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LES ARCHIVES DE LA VILLE DE NANTES |
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Les archives du Roi et de la province de Bretagne — Les Cordeliers.
Le Palais de la Chambre des Comptes était destiné à servir non seulement aux séances de cette Cour, mais encore à la garde des archives du Roi et de celles de la province de Bretagne. Il est facile de se rendre compte de l'importance de ce dépôt, lorsque l'on considère le temps qu'il avait mis à se former, et l'intérêt des pièces de toute sorte qu'il renfermait.
Aussi le Roi, les députés des Etats de Bretagne, les membres de la Chambre des Comptes, veillaient-ils avec le plus grand soin sur un dépôt aussi précieux. Pour tous, les archives étaient non seulement des témoins authentiques du passé, les plus sûrs pour en reconstituer l'histoire, et en rétablir la véritable physionomie ; c'étaient encore des titres officiels qui, dans des discussions continuelles, permettaient aux uns et aux autres de faire valoir leurs droits contestés.
Les différents documents cités précédemment renferment des preuves nombreuses de l'intérêt que tous portaient alors aux archives. L'histoire de leur translation et de leur séjour aux Cordeliers tient de si près à celle de l'histoire du Palais de la Chambre, qu'il ne nous semble pas hors de notre sujet d'en dire ici quelques mots.
L'arrêt du Conseil d'Etat qui ordonnait la translation de la Chambre aux Cordeliers réglait aussi, avec les indications les plus minutieuses, la manière dont on devait y faire le transport des archