église, qui n'était qu'une simple chapelle, fut érigée dès lors en Sainte-Chapelle et église collégiale. Cette érection en collégiale fut faite par le R. P. abbé de Daoulas, Etienne Petit, qui reçut à cet effet une délégation spéciale d'Eugène IV.

La dédicace de l'église n'eut lieu qu'en 1468 le 25 avril, jour où Mgr Christophe du Châtel, de la maison du Châtel-Trémazan en Léon, consacra solennellement l'église collégiale de N.-D. du Mur.

L'érection en collégiale de N.-D. du Mur (1431) donna occasion aux chapelains de prétendre à la préséance dans les processions et cérémonies de la ville, préséance qui jusqu'à ce jour paraît avoir appartenu aux religieux de Saint-Dominique. Des contestations s'élevèrent à ce propos entre les Frères-Prêcheurs et les chanoines du Mur et nécessitèrent l'intervention de l'évêque de Tréguier, Jean de Coëtquis, qui, par une ordonnance du 7 mars 1454, concilia les deux parties en prescrivant qu'à la suite de toutes les autres croix des paroisses marcheraient de front les deux croix des Frères-Prêcheurs et des chanoines du Mur, celle-ci à droite, celle-là à gauche.

Mais la Collégiale du Mur ne devait pas tarder à établir sa prépondérance sur toutes les églises de la ville, prépondérance souvent attaquée ou combattue au point qu'on lui contesta le droit au titre de collégiale et à ses membres le droit au titre de chanoines, mais définitivement établie et, reconnue par la bulle d'Innocent XI.

Morlaix (Bretagne) : statue de Notre-Dame du Mur.

 

II - Le premier fondateur Jean II.

Nous avons retracé la fondation de Notre-Dame du Mur telle qu'elle est rapportée sur d'anciens documents par M. le chanoine Peyron, en mentionnant seulement l'opinion contraire au sujet du vocable de N.-D. du Mur.

Reprenons maintenant quelques détails historiques.

Le premier fondateur est le duc Jean II. Celui-ci, fils de Jean Ier dit le Roux, était petit-fils de la princesse Alix, sœur de l'infortuné Arthur de Bretagne, qui, par son mariage avec Pierre de Dreux, avait occasionné l'avènement d'une dynastie ducale d'origine française — résultat particulièrement désagréable à l'Angleterre qui avait tenté tant d'injustes efforts pour faire de la Bretagne une province anglaise. Le règne de Jean II, comme celui de ses successeurs jusqu'à la guerre de Blois et de Montfort, fut une époque de paix pour la Bretagne (1286-1341).

Malheureusement, le titre primitif de la fondation de Notre-Dame du Mur étant perdu, il n'est plus possible de connaître le motif que détermina Jean II à élever dans Morlaix une église à Notre-Dame. La bulle d'Innocent XI dit bien que les ducs élevèrent cette chapelle dans l'enceinte de leur château pour leur service et celui de leur maison, mais la pose si solennelle de la première pierre, le 15 août 1295, en présence de six évêques et d'un grand nombre de seigneurs, mais le transfert immédiat dans la nouvelle église de la Confrérie de la Trinité, ne permettent pas de supposer que le duc voulût simplement s'assurer un service religieux à proximité du château.

Ne voulut-il pas prendre sous sa protection spéciale le commerce de Morlaix, dont la Confrérie de la Trinité était la sauvegarde ? Ce commerce était alors florissant, comme l'établit l'enquête faite par le Roi de France en 1297, lorsqu'il envoya, avec l'assentiment du duc, un commissaire chargé de rechercher les marchands bretons qui avaient des relations commerciales avec l'Angleterre. Morlaix est l'une des dix-huit localités sur lesquelles porte l'enquête (La Bretagne aux grands siècles du Moyen-Age, page 138). Ce commerce, il fallait l'encourager et le protéger. Est-ce qu'alors ne se présenta pas à l'esprit du duc Jean II le souvenir de ce qu'il avait vu en Afrique ? Avec son père, Jean le Roux, il s'était croisé et, sur les plages de Tunis, il avait vu mourir saint Louis (1270). Il avait vu de près les horreurs de l'esclavage, mais aussi le dévouement admirable des deux ordres pour la rédemption des captifs : les Trinitaires fondés en 1198 par saint Jean de Matha, et l'ordre de la Merci fondé en 1223 par saint Pierre Nolasque et approuvé par le Saint-Siège en 1230. Nul doute que la charité des religieux ne dût frapper profondément le jeune prince, et ne peut-on croire que, trouvant à Morlaix une dévotion qui s'adressait à la Sainte-Trinité et à la Sainte-Vierge, en faveur du commerce et de la prospérité de la ville, la pieuse pensée lui vint d'élever une belle chapelle pour y placer la Statue qui rappelait à la fois et Notre-Dame de la Merci et l'ordre de la Trinité, afin de mettre, sous la puissante protection de Marie, ceux qui parcourant les mers étaient exposés à tomber entre les mains des Barbares infidèles.

Devant le silence des documents, nous sommes réduits aux conjectures, mais celle-ci nous paraît fondée, car c'est une vieille tradition morlaisienne que la relation intime entre le Mur et les Religieux de la Rédemption. M. Alexandre la constate dans sa brochure imprimée en 1857. Rappelant que deux objets, chers à la piété des Morlaisiens, échappèrent à la Révolution : la statue de Notre-Dame du Mur et le grand Christ qui est aujourd’hui au bas de l'église de Saint-Matthieu, il écrit : « Ce Christ, appelé communément le grand Christ du Mur, est aujourd'hui dans l'église de Saint-Matthieu. Selon une ancienne tradition populaire, des Religieux de la Miséricorde l'envoyèrent de l'Algérie à l'église du Mur ».

De plus, le premier autel du côté de l'Evangile dans l'église du Mur était l'autel de la Trinité, et nous voyons que cet autel se rapportait directement aux deux ordres institués pour la rédemption des captifs. C'est ce qui ressort de la disposition suivante du testament de messire Marc Le Dizeul, doyen, 19 novembre 1695 : « Souhaite qu'il soit pris sur le plus clair de mes biens 30 livres pour dorer les colonnes et les ornements du retable de l'autel de la Trinité, et qu'au lieu du relief mal fait et pourri, il y soit mis un tableau de l'Enfant-Jésus tenu par une Notre-Dame de la Mercy, autrement nommée de la Trinité, avec un Saint-Esprit au-dessus et la figure du Père Éternel, étendant les bras, sur ce tableau, avec quelques têtes d'anges ailés en adoration ».

Et après toutes les charges exécutées, il veut qu'il soit donné du surplus de son bien… un quart à Notre-Dame de la Mercy pour la rédemption des chrétiens (Archives du Finistère, G. 185).

On avouera que la chapelle de la Trinité ou de Notre-Dame de la Mercy est en assez bonne place dans l'église de Notre-Dame du Mur pour qu'on puisse penser que, dès la fondation, le duc de Bretagne avait, en vue la Vierge rédemptrice des captifs et protectrice des chrétiens.

Objecterait-on qu'à cette époque les ducs n'avaient tant de souci ni du commerce ni des petits ? Ce serait se méprendre étrangement et mal connaître l'époque, car bien peu d'années après, sous le règne d'Arthur II, fils de Jean II, duc de 1305 à 1312, on voit des assemblées générales des représentants de la nation appelées « Parlement général ou Etats du Duché », en présence des trois ordres, « présenz les trois Estatz », et on y trouve mentionnés les non-nobles, c'est-à-dire les députés désignés par les habitants des villes, composant le Tiers-Etat (1309) (La Bretagne aux grands siècles du Moyen-Age, page 138).

Le duc Jean II, fondateur de Notre-Dame du Mur, mourut à Lyon. Il avait soumis au Pape la question du Tierçage et du Past nuptial, c'est-à-dire des droits exagérés qu'il percevait sur les successions mobilières et les mariages, et cette démarche de sa part fut la cause de sa mort (La Bretagne aux grands siècles du Moyen-Age, page 137). Il se rendit, en effet, à Lyon pour le couronnement de Clément V (14 novembre 1305). Après la cérémonie, les plus grands personnages qui y avaient assisté tinrent à tour de rôle la bride du cheval que montait le Pape. Au moment où Clément V, ainsi conduit par Jean II, longeait l'enceinte de la ville, un pan de mur s'écroula sous le poids des spectateurs et blessa le duc, qui mourut quatre jours après (18 novembre 1305).

« Sa mort, dit M. Aymar de Blois, mit un terme à ses dons. Mais les habitants de Morlaix contribuèrent à la continuation des travaux de construction et d'embellissement de Notre-Dame du Mur ».

 

III - Le duc Jean IV.

Après Jean II, nous trouvons dans les fondateurs de Notre-Dame du Mur le duc Jean IV, qui commence le portail, qu'Albert Le Grand appelle magnifique, le jour de l'Assomption de Notre-Dame, l'an 1366.

Frère Even Bégaignon, qui officie, est originaire de Plestin, évêque de Tréguier, et ancien religieux de Saint-Dominique à Morlaix. Ce prélat fut dans la suite promu au cardinalat par le pape Urbain V, qui le fit grand pénitencier. Il mourut à Rome en 1378.

Le duc Jean IV est le fils de Jean de Montfort, le compétiteur de Charles de Blois, et de la comtesse Jeanne de Flandre, « femme au courage d'homme et au cœur de lion ». On peut lire dans La Bretagne aux grands siècles du Moyen-Age, résumé du cours de M. de la Borderie à Rennes (1891-92), l'histoire de la guerre de Blois et de Montfort qui désola la Bretagne de 1341 à 1364, Charles de Blois s'appuyant sur la France, Montfort aidé de l'Angleterre, tous deux forts de leur droit qu'ils estimaient incontestable et qui devait leur paraître tel, car, ainsi que le fait observer l'éminent historien, le point de droit était en quelque sorte insoluble, vu qu'il ne s'était jamais encore présenté en Bretagne. Etait-ce Jean de Montfort, troisième fils d'Arthur II, qui devait succéder à son frère aîné Jean III, ou bien Jeanne de Penthièvre, femme de Charles de Blois et fille de Guy, deuxième fils d'Arthur II, en représentation de son père qui était l'aîné de Jean de Montfort ? Toute la question était là, et il y avait de bons arguments et d'habiles jurisconsultes des deux côtés.

Trois causes principales ont prolongé outre mesure cette terrible guerre qui dura 23 ans et 5 mois, de la mort de Jean III, 30 avril 1341, à la bataille d'Auray, 29 septembre 1364, et ces causes sont d'abord, l'incertitude du droit, puis l'absence presque constante des chefs des deux partis, enfin les calculs égoïstes du roi d'Angleterre qui, pendant la minorité de son pupille, le jeune Jean de Montfort, qui devint Jean IV, trouva fort politique de faire traîner en longueur les hostilités pour continuer à exploiter la Bretagne. Jean de Montfort fut fait prisonnier en novembre 1341. Sa femme, Jeanne de Flandre, continua la guerre.

En 1344, Jeanne devint folle, mais, en 1345, Montfort, prisonnier, s'échappe de Paris, passe en Angleterre, et revient continuer la guerre en Bretagne. Il meurt à Hennebont, le 26 septembre 1345, laissant un fils âgé de six ans, et désormais la direction de la guerre est exclusivement au roi d'Angleterre.

A son tour, Charles de Blois est fait prisonnier à la bataille de La Roche-Derrien (20 juin 1347) et transporté en Angleterre, quand l'état de ses blessures le permet, en 1348.

Signalons en passant le fameux combat des Trente, le 26 mars 1351.

Cependant Jeanne de Penthièvre, femme de Charles de Blois, travaillait à ramasser sa rançon [Note : En 1352, elle tint à Dinan une assemblée des Etats pour aviser à la délivrance de son mari, 13 bonnes villes y étaient représentées. Morlaix est l'une de ces villes et son député est Even Charuel, l'un des héros du Combat des Trente]. Négociant avec le roi d'Angleterre, elle obtient la délivrance de son mari, qui revient en Bretagne laissant en Angleterre ses trois enfants en ôtage.

Après une série de trèves et d'hostilités, les deux prétendants se trouvent en présence en Bretagne : Charles de Blois, à qui le roi d'Angleterre a imposé une rançon de 700,000 florins, et Jean de Montfort, à ce moment âgé de 23 ans, pupille d'Edouard III. Tous les deux désirent la paix, même dussent-ils se partager la Bretagne, mais Jeanne de Penthièvre ne l'entend pas ainsi. Elle ne veut pas de transaction. Finalement, à la bataille d'Auray, Charles de Blois est tué et Jean de Montfort devient seul duc de Bretagne, sous le nom de Jean IV.

Le jour même, il décide la fondation de Notre-Dame de Bonne-Nouvelle-lès-Rennes et sa reconnaissance se manifeste par des largesses et fondations aux églises. Morlaix ne fut pas oublié par Jean devenu le Conquérant, le Vaillant, le Triomphant, puisque, dès l'année 1366, il fait bâtir le portail de Notre-Dame du Mur. Il voulait sans doute gagner les bonnes grâces des Morlaissiens qui avaient tenu pour Charles de Blois et montrait dès son triomphe les qualités d'un souverain, ne voyant plus après la paix que des sujets et des enfants.

Il avait, nous disent les historiens, dans une assez large mesure le goût des choses artistiques, ce qui explique que tout se fit fort bien à Morlaix. Heureux si sa politique anglaise ne l'avait jeté dans des intrigues qui le portèrent à trahir son pays et la France, au point, qu'abandonné de tous, il fut contraint de se réfugier à Brest, suivant les uns, à Concarneau suivant d'autres, et de s'embarquer honteusement pour l'Angleterre, 28 avril 1373, chassé par les Bretons, dit un chroniqueur contemporain, « à cause de la séquelle d'Anglais ou de Saxons qu'il traînait après lui » [Note : Nous verrons plus tard combien, avec ses Anglais, il fut cruel pour Morlaix].

Il resta détrôné depuis le 28 avril 1373 jusqu'au 3 août 1379. Peut-être est-ce sa dévotion aux chapelles de Marie qui lui valut un retour triomphal. Charles V, roi de France, au lieu de remplacer Jean IV, félon, par Jeanne de Penthièvre ou son fils que la Bretagne eût acclamé, voulut faire tout de suite l'union de la Bretagne à la France. Mais la Bretagne tenait à son indépendance ; elle rappela le duc qu'elle avait chassé, en lui demandant seulement de se mettre à sa tête pour qu'elle pût rester elle-même.

Nous ne résistons pas au plaisir de continuer à citer une page de notre histoire bretonne [Note : La Bretagne aux derniers siècles du Moyen-Age, page 26. Cours d'histoire de M. de la Borderie, 1892-93] :

Ce débarquement (du duc à Dinard) constitue une des scènes les plus grandioses de notre histoire nationale. Sur les coteaux dominant la rade de Dinard, fourmille une foule compacte en habits de fête ; sur la plage se pressent prêtres, bourgeois, chevaliers et seigneurs les plus illustres : Laval, Rohan, Beaumanoir, Montfort, Malestroit, Coëtmen, etc., tous en costume d'apparat. La nef ducale est saluée d'une immense clameur de bienvenue, et lorsque le prince descendu dans une barque approche du rivage, les barons se jettent à l'eau pour aller à sa rencontre : tout le peuple applaudit, tombe à genoux et pousse joyeusement le vieux cri national : Malo ! Malo ! au riche duc !

Il y eut là une réconciliation spontanée, ou plutôt une explosion de joie et d'émotion universelle, qui fondit ensemble tous les cœurs. Cette journée fut une des plus belles, peut-être la plus belle de notre histoire. Il n'y avait plus dans cette foule de partisans de Blois ou de Montfort, plus de seigneurs ou de bourgeois, d'amis de l'Angleerre ou de la France, mais une nation, un peuple, une race, une Bretagne.

M. de la Villemarqué a recueilli, dans le Barzaz-Breiz, un chant populaire intitulé le Cygne, qui consacre le souvenir da retour triomphal du duc Jean IV, et exprime bien le sentiment national de cette époque.

Quelques jours après son débarquement, le duc tenait à Dinan une cour plénière, et là, Jeanne de Penthièvre elle-même, la veuve de Charles de Blois, se présenta devant lui, le salua solennellement du titre de duc de Bretagne, et mit toutes ses ressources à sa disposition.

Qui nous donnera de revoir ces Jours d’union où tout un peuple, non plus seulement de Bretons, mais de Français, dociles à la parole d'un grand pape, retrouvera dans l'oubli de ses vieilles divisions, le secret de sa grandeur et de sa force, et se trouvera prêt à accomplir encore, comme autrefois ses pères, de grandes choses pour Dieu et la Patrie !

Jean IV avait établi l'ordre national de l'Hermine, le plus ancien ordre de chevalerie de la Bretagne, en 1381. Sa devise « A ma vie » nous paraît être la traduction du Potiùs mori quàm fœdari, « Plutôt la mort que le déshonneur ! ». Il mourut à Vannes dans la nuit du 1er au 2 novembre 1399, après avoir fait épouser à son fils, en 1396, Jeanne de France, fille de Charles VI, encore et toujours malgré l'Angleterre. Destinée curieuse d'un prince breton ami de l'Anglais, qui finit dans l'alliance française.

 

IV - Le duc jean V.

La construction de la tour du Mur fut commencée en 1426, et la Collégiale instituée en 1431, sous le règne de Jean V, successeur de Jean le Conquérant.

Jean V régna de 1399 à 1442, et son règne peut être appelé le règne de la paix. Toutefois, la guerre maritime se continua contre les Anglais, sous l'habile direction de Jean Bouchart, Jean de Penhoët, Guillaume du Châtel, le maréchal de Rieux, etc.

La conduite peu reconnaissante et odieuse de Jean V vis-à-vis du connétable de Clisson, qui l'avait armé chevalier le jour de son sacre, lui attira de terribles représailles. Il devint en 1420 le prisonnier de Margot de Clisson, la fille du connétable, et ne dut son salut qu'à la vaillance de sa femme, Jeanne de France, digne des deux grandes Jeanne du XIVème siècle.

Délivré de ses ennemis, Jean V s'empressa d'accomplir religieusement et promptement les nombreux vœux qu'il avait faits pendant sa captivité. Il donna son pesant d'or à N.-D. des Carmes de Nantes. Revêtu de son armure, il atteignit le poids de 380 marcs 7 onces. A saint Yves il donna son pesant d'argent, qui servit à édifier le tombeau du saint, réédifié de nos jours par Mgr Bouché, évêque de Saint-Brieuc. Les sommes payées, au dire de M. de Kerdanet, équivaudraient aujourd'hui à 315,593 livres, pour le poids en or, et, pour le poids en argent, à 20,360 livres.

Jean V fut un grand bâtisseur. Il construisit, entr'autres monuments ou édifices remarquables, l'église du Folgoët, la cathédrale de Nantes, le tombeau de saint Yves, etc. Rien d'étonnant à ce qu'il ait poursuivi l'embellissement de Notre-Dame du Mur. C'était peu d'années après sa délivrance, et ce pouvait être une des manirestations de sa reconnaissance.

Alors il y avait « grand’pitié » au royaume de France. Mais Jeanne d'Arc, la Libératrice, allait paraître. En 1429, elle fait lever le siège d'Orléans et conduit le Dauphin à Reims. Elle meurt martyre à Rouen, l'année même où, à la demande de Jean V, était érigée la collégiale de N.-D. du Mur (31 mai 1431).

Jean V suivait, pendant ce temps, une politique que l'on a traitée d'équivoque et qu'on lui a souvent reprochée : la vérité est, dit M. de la Borderie, qu'il voulait d'abord maintenir la paix en Bretagne, et qu'ayant une sympathie réelle pour la France, il lui donna rarement le secours ouvert de ses armes dans la crainte d'exposer la Bretagne à une invasion anglaise. Mais il favorisait sous main la formation de bandes et de compagnies bretonnes qui allaient, sous le commandement de ses propres frères, grossir les rangs de l'armée française. Son frère, Arthur de Richemont, plus tard lui aussi duc de Bretagne, était connétable de France. Il fut l'ami de Jeanne d'Arc et compléta l'œuvre de la Libératrice. Nombreux sont les noms bretons liés à l'histoire de Jeanne d'Arc, et Jean V lui-même, au dire de Lobineau, ressentait pour elle une estime pleine de la vénération qu'on a pour les personnes et les choses saintes et surnaturelles. Il députa près d'elle son confesseur et son principal héraut, plus tard il lui offrit une dague d'acier et plusieurs paires de beaux chevaux.

C'est assez montrer que, si la Bretagne n'était pas française au temps de Jeanne d'Arc, elle peut légitimement célébrer aujourd'hui la gloire de la Libératrice ; car, véritablement, elle était avec elle.

 

V - Les ducs de François Ier à François II.

Nous passons le règne de François Ier, duc de Bretagne (de 1442 à 1450), prince dont le nom est lié tristement et non sans injustice à celui de son frère, l'infortuné Gilles de Bretagne, Il accorda à Morlaix des lettres d'affranchissement, confirmées par Pierre II en 1450. Après lui vient Pierre II, époux de la bienheureuse Françoise d'Amboise (1450-1457), auquel succède son oncle, Arthur III de Bretagne, qui ne règne que 15 mois, après avoir, comme connétable de Richemont, sauvé la France du joug anglais. Puis, c'est François II, dernier duc de Bretagne (1458-1488), sous le règne de qui eut lieu la dédicace de Notre Dame du Mur.

Pendant vingt ans, c'est-à-dire jusqu'à la mort de Louis XI, François II dut lutter contre la politique du roi de France. Louis XI n'avait qu'un but : ruiner l'indépendance de la Bretagne, François II n'en eut qu'un non plus : défendre cette même indépendance. Il guerroyait contre la France (la paix ne fut signée, à Ancenis, que le 10 septembre 1468), quand eut lieu la dédicace solennelle de Notre-Dame du Mur, le 25 avril 1468, par Monseigneur Christophe du Châtel (de la maison de Tremazan en Léon), évêque de Tréguier.

C'était une belle époque pour la Bretagne, car les hostilités que le duc eut à soutenir contre Louis XI eurent la France pour théâtre, et la Bretagne récoltait les bienfaits d'une sage administration. Le commerce florissait et s'étendait au loin, protégé par la flottille que avait nom : « le Convoi de la Mer » ; l'agriculture était protégée, les institutions municipales développées. La plupart des églises et chapelles bretonnes datent de cette époque et témoignent non-seulement de la piété, mais encore de la richesse et de la prospérité du pays. Le peuple en Bretagne, dit un chroniqueur contemporain, Alain Bouchard, était alors riche et plein de tous biens « et l'on n'eut trouvé si petit village qui ne fust plein de vaisselle d'argent ».

Cela laisse à penser combien brillante dut être, dans la bonne ville de Morlaix, la dédicace de sa belle collégiale.

François II mourut à Couëron sur la Loire, le 9 septembre 1488, brisé par le traité qu'il dut passer après deux ans de guerre malheureuse avec le roi de France.

 

VI - La bonne duchesse Anne de Bretagne.

Après lui vint sa fille Anne de Bretagne, la bonne duchesse, dont M. de la Borderie a dit [Note : La Bretagne aux derniers siècles du Moyen-Age, page 256. Ce qui précède est extrait du même ouvrage, passim.] : Son règne dura trois ans : époque tourmentée, pleine de constrastes, les plus viles passions s'y heurtent aux dévouements héroïques, le sublime au grotesque. Du sein de cette mêlée étrange, une figure émerge pure, douce et gracieuse, noble, grande, immaculée, Anne de Bretagne.

En elle s'incarne la patrie bretonne. Tout enfant qu'elle est (elle était née en 1477), elle aime son peuple, elle a conscience de sa charge, elle connaît son devoir, elle repousse toutes les coteries qui prétendent la diriger, elle pense et elle veut, elle est en un mot digne de régner.

Vient le moment où son mariage avec le roi de France devient de l'intérêt commun de la Bretagne et de la France : de la Bretagne, car il met fin à une lutte inégale qui dure depuis cinq ans, de la France ; car les aides, c'est-à-dire les contributions extraordinaires, nécessitées par cette guerre interminable s'élevaient déjà à 11,747,000 livres tournois, soit environ 352 millions de francs (anciens francs), valeur actuelle.

Le mariage se fit au château de Langeais, le 6 décembre 1491. Ce fut pour le Bonheur de la Bretagne, qui, si elle perdit son existence nationale à l'extérieur, garda toujours à l'intérieur sa liberté politique et son autonomie administrative. Le seul changement réel, c'est qu'elle devint l'alliée inséparable de la France.

Trahie par ceux qui auraient dû être les premiers à la défendre, les hauts barons bretons qu'entraînaient hors du devoir l'ambition et l'amour du gain, Anne fut toujours sûre de la fidélité de la petite noblesse, de la bourgeoisie, des villes et du peuple. C'est pour son peuple, qu'après avoir lutté jusqu'à la dernière espérance, elle consentit à devenir reine de France, se sacrifiant au salut de tous.

Elle épousa successivement Charles VIII, le 6 décembre 1491, et Louis XII, le 8 janvier 1499. Elle était donc pour la 2ème fois reine de France quand, en 1504, par acte du 3 octobre, ratifiant ce qu'avaient fait les ducs de Bretagne ses prédécesseurs, elle confirma en l'augmentant la fondation de Notre-Dame du Mur, à laquelle elle ajouta deux enfants de chœur.

 

VII - L'église de Notre-Dame du Mur. Description.

Il est temps pour nous, laissant là les digressions historiques, de donner la descriptrion de l'illustre Collégiale Morlaisienne. Nous l'empruntons à l'histoire de Morlaix (Histoire de Morlaix, page 274 et suiv.).

L'église de Notre-Dame du Mur était un bel édifice d'un aspect imposant, quoiqu'il fut irrégulier à raison de la forme du rocher sur lequel il était construit, mais l'architecte avait su remédier, dans l'intérieur, à ce défaut de régularité par une savante disposition de la nef et des chapelles latérales. Elle était riche et décorée avec goût. Il y avait, à l'intérieur de très belles galeries qui faisaient le tour du monument, et qui étaient à doubles ouvertures, celles de gauche n'avaient qu'un étage et celles de droite en avaient deux.

On montait à l'église par un escalier de près de six mètres d'ouverture, dont les marches, au nombre de trente-deux, étaient en belle taille et à moulures ; à la gauche, était un très beau garde-corps à jour d'une très remarquable exécution et dont les pierres étaient scellées par des crampons en fer plombé. Sur le rebord de la balustrade, on lisait : DVPLANTY, procureur noble [Note : J'ai en vain cherché ailleurs ce nom de Duplanty, à, l'aide duquel on aurait la date du garde-corps].

Arrivé sur la plate-forme où était la base de la tour, on se trouvait en face du portail, et on pouvait admirer le clocher dont la tour jusqu'en haut était percée à jour de diverses formes et ornée de tourelles saillantes ; la flèche qui s'élevait au-dessus, dominait la ville, en faisait le plus bel ornement et la couronnait d'une manière agréable.

Le portail était divisé en deux baies, dont les archivoltes étaient ornées de crochets et de pinacles ; au haut des baies était une grotte vitrée où était posée une statue de la Sainte-Vierge. Dans une niche, à droite, on voyait saint Luc, et, dans une autre à gauche, saint Jean l'Évangéliste. Sous la statue de la Vierge, et à l'extrémité du meneau cannelé qui séparait les deux baies, se trouvait un modillon, formé de trois têtes en pierres coloriées, bien exécutées, ayant des jugulaires. Le peuple croyait qu'elles représentaient les trois frères qui avaient eu l'entreprise du portail et de la tour. A hauteur d'homme était une croix en pierre faisant corps avec le meneau. Les fidèles la baisaient avant d'entrer dans l'église. Aux deux côtés du porche, étaient placés des bancs en pierre fixés à la muraille.

En entrant dans le portail, pavé en pierres de Locquirec, on avait immédiatement à droite la porte de la tour, et, après avoir monté une vingtaine de marches, on entrait, à gauche, dans les petites galeries en trèfle ; il y avait à chaque extrémité et au milieu un clocheton avec pinacles ayant la forme d'une chapelle. Cette galerie donnait sur la rue du Mur.

En sortant de la galerie, on n'avait qu'à monter quelques marches et l'on se trouvait dans une autre galerie couverte, donnant entre Saint-Martin et la Roche ; au-dessus était placé un des cadrans de l'horloge. En quittant cette galerie, à gauche, on rencontrait dans l'épaisseur de la tour un passage par où on allait régler le cadran. De là, en montant, on arrivait dans la chambre de la sonnerie. Si on montait encore quelques marches, on entrait dans la chambre des cloches où était celle qui avait été donnée par les tisserands. Sur la même ligne, du côté de la rue, était la cloche de la Vierge, moins grosse que la première ; derrière, du côté de Saint-Martin, celle de la Trinité ; et, à côté, près de la porte, celle du Salut.

En quittant cette chambre, on montait les dernières marches de la tour, et l'on se trouvait dans les hautes galeries ; la sortie de ces marches était couverte d'une tourelle comme celle des galeries de Saint-Melaine.

De cette plate-forme s'élançait dans les airs la belle flèche octogone et percée de rosaces, de mouchetures d'hermine, avec cordeaux à chaque angle ; les extrémités des galeries étaient flanquées de quatre clochetons, ornés de crochets et de pinacles, d'un travail admirable. L'intérieur de la flèche renfermait un dôme énorme en plomb, sur lequel on lisait des milliers de noms. A gauche, du côté de Saint-Martin, huit cloches moyennes sonnaient les carillons pour le quart, la demie, les trois quarts et l'heure. Anciennement, ce carillon faisait entendre l'air de l'Ave Maris Stella. A quatre mètres du dôme, une poutre traversant horizontallement le clocher, servait à attacher la grosse cloche des heures — la Campane — au moyen de cercles et de goujons en fer très forts ; elle ne pouvait se sonner à la volée. Une masse en fer soutenue par une chaîne frappait les heures sur l'extrémité de ce timbre. A l'intérieur, un lourd battant, mis en mouvement à l'aide d'une corde descendant dans le portail, servait à sonner l'agonie, pour les fidèles à l'article de la mort, On s'en servait aussi pour le tocsin, pour les assemblées primaires, pour celles du corps de ville et pour la distribution des lettres à la poste. Dès que le courrier était arrivé, le facteur appelait les habitants, lisait à haute voix les noms que étaient inscrits sur l'adresse et remettait les lettres aux personnes qui les réclamaient. Ce temps devait être l'âge d'or des facteurs. A chaque pan extérieur de la tour régnaient de petits clochetons en saillie.

La tour carrée avait trente-neuf mètres, la flèche, y comprenant la croix, en avait quarante-six, ce qui faisait en tout quatre-vingt-cinq mètres d'élévation au-dessus du sol. Suivant une tradition orale, la tour aérienne de la collégiale servait d'amers aux navigateurs entrant dans le port de Morlaix, et d'aussi loin que les navires l'apercevaient de la haute mer, ils la saluaient avec respect et mettaient le cap sur le havre du Dourduff [Note : L'Histoire de Morlaix, porte cette note : Le Morvan, esquisse monographique de la Collégiale du Mur].

En quittant la plate-forme et lorsqu'on était descendu à la galerie de l'horloge, on entrait dans le canal de plomb, autre galerie regardant la grande place. A la suite, en tournant à gauche, la galerie se continuait, et, si l'on tournait encore à gauche, on entrait dans la belle galerie double qui régnait du bas de la nef jusqu'au haut de l'église du côté de l'Epître. Le bas de cette galerie était d'une exécution semblable à celle que l'on voit encore au-dessus des deux fontaines des Carmélites. Les ouvertures au-dessus étaient en arceaux et d'un travail exquis.

Lorsqu'on était rendu à l'extrémité, on entrait à gauche, dans une galerie extérieure donnant sur la rue du Mur ; puis, si on tournait encore à gauche, on se trouvait dans une autre galerie du même côté et au-dessus du haut palier du grand escalier ; une fois au bout, quelques marches conduisaient à une tourelle dominant la toiture et l'entrée du chœur et renfermant la cloche de Guillaouic, que l'on sonnait pour les messes basses.

Jamais, dit la tradition, nulle cloche n'avait fait entendre des sons aussi clairs, aussi argentins ; elle était faite, affirment les bonnes gens, de matière d'argent et de pièces de six liards. Il est certain qu'on l'entendait à une distance de plusieurs lieues.

Lorsque les cloches furent descendues pour aller à la fonte, Queinnec, habile charpentier, fut chargé de cette opération, qui réussit parfaitement. La population entière vint tristement prendre congé de ses cloches, qui furent embarquées. Toute la population demanda qu'on laissât Guillaouic, et la municipalité alla la réclamer à bord. Mais le chargement était fait et la fatalité voulut qu'elle fût à fond de cale, sous les autres. Le capitaine reçut l'ordre de la retourner après son déchargement à Rouen. Le gouvernement rendit en effet une cloche, mais ce n'était plus la même, et Guillaouic fut perdue pour Morlaix.

En quittant les deux galeries que nous venons de décrire, on montait quelques marches, et l'on se trouvait dans une autre donnant sur la venelle du Château. En tournant à droite, on entrait dans une autre galerie d'où l'on découvrait le château et le vallon de l'hôpital.

Comme il n'y avait aucune issue à droite, on était obligé de revenir sur ses pas et l'on pénétrait dans la grande galerie intérieure, d'où l'on descendait dans la belle galerie en marbre noir qui était au-dessus du grand-autel ; de cette dernière on arrivait dans une galerie en bois au-dessus de l'autel du Sacré-Cœur. La galerie qui est au-dessus du maître-autel de Saint-Jean-du-Doigt, rappelle mais faiblement celle du grand-autel du Mur.

Au-dessous régnait un passage souterrain, qui fut comblé par les ossements des prêtres et par ceux du reliquaire lorsque l'église fut réparée en 1785. On remontait, et parcourant la première grande galerie extérieure, laissant derrière soi le canal en plomb, on arrivait dans une autre galerie au-dessus de la grande croisée du bas de l'église, en face de Saint-Martin. On descendait ensuite dans une belle galerie intérieure qui s'étendait jusqu'à l'entrée du chœur. En sortant de celle-ci, on montait dans une autre semblable au-dessus. On descendait enfin un certain nombre de marches, on entrait dans la tribune des orgues et, de là, après avoir franchi encore quelques marches, on se trouvait au bas de l'église près de la porte de l'œuvre [Note : L'Histoire de Morlaix porte en note : A. Lédan, père. De la tour du Mur, de ses galeries extérieures et intérieures, passim.].

Cette description que nous venons de donner, ne brille pas par la clarté. Elle a le mérite d'être la déposition d'un ancien témoin oculaire qui parle de mémoire, croyons-nous ; à ce titre elle est intéressante et avec de la bonne volonté on peut s'y retrouver. Un plan dressé par un architecte sur ces données aiderait cependant beaucoup à parcourir ce dédale de galeries et d'escaliers.

L'intérieur de l'église n'était pas moins remarquable. Le chœur était rempli de figures représentant des personnages historiques, des animaux fantastiques et des figures grotesques ; l'autel, qui était orné de six candélabres en argent, était soutenu par des colonnettes de marbre noir et rose, d'un beau travail ; il y avait trois lampes d'argent massif, dont la plus grande brûlait sans cesse. C'était, avec un calice en vermeil, un souvenir de la reine Anne.

Les vitraux étaient remplis de sujets religieux ou historiques et représentaient les armes de France, celles de Bretagne, puis celles des familles des donateurs et des prééminenciers.

On y voyait encore, outre un beau christ et deux statues de saint Marc et de saint Louis, une magnifique statue de la Sainte-Vierge encore existante (c'est celle que nous avons décrite au commencement de ce travail). La niche qui contenait cette statue était environnée d'ex-voto curieux, représentant : l'un, un sacristain du Mur, tombant du haut du clocher sur le rebord de la rivière sans se blesser ; l'autre, un navire battu par les flots et poussé sur les noirs rochers où il allait sombrer, lorsque N.-D. du Mur, apparaissant au-dessus de la mer, portait secours aux matelots et les sauvait du naufrage ; ailleurs on voyait un fils mourant présenté à la mère du Sauveur par une mère en larmes qui obtenait la guérison de son enfant. Il y avait aussi de petits bâtiments en miniature suspendus aux voûtes : c'étaient des dons faits à N.-D. du Mur par des marins au retour d'un long voyage, en reconnaissance d'une heureuse traversée.

La Société Archéologique du Finistère a publié dans son bulletin (4ème livraison 1894) un procès-verbal des prééminences « de l'église collégialle de Nostre-Darne du Mur en 1679 », qui permet de se rendre compte de l'intérieur de l'église.

A la maîtresse vitre du grand autel, il y avait, dans les trois premières roses, les armes de Bretagne surmontées d'une couronne ducale, et, au milieu de la vitre, saint François et à ses pieds un priant dans l'habit duquel sont les armes des Levier, « escartelé portant au milieu en plain d'argent à la face d'azur surmonté d'un pigeon de mesme à trois treffles de mesme deux et un qui sont les armes des Levier. Et au premier quartier, d'azur au seign d'argent, au second, d'argent, tout rompu, au troisiesme ondé d'or et d'azur au cheff de gueulle, à la pomme de pin d'or, au quastriesme d'argent à trois coquilles de gueulles ».

Au haut du retable en marbre étaient les armes royales du côté de l'Évangile et celles de Bretagne du côté de l'Épitre.

Des chapelles et des autels ornaient les bas-côtés.

C'étaient, du côté de l'Évangile : L’autel de la Sainte-Trinité ; puis, ceux de N.-D. de Pitié ; de « Monsieur saint Julien » et du Saint Esprit.

Celui-ci est dit le dernier de ce côté « et descendant vers le bas de l'église proche la porte de la sacristie ».

Au bas de l'église se trouvaient : L'autel de l'Immaculée-Conception ; et l'autel de saint André et des Saints Cosme et Damien.

Entre ces deux derniers, dans une niche élégante, on voyait la statue de saint Jacques.

Du côté de l'Épître : Chapelle dédiée à saint Pierre ; Chapelle dédiée à N.-D. de Lorette ; Chapelle dédiée à saint Eloy.

Ces trois chapelles sont dites : « Closes de ballustre » ; plus bas est une chapelle dédiée à « Madame sainte Anne ».

A gauche de l'autel Saint-Pierre, il y avait des chapelles « et autelz qui sont posés contre les piliers de la dicte esglise » : Autel de N.-D. de Délivrance ; Autel de saint Yves ; Autel de saint Jean-Baptiste.

Outre la maîtresse vitre, sous laquelle étaient 18 écussons, il y avait : du côté de l'Évangile, 7 fenêtres ou lucarnes, comprenant 17 écussons ; au bas de l'église, une grande vitre et rose avec 8 écussons ; et, du côté de l'Épitre, 7 vitres dont l'une en rose au-dessus des orgues, avec 36 écussons. A la sacristie aussi, une fenêtre avec 2 écussons. En tout, 17 fenêtres avec 81 armoiries.

Ajoutez aux autels, aux arcades, aux bancs, aux tombes, 72 écussons et même davantage, et vous avez un total d'au moins 153 écussons racontant l'histoire du passé et disant la foi de la noblesse de Morlaix et des environs, de la bourgeoisie et des corporations. Le procès-verbal que nous avons cité donne les noms suivants des familles ainsi représentées :

Levier, Borgne, Pinart, de Lézardant, Barach-Rosambaon, Duboys-Bonnemetz, La Bouessière-Plourin, Kergroas, Cam, Kervézec de Kergroas, Guillouzou, Dionguel, Laurus Le Dionguel, Arnauld Derbaud, Nobletz, Kerret, Coetlosquet, Duval-Kerret, Coatanscoure, Kergadiou-Kernéguez, Calloët, de Troportz-Le Borgne, de Roc'hglas Geffroy, de Runescop, de Rostiviec, de la Gaudinaye, de Penhoat, de Coatanfaou, du Cosquer Leveyer, de Kerbrunot, de Villeblanche-Calloet, de Kerdanet-Nouel, du Merdy-Guillemot, de Villeneuffve Le Grand, de la Bouessière-Kersulguen, de Keranmoal-Salaün, de Kergadiou Le Cun, de Crémeur, de Lanneuguy de Crémeur, Le Grand de Rochambleiz, Talouarn, Gac, Keringant, du Boudon-Tournemouche, du Runiou, de Boissauveur de Kererault, de Kerochic-Christien, de Mesambès, de Botmeur, de Lesquiffiou Le Borgne, Les Balavennes, de Penanvern Le Marant, de Penanvern Jégou, Mme de Locrist, Ponsal-Quintin, de Latour Portevaux, de Coethir-Quéré, de Toulcoët, Croisier de Beauregard, Musnier, de Guicaznou, de Lezersaut-Duparc, de Keranroux, Lanharan-Le Borgne-Runiou, Oriot, de la Fontaine Motelay, de Kersauson.

Il serait facile, au moyen des armoiries, de nommer bien d'autres familles.

Dans la description de l'église extraite de l'Histoire de Morlaix, il est question de l'autel du Sacré-Cœur au-dessus duquel était une galerie en bois. Cet autel n'existait pas en 1679. Il dut être érigé (ou sa destination primitive dut être changée) sous l'épiscopat de Monseigneur Jean-Marc de Royère, évêque de Tréguier de 1767 à 1773. Celui-ci avait établi la dévotion au Sacré-Coeur de Jésus dans son diocèse et institué une confrérie sous ce nom dans sa cathédrale. Il publia, le 26 avril 1768, un très bon mandement sur cette dévotion. L'autel du Sacré-Cœur était, d'après la description, non loin du grand-autel, peut- être en place de celui de Saint-Julien, qui n'est pas nommé par l'Histoire de Morlaix.

De ce qui précède, il résulte que l'église de N.-D. du Mur était un monument vraiment remarquable, construit dans le style des grandes églises gothiques, des cathédrales et des principales basiliques de la province, digne des ducs qui l'avaient fondée et de la ville de Morlaix qui la considérait comme sa sauvegarde et sa gloire.

Rien n'était gracieux, ajoutent les auteurs, comme l'effet que produisait cette église lorqu'on la voyait du port. Son architecture était si remarquable, dit Guibert, qu'il ne fut plus permis de parler des merveilles de la province armoricaine sans citer le portail de N.-D. du Mur et sans parler de sa flèche élevée à une hauteur prodigieuse et tailladée à jour comme celle du Creisker de Saint-Pol-de-Léon.

 

VIII - La Collégiale - Ses revenus.

L'église de N.-D. du Mur était une collégiale, c'est-à-dire qu'elle était desservie par un clergé qui formait un chapitre. Les prêtres au service de N.-D. du Mur étaient des chanoines. Il en est qui attribuent l'origine des collégiales au désir qu'éprouvèrent les villes privées de cathédrale, d'avoir des offices solennels comme ceux qui s'accomplissent dans une cathédrale, l'évêque présidant, entouré de son chapitre ou de ses chanoines. Comme on ne pouvait avoir l'évêque partout, on voulut du moins avoir la pompe des offices et l'on fonda des collèges ou réunions de prêtres destinés à desservir des églises plus grandioses, auxquelles, du collège qui les desservait, on donna le nom de collégiales.

Morlaix possédant, grâce à la générosité de ses habitants et des ducs de Bretagne, une basilique en l'honneur de la Sainte-Vierge, ne tarda pas à posséder aussi sa collégiale.

Il n'y en avait que deux dans le diocèse de Tréguier, avant la Révolution : Notre-Dame du Mur, à Morlaix, et Tonquédec, dans la paroisse de ce nom. Le diocèse de Léon en avait trois : Notre-Dame du Folgoët, Lesveven et Kersaint-Trémazan ; le diocèse de Quimper aussi trois : Rostrenen, Carhaix et Pont-Croix. Toutes ont été supprimées à la Révolution et la plupart sont devenues des paroisses.

Notre-Dame du Mur ne fut pas collégiale dès sa fondation. Il paraît qu'elle fut simple chapelle, desservie par 8 chapelains auquels fut assigné un traitement de 240 livres tournois. D'après la bulle d'Innocent XI que nous avons déjà plusieurs fois citée, c'est en 1431, sur les instances de Jean V, que les chapelains furent réunis sous la présidence d'un prévôt pour former un véritable collège, « si bien que cette église qui n'était qu'une simple chapelle, fut érigée dès lors en sainte-chapelle et église collégiale ». Nous avons dit que cette érection en collégiale fut faite par le R. P. abbé de Daoulas, Etienne Petit, qui reçut à cet effet une délégation spéciale d'Eugène IV.

Le chapitre fut originairement composé d'un prévôt, premier et seul dignitaire, de huit chanoines, d'un diacre et d'un sous-diacre d'office, de deux suppôts ou chantres, d'un maître de psallette, de deux enfants de chœur, d'un organiste, d'un bedeau et d'autres officiers pour aider au service divin.

La reine Anne, en confirmant et ratifiant la fondation en 1504, y ajouta deux enfants de chœur.

Le duc fondateur avait assigné pour desservir cette fondation, une somme de 200 livres monnaye ou 240 livres tournois sur son domaine de Morlaix, en attendant de faire autre fondation meilleure ou plus commode. Elle devait être prise moitié sur les impôts ou billots et moitié sur les ports et havres et faisait alors la moitié de ces deux fermes. Cette somme, qui paraît modique, était alors fort considérable, le quartier de froment ne valant à cette époque que 5 à 6 sols comme le font remarquer les chanoines en 1624, tandis qu'au moment où ils se plaignent, il vaut, par commune année, 4 livres 10 sols, et le plus souvent 2 écus.

La fondation était mal faite, parce qu'elle spécifiait un paiement en argent, et que l'argent diminue de valeur ; d'autres fondations n'avaient pas cet inconvénient, parce qu'elles spécifiaient ou un paiement en nature ou la somme suffisante pour acheter toujours la même quantité de grains.

Les chanoines appauvris le font remarquer tristement (1624). « Lors de la fondation, plusieurs autres chapelles collégiales avaient été fondées en cette province, l'entretiennement desquelles avait été ordonné par grains, qui pour lors n'excédaient en valeur ladite somme de 240 livres, parce que le quartier de froment ne pouvait valoir en ce temps-là que 5 à 6 sols monnaie, et à présent il vaut par commune année 4 livres 10 sols et le plus souvent 2 escus. Aussi les chapelains des autres collèges ont suffisamment de quoy se nourrir et entretenir, ce que ne peuvent avoir les dits provost, chapelains et enfants de N.-D. du Mur qui n'ont le fond de leur entretiennement qu'en argent, qui depuis a diminué de la valeur dans la proportion d'un à seize ».

Le duc François Ier, en 1443, avait, simplement confirmé la fondation première : « 100 livres sur les deniers de la revenue de notre port et havre de Morlaix, et les autres 100 livres sur l'impôt du vin vendu en détail en nostre dite ville et châtellenie ».

La somme est si notoirement insuffisante que, dans les anciens comptes de 1500 à 1526, on trouve, dans la décharge, des paiements faits pour frais des chapelains commis à faire des quêtes clans les évêchés de Tréguier, Léon et Cornouaille, les chapelains ne pouvant plus subsister de la fondation.

La détresse, de ce chef, alla toujours en augmentant et, dans le mémoire précité de 1624, les chanoines font observer que « de la dite somme de 240 livres, il ne revient à chacun des dicts provost et chapelains que 26 livres sur lesquelles ils faut qu'ils entretiennent quatre enfants de chœur, outre qu'ils sont tenus de célébrer chacun en son rang une grand'messe par chacun jour ».

Par ces raisons, ils supplient « les sieurs habitants de délibérer et de présenter requête au Roi qu'il plaise à Sa Majesté augmenter la dite fondation de somme suffisante ».

Le corps de ville nomma et entretint à ses frais un député à la cour pour suivre et terminer cette affaire.

Elle fut reprise et suivie en 1648-52-53 et 54. Enfin, en 1656, le prévôt obtint du roi le quart des deniers d'octroi.

Mais les habitants réclamèrent et la situation devint de plus en plus difficile. « L’église, dit le doyen Le Dizeul, est sans culte, sans service divin et sans office, enfin elle est sans honneur, sans âme et sans vie » (Histoire de Morlaix, page 257). L'office canonial ne s'y récitait plus ; depuis longtemps elle était desservie par des chanoines qui n'étaient plus que de simples habitués de paroisse, réduits à 4 ou 5 tout au plus, au lieu d'être servie par des ecclésiastiques d'honneur et de mérite et par des chanoines bien réglés et bien entretenus.

En 1663, la reine mère écrit aux habitants de Morlaix pour les exhorter à rétablir un service divin convenable dans l'église Notre-Dame.

Enfin, en 1671, la communauté de ville agrée la requête du chapitre, et prend une délibération qui porte que Sa Majesté sera suppliée d'accorder aux chanoines et suppôts du Mur 2,400 livres par an sur l'octroi du vin, cidre et autres breuvages, et 200 livres pour être employées à l'entretien et réparation de la dite église.

Cette délibération n'eut son plein effet qu'en 1687, quand les dettes de la ville furent payées. Toutefois, en 1677, le duc de Chaulnes, gouverneur, fit payer 1,200 livres.

A partir de 1687, la somme de 2,400 livres a toujours été régulièrement payée, mais la valeur de l'argent changeant toujours, comme aussi le prix des denrées, il est arrivé que sans rien perdre de leur revenu, les chanoines sont réellement devenus plus pauvres.

C'est ce qui explique le mémoire de 1752, que nous allons citer parce qu'il résume toute la question.

1752. Mémoire concernant l'état actuel de l'église royale et collégiale de N.-D. du Mur à Morlaix (Archives du Finistère, G. L. 86).

Jean II, duc de Bretagne, fonda en l'année 1295, dans l'enceinte de son château de Morlaix, l'église et chapitre du mur qui fut composé d'un premier dignitaire nommé prévost, de 8 chanoines, d'un diacre et sous-diacre d'office, d'un sacriste, de 2 suppôts ou chantres, d'un maître de psallette et de 4 enfants de chœur, d'un organiste, d'un bedeau et autres officiers pour y célébrer le service divin comme ès autres églises cathedrales et collégiales du pays et duché de Bretagne. Ce sont les termes de l'acte de fondation [Note : On voit ici que les chanoines confondent la fondation première par Jean II et l'érection en collégiale par Jean V]. Il leur est assigné pour leur subsistance 240 livres, payables sur le domaine de la ville de Morlaix.

Cette somme, qui suffit à peine aujourd'hui pour payer les gages d'un suppôt au bas chœur, faisait subsister honorablement au temps de la fondation tous les membres qui composaient le chapitre ou qui en dépendaient. L'intention du fondateur était que le service divin fût célébré dans cette église comme ès églises cathédrales, ce qui fait présumer que la prévosté fut, rentée comme les premières dignités des cathédrales, et les canonicats à proportion.

D'ailleurs, il est certain que la somme de 240 livres au temps de la fondation était très considérable ; la preuve s'en tire de la valeur qu'avaient alors les espèces, car on estimait, dans ce temps, que la pension et entretien d'un homme était d'environ 100 sols tournois, et, dans cette supposition qui est démontrée vraye par l'histoire des temps dont il s'agit, la somme de 240 livres en 1295 est égale à celle de 24,000 livres en 1752, en estimant aujourd'huy la pension et entretien d'un homme 500 livres. Ceci est encore mieux prouvé par l'exemple de l'église du Folgoët fondée par le même duc, Jean II [Note : Nouvel exemple de la confusion faite par les chanoines entre la fondation de Jean II et celle de Jean V]. Elle ne fut composée que d'un doyen et 3 chanoines, et il lui fut assigné 80 livres, dont l'assiette fut faite sur des biens de campagne et vaut aujourd'hui 8,000 livres de rente, ce qui prouve que si, la fondation de l'église du Mur avait été faite de la même manière, elle monterait aujourd'hui à 24,000 livres.

L'augmentation de 2,400 livres pour le chapitre et de 200 livres pour l'église accordée par le Roy Louis XIV est si éloignée de pouvoir suffire au plus simple nécessaire des 21 personnes établies par l'acte de fondation et à l'entretien de l'église, qui est un des plus anciens monuments et des plus beaux édifices de la province, qu'il tombera en ruines faute de réparations.

Le prévost, qui est la première dignité à la nomination du Roy et le premier bénéfice d'une des plus considérables villes de Bretagne, n'a que 450 livres de revenu, assistances comprises, et les seules dépenses extraordinaires auxquelles la bienséance l'oblige dans cette place absorbent au-delà du revenu du bénéfice.

Les recteurs de Saint-Matthieu, Saint-Melaine et Saint-Martin retirent au moins chacun 1,500 livres de leur paroisse ; le prévost du chapitre, qui est en possession de les précéder partout, n'a cependant que le tiers de leur revenu et les chanoines n'en ont que le quart. Ces considérations firent tolérer dans les trois derniers siècles la jouissance d'autres bénéfices incompatibles avec la prévosté.

— Nous verrons quels furent ces bénéfices adjoints à la prévosté du Mur par dispense canonique, eu égard à la modicité du revenu, quand nous donnerons la liste des prévosts du Mur.

Le mémoire continue : Cette longue suite de prévosts du Mur, qui ont possédé en même temps d'autres bénéfices incompatibles, prouve l'impossibilité d'occuper décemment cette place sans d'autres biens d'Eglise ou de patrimoine.

Les revenus des canonicats sont également insuffisants. — En voici un bref état :
Don des ducs de Bretagne, lors de la fondation : 240 l. Don du Roy Louis XIV, du quart des deniers d'octroi de Morlaix : 2.400 l. Don du même, de 2 sols par pièce de toile vendue à Morlaix, le 10 octobre 1656, mais supprimé pour ne pas gêner la liberté du commerce. (Cet article aurait suffi pour rétablir la fondation s'il avait subsisté). Le fond de divers particuliers, 800 livres argent et 50 quartiers de froment évalués 6 livres le quartier année commune, le tout : 1.100 l. Fondation de la messe de 5 heures, spécialement donnée au sacristain qui la dessert : 270 l. TOTAL : 4.010 l.

Charges sur le revenu du Chapitre.

A. M. le Prévost pour préciput à raison de sa dignité : 150 l. Pour décimes et subventions : 341 l. Pour gages de deux chantres ou suppôts : 300 l. Pour le diacre et sous-diacre d'office, qui ne sont tenus au choeur que pour les grand'messes : 200 l. Pour l'instruction des enfants de 36 chœur, qui sont nourris chez leurs parents, l'église n'étant pas en état de remplir à cet égard les intentions des fondateurs : 36 l. Pour réparations : 100 l. Pour partie des gages du bedeau, la fabrique donnant le reste : 30 l. Pour le sacristain chargé de la messe de cinq heures : 270 l. TOTAL : 1.427 l.

1.427 livres déduites du total, reste 2,583 livres qui donne à la prévôté, y compris le préciput de 150 livres : 436 l. A chacune des autres prébendes : 285 l.

Revenus de la Fabrique.

Don de Louis XIV : 200 l. Fondations de divers particuliers : 650 l. TOTAL : 850 l.

Charges.

A l'organiste : 200 l. Au sacristain : 120 l. Au bedeau : 75 l. Pour l'huile des lampes et de l'horloge : 36 l. Pour la cire : 300 l. En réparations pour les biens de la Fabrique : 40 l. TOTAL : 771 l.

Il ne reste à la Fabrique que 79 livres pour réparations et entretien de l'église, qui manque actuellement d'ornements, dont le pavé rompu a besoin d'être renouvelé et dont plusieurs vitres menacent ruine.

C'est cette nécessité extrême qui encourage le chapitre de Morlaix à représenter au Roy l'indigence où il est et celle d'une église où les paroisses même d'un autre diocèse (Saint-Martin, évêché de Léon) s'assemblent pour les cérémonies publiques et où l'on prêche exclusivement le sermon de la dominicale pendant toute l'année.

Cette église est, d'ailleurs, considérable par ses édifices. Elle a une tour à laquelle peu de morceaux d'architecture peuvent être comparés dans le royaume. Feu M. de Kerver, évêque de Tréguier, s'employa, en 1738, pour obtenir un secours du Roy plus considérable que celui de 2,400 livres. Il était sur le point de l'obtenir, lorsque son retour de Paris et la mort de M. de Calloët, prévost, en empêchèrent le succès.

Messieurs de la Communauté de Morlaix, chargés en partie de l'administration du temporel de cette église, ont travaillé depuis 200 ans avec plus de zèle que de succès à procurer son rétablissement.

(Suit une demande de secours au Roy pour prévenir la ruine entière de l'église).

LE FRANC DES FONTAINES, Prévost, vicaire général de Tréguier.

JOUY doyen.

Du RECHOU, chanoine.

MOISANT DE KERONNIOU, chanoine.

DE KERVEN, chanoine.

S. J. JOUAULT DES PRÉAUX, chanoine.

Nous avons tenu à citer cette pièce en entier. Elle montre combien sont loin de la vérité ceux qui attribuent au clergé d'avant la Révolution des richesses exagérées.

Sans doute, les chanoines du Mur avaient pour leur église la ressource des quêtes, et pour eux la charité des fidèles. Il n'en est pas moins vrai qu'ils ne pouvaient pas vivre du seul revenu de leur bénéfice et que l'église ne suffisait pas par ses ressources à son entretien.

En preuve de la générosité des Morlaisiens pour leur église, rappelons l'Histoire de Morlaix (Histoire de Morlaix, page 254). Parlant de la tour qui mérite surtout l'attention par la délicatesse d'un travail à jour en fleurs de lis, en hermines et en étoiles, elle ajoute : Elle fut bâtie aux dépens de la ville, qui y affecta longtemps une partie de ses revenus. En 1426, on mit entre les mains des procureurs nobles 200 livres pour la construction de la tour du Mur, lors nouvellement encommencée. On la continuait encore en 1533. Elle était jadis plus élevée, mais, le tonnerre en ayant abattu quelques brasses, on en diminua l'élévation au mois de mai 1618. Albert Le Grand, qui pouvait avoir été le témoin oculaire de l'évènement, dit que l'orage fut si violent qu'on pensait « la fin du monde être venue ».

Cette même année, on fit une quête publique dans la ville pour la réparation du clocher, et la ville y a souvent fait les réparations nécessaires. A remarquer toutefois que pour cette réparation la communauté de ville ne donna rien (Archives du Finistère, G. 185).

 

IX - La Collégiale. - Ses prévôts.

Le document de 1752 que nous venons de citer, renferme les noms des prévôts du Mur jusqu'à cette date. Nous allons reproduire la liste, en la complétant quand c'est possible, et en la prolongeant jusqu'à la Révolution. On comprend que la liste faite en 1752 puisse présenter des lacunes, puisque son but était seulement de rappeler ceux des prévôts qui, pour soutenir leur dignité, avaient été obligés de joindre un autre bénéfice à la prévôté du Mur.
Vers 1486. — Pierre DE PENHOAT, archidiacre de Plougastel, au diocèse de Tréguier.
1499. — Guillaume DE GUICAZNOU, chanoine de Tréguier.
1506. — Richard HENRY, recteur de Garlan, est encore prévôt en 1526.
1533. — Tanguy LE BARBU, recteur de Saint-Martin de Morlaix.
1543. — Charles POMMEROT, recteur de Plouézal.
1548 (20 janvier) (Archives du Finistère, G, 187). — PINART, prévôt de N.-D. du Mur.
1594. — Nicolas DE LA BOESSIÈRE, archidiacre de Plougastel, « fameux ligueur », dit l'Histoire de Morlaix. Assistait aux assemblées de la chambre de la Sainte-Union, aux Jacobins.
1598. François LE LEVIER, recteur de Ploujean. Nous avons vu, dans la maîtresse vitre de N.-D. du Mur, un saint François aux pieds duquel est un priant à genoux avec les armoiries des Levier.
1609. — Pierre DE CALLOET, sieur DU TROFFOS, grand archidiacre et vicaire général de Tréguier.
1610. — François LE LEVIER (?). Celui-ci est donné par l'Histoire de Morlaix, mais non par le document que nous citons.
1642. — Yves de CALLOET, chanoine de Tréguier, était frère du sénéchal, rendit à la ville de très grands services, et travailla pour elle pendant sept ans, avec autant de zèle que de succès. Il recueillit de ses travaux le prix ordinaire qu'en retirent ceux qui se dévouent aux affaires publiques, l'injustice et l'ingratitude de ses contemporains. Après avoir gagné pour la ville plusieurs procès considérables, avoir remis l'ordre parmi les abbés de la Trinité, etc., etc., il fut réduit à se justifier du succès de son zèle. Encore l'auteur de l'Histoire de Morlaix lui reproche-t-il d'avoir été plus jaloux d'enrichir son église aux dépens de la ville et d'avoir exagéré sa justification...
1687. — René ORIOT DE LA VILLEBASSE, fils, frère, parent ou allié de ceux qui composaient alors le corps municipal, y fut admis ainsi que son prédécesseur. Il était l'aîné de sa maison et riche de 4,000 livres de rente de patrimoine.
1709. — Hyacinthe DE CALLOET, prieur de Montfort.
1715. — Jacques-René DE CALLOET, de Lannidy.
1740. — Georges-Yves DE KERRET, prieur de Saint-Matthieu de Morlaix, et nommé par le Roy, au prieuré de Saint-Martin, de la même ville.
1749. — Guillaume LE MARANT sieur DU VAL, recteur de Plœmeur-Gautier, nommé par le Roy à cette place qu'il abdiqua pour garder sa paroisse.
1750. — Pierre-Guillaume-Joseph LE FRANC DES FONTAINES, abbé de Geneston [Note : L'abbaye de Sainte-Madeleine de Geneston était une abbaye de chanoines réguliers au diocèse de Nantes. M. Le Franc des Fontaines en fut le dernier abbé], vicaire général de Tréguier.
1760. — Laurent-Marie BOUDIN DE TROMELIN, (se démet en 1784 ou 1785).
1785. — BILLET DE PENAMPRAT, mort en 1788. Il était vicaire général de Léon.
1789 . — LE FORESTIER, nommé en 1789 ou 1790, n'accepta pas [Note : MM. Le Forestier et Bahezre de Lanlay sont portés au nombre des prêtres qui ont refusé le serment. On a de M. Le Forestier le registre sur lequel il inscrivait les baptêmes et mariages qu'il fit pendant la Révolution, demeurant caché dans le pays avec des pouvoirs de vicaire général de Tréguier. Ce registre est à Saint-Matthieu].
1790. — BAHEZRE DE LANLAY, ne fit que prendre possession. La Révolution l'empêcha d'exercer. Il fut nommé en 1800 ou 1801 recteur de Ploujean, et mourut au bout de six semaines d'exercice.

 

X - La Collégiale. - Préséance.

Nous avons déjà dit que l'érection de Notre-Dame du Mur en collégiale donna occasion aux chapelains de prétendre à la préséance qui jusqu'à ce jour (1431) paraît avoir appartenu aux Dominicains.

Des contestations s'élevèrent qui nécessitèrent plusieurs fois l'intervention de l'autorité épiscopale, tantôt entre les chapelains et les religieux de Saint-Dominique, tantôt entre le chapitre et les vicaires, c'est-à-dire les recteurs ou curés de la ville [Note : Les chefs des trois paroisses de Morlaix, tout en exerçant les fonctions de recteurs, n'avaient que le titre de vicaires perpétuels. On appelait ainsi ceux qui étaient nommés à la tête de paroisses dont les curés primitifs étaient ailleurs. Ces curés primitifs, dit André à l'article curés (Cours de droit canon), étaient en quelque sorte comme des curés commendataires. C'étaient ceux qui avaient anciennement le soin des âmes ; — mais, dans leurs bénéfices, on avait érigé par démembrement ou autrement une nouvelle cure avec établissement d'un vicaire perpétuel .pour le gouvernement spirituel de la paroisse. — Il leur restait un titre d'honneur, mais ils n'avaient plus l'administration. Les vicaires perpétuels ne différaient des recteurs que de nom. Ils étaient inamovibles. La cure primitive des paroisses de Morlaix appartenait : pour Saint-Matthieu, à l'abbaye Saint-Matthieu-Fin-de-Terre, depuis une époque ignorée mais antérieure à 1110, puisque, à cette époque, Daniel, abbé de Saint-Matthieu, intervient dans la fondation de la confrérie de la Trinité ; pour Saint-Melaine, à l'abbaye Saint-Melaine de Rennes à qui Guyomar III, vicomte de Léon, seigneur de Morlaix, la donna au XIIème siècle, donation confirmée en 1154 par Hervé II, fils de Guyomar ; et pour Saint-Martin, à l'abbaye de Marmoutiers à qui le même Hervé II donna, le 5 des nones de mars 1128, son bourg (de Bourret), près Morlaix, avec les chapelles de Saint-Augustin et de la Magdeleine, donation confirmée la même année par les évêques de Léon et de Tréguier, Galon et Radulfe (Histoire de Morlaix, pages 339 et 381)].

Nous avons plusieurs ordonnances réglant la question. Voici la première, qui émane de Mgr Jean de Coëtquis, évêque de Tréguier, à la date du 7 mars 1454 (Archives départementales du Finistère. G. 500).

Nous traduisons : « Que désormais, aux processions et autres réunions solennelles du clergé, la croix de la chapelle de N.-D. du Mur et celle des Frères-Prêcheurs marchent ensemble sur une même ligne sans que l'une précède ou suive l'autre, de façon que la croix de la dite chapelle soit à droite et celle des dits religieux à gauche : toute autre croix, suivant l'habitude, devra précéder ces deux croix en procession ».

Sans trancher précisément la question de préséance, cette ordonnance est favorable à N.-D. du Mur, puisque sa croix est à droite.

Bientôt la supériorité s'affirme, reconnue qu'elle est et soutenue par les Dominicains, principaux intéressés (Archives départementales du Finistère. G. 500).

Voici une nouvelle ordonnance, qui a l'avantage de nous mettre sous les yeux une procession de Morlaix au XVIème siècle. Elle est du 2 décembre 1543. En voici la traduction :

« Hamon Barbier, docteur ès-droits, abbé commendataire du monastère de Saint-Matthieu Fin-de-Terre, archidiacre de Quemenedily dans l'église de Léon et chanoine de la même église, vicaire général de révérendissime père en. Dieu Hippolyte, cardinal de Ferrare, par la grâce de Dieu et du Saint-Siège apostolique, évêque de Tréguier, aux prêtres et aux clercs qui nous sont soumis salut dans le Seigneur !

Nous ont humblement exposé le prieur et le couvent, ou les religieux du couvent de Morlaix, de l'ordre des Frères-Prêcheurs, que, de temps immémorial dans les processions générales et autres convocations du clergé et du peuple, l'ordre était le suivant :
1° Après les écoliers et leurs maîtres, la croix de la paroisse de Saint-Martin, portée sur sa hampe.
2° Après cette première croix, celle de la paroisse Saint-Melaine, élevée de même.
3° Après ces deux croix, celle de la paroisse Saint-Matthieu, portée de même manière.
4° Ensuite la croix des Frères Mineurs de Cuburien, portée aussi sur son pied, après laquelle viennent les religieux de ce couvent et leur gardien, s'ils assistent.
5° A leur suite vient la croix du couvent des Frères-Prêcheurs, élevée sur sa hampe et suivie des religieux et du prieur du même couvent ou de celui qui tient sa place.
6° Enfin, suit la croix de la collégiale de N.-D. du Mur, élevée aussi sur sa hampe, suivie des prêtres des églises paroissiales dans leur ordre respectif, et des chanoines et clercs de la dite église collégiale, revêtus de surplis ou des blancs vêtements qui sont propres aux prêtres et aux clercs.

De même, s'il s'agit de la conduite des cadavres dans la ville de Morlaix, depuis les temps les plus anciens, et d'après la coutume invariablement et pacifiquement observée jusqu'ici, la croix de l'église paroissiale du défunt était portée en mains, mais sans sa hampe, et au devant marchaient les chanoines et les suppôts de la dite église collégiale de N.-D. du Mur, avec les prêtres séculiers de la paroisse précédés de la croix de la dite église collégiale portée sur son pied, devant laquelle allaient le prieur et le gardien avec leurs frères et religieux dans l'ordre indiqué pour les processions générales.

Nonobstant, plusieurs ecclésiastiques veulent contrevenir à cet ordre, empêcher une coutume louable et molester ceux qui s'y conforment.

Nous donc, voulant soutenir le droit des exposants ou suppliants, mandons aux reteurs et vicaires perpétuels des paroisses, d'observer les anciens règlements sans opposition et défendons d'inquiéter directement ou indirectement les exposants sous peine d'une sentence de suspense d'ordre, et par conséquent, au bout de trois jours, d'excommunication et de 500 livres à verser pour la réparation de la cathédrale de Tréguier.

Donné le 2 décembre de l'année 1543 ».

Il ressort de cette sentence que la prééminence de N.-D. du Mur était chose incontestée de mémoire d'homme, et reconnue même des Dominicains, qui avaient été les premiers opposants et que cette prééminence ou préséance s'exerçait même dans les paroisses.

Un siècle plus tard, les contestations pour droit de préséance aux processions duraient toujours, mais dès lors les chanoines du Mur ont plus de peine à faire prévaloir leurs anciens privilèges.

Nous voyons, en effet, en 1650 et 1651, Monseigneur l'évêque de Tréguier, pour couper court à toute compétition pour la présidence des processions, déléguer son archidiacre pour les présider en personne.

En 1652, M. de Calloët remontra dans un mémoire au Parlement, combien est déraisonnable le procès de préséance que le vicaire de Saint-Matthieu s'est engagé de soutenir contre le chapitre. « Pour justifier de la prééminence et rang que ont de tout temps tenu les chanoines de cette église collégiale et ducale, au-dessus non-seulement de tous les vicaires perpétuels et autres ecclésiastiques de la ville, mais encore au-dessus des prieurs et recteurs les plus qualifiés de tout le pays, il peut servir de faire voir à la Cour que, non-seulement les dits vicaires perpétuels, mais encore les recteurs des paroisses les plus considérables qui sont auprès de la ville et même les prieurs qui sont recteurs primitifs ont tenu à honneur d'obtenir la permission de porter les draps (le costume canonial) dans cette église et d'y être reçus chanoines, reconnaissant par là que cette qualité était plus honorable et leur donnait plus de rang que le titre de leur confrérie ».

Néanmoins, le conflit continue et, le 7 juin 1653, Monseigneur de Tréguier ayant commis le plus ancien des deux vicaires de Saint-Matthieu ou Saint-Melaine pour porter le Saint-Sacrement, le jour du Sacre, le chapitre du Mur s'assemble le 20 juin pour protester contre cette ordonnance portée à son préjudice et charge M. Dizeul, un des chanoines, d'inviter le vicaire de Saint-Martin pour présider la procession.

Le 9 mai 1661, la municipalité de Morlaix intervenait pour demander qu'un règlement terminât le conflit en sauvegardant les privilèges de N.-D. du Mur.

On comprend les contestations qui s'élèvent contre les chanoines de N.-D. du Mur, si l'on se reporte à ce que nous avons dit précédemment de l'état précaire de la fondation et de la détresse où se trouvaient souvent et l'église et les chanoines. Cet état faisait douter de la préséance de l'église et, les actes primimitifs ayant disparu, on contestait aux chanoines leur qualité, d'où la prétention des vicaires de passer avant eux.

L'officialité de Tréguier appela devant elle le prévôt et les chapelains de N.-D. du Mur pour justifier de leur qualité de chanoines et de leurs prétentions ; mais ceux-ci ne s'étant pas présentés, par sentence rendue le 21 juillet 1661, l'official aurait déclaré « défaut contre le sieur Calloët et ses prêtres et, faute à eux d'avoir fait conster de leur prétendue qualité de chanoines et n'étant messire Marc Le Dizeul, Guillaume Le Bruslé, René Lescop et Alain de la Fosse, pourvus d'aucun bénéfice en titre en l'église de Notre-Dame, les recteurs vicaires perpétuels des églises paroissiales de Saint-Matthieu, Saint-Melaine et Saint-Martin auraient, pendant l'absence ou incapacité dudit prévost, la préséance dans les assemblées publiques du clergé de Morlaix, conduiraient les processions générales de ladite ville, chacun à leur tour, sauf à régler leur rang par entr'eux, et aurait le dit sieur vicaire de Saint-Matthieu les clefs du tabernacle ou armoire du Saint-Sacrement et des fonts établis en la dite église de N.-D. du Mur et y ferait toutes les fonctions curiales, avec défense aux dits deffendeurs (les chanoines) d'y apporter aucun trouble à peine de suspense ipso facto ».

Les chanoines en appelèrent au Parlement qui, par arrêt du 3 octobre 1668, jugeant entre les provost, chanoines et chapelains de Notre-Dame du Mur, d'une part, et Monseigneur Balthazar Grangier, évêque et comte de Tréguier, messire Henri Cillart, vicaire de Saint-Matthieu, messire Yves Le Helloco vicaire de Saint-Melaine, et messire René de Poulpiquet, vicaire de Saint-Martin, d'autre part..... reconnaît que les chapelains du Mur sont de véritables chanoines, qu'en l'absence du prévost, les chanoines ont le droit de porter le Saint-Sacrement à la procession du Sacre et le droit de faire garder par leur sacriste les clefs du tabernacle et des fonts de leur église.

En 1671, les contestations s élèvent entre le chapitre du Mur et messires François Jagu, vicaire de Saint-Matthieu, Duval et René de Poulpiquet, vicaires de Saint-Melaine et de Saint-Martin ; la procédure est surtout aigre contre François Jagu, qui se montre particulièrement agressif aux enterrements.

Il ne paraît pas que le peuple se soit autrement émotionné de ces conflits de préséance. Notre-Dame du Mur a continué d'être pour lui l'église-mère de la patronne de Morlaix, et François Jagu, qui défendait dans la bonne foi les droits de son église, est resté le vikel sant, le saint vicaire, ainsi appelé, non, comme le croient plusieurs, parce qu'il était grand vicaire de Tréguier, mais parce que son titre de chef de paroisse était le titre de vicaire perpétuel. Le renom de sa sainteté s'est perpétué de nos jours ; sa tombe est en vénération et le portrait qui existe de lui au presbytère de Saint-Matthieu, sur la porte duquel on lit :

Marie : François Jagu, de sa charge étôné,

Vous offre le troupeau que Dieu lui a dôné.

Ce portrait, disons-nous, confirme la réputation du bon curé, adversaire des chanoines du Mur. C'est vraiment une figure de saint.

Les chanoines attaqués défendaient leur droit en toutes circonstances. Voici une nouvelle pièce qui le prouve, en rappelant une des grandes cérémonies faites à Morlaix, en l'église de Saint-Dominique.

Extrait des délibérations du chapitre de Notre-Dame du Mur, juillet 1763 (Archives du Finistère, G. 484).

« La Communauté a trouvé à propos de faire rédiger sur ce cahier ce qui a été dit par M. le doyen en remontrance à Mgr de Tréguier au sujet de son mandement pour la canonisation de saint Louis Bertrand, de sainte Rose et béatification de Pie V : savoir, que cette église étant collégiale de fondation, et la principale de cette ville où elle tient lieu de cathédrale, elle a l'avantage d'être, avec les plus insignes du royaume, au nombre des sénats de l'Eglise suivant la police des saints conciles et spécialement celui de Trente, session XXV, chap. VI — et que puisque ce chapitre, qui représente ici celui de Tréguier, est en droit et possession de faire l'office et d'avoir la préséance dans toutes les cérémonies et assemblées du clergé, il est pareillement en droit d'entourer et assister ledit seigneur évêque et de faire chœur, quand il lui plaît officier aux dites cérémonies et assemblées — lesquelles ne doivent être ordonnées ni assignées sans l'avis dudit chapitre et auxquelles le chapitre ne reconnaissait être obligé de déférer les honneurs de sa fondation à personne qu'à celle du seigneur évêque diocésain.

Mais que Monseigneur l'évêque de Léon étant venu en ville pour faire l'ouverture des sermons de la dite canonisation, si Mgr de Tréguier était en dessein de lui faire civilité, la communauté était prête de joindre ses prières et de l'aller prier de faire l'honneur au clergé de le conduire en la procession que devait partir de cette église pour aller en celle de Saint-Dominique, ce que mondit seigneur de Léon ne témoigna agréer qu'après les prières qui lui furent faites de la part du chapitre.

Ensuite de quoi, Mgr de Tréguier commença l'office pontifical d'une grande-messe et Mgr de Léon fit l'après-midi l'éloge des trois saints par un discours d'un caractère très pur et très juste prenant pour texte : Ecce quomodo computati sont inter filios Dei et inter sanctos sors illorum est.

Et le 2ème jour d'après, le père Le Bel étant venu demander à M. le Doyen la procession générale et dernière assignée par le dit mandement, il lui fut répondu que, l'église étant au roi, elle n'était pas obligée de déférer en pareille occasion et que, néanmoins, lesdits religieux étant venus les prier, la communauté, pour favoriser leur dévotion et achever la pompe de leur solennité, l'on en eut annoncé la clôture par les sons de toutes les cloches, et le lendemain, le doyen conduisit la procession générale et officia au Te Deum qui se chanta ensuite.

L'évêque de Tréguier dont il est là question, est Balthazar Grangier (1646-1673), et l'évêque de Saint-Pol, Pierre Le Neboux de la Brosse (1671-1701) ».

Par cet acte capitulaire, on voit que les bons chanoines du Mur tenaient à être invités dans les formes et n'acceptaient pas sans protestation qu'on leur imposât des cérémonies avant de les avoir consultés.

Ils furent plus forts après la bulle d'Innocent XI. Celle-ci est la réponse à l'attaque du clergé de la ville, que les chapelains n'étaient pas chanoines. Elle reconnaît que la cause ayant été amplement discutée au parlement de Bretagne, et les avocats entendus, les droits de la collégiale ont été maintenus, tant à cause de la possession immémoriale que des documents produits : diplômes ducaux et royaux, longuement expliqués dans les lettres de confirmation données par le très pieux roi de France, Louis XIII.

Elle rappelle l'institution primitive des chapelains par Jean II, l'érection en collégiale sous Jean V par Etienne, abbé de Daoulas, délégué d'Eugène IV, et cela avec le consentement de l'évêque de Tréguier, à la vue et de l'aveu des prieurs et autres intéressés, sans qu'aucun d'eux ait jamais eu aucune préséance ou prérogative dans l'église du Mur. Bien plus, les paroisses de Morlaix, tant du diocèse de Tréguier que de celui de Léon, ont toujours reconnu N.-D. du Mur comme l'église-mère, et se sont comportées comme ses filles. C'est en effet là que se fait le sermon, les dimanches et fêtes. On y prêche l'Avent, le Carême et l'octave du Sacre, on y convoque toutes les processions et toutes les cérémonies s'y exercent. En conséquence, le prévôt, le doyen et les chanoines demandent que les honneurs et droits de la fondation ducale et royale leur soient continués, confirmés, conservés et de nouveau concédés de la bienveillance apostolique comme aussi leurs statuts et règlements et autorisés pour la plus grande gloire de Dieu et l'honneur de la divine patronne de leur église ; — ce que le Pape, par le désir qu'il a de relever l'honneur des églises antiques dédiées à la B. V. Mère de Dieu, tout bien examiné, accorde ex nostrâ certâ, scientiâ et motu proprio, reconnaissant et confirmant de science certaine et de son propre mouvement les honneurs et droits de la collégiale de Notre-Dame du Mur.

Après cette bulle, on pouvait encore ne pas se joindre de fait au chapitre du Mur pour certaines circonstances solennelles, mais on ne pouvait plus contester le droit, on lit dans l'Histoire de Morlaix (Histoire de Morlaix, page 259) que les chanoines du Mur ne furent regardés que comme chapelains jusqu'à l'année 1629 qu'ils prirent l'aumusse. Si cette affirmation empruntée à Albert Le Grand est exacte, il n'est donc pas vrai que la chapelle du Mur fût dès son institution une congrégation de chanoines.

La bulle d'Innocent XI rétablit la vérité sur ce point. Les chapelains sont devenus chanoines à l'érection de la collégiale sous le duc Jean V [Note : " L'an 1629, au mois de janvier, dit Albert Le Grand (Catalogue des évêques de Tréguier), les chappelains de la dite église (Nostre-Dame le Meur) prirent les aumusses par commandement de ce prélat " (Guy Champion de Cicé, 1620-1636). La mesure dut être prise par le prélat pour affirmer et soutenir les droits du chapitre. Peut-être le miracle du sacriste tombant de la tour sans se faire de mal, arrivé au mois de novembre précédent, comme nous le raconterons en son lieu, inclina-t-il le prélat à prendre cette mesure en faveur des chanoines de Notre-Dame].

 

XI - La Collégiale. Costume des Chanoines.

On peut se demander quel était le costume des chanoines du Mur ?

Il semble, d'après l'ordonnance d'Hamon Barbier en 1543, que le costume était blanc. Ce document dit, en effet, que sous la croix de Notre-Dame du Mur, marchent le clergé paroissial et les chanoines et clercs de la collégiale, revêtus de surplis et des vêtements blancs qui convenaient aux prêtres et aux clercs : Subsequentibus dictarum parochialium ecclesiarum respectivè sacerdotibus et dictæ ecclesiæ collegiatæ canonicis et clericis superpelliceis indutis seu albis vestimentis presbyteris et clericis aptis. Il paraît bien que les prêtres des paroisses étaient revêtus de surplis tandis que les chanoines et clercs de la collégiale avaient de blancs vêtements, différents suivant leur qualité de prêtres ou de clercs. Que peuvent être ces vêtements blancs évidemment distincts des surplis, puisqu'ils sont spécifiés à part et en opposition, sinon le costume spécial de la collégiale, porté par ses chanoines et clercs ?

Il y avait un double costume, d'hiver et d'été. Dans le testament du prévôt René Oriot de la Villebasse, nous voyons que les enfants de chœur avaient deux costumes, sans doute à l'imitation des chanoines. Ces enfants doivent servir la messe dite pour lui après son décès, « l'été en surplis, et l'hiver en capote ». De plus, à l'article 11, il donne « toutes ses aumusses, habits de chœur d'hiver, etc., » à M. de Cresolles, chanoine.

Le surplis pouvait être riche : à l'article 13 de ce même testament, le prévôt donne son surplis de point d'Angleterre, avec la toile qui sert à en faire une aube quand on veut, aux religieuses Ursulines du Couvent Neuf à Morlaix, et son surplis garni de point à la reine, avec l'aube de pareille dentelle aux Ursulines de Sainte-Claire de Dinan.

Nous avons vu que les chanoines du Mur portaient aussi l'aumusse. C'est tout ce que nous pouvons dire jusqu'à ce qu'un document clair vienne nous apprendre la forme de ce vêtement canonial, et la manière de le porter, choses autrefois et même aujourd'hui très variables, dans les divers chapitres de chanoines...

 

XII - La Collégiale, foyer d’union.

Ce testament nous amène à parler pour la dernière fois des difficultés suscitées par les préséances à Morlaix. Nous avons dit plus haut, à l'occasion du vénérable Jagu, qu'elles étaient le fait d'autorités rivales qui défendaient ce qu'elles croyaient être leur droit.

Les testaments des prévôts du Mur montrent que du moins elles n'altéraient pas d'une manière sérieuse la bonne harmonie et ne faisaient point disparaître la charité. Ces testaments sont la preuve de l'esprit d'union, de concorde et de paix, qui émanait de N.-D. du Mur.

En 1695, le 19 novembre (Archives du Finistère. G. 185), c'est le testatament de Marc Dizeul, doyen des chanoines de N.-D. du Mur, demeurant dans la rue des Nobles, près de Saint-Matthieu.

Il désire que le clergé des trois paroisses de cette ville soit convoqué à son enterrement et au grand service et les pauvres de l'hôpital.

Il fait dire des messes par les communautés des Jacobins, Récollets, Capucins et Minimes. Il demande un service chez les Dames du Calvaire, les Carmélites et les Ursulines, et déclare avoir passé acte avec les habitants de Morlaix par lequel il laisse 600 livres pour la réfection qu'il a fait faire des orgues du Mur à condition que la fabrice fera dire à perpétuité un service à chant, le 1er lundi de chaque mois, sur l'autel de la confrérie du Saint-Esprit, « pourquoy elle paiera 30 sols au chapitre, par service ».

Enfin, du surplus de soit bien, toutes charges remplies, il donne un quart à N.-D. de la Mercy pour la rédemption des captifs, un quart aux pauvres honteux de Morlaix, un quart aux pauvres prisonniers, pour leurs plus urgentes nécessités, et le reste, en messes pour le repos de son âme.

On le voit, personne n'est oublié.

De même, M. Oriot de la Viltebasse. Son testament, du 3 juin 1702 (Archives du Finistère. G. 184), est fait au cours de sa retraite chez les Pères Récollets de Cuburien, dont il était le père spirituel.

Ce testament constitue un document des plus intéressants pour qui veut étudier les usages, les mœurs, la manière de vivre à cette époque à Morlaix ; nous l'étudions au seul pont de vue qui nous occupe, l'esprit de charité et d'union qui descend de N.-D. du Mur.

M. Oriot de la Villebasse fait un don à l'église où il sera enterré s'il ne meurt pas à Morlaix, mais son coeur devra être enterré à N.-D. du Mur, où il fait diverses fondations.

On conviera à l'enterrement les prêtres des trois paroisses, les pauvres de l'hôpital et leur chapelain, de même au grand service.

Il fait dire des messes aux quatre couvents de religieux Jacobins, Récollets, Capucins Minimes, de même aux quatre communautés de filles de Morlaix, Ursulines, Carmélites, Calvairiennes et Hospitalières de Saint-Thomas de Villeneuve [Bote : Les Dominicains étaient établis à Morlaix depuis 1235, 36 et 37, 17 ans après la mort de saint Dominique. Le duc de Bretagne leur avait donné son manoir du Viniec avec ses vergers. C'était alors Pierre de Dreux. Les Cordeliers de Cuburien furent fondés par Alain IX, vicomte de Rohan et de Léon, en 1445, dans la forêt de Cuburien, près Morlaix. Les Capucins furent fondés en 1612, dans la forêt du Stivel, par René Barbier, seigneur de Kerjan. Les Minimes avaient leur communauté en Plourin, à une demi-heure de Morlaix. Elle fut fondée, croit-on, par Le Borgne, seigneur de Lesquiffiou, en 1660. Le couvent des Ursulines fut fondé au haut de la rue des Vignes, en 1640, par la famille Thépaut de Tréfalegan. Une première fois des Carmélites de Flandre vinrentà Morlaix, appelées par une dame de Langouet, en 1619. L'évêque de Tréguier les renvoya. Elles s'établirent dans l'hôtelde Kernaon, situé en St-Martin, faubourg de Bourret, évêché de Léon. Elles partirent en 1623, à cause de la contagion, dit Ogée. Les Carmélites Thérésiennes furent appelées en 1624, par Mme Julienne de Kerémar. Leur communauté remplaçait un couvent de Sainte-Claire, fondé du consentement des habitants, qui participèrent aussi à la fondation du nouvel établissement pour remplir le vœu  qu'ils avaient fait pour leur délivance de la peste, dont la ville était désolée, et pour être préservés à l'avenir. Le vœu des habitants n'était pas rempli avant les Carmélites, car le couvent de Sainte-Claire, voté en principe, n'a jamais existé. L'ordre des Calvairiennes, fondé par Antoinette d'Orléans de Longueville et le P. Joseph du Tremblay, capucin, fut instituée à Morlaix en 1627, dans la rue de Ploujean, par une demoiselle de Kerven. Il y en a qui disent que le P. Joseph était de la famille Nouel de Kerven, en Guimaëc ; d'autres disent que le P. Joseph, de la maison de Kerven, est distinct du P. Joseph du Tremblay. Les dames de la charité de l'institut de Saint-Thomas de Villeneuve s'établirent à l'hôpital en 1687. Les filles de la charité de Saint-Vincent de Paul ne sont pas nommées. Elles ne sont arrivées à Morlaix qu'en 1752].

Outre la rétribution ordinaire aux pauvres de l'hôpital, il veut qu'on leur donne un souper le dimanche qui suivra sa mort, « avec bonne portion de roty et du pain blanc, une chopine de vin aux grandes personnes et un bon coup aux enfants ».

A chacun des prisonniers, une chopine de vin, 10 sols de viande et 5 sols de pain. Même charité aux filles repenties enfermées dans les caves de la retraite de Saint-Matthieu. Aumône générale au jour de l'enterrement et du grand service, à tous les pauvres que se présenteront. Souvenirs à tous ses confrères chanoines et aux prêtres et employés de N.-D. du Mur, à tous les prêtres de la ville. Remise de plusieurs dettes aux intéressés, et don d'une grande partie de sa vaisselle d'argent pour faire venir l'eau à l'hôpital et approprier les dortoirs.

En un mot, le prévôt du Mur considère que Morlaix ne doit former qu'une famille, sous la protection de Notre-Dame, et, comme sa bonne mère du Mur qui fait du bien à tous, à tous il veut dire, en mourant : Je vous donne l'exemple, pour l'aimer, aimez-vous comme Elle vous aime [Note : La sollicitude pour l'hôpital était dans les traditions de la famille Oriot. En 1687, le sieur Oriot du Runiou proposait de céder, pour en faire un hôpital, son manoir du Portzmeur, sur la montagne de Saint-Martin. L'hôpital, objet des largesses du prévôt du Mur, est l'ancien hôpital situé où est aujourd'hui la place de Viarmes, et brûlé le 6 janvier 1731].

Cet esprit d'union s'explique si l'on se rend bien compte que, pendant une longue série d'années, N.-D. du Mur a été le cœur de Morlaix, le centre de sa vie, de sa vie religieuse et civile, commerciale et politique.

 

XIII - Notre-Dame du Mur, église de la Cité.

L'église de. N.-D. du Mur, dominant les remparts de Morlaix, c'était la protection de Marie qui s'étendait sur la cité. Elle était le témoignage de la piété et de la confiance, des souverains :

« La collégiale, dit le duc François Ier (25 janvier 1443), avait été fondée par son très redouté seigneur et père pour la très grande et singulière dévotion qu'il avait à la benoiste glorieuse Marie, mère de notre benoist créateur et rédempteur, adorée en son église et chapelle du Mur » (Archives du Finistère. G. 185).

Aussi devint-elle le centre de la vie religieuse de la ville de Morlaix, reconnaissante d'avoir été placée sous la protection de la Sainte-Vierge et fière de posséder un si beau monument qui publiait, avec la dévotion des ducs, la piété des générations morlaisiennes.

Cette église, répètent souvent les chanoines, tenait lieu de cathédrale, et Innocent XI remarque qu'elle était reconnue comme l'église-mère de Morlaix. On y donnait la Dominicale ou le sermon des dimanches et des fêtes. On y prêchait l'Avent, le Carême et l'octave du Sacre. C'est de là que partaient les processions générales. Un mémoire du 25 avril 1688 (Archives du Finistère. G. 185) dit : L'usage immémorial est que les trois paroisses de cette ville se rendent en la dite église pour faire jointement les processions de saint Marc, des Rogations, du Saint-Sacrement et de l'Assomption, où elles s'assemblent comme la principale et mère-église de la ville où elle a droit de préséance.

C'est là que se faisaient les réceptions des princes et toutes les cérémonies importantes. Nous aurons occasion de les signaler dans un article subséquent.

L'Histoire de Morlaix nous apprend (Histoire de Morlaix, page 266) que, dès la fin du XVème siècle, la ville établit au Mur des prédicateurs français, pour apprende cette langue au peuple. En 1607, la station du Carême est prêchée par l'évêque de Tréguier en personne, Adrien d'Amboise, honneur que la collégiale n'eut quune seule fois. Un Père Joseph, capucin, y prêcha en 1611. C'était peut-être, dit une note, celui que l'on appela plus tard l'Éminence Grise, le conseiller de Richelieu. Le Jean le dit de la famille Nouel de Kerven, de Guimaëc (Histoire de Morlaix, page 51). Les historiens l'appellent François Le Clerc du Tremblay, né à Paris en 1577. Il est à constater que c'est une demoiselle de Kerven qui appelle à Morlaix, en 1627, les Calvairiennes fondées précisément par le P. Joseph du Tremblay. C'est peut-être ce qui aura donné lieu à la confusion, car nous croyons à l'existence de deux Pères Joseph, tous deux capucins, dont l'un pouvait être gardien d'une maison, même de celle de Morlaix, et l'autre provincial. Celui-ci serait le P. Joseph du Tremblay. Les deux se seraient entendus pour la fondation des Bénédictines du Calvaire. Lequel des deux prêcha à Morlaix ? Question insoluble. Réception splendide, mais succès ignoré.

Les prédicateurs de la dominicale étaient à l'alternance un Capucin et un Récollet.

En appelant des prédicateurs à N.-D. du Mur, la ville exerçait un droit, — c'était elle qui payait, — droit reconnu par les évêques de Tréguier, à qui on demandait l'autorisation, et provenant de ce que N.-D. de Mur était bien, dans tout le sens du mot, l'église de la ville.

Le doyen Marc Le Dizeul le dit dans son mémoire en 1671. « L'église collégiale est un monument qui nous reste de la piété de vos anciens ducs... les mêmes princes ont voulu encore honorer tout le corps de ville de l'administration temporelle des biens de la dite église et de son gouvernement dont ils lui confièrent le soin.

... C'est votre église particulière, vous en êtes les directeurs, vous y avez tout pouvoir, vous en êtes les gouverneurs, les tuteurs et les procureurs…. Nous vous avons fait (ce sont les Ducs de Bretagne qui parlent) un véritable don de cette église, nous vous en avons donné le gouvernement ».

Notre-Dame du Mur, était donc, nous dit M. le chanoine Peyron (Bulletin de la Société Archéologique du Finistère, 6ème livr. 1895, page 222), pour la ville de Morlaix, ce qu'était pour Quimper Notre-Dame du Guéodet, une sorte d'église municipale.

L'Histoire de Morlaix constate que les assemblées de la ville se tenaient sur le parvis ou dans l'œuvre de N.-D. du Mur, et c'était ordinairement après vêpres qu'avaient lieu les assemblées dans le XVème siècle, ce qui semble indiquer qu'on ne s'assemblait que les jours de fête.

Elles s'y tenaient encore en 1570. Les archives du Finistère ont le procès-verbal d'une assemblée de la municipalité, au lieu dit l’œupvre du Mur (Archives du Finistère, G. 185).

Ce lieu ne pouvait être autre que le porche donnant sur le perron de l'église, comme semble l'indiquer la mention suivante (Archives du Finistère, G. 185) :

« En 1587, le 16 mai, congrégation générale des nobles, bourgeois, manants de la ville et faux bourgs de Morlaix, congrégés à son de campane en forme de corps politique, sur l'œuvre et perron de N.-D. du Mur, lieu de tout temps immémorial aux dits bourgeois de s'assembler pour traiter de leurs affaires ».

Rien d'étonnant que, dans ces conditions, plusieurs prévôts du Mur, Nicolas de la Boiessière en 1594, Yves de Calloët en 1642, René Oriot de la Villebasse en 1691, aient fait partie des assemblées de la ville et bien souvent inspiré, sinon dirigé, l'administration de la cité.

Ce n'est pas seulement pour les choses sérieuses que les Morlaisiens s'assemblaient au parvis Notre-Dame, comme pour prendre conseil de celle qui est appelée la Mère du Bon Conseil, ils s'y assemblaient aussi pour leur plaisir, remerciant celle que l'Église appelle « la cause de notre joie ».

On lit en effet dans Ogée, que le roi du papegaut recevait 1,000 livres, un bon dîner, et qu'il y avait un Te Deum à Notre-Dame du Mur. On sait qu'il s'agit ici d'un exercice de tir, remontant à ces anciens exercices et jeux que les ducs souverains de Bretagne encourageaient dans leurs Etats. Après les ducs, les rois de France firent de même et c'était une fête que l'exercice de l'arc, de l'arbalète, ou de l'arquebuse. Anciennement le joyau ou papegault se tirait à la Roche, puis, ce fut au château. C'était le dimanche, suivant que l'on chantait au Mur une messe solennelle avec Te Deum.

L'église du Mur était toujours à la disposition de la municipalité pour la manifestation de ses sentiments patriotiques, comme l'indique la délibération suivante des chanoines du Mur en 1721, le 4 septembre (Archives du Finistère, R. G. 492, citation du Bulletin, 6ème livr, 1895, p. 222) :

« Avant vêpres, M. de Forville, procureur en charge, étant entré en la grande sacristie, lieu accoutumé à tenir le chapitre, et y ayant trouvé MM. de Fouiller, de Querjean, Le Roux, de Queravel, tous chanoines, a remontré que le son des cloches ne contribuerait pas peu à rendre plus solennel le feu de joy et autres réjouissances publiques, que la communauté fait faire ce jour, pour l'heureuse convalescence du Roy, ce qu'elle n'avait pas pu faire lorsque le Te Deum, a été chanté en cette église pour le même sujet, n'ayant pas encore reçu l'ordre, pourquoy il requert de la part de la dite communauté qu'il plaise à MM. du chapitre qu'il permette qu'on sonne les dites cloches pendant qu'on mettra le feu au bûcher, sur quoy, MM. les chanoines délibérant ont permis qu'on sonnât les dites cloches et qu'on mît des pots à feu et autres illuminations dans la tour ».

 

XIV - Notre-Dame du Mur et le commerce de Morlaix.

Centre de la vie religieuse et civile de Morlaix, Notre-Dame du Mur était le centre de sa vie commerciale. Là fut transférée par le duc Jean II, dès la fondation en 1295, la confrérie de la Trinité, dont nous avons raconté au début de ce travail la fondation et le but.

Le commerce de la toile était le grand commerce de Morlaix. La confrérie de la Trinité avait des règlements pour maintenir la bonne réputation du marché de toile de Morlaix.

La confrérie de la Trinité, dit l'Histoire de Morlaix (Histoire de Morlaix, p. 261), établie en Saint-Matthieu, fut transférée lors de la fondation du Mur, en cette église. Cette confrérie de la Trinité était une association de dévotion et devint ensuite comme une compagnie de commerce, composée des marchands de toiles et des tisserands, objet qui a toujours fait le principal commerce de Morlaix. Elle devint très riche et l'église du Mur lui doit une partie de son argenterie qui jadis était marquée d'une navette ; le chef de la confrérie est appelé Abbé ; la cloche de l'horloge avait été donnée par eux à l'église et s'appelait la cloche de la Trinité ; ils prétendirent, en 1618, qu'elle ne devait sonner que pour eux [Note : Cette notice de l'Histoire de Morlaix ne concorde pas, pour ce qui est des cloches, avec la description de la tour tirée de la même Histoire où l'on distingue : 1° la campane sur laquelle sonnaient les heures, 2° la cloche des tisserands, 3° celle de la Trinité].

Un document de 1507 (Archives du Finistère, E, 8), 31 mai, nous apprend qu'à cette date on trouve : « Ouvriers en l'art de texier desmourants en la paroisse Saint-Mahé, 22 ; en la paroisse Saint-Melaine, 21 ; en la paroisse Saint-Martin, 20, et 15 desmourants en la ville neuve, en la dite paroisse de Saint-Martin », ce qui montre l'importance du commerce. Beaucoup des noms cités existent encore à Morlaix : Le Maguer, Le Moigne, Floc'h, Maillard, Paul, Barazer, Le Roux, Nicolas, Le Lan, Menez, Tanguy, Le Marec, Guéguen, Quéré, Guyomar, Bihan, Corre, Guillou, Morvan, Simon, Le Boulloc'h, Kermarhec, Moal, etc., etc.

La confrérie élisait des abbés qui avaient un rôle important à exercer pour maintenir la bonne qualité des toiles qui se vendaient au marché de Morlaix. Ils devaient examiner si elles étaient confectionnées dans les conditions de largeur et de quantité de fils exigées par les règlements.

Pour cela, ils en faisaient la visite et prélevaient, au profit de la confrérie de la Trinité, 2 sols sur chaque pièce de cent aunes. La ville y faisait ensuite apposer un sceau que était la consécration de la bonne qualité. Dans la pratique, ce droit de visite pouvait peut-être donner lieu à quelques abus, mais toujours est-il qu'il était un peu gênant pour les fabricants et les marchands.

Toutes les toiles ne se fabriquaient pas à Morlaix. Mais comme c'étaient les toiles de ce marché qui étaient en réputation, toutes celles qui étaient fabriquées dans le pays voisin avaient intérêt à s'y rendre pour se vendre à l'étranger comme toiles de Morlaix. Mais il arrivait que, pour gagner davantage, des texiers peu scrupuleux fabriquaient des toiles qui n'avaient pas la laine réglementaire, et pour éviter la visite des Abbés de la confrérie, ils se gardaient bien de les exposer au marché de Morlaix, mais les confiaient à des entremetteurs ou commissionnaires qui trouvaient le moyen de les empaqueter et de les embarquer sans les soumettre au droit de visite et de sceau. Cet abus devait nécessairement entraîner la dépréciation des toiles de Morlaix à l'étranger et c'est contre cet abus que la confrérie de la Trinité lutte pendant tout le dix-septième siècle.

Ce droit de visite était, en effet, pour les confrères, non seulement une sauvegarde des intérêts de leur commerce, mais aussi une source de revenus pour l'entretien de la confrérie, de sa chapelle de la Trinité, et même de l'église de N.-D. du Mur elle-même, qu'ils considéraient un peu comme la leur, et qu'ils entretenaient en grande partie à leurs frais. C'est ce qui résulte de la requête présentée au parlement par les prévôt et abbés de la confrérie au mois d'août 1631, où ils se plaignent d'un certain Jézéquel, paysan tisserand de la paroisse de Landivisiau, qui a fait une fortune scandaleuse en peu de temps, en fraudant la loi. Les abbés se vantent d'avoir maintenu par leur vigilance le commerce de Morlaix florissant, au contraire de ce qui s'est passé à Pontivy, où le défaut de surveillance a perdu le commerce.

Et il résulte de leur requête que les villes d'où provenaient d'ordinaire les toiles à Morlaix étaient Lannion, Landerneau, Saint-Pol et Paimpol de Léon, Roscoff et Saint-Renan.

D'un autre côté, il n'est pas impossible que quelques abus se soient glissés dans la levée de la taxe et dans les dîners et collations dont se gratifiaient de temps en temps les confrères. Tout au moins, c'était là un grief que leur reprochaient les marchands soumis au droit de 2 sols par pièce de cent aunes de toile exposée au marché de Morlaix, comme l'apprend une curieuse enquête de 1643, où les marchands se déclarent disposés à payer si l'argent doit réellement être employé en prières et œuvres pies, mais non si c'est au profit des abbés, c'est-à-dire des chefs laïques de la confrérie (Archives du Finistère, E. 8. Cette notice sur le commerce de Morlaix est de M. le chanoine Peyron).

La lutte est sérieuse entre la confrérie et les marchands, la confrérie disant, avec raison, que la mauvaise qualité des toiles fait le bénéfice de la Hollande, de la Flandre et de l'Allemagne, dont on préfère les produits. Ce n'était pourtant pas une raison pour vexer tellement les marchands que cela dût nuire au commerce. Aussi voyons-nous le prévôt du Mur et les chanoines intervenir pour la paix. Dans le mémoire déjà cité de 1752, nous voyons que les chanoines ont refusé le droit de 2 sols par pièce qui leur a été offert par Louis XIV, pour ne pas nuire à la liberté du commerce. Sans doute ils trouvaient que c'était assez des 2 sols perçus par la confrérie de la Trinité, et leur prévôt, M. de Calloët, s'engage à fond contre les abbés de la Trinité et l'emporte au nom de la ville, en faisant modifier en 1654 le mode de perception des droits (Histoire de Morlaix, p. 261).

Il n'y avait pas que la confrérie de la Trinité à N. D. du Mur. En 1586 et avant, elle possédait autel et confrérie de saint Eloi, autel et confrérie de saint Julien, autel et confrérie de saint Yves ; par le testament déjà cité de M. Le Dizeul, nous avons vu qu'elle avait également autel et confrérie du Saint-Esprit. Elle avait, depuis 1499, la Confrérie de la Chandeleur, fondée par bulle d'Alexandre VI, sur les instances de Guillaume de Guicaznou, licencié ès-droits, chanoine de Tréguier et prévôt du Mur. C'était la confrérie des nobles.

Aux siècles de foi, la vie de tous les jours, la vie civile et commerciale de nos pères, était tellement mêlée à la vie religieuse que rien ne se faisait sans que la religion y eut sa part. Aussi, les différents corps de métiers étaient-ils répartis en diverses confréries, dont les membres avaient à cœur et l'honneur du travail et leur sanctification personnelle. Les intérêts matériels n'y perdaient rien ; au contraire : et, de nos jours, sans regretter stérilement le temps passé, et en reconnaissant les abus que la suite des siècles et l'humaine faiblesse avaient introduits dans les corporations fermées du moyen-âge, on se prend à demander le retour à l'association qui fit la force, l'honneur et si souvent la consolation de nos pères.

Que cette association autrefois eût un lien religieux, qui pourrait s'en plaindre, si le sentiment religieux rendait l'individu plus fidèle à son devoir et plus soucieux des intérêts de ses frères ? Aussi, quand l'auteur primitif de l'Histoire de Morlaix écrit (Histoire de Morlaix, p. 440) : « qu'il ne sait pas par quelle bizarrerie le soin du quai et de la rivière, ainsi que la direction des dépenses à y faire, fut affectée aux procureurs de la confrérie du Sacre ou du Saint-Sacrement, (dont malheureusement il ne donne pas le siège) ; qu'on cherche en vain le rapport que les fonctions de chef d'une confrérie de dévotion peut avoir avec l'intelligence nécessaire à la surveillance de la police des quais ». M. de Blois n'a pas de peine à lui répondre par une note qui réduit à néant son persiflage voltairien. « M. Daumesnil, qui fait cette question, n'a pas fait attention que cet établissement de confrérie, annexé à des associations de profession, était entièrement dans l'esprit et les idées du temps, qui toutes avaient la religion pour base. Les armateurs, capitaines, matelots et tous ceux qui appartenaient à la marine, formaient une corporation qui composait la confrérie du Sacre ou du Saint-Sacrement et marchait sous sa bannière. Ils y joignaient un modèle de navire, emblème de leur profession et les armoiries de la ville, le tout porté par deux marins. Les procureurs de cette confrérie, élus par elle, étaient chargés de ce qui avait rapport à la sûreté et à la commodité de la navigation, et, par conséquent, du soin et de l'entretien des quais. C'est ainsi que la confrérie de la Trinité était formée des négociants et des fabricants de toile, tisserands et tailleurs. Chaque corps de métier composait une confrérie religieuse et civile qui avait son patron, ses règlements, ses agents, abbsé, syndics ou procureurs, nommés à temps et qui étaient chargés de son administration ».

Monsieur de Blois se trompe en plaçant les tailleurs dans la confrérie de la Trinité. Ils faisaient avec les boulangers partie de la confrérie de Saint-Yves (Histoire de Morlaix, p. 435), mais ses observations au sujet des confréries en général sont très justes.

N'avions-nous pas raison d'affirmer que N.D. du Mur a été vraiment le centre de la vie religieuse, civile et commerciale de Morlaix ? Elle l'a été, en effet, par ses confréries. Toutes ces confréries se rapportaient à des nécessités de la vie quotidienne. La confrérie de la noblesse, établie dans la même église que les confréries des métiers, favorisait le rapprochement des classes, et la confrérie des agonisants établie dans la collégiale par bulle de Clément X (1673) après sa fondation par M. de la Villemain, rappelait à tous l'égalité devant la mort.

 

XV - Morlaix et les Anglais.

Comme les assemblées du corps politique se tenaient dans l'œuvre de N.-D. du Mur, c'est là que se retrouvaient les Morlaisiens, quand il fallait aviser aux mesures à prendre contre l'ennemi extérieur. Cet ennemi fut surtout l'Anglais et c'est pourquoi nous consacrons un article à la lutte de Morlaix contre les Anglais.

Le vieil antagonisme du Breton et de l'Anglais est connu. Il a sa raison d'être. Sans remonter plus haut, il suffit de nommer Henri II, appelé le Néron de son siècle, qui, pendant quinze ans, broya la Bretagne en ses mains de fer et s'efforça de la transformer en une province anglaise. Il échoua, grâce à l'énergie des seigneurs bretons, parmi lesquels Hervé Guyomar de Léon. Trois fois Morlaix fut assiégé sous son règne, une première fois en 1171 par lui-même, une deuxième fois par son fils Geoffroy en 1177, et la dernière fois encore, par le roi en personne en 1187. Henri II, nous dit M. de La Borderie, se livrait aux plus abominables excès, incendiant les villes, dévastant les campagnes, déshonorant les femmes, même ses ôtages, bannissant des populations entières ; mais il ne put plier sous son joug l'indomptable Bretagne (La Bretagne aux grands siècles du Moyen-Age, p. 118-119) !

L'église de N.-D. du Mur n'existait pas alors, mais déjà avait été fait le pacte qui fut la confrérie de la Trinité et, peut-être, les Morlaisiens qui résistaient à cette époque aux Anglais, priaient-ils devant la Vierge qui, plus tard, devint N.-D. du Mur, en réclamant sa protection et en attendant les secours promis par les comtes de Léon.

Vint la guerre de Blois et de Montfort. L'Angleterre, dès 1347, c'est-à-dire au bout de 6 ans au lieu de 23, aurait pu terminer la guerre au profit de Montfort son protégé, mais elle la prolongea par calcul pour continuer de traiter le pays comme une métairie à exploiter sans pitié, à rançonner sans pudeur, et c'est là un des grands griefs de la Bretagne contre l'Angleterre (La Bretagne aux grands siècles du Moyen-Age, page 13).

Notre-Dame du Mur n'élevait pas encore vers le ciel sa flèche aérienne, mais l'église existait. Elle était bâtie sur le mur de la ville, suivant l'heureuse expression de M. de Kerdanet, près de la citadelle, « comme si l'on avait voulu réunir en un même lieu les forces du Ciel et celles des hommes pour protéger la cité ».

En 1342, cinq cents hommes d'armes et 1000 archers commandés par William Bohun, comte de Northampton, par le comte de Stafford et par Robert d'Artois, viennent assiéger Morlaix et tentent un assaut le 3 septembre, mais inutilement. Charles de Blois se porte au secours de la ville avec 20,000 hommes, et Robert d'Artois ne reste pas l'attendre devant Morlaix.

Mais, en 1345, Northampton, au nom d'Edouard III et de Montfort, met garnison anglaise dans Morlaix (Histoire de Morlaix, page 73). Ce qu'elle put y faire de mal on doit le conjecturer par ce fait que c'est après la prise de la Roche-Derrien (1345, 3 décembre) que l'on voit se produire le hideux régime d'exploitation que les Anglais devaient, peu après, étendre froidement, systématiquement à toute la Bretagne et que peut se résumer en deux mots, le pillage des villes et le rançonnement des campagnes régulièrement organisé (La Bretagne aux grands siècles du Moyen-Age, page 180). Notre-Dame du Mur, venez au secours de votre peuple ! M. de La Borderie nous donne des détails sur l'exploitation de la Bretagne ; ils méritent d'être connus, car ils expliquent comment la Bretagne en général, et Morlaix en particulier, ont pu concevoir et conserver la haine de l'Anglais (La Bretagne aux grands siècles du Moyen-Age, page. 186).

En sa qualité de tuteur du jeune duc, Edouard III, nommait en Bretagne un capitaine-lieutenant, investi de tous les pouvoirs civils et militaires, et passait avec lui un contrat appelé endenture, aux termes duquel il lui abandonnait une partie des revenus et des rançons du pays, et le capitaine-lieutenant baillait lui-même à ferme, en détail, à ses subordonnés, les places, postes, châteaux-forts, occupés par les anglais, avec les revenus qui en dépendaient et dont le principal provenait des rançons. Ces rançons avaient un caractère tout spécial : elles n'étaient pas imposées, pour prix de leur liberté, aux soldats faits prisonniers dans le combat, ells étaient exigées des habitants des campagnes non belligérantes, des campagnes dépendant des châtellenies soumises aux Anglais. La fin de la guerre eût amené nécessairement la cessation de ce pillage organisé, c'est pourquoi Edouard III s'acharna à perpétuer les hostilités. L'un des plus célèbres parmi les anglais pour la cruauté, fut Bembro, gouverneur de Ploërmel, qui faisait enchaîner par groupes et brutaliser les malheureux laboureurs impuissants à satisfaire sa rapacité. Sa cruauté, amena le défi de Beaumanoir, qui commandait à Josselin, et le combat des Trente en 1351.

N.-D. du Mur exauça son peuple, car, en 1352, Morlaix avait secoué le joug, les Anglais n'y étaient plus et son gouverneur était Even Charnel, l'un des champions du combat des Trente, qui fut député aux Etats de Dinan et fut l'un des conservateurs de la trêve conclue en 1357, pour la Basse-Bretagne (Histoire de Morlaix, page 73).

Le règne de Jean IV fut en partie le règne des Anglais, à qui étaient ses sympathies, mais non celles de son peuple. Un grand nombre de seigneurs, à l'exemple de du Guesclin et de Clisson, se mirent au service de la France, pour faire la guerre à l'Anglais. En 1370, Clisson bat les Anglais près de Saint-Mahé.

Hélas, la puissance anglaise devait être fatale à Morlaix. Ecoutons Albert Le Grand (Catalogue des évêques de Tréguier, article Jean Le Brun) :

« L'an 1372, le duc fut conseillé par un capitaine anglais, nommé Nulleborne, qui le possédait entièrement, de mettre des garnisons anglaises ès meilleures villes de la basse Bretaigne, entr'autres à Morlaix, dont les habitants irrités et vexés desdits Anglais, se joignirent à la noblesse du voisiné, et ayant donné entrée secrètement à quelques compagnies françaises, donnèrent la chasse aux Anglais ; partie desquels furent tués, autres mis dehors et ceux qui se sauvèrent au château tellement blocquez et harassez de toutes parts, mais spécialement par les archers qu'on avait mis sur la platteforme de la tour de Nostre-Dame le Meur (qui n'estait achevée que jusques à la guéritte), qu'ils furent contraints de se rendre et vuidèrent le chasteau, le baston blanc en main, et un petit fardelet sous l'aisselle.

La même année, tout le païs s'étant révolté contre le Duc, en haine des Anglais, esquels il se fiait plus qu'en ses barons, le vicomte de Rohan prit les chasteaux de Chasteaulin sur Trew, et le Chasteaublanc près Morlaix, s'ensuivit le voyage du connétable de France, Bertrand du Guesclin, en Bretagne, et la retraite du Duc en Angleterre, lequel y aiant amassé une armée de deux mille hommes d'armes et trois mille archers, monta sur mer au port de Hampton, l'an 1374, et vint aborder au Conquet, qu'il prit, ensemble le château de Loc-Mazhé, fit pendre le capitaine et passer tous les Français au fil de l'épée, vint droit à Saint-Paul, sans s'amuser à assiéger aucune place, pour venir à Morlaix, à laquelle il en voulait particulièrement, parce que c'estait elle qui avait commencé à donner la chasse aux Anglais. Les Morlaisiens craignant la juste indignation de leur prince, mirent hors les Français, desgontèrent leurs portes, et envoièrent leurs députés vers le Duc à Saint-Paul ; lequel les fit arrester prisonniers, et avancer son armée vers Morlaix, dont tous les bourgeois et tout le peuple lui vint au-devant jusqu'à la vallée de Donnant, criant : Miséricorde !  Vive Bretaigne ! Le Duc s'attendrit aux cris de cette multitude, et pardonna à la ville (qu'il avait résolu d'abandonner au pillage de ses soldats), mais n'y voulut entrer qu'on ne luy eût mis entre mains cinquante des principaux autheurs de la révolte, il logea cette nuit au chasteau de Cuburien (appartenant au seigneur de Rohan) duquel les Français estaient deslogés à la nouvelle de l'arrivée du Duc, lequel en sortant le lendemain, y fit mettre le feu, et entra dans Morlaix, traisnant ses prisonniers, lesquels, l'après-dînée, il fit tous pendre à des gibets dressés sur les murs du chasteau, tout le peuple convocqué à son de trompe pour voir cette exécution [Note : Une tradition rapporte à cette cruelle exécution un dévouement qui rappelle celui d'Eustache de Saint-Pierre. Un bourgeois de Morlaix vint s'offrir pieds nus, la corde au cou, donnant sa vie pour sauver celle de ses compatriotes. Le duc aurait été moins généreux qu'Edouard III, il aurait fait dresser pour ce malheureux un gibet à l'endroit qui, depuis, s'appela, de son nom, la roche Coroller], et sortant, leur laissa huit cens Anglais en garnison, pour trois cens qu'ils avaient chassés.

De Morlaix, le Duc marcha en Tréguer, prit les villes et chastPaux de Lanyon, La Roche-Derrien, Landt-Tréguer, Guenkamp et Chastel-Audren, qui, craignant pareil traitement que ceux de Morlaix, licentièrent les Français et reçurent leur prince.

Mais l'an 1376, le Duc estant allé voir le comte de Flandres, son cousin, les Morlaisiens ne pouvant plus supporter les insolences des Anglais, firent entrer les Français en leur ville et donnèrent derechef la chasse aux Anglais, ce que le Duc ayant ouy, il se résolut de les ruiner, mais il eut d'autres affaires qui divertirent pour le coup sa vengeance ».

Jean IV, exilé en Angleterre par ses sujets, malgré ses succès partiels, comme la prise de Morlaix, ne reprit possession de ses états qu'en 1379. Morlaix lui fut rendue par le second traité de Guérande. Cette fois, N.-D. du Mur le rendit pacifique et humain, il lui pardonna tout le passé, dit Albert Le Grand, « moyennant quelques amendes pécuniaires dont il la mulcta ». Il vint même fixer sa résidence et chasser à Morlaix, en 1394, et accorda diverses exemptions à la ville.

Le règne de Jean V, c'est le règne de la paix. Toutefois, durant sa minorité, les Bretons abandonnés à eux-mêmes, dit M. de La Borderie, en profitèrent pour suivre leur penchant naturel et national, c'est-à-dire pour guerroyer contre les Anglais. De nombreux navires, équipés et  armés par des barons, des marchands, et montés par d'intrépides volontaires, livrèrent à l'ennemi héréditaire de furieux combats pendant les années 1403 et 1404 (La Bretagne aux derniers siècles du, Moyen-Age, p 71).

Alors était capitaine de Morlaix, depuis le 18 novembre 1402, Jehan sire de Penhoët (Histoire de Morlaix), chevalier, chambellan, admiral de Bretagne, capitaine d'ordonnances. il était fils de Guillaume, sire de Penhoët, en Taulé, et de Jeanne, vicomtesse de Fronsac, et petit-fils d'Hervé, dit le Boiteux, qui fit une si belle défense, lors du siège de Rennes par le duc de Lancastre en 1356.

Il donna, comme capitaine de Morlaix, son serment de fidélité au duc de Bourgogne, curateur du jeune duc Jean V. C'est lui qui gagna sur les Anglais une grande bataille navale à la pointe de Saint-Mahé, en 1404. Après un combat de trois heures, il mit en fuite les ennemis et conduisit à Brest quarante vaisseaux et une grande caraque chargée de butin.

On peut voir dans l'Histoire de Morlaix, une notice sur ce vaillant homme qui, pour les services rendus au duc, eut, pour lui et ses successeurs, le privilège singulier d'avoir bouche et logement en la cour du duc, avec deux pots de vin par jour, récompense digne d'un Breton.

La guerre dure jusqu'en 14O7 et nos marins en profitent pour aller soutenir une insurvection des Bretons du pays de Galles contre le joug anglais et leur procurer pour une dizaine d'années l'indépendance.

Nous retrouvons les Anglais à Morlaix en 1488. Cette fois, ils viennent en amis ; c'est le roi Henri VII qui les envoie sous la conduite d'Eggiccimille ou Eggemil au secours de la duchesse Anne. Les habitants, malgré leur aversion pour les Anglais, ne leur firent pas mauvais accueil ; c'est avec la monnaie fabriquée à la tour d'Argent que ces troupes furent soldées. Mais cette armée ne se signala que par ses pillages. Albert Le Grand rapporte qu'ils volèrent le doigt de saint Jean, lequel retourna de lui-même à sa chapelle (Histoire de Morlaix, p. 525).

La haine anglaise devait de nouveau se donner à Morlaix libre carrière. Abusant de la loyauté chevaleresque de François Ier, le roi d'Angleterre Henri VIII répondait à ses avances par la perfidie et la trahison, conduite digne, au reste, du prince fondateur de l'Anglicanisme et bourreau de ses femmes.

En 1522, les Anglais, sous les ordres de Thomas Howard, comte de Surrey, grand amiral d'Angleterre, pillèrent et brûlèrent plusieurs villes sur la côte de France.

Voici comment Albert Le Grand raconte l'histoire de Morlaix pillé et brûlé par les Anglais (Catalogue des Evêques de Tréguier ; article : Anthoine de Grigneaux).

« L'an 1522, le Roi d'Angleterre Henri VIII mit en mer grand nombre de vaisseaux pour tenir la mer et piller les marchands français et (pour parler en leur jargon) courre le bon bord. Ces voleurs coururent la Manche tout le mois de juin, rangeant les isles de Jarsay et de Grenezé et les Hâvres de la Hougue, Cherbourg et autres de la Normandie, où un traître capitaine de Morlaix nommé La Tricle, les envoie advertir de descendre au port dudit Morlaix, qu'ils trouveraient desgarni de deffense, d'autant que la noblesse estait allée aux monstres généralles assignées à Guenkemp par le Seigneur de Laval, lieutenant du Roi en Bretagne, en l'absence du Duc d'Alençon, et, les marchands et bourgeois estaient pour la meilleure part allés à la foire de Noïale près Pontivi, qui durerait depuis le cinquiesme juillet jusqu'au treiziesme, les assurant de son secours et de sa garnison.

Les pirates affriandés de ces apasts se mirent à la voile et entrèrent dans le havre de Hanterallen, le dernier jour de juin, mirent pied à terre et commencèrent à marcher vers la ville, desguisés partie en paysans, autres en marchands, desquels on ne se deffiait, à cause du trafic ordinaire de ceste nation à Morlaix, aucuns se coulèrent dans le chasteau, autres dans les faux-bourgs, et le gros se cacha dans le bois du Stiffel, aïant donné ordre qu'à la marée du soir on amenât leurs pataches au quay pour charger le buttin. Mais ils ne peurent joindre le quay, ains s'arrètèrent devant la Croix-Neufve sans arriver, à cause que les paysans ayant entendu l'allarme, arrachèrent dix ou douze arbres des rabines de Cuburien, dont ils barricadèrent le chenal, ce que voyans, les pillards, ils sautèrent à terre, pour venir aider leurs compagnons. Sur la minuit, tout le monde s'estant retiré, quand moins on y pensait, les ennemis sortirent en rüe, saisirent les portes et donnèrent chaudement l'allarme, avec un tel effroy, que les cytadins quittant leurs maisons et tout leur bien, se sauvaient à la suite. Deux seules personnes se mirent en deffence, le recteur de Plou-Jean, chappelain de Nostre-Dame le Meur, lequel aïant levé le pont de la porte de Nostre-Dame, monta dans la tour, d'où à coup de mousquet, il versa en la poudre plusieurs des plus eschaufez, mais enfin il fut miré et tiré ; et une chambrière de la grande rue (Maison qui porte aujourd'hui le n° 18) : laquelle voiant que tout le monde du logis s'estait sauvé à la suite, amassa quelques autres filles de la rüe en la maison, et aiant ouvert l'escoutille ou trappe de la cave, qui estait à l'entrée de la porte en dedans, laissa la porte à demie ouverte, de sorte que les ennemis entrans de foule, tombaient dans la cave les uns sur les autres, où ils se noyèrent au nombre de plus de 80. Enfin la maison fut forcée et la généreuse fille qui avec ses compagnes s'était retirée et enfermée au sommet du logis poursuivie des soldats, fut prise et jettée du haut en bas sur le pavé. La ville fut pillée sans épargner même les églises, et sur le point du jour, ils se retirèrent à leurs navires avec grand nombre de buttin et de prisonniers, hors mis six ou sept cents qui s'estant amusez à faire bonne chère ès-celliers, sur le port de Tréguer, s'endormirent au bois du Stiffel, quelque 600 pas de la ville, où le seigneur de Laval les tailla en pièces et recouvra leur buttin et en mémoire de ceste défaite la prochaine fontaine s'apelle encore à présent Feunteun ar Saozon [Note : Le combat n'eut pas lieu près de la fontaine qui a porté depuis le nom traditionnel de Fontaine des Anglais, mais bien d'une fontaine alimentée par le même cours d'eau, et appelée par suite de cette sanglante boucherie : « La Fontaine Rouge », un peu plus haut que celle dont nous venons de parler, dans les terres de Coatserho (Histoire de Morlaix, pages 528 et 529)], c'est-à-dire la Fontaine des Anglais, d'autant que ses eaux furent rougies de leur sang ce jour. Alain Bouchard aiant raconté au long ceste advanture, adjouste ces mots : C'est la récompense faite par les dits Anglais des grands biens, plaisirs et services que leur ont faict et font par chacun jour les bons Bourgeois de la dite ville et pour avérer le proverbe que dit : Rachettés un larron du gibet, et luy-même vous voudrait avoir pendu, parquoy s'y fie qui voudra ».

Le bon Albert Le Grand a soin de mettre en marge à l'adresse de ses compatriotes et contemporains : Profitable advis aux Morlaisiens. D'aucuns pensent que, même de nos jours, ledit avis n'a pas perdu de sa valeur.

Notre-Dame du Mur soutint le courage de ses enfants. La malheureuse ville resta longtemps déserte, et par le grand nombre des prisonniers que les Anglais emmenèrent avec eux et par l'effroi qui dispersa dans les campagnes ceux qui avaient échappé au fer des vainqueurs et aux flammes de l'incendie. Insensiblement les prisonniers revinrent, les citoyens dispersés se réunirent, et rebâtirent presque une nouvelle ville. Mais, pour éviter dans la suite de pareilles surprises, ils établirent des corps de garde à l'entrée de la rade et placèrent des batteries sur les passes de Léon et de Tréguier. Les habitants de la Ville-Close et de Saint-Martin, assistés des paroisses de Taulé, Henvic et Carantec, prirent la garde de Pennalan, du côté de Léon, ceux de Saint-Melaine et de Saint- Matthieu veillaient avec Ploujean, Plouézoc'h et Plougasnou, au poste de Bararmenez, sur la passe de Tréguier (Histoire de Morlaix, page 142).

Fatigués bientôt de ces gardes continuelles, ils pensèrent à s'en délivrer, en faisant bâtir un fort sur un rocher situé entre les deux passes et qu'on appelait le Taureau. Le P. Albert Le Grand fait honneur de l'idée première à un dominicain nommé frère Nicolas Trocler, qui fut député au duc d'Etampes pour la faire approuver. L'Histoire de Morlaix attribue l'idée aux seuls habitants, que l'auraient exprimée au duc d'Etampes, de passage à Morlaix, par l'organe d'un notable, Ambroise Masson. Les deux versions peuvent très bien s'accorder. Le dominicain peut avoir donné l'idée, que le notable a soumise au nom des habitants, au duc d'Etampes.

Le duc d'Etampes ayant promis sa protection, on dressa des rôles de cotisations ; chacun contribua suivant ses facultés, les départements en furent faits dans l'église de N.-D. du Mur.

Ogée nous rapporte qu'en 1544 eut lieu la nomination, par les Morlaisiens, du commandant des soldats, le premier gouverneur, qui fut Jehan de Kermellec. Les notables, réunis sur le parvis de N.-D. du Mur, procédèrent àcette nomination ; le syndic arma solennellement Kermellec et lui fit prêter serment de ne recevoir aucun soldat sans la volonté des bourgeois. Albert Le Grand place cette nomination le 3 janvier. L'Histoire de Morlaix la recule au 6 juillet, époque où les habitants nommèrent le capitaine, « vu la guerre et le danger d'une descente ». Nous avouons ne pas voir encore de contradiction entre les deux nominations, l'une pouvant être la nomination en principe et l'autre la députation effective, et nous comprenons la première investiture aux pieds de N.-D. du Mur, tant en vertu de la coutume d'accomplir en ce lieu les actes solennels qui intéressaient la ville, qu'en raison de l'acte de foi qui plaçait la défense des Morlaisiens sous la protection de leur patronne.

Une dernière fois, nous voyons les Anglais sous les murs de Morlaix. C'est quand ils viennent prêter main-forte au maréchal d'Aumont qui assiège Morlaix au nom d'Henri IV. « Ils eurent quartier, dit Albert Le Grand, au fauxbourg des Brebis et ès-environs ». Cette fois, ils ne viennent pas précisément en ennemis, car, comme le dit notre vieil auteur : « la plus saine partie des habitans voiant le sujet de la querelle osté, le Roy catholique, recogneu du général des catholiques et recue de la meilleure part des villes du Royaume, ne voulaient différer davantage de se réduire en leur devoir envers Sa Majesté ». Or, les Anglais venaient cette fois au nom du roi de France devenu, par sa conversion, souverain légitime et reconnu comme tel.

Le maréchal d'Aumont, fidèle aux sentiments d'affection que témoignait Henri IV à son peuple, s'efforçait de terminer la guerre sans faire trop de mal. Il consentit à déplacer la batterie qu'il avait placée sur la tour du Mur, parce que les assiégés du château tirant sur cette tour et « foudroyant les tourelles et guerittes en esbranlant bien fort l'eguille », pouvaient occasionner la ruine de cette merveille.

Notre-Dame veilla elle-même à la conservation de son sanctuaire, et bientôt elle donna à ses enfants une paix honorable et glorieuse. Le premier article de la capitulation consentie par les habitants, accordée par le maréchal d'Aumont et ratifiée par le roi de France, est bien digne de la cité de Marie, de la ville de Notre-Dame du Mur :

« Que l'exercice de la religion catholique, apostolique et romaine, sera seul permis et non autre, et ne se fera presche ny aucun exercice de la Religion prétendüe réformée tant dedans la ville qu'en tout le Bailliage d'icelle ».

Singulière destinée de ces Anglais, ennemis héréditaires de la France, de la Bretagne et, nous l'avons bien vu, de la bonne ville de Morlaix, de voir leur concours final tourner à l'honneur de la France, et au bonheur de Morlaix ! Singulière destinée de ce peuple, devenu hérétique, de marcher sous les ordres d'un maréchal de France qui proclame que la seule religion catholique sera permise dans Morlaix ! Noble et douce vengeance de Notre-Dame du Mur !

 

XVI - Evênements remarquables ayant trait à Notre-Dame du Mur.

Nous allons maintenant citer rapidement quelques faits historiques qui se rapportent à l'église de N.-D. du Mur et qui jusqu'ici n'ont pu trouver place dans notre récit.

En 1418, saint Vincent Ferrier, le grand apôtre de la Bretagne, est à Morlaix. Il y fut logé, dit Albert Le Grand, « dans le couvent de Saint-Dominique où se void encore sa chambre. Il demeura quinze jours en ceste ville et allait ordinairement prescher au haut de la rue des Fontaines, lieu eslevé pardessus la ville, et le peuple pour l'ouyr se rangeait de l'autre costé sur les douves et contrescarpes du château, et au Parc au Duc, la ville entre deux, nonobstant laquelle distance sa voix estait miraculeusement portée aux oreilles de ses auditeurs, lesquels l'entendaient aussi bien que s'ils eussent esté assis au pied de la chaire, en mémoire duquel miracle, on bastit en ce lieu un petit oratoire en son honneur ».

Albert Le Grand annote que cet oratoire a été démoli pour accommoder le monastère des Carmélites en l'an 1626.

Il est bien évident que saint Vincent Ferrier n'a pu passer quinze jours à Morlaix sans se rendre à N.-D. du Mur [Note : Pour ne pas y revenir, disons tout de suite la même chose des deux grands missionnaires de la Bretagne au XVIIème siècle, Dom Michel Le Noblez et le P. Maunoir, qui tous deux sont venus à Morlaix, sans que nous ayons pu trouver trace de leur passage à N.-D du Mur].

En 1437, c'est la translation du doigt de saint Jean, de Normandie à Traoun Mériadec, depuis Saint-Jean-du-Doigt. « Le duc Jean, dit Albert Le Grand, résidait lors à Rennes, lequel ayant été adverti de cette advanture s'en vint à Morlaix, accompagné du prince François, comte de Montfort, son fils aîné, et la princesse Yolande d'Anjou, sa femme, son chancelier Jean de Malestroit, évesque de Nantes, son confesseur frère Jean Le Dantec de l'ordre des Frères Prédicateurs du couvent dudit Morlaix, évesque de Vennes, Jean Prigent, éveque de Léon, et grand nombre de noblesse qui s'y rendit de toutes parts, et estant dans son château dudit Morlaix, manda le jeune homme qui avait apporté la sainte relique, lequel lui fut présenté par le R. P. en Dieu messire Raoul Rolland, évesque de Tréguer, son diocésain. Le chancelier l'interrogea par le commandement du Duc en présence de tous les assistants devant lesquels il raconta toute l'histoire…… et le Duc ayant envoyé informer en Nortmandie, tant en la dite église de Saint-Jean que chez le seigneur qu'il avait servi, et en la ville où il avait été arresté prisonnier, trouva son rapport véritable, et en action de grâces d'un bénéfice si signalé fit faire une solennelle procession, laquelle après Te Deum chanté en l'église collégiale de Notre-Dame le Meur en ladite ville de Morlaix, alla à Plougaznou, etc. ».

On sait que, d'après la légende d'Albert Le Grand, un jeune Breton de Plousgasnou, que servait en Normandie, près d'une église de Saint-Jean, avant de retourner au pays, désirait une portion de la relique qu'il vénérait chaque jour. A son départ, il l'emporte sans le savoir et la relique d'elle-même saute sur l'autel de la chapelle de Saint-Mériadec où est aujourd'hui Saint-Jean-du-Doigt. Je passe les miracles qui amènent l'intervention de Jean V, comme il a été dit plus haut.

En 1504, nous trouvons le testament de Monseigneur Jean de Calloët de Lannidy. Ce prélat, originaire de la maison de Lannidy en Plouigneau, était docteur en droit, chantre et chanoine des Églises de Cornouailles et de Tréguier, conseiller du parlement du duc et président en la Chambre des comptes de Bretagne. En 1491, il fut un des députés envoyés par la duchesse Anne à Tournon pour traiter avec le roi Charles VIII de son mariage.

Devenu évêque de Tréguier en 1502, il mourut à Saint-Michel-en-Grève, le 7 mars 1504 ou 1505, suivant que l'on compte de l'Incarnation ou de la Nativité de N.-S., et fut enterré dans sa cathédrale devant la chaire épiscopale. Il mourut en odeur de sainteté et quand, en 1616, on ouvrit son sépulcre pour y enterrer Adrien d'Amboise, on trouva son corps entier cent douze ans après sa mort, « et était vestu de mître, chasuble, fanon, estoles, tunicelles, gands et sandales de taffetas orangé ». Par son testament, splendide comme expression de foi et de piété, il lègue entr'autres choses à l'église N.-D. Du Mur une somme de 100 livres « qui devra être convertie en 100 sols de rente pour célébrer deux obits à perpétuité ».

Puis vient le voyage de la reine Anne de Bretagne. « L'an de grâce 1505, la Royale Anne de Bretagne vint par permission du Roy Louis XII son époux faire un tour en son pays ». Après avoir visité diverses villes, elle arriva à Morlaix où elle fut magnifiquement reçue. Elle descendit chez les Dominicains et la ville, nous dit Ogée (Ogée, t. 2. p. 535), lui fit cadeau d'un petit navire d'or enrichi de pierreries et d'une hermine apprivoisée qui portait un collier de diamant. La reine reçut avec joie cette hermine, qui lui fit cependant un peu de peur, car, comme elle la tenait sur son bras, elle lui sauta sur le sein. Le seigneur de Rohan, qui était auprès d'elle, la rassura en lui disant : « Que craignez-vous, Madame ? Ce sont vos armes ». Ce discours lui plut beaucoup.

La reine se proposait de passer dix ou douze jours à Morlaix ; mais, le second jour de son arrivée, « elle reçut un pacquet du Roy son époux (Albert Le Grand. Doigt de saint Jean, 244) qui lui mandait de le venir au plus tôt trouver à Angers. C'est pourquoy voulant hâter son voyage elle despescha noble et discret messire Guillaume de Guicaznou, licencié ès-droit, chanoine de Tréguer et prevost de l'église collégiale de Notre-Dame le Meur à Morlaix, et Mériadek de Guicaznou, son frère, grand Maistre d'hostel de Sa Majesté et capitaine des ville et chasteau dudit Morlaix, accompagné de deux de ses aumosniers, à Saint-Jean, pour faire apporter le doigt du sainct ès-ville pour l'appliquer sur l'œil gauche de Sa Majesté fort incommodé d'une fluxion qui lui estait tombée dessus ».

On voulut lui apporter la relique en procession. Les recteurs de Plougasnou, Plouézoc’h, Guic-Mek, Landt-Meur et Plaistan s'étaient assemblés, mais le brancard se brisa, et la reine se rendit elle-même à Saint-Jean, où elle fit diverses largesses et remission d'impôts.

Le 23 septembre 1588, le roi François Ier arriva à Morlaix et y fut reçu avec beaucoup de magnificence. Les réceptions des princes se faisant, à Notre-Dame du Mur, on peut facilement supposer qu'il y passa.

Quelques années plus tard, dit encore Albert Le Grand (Albert Le Grand. Catalogue des Evêques de Tréguier, 689), « le 2e jour de juillet l'an 1548, fut fondée la tour de l'église Saint-Matthieu ès-faubourgs de Morlaix, l'une des hardies pièces de Bretagne, et le lundy 20me jour d'aoust suivant, arriva par mer en la dite ville, très noble et très puissante princesse Marie Stuart Royne d'Ecosse, qui allait à Paris épouser le Dauphin François depuis Roy IIème de ce nom.

Le seigneur de Rohan, accompagné de la noblesse du pays, l'alla recevoir, et fut logée au couvent de Saint-Dominique. Comme Sa Majesté retournant de l'église Notre-Dame, où le Te Deum avait été chanté, eut passé la porte de la ville qu'on appelle de la Prison, le pont-levis, trop chargé de cavalerie, creva et tomba dans la rivière, toutefois sans perte de personne ; les Ecossais du train de la Royne restés dans la ville, jugeant mal de cet accident, commencèrent à crier : Trahison, trahison ! Mais le seigneur de Rohan, qui marchait à pied près la portière de la litière de Sa Majesté., leur cria à pleine tête : Jamais Breton ne fit trahison ! » — Ce qui est vrai de l'ensemble du peuple Breton.

La Reine passa deux jours à Morlaix pour s'y reposer.

Marie Stuart arrivant en France était débarquée à Roscoff, le 13 août 1548. A l'endroit même de son débarquement, elle fonda la chapelle de Saint-Ninien et en posa la première pierre Afin de perpétuer la mémoire du lieu où elle avait pris terre, on traça sur un rocher, au-dessous de la chapelle, l'empreinte du pied qu'elle y avait posé (Histoire de Morlaix, page 529).

Une sollicitude éclairée a jusqu'ici empêché la démolition des ruines de la chapelle Saint-Ninien. Il serait à désirer, qu'au lieu des ruines qui tristement dominent la plage, on pût voir à Roscoff une chapelle consacrant un précieux souvenir historique et rappelant le passage de celle qui « tant aima la France » avant d'être l'auguste victime de la perfide Elisabeth.

En 1554, les tristes effets de l'incendie de 1522 duraient encore. Les procureurs « ne se chargent point de la haulte maison d'icelle chapelle (N.-D. du Mur) pour ce pareillement que fut bruslé par les Anglais » (Archives départementales du Finistère, G. 186).

En novembre 1568, Morlaix est désolé par la peste (Archives départementales du Finistère, G. 185). Nul doute que, dévots à N.-D. du Mur, les Morlaisiens n'aient eu recours à leur patronne.

En 1569, Charles IX accorde droit de péage sur boeufs et vaches pour être le produit appliqué au paiement d'un prédicateur en langage français à N.-D. du Mur.

En 1594, le maréchal d'Aumont réduit Morlaix à l'obéissance d'Henri IV. Humain et intelligent, il préserva le Mur, et, sortant de la ville, fit crier « que si quelqu'un de ses soldats avait fait tort à aucuns des cytadins on s'en vînt plaindre et en ferait justice. — Le 3e jour d'octobre audit an 94, le seigneur de Coat-Inizan fut reçu gouverneur des ville et château de Morlaix et presta le serment en l'église N.-D. le Meur ès-mains de noble et discret messire Nicolas de la Boessière, archidiacre de Plou-Kastell et prévost de la dite église, et après messe ouye et le Te Deum chanté il assista à l'assemblée de ville » (Albert Grand. Catalogue des Evêques de Tréguier, art. CXXXI).

Les registres de N.-D. du Mur constatent les effets du siège pendant lequel le maréchal d'Aumont avait consenti à préserver la tour et l'église du Mur, qui furent néanmoins endommagées.

« Il est à noter qu'au mois d'août 1594, Monsieur le maréchal d'Aumont entra à Morlaix pour le Roy, dont les gens de guerre du parti de l'union qui étaient dans le château tirèrent des coups de canon contre la dite église du Mur et la ruinèrent, occasion qu'il a fallu faire plusieurs frais. — Elle fut établie des deniers qu'on amassa par les quêtes et des dons que les particuliers firent sans que jamais la communauté ait contribué » (Archives du Finistère, G. 187).

En 1595, une nouvelle peste enlève à Morlaix beaucoup de monde et fait tourner les regards vers la Patronne de la cité.

En 1611, arrivée à Morlaix du maréchal duc de Retz, reçu avec distinction par les habitants. Il pose la première pierre du couvent des Capucins.

En. 1613, réception de Claude de Boiséon, fils aîné du seigneur de Coat-Inizan et successeur, de son père dans le gouvernement de Morlaix (Ogée, t. 2, p. 539). On sait que toutes ces réceptions avaient lieu à N.-D. du Mur, nous n'y reviendrons plus.

En 1618, « le jour de sainct Barnabé au moys de juin, il y eut à Morlaix une si horrible tourmente d'éclairs, de tonnerres et foudres, qu'on pensait la fin du monde estre venu, et la foudre tombant sur la tour de Notre-Dame le Meur abattit quelques brasses de la pointe de l'éguille » (Albert le Grand, Catal. des Evêque de Trég., art. CXXXII).

En 1619, des quêtes furent faites pour réparer la tour endommagée, mais la communauté de ville n'y contribua non plus qu'en 1594 (Archives du Finistère, G. 187).

L'année 1624 fut, pour les Morlaisiens, une année de fêtes et réjouissances « Le premier dimanche de may quatriesme jour du mois, Mgr Guy Champion de Cicé, évêque de Tréguer, aiant indiqué une solennelle procession, porta le Saint-Sacrement depuis l'église collégiale de N.-D. le Meur jusqu'à l'église de N.-D. de la Fontaine, ès-faubourgs de Morlaix, y célébra la grand'messe et mit les religieuses Carmélites de la direction de l'illustre cardinal de Bérulle en possession de la dite église. La même année, 24 octobre, il bénit le grand autel du couvent de Sainct-Dominique de Morlaix et y mit des reliques de sainct, Melaine et le lendemain il dédia la chapelle de saincte Marguerite, au bas du cimetière de Sainct-Mathieu en la même ville. Le lundy 18 novembre suivant, Monseigneur le Duc de Vendosme fut receu solennellement à Morlaix ». Fête splendide où l'on admire les armes de la ville, qui est d'azur au navire d'argent, aux voiles esploiées et mouchetées d'hermines, à la devise : S'ils te mordent, mors les, avec 3 nymphes représentant les 3 montagnes, 2 autres représentant les 2 rivières et une sirène qui avait pour mission de représenter la mer, le tout expliqué par ce distique :

Tres inter montes, jacet urbs in valle : fluenta
Bina rigant, pelagi conciliata sinu.

" Entre trois montagnes, s'étend la ville dans la vallée ; deux rivières l'arrosent, que se rejoignent pour descendre vers la mer ".

« En 1626, le quatriesme jour d'août, le seigneur maréchal de Thémines fit son entrée à Morlaix en qualité de gouverneur de Bretagne et y repassa au commencement du carême de 1627. — Le dimanche de Quasimodo, onziesme jour d'avril au dit an, les processions générales de la ville assistèrent à la cérémonie quand on planta la croix des Religieuses Bénédictines de la Congrégation du Calvaire au haut du fauxbourg de Plou-Jean vis-à-vis de l'hôtel de Guicaznou, y officiant Monsieur le chantre de Léon par permission de nostre prélat (Albert Le Grand, Catalogue. Art. CXXXIV).

Le 6 août suivant, toute la ville sous les armes, fut, en deuil et précédé de tout le clergé, lever le corps du seigneur de Coat-Inizan leur gouverneur, rendu en la chapelle de Saint-Nicolas hors les fauxbourgs de Plou-Jean et le conduisirent armes basses, piques traînantes et mesche éteinte, au triste plan-plan des tambours, jusqu'au couvent de Saint-Dominique où il fut enseveli en une cave au milieu du chœur.

En 1629, haut et puissant seigneur, messire Jean de Boyséon, chevalier, dit depuis frère Jérosme, avant que de faire profession chez les Capucins, laissa 60 livres au clergé de N.-D. du Mur à la charge de plusieurs services et grand'messes par an avec les litanies et pour 2 messes chaque semaine par un chapelain nommé par les héritiers suivant ses dernières volontés du 1er juin 1629 ».

La fondation, trop chargée, fut réduite le 6 septembre 1672, après entente entre haut et puissant seigneur messire Hercule-François comte de Boyséon, et noble et vénérable messire Marc Dizeul, doyen. Il est spécifié qu'aux offices on fera porter un bâton cantoral quand y en aura un (Archives du Finistère. G. 184).

En 1666, nous trouvons une fondation de Louis XIV (Archives départementales du Finistère. G. 185).

« Devant les notaires garde-notes du Roy au Chatelet, Messire Henry de la Motte-Houdancourt, commandeur des ordres du Roy, archevesque d'Auch, grand aumônier de sérénissime et très auguste darne Anne d'Autriche, reyne mère de Sa Majesté, d'une part, et Messire Yves de Calloët, prévost de l'église collégiale et royale de N.-D. du Mur, étant de présent à Paris.

Lequel archevêque a déclaré :

Que Sa Majesté, non contente des témoignages de tendresse, zèle et piété, pour la mémoire de la dite dame Reyne sa mère, qu'Elle a fait paraître par le grand nombre d'aumônes, chants, prières et sacrifices que depuis le jour de son décès elle a incessamment fait faire pour le repos de son âme, ayant d'abondant encore souhaité de faire dire pour elle le nombre de cinquante mille nouvelles messes dans les plus célèbres églises de l'Europe et de son royaume, et principalement en celles qui sont dédiées à l'honneur et culte de la T.-S. Vierge ; comme celle de la collégiale royale de N.-D. du Mur, à Morlaix est de ce nombre, la dite Majesté y en aurait destiné le fonds de mille livres pour estre employé partie en fondation de six messes basses annuelles et le reste en célébration de 520 autres messes, à l'effet de quoi elle lui aurait destiné une somme de 750 livres : mais comme le dit sieur archevesque a appris que la dite église est pauvre et qu'il lui est plus avantageux que tout ce fonds soit employé en fondations de sorte qu'il est plus de l'intérêt de la dite église de convertir le fonds des dites 520 messes en accroissement de fondation des dites six messes annuelles, pour, de basses seulement qu'elles étaient, les fonder à perpétuité à haute voix : pour cet effet sur les 750 livres fondées, on dira au maître-autel de la Vierge, 6 messes hautes à diacre et sous-diacre avec un Libera et un De Profundis pour la dite Reyne : la première le 20 janvier jour du décès, les cinq autres tous les lendemains des cinq fêtes les plus solennelles de la Sainte-Vierge qui sont : la Purification, l'Annonciation, l'Assomption, la Nativité et Conception ».

En 1672, une fondation de Boiséon à N.-D. du Mur : au jour de la Conception Immaculée, on fera tinter de 24 coups une des plus grosses cloches pour annoncer l'office (Archives du Finistère, G. 335).

« En avril 1682, dame Catherine Le Borgne, veuve de écuyer Jean Oriot, sieur du Runiou, laquelle ayant ample connaissance qu'il n'y a pas encore beaucoup de fonds certain pour faire services, prières, et aumônes pour les confrères de la Confrérie des Agonisants desservie dans l'église de N.-D. du Mur, de sa franche et libre volonté fait donaison au profit de la dite Confrérie de la B. V. M. des Mourants ou des Agonisants, en la personne de N. H. Pierre Guérin, sieur de Ville-main, procureur de la dite Confrérie, de 100 livres tournois de rente... à charge de faire chanter à perpétuité un service solennel à chaque jour de vendredi » (Archives du Finistère. G. 185).

En 1686, une mission fut donnée à Morlaix par les PP. Capucins (Archives du Finistère. G. 186), à la suite de laquelle et, pour en assurer les fruits, une méditation d'une demi-heure est fondée tous les lundis, après la bénédiction du Saint-Sacrement à Notre-Dame.

En 1718, la chapelle de Saint-Jacques ayant été interdite par Monseigneur de Tréguier (Olivier Jégou de Quervilio, 1694-1731), lors de sa dernière visite, faute de réparations, les Congréganistes de N.-D. de la Purification, qui se réunissaient dans cette église, demandent, par l'organe de MM. de Lambervez Le Milbeau, premier assistant et ancien préfet, et Lestobec, trésorier et ancien assistant, au vénérable Chapitre de l'église collégiale et royale de N.-D. du Mur, à se réunir désormais en la chapelle de Notre-Dame des Agonisants, aux jours fixés par la permission accordée par le seigneur Evêque à M. de Forville, leur directeur, — ce qui leur est accordé à la condition que MM. de la Congrégation ne diront point d'office pendant qu'on fera quelqu'office que ce puisse être dans le choeur (Archives du Finistère. G. 492).

Le 4 septembre 1721, une pièce que nous avons déjà rapportée, montre qu'un Te Deum fut chanté à N.-D. du Mur pour l'heureuse convalescence du Roi, et l'Histoire de Morlaix (Histoire de Morlaix, page 42) nous apprenant que des réjouissances publiques eurent lieu pour la prise de Philipsbourg, nous savons que ces réjouissances comportaient toujours le Te Deum à N.-D. du Mur.

Le chapitre du Mur figure à la fête de la Fédération le 14 juillet 1790, et le prévôt, célèbre la messe sur la place de la Mairie.

Le dernier Te Deum chanté à N.-D. du Mur, le fut le 17 septembre 1791. — Quand ou apprit à Morlaix l'acceptation de la Constitution par le Roi, la ville fut en fête et il y eut un Te Deum, en action de grâces dans l'église du Mur en présence des autorités ! Que d'illusions prouve ce dernier Te Deum ! Hélas ! La chute était proche.

 

XVII - Faits miraculeux à Notre-Dame du Mur.

Avant de la raconter, relevons les quelques faits miraculeux qui se rattachent à N.-D. du Mur. La manière dont parlent les historiens montre bien que ces faits furent nombreux. Tous n'ont pas été consignés, heureux sommes-nous d'en avoir retrouvé quelques-uns.

Le premier, c'est encore notre vieil Albert Le Grand qui va le fournir (Albert Le Grand, Catalogue des Evêques de Tréguier, art. CXXXIV) :

« L'an 1628, au mois de novembre, le sacriste de l'église de Notre-Dame le Meur, s'estant présenté à la fenestre de la tour où demeurent les sacristes de cette église, tomba à bas sur le bord du fossé de la rivière Kevleut, à veüe de la poterne du Spernen, sans avoir aucun membre rompu ny desmis, mais seulement le corps meurtri de la cheutte, qui fut du moins de vingt pieds de haut, préservation miraculeuse qu'à bon droit tout le monde attribue à la singulière protection de la maîtresse qu'il servait, dévotement honorée et réclamée en ceste église ».

En 1672, nous trouvons ce procès-verbal (Archives du Finistère, r. G. 484) : « 5 mars 1672. — Sur les remontrances faites par le Doyen que, dans l'incendie nouvellement arrivé en cette ville, le danger fut si grand que le feu ayant passé d'une maison à une autre vis-à-vis et pris à une image de la Vierge, toute la ville était menacée d'un embrasement universel, lorsque quelques personnes d'une singulière piété, se ressouvenant que cette sainte Dame était vénérée en cette église comme patronne et gardienne des ville et pays de Morlaix, sous le titre de N.-D. du Mur, ne lui eurent pas plus tôt fait vœu sous ce nom que l'on vit les flammes passer au-dessus de la maison où l'image de cette glorieuse et miséricordieuse protectrice était attachée, si bien que, dans un embrasement, si surprenant où il a péri jusqu'au nombre de six personnes, par un secours manifestement céleste le feu ne put passer plus loin que la maison où il avait premièrement pris, et par cette protection miraculeuse qui mérite des reconnaissances éclatantes et magnifiques, cette ville a été préservée des désolations que l'on a vu non seulement dans les Etats voisins mais même dans quelques unes des meilleures villes de la province, et d'autant que les prières publiques sont les plus agréables à Dieu, et qu'en cette église qui est celle du public et la mère de toutes les autres églises de la ville, il se fait journellement un sacrifice de louange, ordonné par les anciens Ducs de ce pays pour la prospérité de l'Etat et du commerce et la conservation de cette ville qu'ils ont mis sous une si auguste protection….. on chantera ici tous les jours après vêpres l'antienne Sub tuum, en attendant qu'il se trouve quelques personnes assez zélées pour fonder cette dévotion à perpétuité en l'honneur de Notre-Dame gardienne de cette ville ».

Le 3 septembre 1674. — C'est encore un fait qui prouve la bonté de Marie (Archives du Finistère, r. G. 484).

Une femme de qui le fils nommé Julien était tombé dans un puits où on le croyait mort, l'ayant voué à saint Julien de N.-D. du Mur et l'enfant ayant été préservé, elle est venue en remercier Dieu et faire dire une messe en l'honneur du saint sur son autel à cette église.

Puis, c'est en 1675, au mois de septembre (Archives du Finistère, r. G. 484). Le sieur du Ponty Le Roux, tombant de la guérite au-dessus de la chambre du sacriste, ayant dit « Sainte-Vierge, assistez-moi ! » eut le temps pote se disposer à bien mourir, et l'on croît qu'il ne mourut pas de sa chute, quoiqu'effroyable.

Nous pouvons croire que ces faits ne furent pas les seuls à manifester la bonté de la Vierge du Mur envers ses enfants.

Un ex-voto de l'ancienne église du Mur, que l'on conserve toujours, rappelle le souvenir d'une enfant qui, étant tombée à l'eau au confluent du Jarlot et du Keffleut, est entraînée par le courant sous le pont couvert du Fardel, lorsqu'elle est sauvée par l'intercession de la Sainte-Vierge.

« Malheureusement, la tour du Mur et le château, représentés sur le tableau, sont si peu fidèles, dit l'Histoire de Morlaix, qu'on ne peut y attacher aucun intérêt historique », ce qui nous paraît exagéré.

L'enfant sauvée est représentée les mains jointes dans l'attitude de la prière et de la reconnaissance, à l'un des côtés du tableau ; on dirait une fillette d'une douzaine d'années.

N'oublions pas que M. de Kerdanet signalait en plus un navire battu par les flots au-dessus duquel apparaissait, miséricordieuse, Notre-Dame du Mur ; et qu'un grand nombre de petits navires disait la reconnaissance de tous ceux qui avaient invoqué l'Etoile de la Mer.

Nous aurons à raconter un dernier fait miraculeux de l'ancienne chapelle, lorsque nous retracerons la chute de la tour. Il ne nous reste qu'à conclure, avec M. de Kerdanet : « Non, nous ne pourrions décrire tous les secours et merveilleuses guérisons retracées dans les pieux tableaux qui environnaient la statue de N.-D. du Mur ».

Ainsi que, de nos jours, Marie signale sa puissance dans ses sanctuaires les plus vénérés, telle elle se montrait autrefois à nos pères dans sa Sainte-Chapelle du Mur, et si elle a multiplié ses prodiges pour la guérison et la préservation des corps, qui dira combien d'âmes, sous les voûtes séculaires de sa collégiale, ont été le théâtre d'opérations merveilleuses et de transformations près desquelles les guérisons corporelles ne sont qu'un jeu de la puissance divine. Ceux-là que connaissent et la valeur de la prière et les énergies triomphantes de la grâce, ceux-là seuls peuvent comprendre tout ce qu'il y a de reconnaissance et d'amour dans l'invocation traditionnelle des générations morlaisiennes : Itron Varia ar Vur, patronez Montroulez, pedit evidomp ; « O Notre-Dame du Mur, patronne de Morlaix, priez pour nous ! ».

 

XVIII - Ruine de la collégiale et chute de la tour du Mur.

Cependant, nous dit M. le chanoine Alexandre, les jours mauvais approchaient. L'heure de la destruction allait sonner pour la belle et sainte église de Notre-Dame du Mur, au pied de laquelle nos pieux ancêtres avaient trouvé tant de fois la lumière dans leurs doutes, la consolation dans leurs peines. On la dépouilla d'abord ; puis, lorsqu'il n'en resta que les quatre murs, on la souilla en y établissant le culte de la Raison.

Nous allons emprunter. les détails de cette lamentable ruine à l'Histoire de Morlaix (Histoire de Morlaix, page 279 et suiv.).

Un décret de l'Assemblée nationale supprima les chapitres et les canonicats, un autre supprima les prébendes et déclara les biens du chapitre propriétés nationales. Tous les ecclésiastiques pourvus de fonctions publiques devaient prêter serment et jurer d'être fidèles à la nation, à la loi et au roi. Ce serment, s'il n'avait compris que ces mots, était admissible ; mais, vu les circonstances et la Constitution civile du clergé, il était schismatique. Les chanoines de la collégiale du Mur refusèrent le serment. La municipalité fit faire par M. Le Denmat, procureur noble du Mur, l'inventaire des objets sacrés en or et en argent possédés par la Collégiale. Quarante-neuf pièces d'argenterie, deux calices et leurs patènes, un buste d'argent, huit chandeliers en argent et la croix du maître-autel furent jugés inutiles et envoyés à la Monnaie le 19 décembre 1789.

L'année suivante, le Conseil municipal envoyait encore au Mur deux de ses membres, MM. Ameline et Barazer, pour faire enlever les armoiries et les bancs, en exécution des décrets du 19 mars et du 19 juin qui déclaraient le régime féodal aboli. Les armoiries étaient celles que nous avons citées en faisant la description de l'église. Elles furent martelées et les bancs brûlés. Quelle page d'histoire détruite en un clin d'œil, par suite d'un enthousiasme irréfléchi et d'une aberration sans exemple !

Cependant le chapitre ne fut pas dissous aussitôt. Nous le voyons figurer à la fête de la Fédération du 14 juillet 1790, où le prévôt, comme nous l'avons déjà dit, célébra la messe sur la place de la Mairie.

Le carême fut encore prêché à l'église du Mur en 1791, et ce fut le P. Saillard, dominicain, que la municipalité chargea de cette prédication, bien qu'il n'eut pas prêté serment.

La nouvelle division ecclésiastique n'accordait à la ville qu'une paroisse et la chapelle des Dominicains était désignée comme église paroissiale. Les habitants ne voulurent pas accepter cette église et lorsque M. Expilly, le nouvel évêque constitutionnel du Finistère, arriva à Morlaix le 17 avril 1791, le Conseil municipal le pria de vouloir bien user de toute son influence auprès de l'administration pour que l'église Saint-Melaine fût choisie comme église paroissiale.

En attendant la décision de l'autorité supérieure, la collégiale du Mur servit de paroisse, et M. Derrien en fut nommé curé, après avoir prêté serment entre les mains de la municipalité. C'est ce qui explique que Derrien signe quelquefois « Curé de Notre-Dame ».

Une délibération du conseil municipal du 24 avril, prise à propos de la fête de Saint-Marc, donne en effet au Mur ce titre de paroisse. « La procession de Saint-Marc est une procession générale pour laquelle le clergé de cette ville est toujours dans l'usage et dans l'obligation même de se réunir dans l'église matrice. Le Mur était autrefois cette église, sous le titre de collégiale, et il l'est aujourd'hui comme paroisse. Ses droits devant être reconnus à ce dernier titre autant qu'ils l'étaient au premier, la municipalité intime à MM. Pitot, Guerlesquin et Le Noannès, exerçant les fonctions de vicaires aux églises de Saint-Matthieu, Saint-Martin et Saint-Melaine, défense de faire demain aucune procession particulière, sauf à eux à se joindre à M. le curé de la paroisse pour la procession générale de Saint-Marc ».

Des troubles eurent lieu dans les églises, et le conseil municipal, jugeant qu'il ne pouvait laisser officier plus longtemps les prêtres réfractaires, arrêta, dans sa délibération du 1er mai, de demander au procureur-syndic du district leur destitution et leur remplacement immédiat. Malgré cela, les recteurs non conformistes exercèrent leur ministère jusque vers la fin de l'année 1791.

Les citoyens membres de la Société des Amis de la Constitution adressèrent le 26 juin au conseil municipal une pétition qui demandait la fermeture des églises ou chapelles de Saint-Melaine et Sainte-Barbe, Saint-Matthieu et Sainte-Marguerite, Saint-Martin et N.-D. des Vertus, de l'église du Mur et de toutes les chapelles à l'exception de la seule église des Jacobins reconnue paroisse, les religieux ne pouvant célébrer que pour eux et à huis-clos ; mais la municipalité, craignant la fermentation qu'occasionnerait cette mesure chez les citoyens malheureusement trop nombreux attachés aux principes des prêtres non conformistes, recula devant une violence qui eût été une persécution intolérable, et rejeta la pétition.

Lorsqu'on apprit à Morlaix l'acceptation de la Constitution par le roi, la ville fut en fête, et il y eut un Te Deum en actions de grâces dans l'église du Mur, en présence des autorités.

Quelque temps après, l'église paroissiale ayant été établie à Saint-Melaine, le directoire du département décida, le 19 avril 1792, que l'église collégiale serait vendue, et le directoire du district en fixa la vente au 23 avril. Dès que les habitants apprirent cette décision, ils firent une pétition qui fut signée par 63 membres actifs de la commune et la remirent au conseil municipal, qui se réunit aussitôt et prit la délibération suivante :

« Considérant de plus, que cette église ayant toujours inspiré la plus grande vénération et respect à tous les habitants de cette commune et des environs, on ne pourrait voir qu'avec peine qu'elle servit à un autre usage ;

Est d'avis et arrête de prier Messieurs les administrateurs du district de prendre dans les plus grandes considérations les motifs ci-dessus exposés, et autres que leur sagesse pourrait leur suggérer, pour surseoir à la vente de la dite église de Notre-Dame-du Mur ».

Le directoire du district répondit, le 25 du même mois, qu'il ne pouvait empêcher la vente de la Collégiale, mais qu'il autorisait la ville à en faire l'acquisition. Le conseil général de la commune se réunit le 27 avril et prit une délibération conçue en ces termes :

« Lecture donnée au conseil général de la commune de l'arrêté du département du Finistère qui ne permet pas de suspendre la vente de l'église du Mur ;

Vu la pétition de 63 citoyens actifs de cette commune ;

Considérant que le clocher de cette église est le seul qui, par l'élévation de son beffroi, soit propre à placer l'horloge et les cloches qu'il est important d'entretenir dans des moments d'incendie ou d'autres alarmes, est d'avis, tant pour la commodité de l'horloge que pour mieux entendre le tocsin en cas de malheur, d'autoriser la municipalité à souscrire pour l'achat de la dite église et de son clocher ».

L'église du Mur fut achetée par la municipalité, mais elle fut fermée au culte catholique jusqu'en l'an II où nous trouvons la délibération suivante du conseil général de la commune, en date du 6 frimaire :

« Le conseil général arrête, comme mesure d'économie, que l'exercice du culte aura lieu désormais dans une seule église, celle du Mur, et qu'en conséquence le résiliement de son achat sera demandé ».

Le conseil municipal, le 18 frimaire, expose la même demande, et désire que les réparations soient prises à la charge de la République.

Les églises, sauf celles du Mur, furent donc fermées et on s'empara de toutes les richesses qu'elles contenaient. Toute l'argenterie fut envoyée à la Convention.

Les prêtres constitutionnels prirent possessions de l'église du Mur, mais bientôt la municipalité leur défendit de faire les cérémonies du culte catholique en dehors de leur église.

« Le corps municipal, dit la délibération du 26 pluviôse an II, arrête que, pour prévenir les inconvénients pouvant résulter de l'opposition entre l'esprit public et l'exercice extérieur du culte, en conformité d'ailleurs des principes révolutionnaires à cet égard, il soit ordonné aux ministres du culte de se renfermer pour son excercice dans le temple et de s'abstenir pour les actes qu'ils seront appelés à en faire auprès des malades de paraître sur les rues avec costume ni aucun des insignes du culte ». Il leur était interdit d'accompagner les morts au cimetière ; cependant, si la famille désirait les prières de l'Église, elle était libre d'appeler un prêtre au cimetière.

On voit que les principes de liberté appliqués de nos jours, en fait d'exercice public du culte, ne sont pas nouveaux, nouveaux non plus les motifs allégués. Opposition possible entre l'esprit public et l'exercice du culte ! Après cent ans, c'est toujours la même oppression des consciences, sous prétexte de respecter celle de ceux qui se vantent de ne pas en avoir !

L'église du Mur ne resta pas longtemps consacrée au culte catholique ; par un nouvel arrêté, elle devint le Temple des Lois.

A l'époque où nous sommes arrivés, " les dieux étaient tombés, les trônes étaient vides ", et les prêtres restés fidèles à la loi ancienne étaient proscrits : la France était sous le régime de la Terreur ! L'autel sur lequel se célébraient les saints mystères était renversé, les fidèles ne voyaient plus les ministres du Christ élevant le saint emblème, ils n'entendaient plus les orgues frémissantes, mêlant leur harmonieuse poésie aux voix des jeunes enfants.

La religion catholique fut remplacée par le culte de la Raison, que la Convention avait adopté le 20 brumaire (10 novembre), sur la proposition de Chaumette ; les patriotes morlaisiens, surtout les membres de la Société populaire des Amis de la Constitution, acceptèrent le nouveau culte avec enthousiasme.

La première fête eût lieu le 5 vendémiaire (23 février) et on célébra en même temps la fête de l'Exécration du dernier des Tyrans et de la Tyrannie. Une déesse Raison reçut les hommages des assistants.

Après le culte de la Raison, vint celui de l'Etre Suprême, et ses diverses fêtes inventées par la sensiblerie du sanguinaire Robespierre. Toutes ces fêtes furent célébrées au Mur, avec discours, hymnes à la Liberté et serments de haine à la Royauté et à l'Anarchie, jusqu'en l'an VIII, fête anniversaire de la fondation de la République.

Mais en. l'an X, l'église menace ruine. Le maire le fait constater et le conseil, constatant qu'il n'a pas les ressources voulues pour l'entretenir, arrêté, le 18 pluviôse (6 février 1803) :

« ARTICLE 1er. — Aucunes dépenses relatives à la réparation et à l'entretien de l'édifice du Mur ne pourront être faites à l'avenir, sauf toutefois celles qui sont indispensables à l'entretien de l'horloge, tant qu'il en existera une dans la tour de cet édifice.

ARTICLE 2. L'usage de l'édifice du Mur sera abandonné, si, en se prolongeant, la ville de Morlaix était tenue aux réparations ».

Paix au style ! La forme vaut le fond.

Le 22 pluviôse an XI (10 février 1804), eut lieu, au sujet de cette église, une nouvelle séance dans laquelle il fut décidé qu'elle serait démolie, « mais qu'il était cependant avantageux de conserver la tour de cette église, monument antique d'une architecture estimée, dans laquelle d'ailleurs se trouvaient placés l'horloge principale de la ville et le beffroi ».

Le conseil demanda donc au gouvernement la concession de cette église, pour être démolie au profit de l'hôpital général, à la condition d'en payer la valeur suivant estimation faite et de conserver la tour comme propriété communale. Conformément à cette délibération, l'église fut vendue à M. Mahé en 1805.

L'acquéreur fit démolir l'église « afin de profiter le plus tôt possible de ses riches matériaux » ; mais le clocher, privé de l'appui de ses arcades et de ses murs, menaça bientôt ruine.

Le vendredi 28 mars 1806, dans la matinée, les passants virent rouler des pierres qui se détachaient du portail et du clocher ; en même temps, il se produisait un tassement de la tour qui faisait prévoir une chute prochaine.

A dix heures, une députation des habitants du quartier se rendit à la mairie pour prévenir l'administration, et M. Gouin, adjoint, qui remplaçait le maire, convoqua le sous-préfet, le conducteur des travaux, l'ingénieur et quelques maîtres maçons.

On se rendit sur les lieux vers midi. Après examen, on constata qu'il n'y avait aucun moyen de porter remède au tassement et qu'il ne restait qu'à faire promptement évacuer les maisons voisines. L'administration se retira à la mairie pour préparer l'arrêté qui ordonnait aux voisins de quitter leurs maisons. Le gardien de la tour, qui ne croyait pas au danger, rentra chez lui, et le nommé Guy Barazer, qui se trouvait avec sa fille dans une maison longeant la venelle, ne voulut pas sortir.

La foule continuait à stationner dans le voisinage, lorsque, vers midi trois quarts, un bruit sourd et effroyable se fit entendre et tout le quartier fut en un instant obscurci par une poussière épaisse et suffocante. Lorsqu'elle se fut dissipée, les regards cherchaient en vain la tour, il n'en restait plus une pierre debout. Quelques maisons du côté droit en montant la rue avaient été endommagées ; celle de la venelle et celle du jardin avaient disparu sous les ruines.

Encore, fait remarquer M. de Kerdanet, on considéra comme une marque de la protection de la Sainte-Vierge sur sa ville que la tour se fût affaissée sur elle-même, sans quoi le malheur eût été bien plus grand. L'administration et les habitants accoururent sur le lieu du sinistre. On brisa, avec une masse de fer, la porte de la maison qui communiquait avec celle où le gardien était enseveli, et on put parvenir jusqu'aux décombres, d'où sortaient des gémissements plaintifs. Après bien des efforts, on parvint à retirer le gardien, qui était encore vivant, mais il mourut deux mois après, le 15 mai, des suites de ses bles sures. Un enfant nommé Charles-Julien Cressever, âgé de deux ans et demi, fut trouvé mort au même endroit ; la mère, qui était auprès, fut retirée sans avoir beaucoup de mal.

De l'autre côté, dans la maison qu'occupe maintenant la venelle, le jeune Banéat put être retiré sain et sauf, ce qui le fit surnommer « l'enfant du miracle », plus tard il devint prêtre et il est mort, sous le second empire, curé de Taulé. Guy Barazer et sa fille Catherine, que nous avons vus tout à l'heure ne tenir aucun compte des avertissements qu'on leur donnait, avaient cessé de vivre lorsqu'ils furent retirés de dessous les décombres : le père avait 68 ans et la fille 40.

Sept personnes en tout furent retirées vivantes. Le cadavre d'Olivier Kerdréluz, âgé de 31 ans, journalier de profession, ne fut retrouvé que le 31 avril. Ce malheureux était rentré dans sa maison un quart d'heure avant la chute de la tour pour chercher son argent.

On mit des factionnaires aux deux extrémités de la rue jusqu'à ce qu'il n'y eût plus de danger. Ce fut à cette occasion qu'un habitant voulant rentrer chez lui reçut de la sentinelle, peu familiarisée avec les genres, cette réponse plaisante : « On ne passe pas, faites la tour » (L'Histoire de Morlaix porte cette note : Lédan, Mémoire déjà cité, passim.).

Ainsi tomba cette église ducale et royale, après quatre cent quarante ans d'existence, et cinq cent onze ans après la pose de sa première pierre. Cette grande bâtisse que vous voyez maintenant dans la rue de l'Auditoire et qui s'étend jusqu'à la rue de la Prison, a été construite avec ses débris [Note : Plus tard, dans cette maison, le feu prit aux vêtements d'une jeune fille qui fut brûlée vive, et le peuple, qui voit partout la main de Dieu dans les évènements de ce, monde, crut que c'était une vengeance du Ciel]. Les pierres du portail et de la tour ont été vendues à l'adjudication, comme marchandise vulgaire, et ont servi à la construction des maisons et à des travaux d'utilité publique. Il n'en reste pas même une en place pour rappeler le souvenir de la collégiale.

Toutefois, M. l'abbé Abgrall a constaté qu'il subsiste encore, dans l'intérieur des maisons construites sur l'emplacement de la collégiale, quelques pans de mur et des enfeus qui donnent une idée du caractère architectural de l'édifice (Bulletin de la Société archéologique du Finistère, 6ème livraison 1895, page 216).

C'est tout et c'est bien peu.

(abbé L. Stéphan).

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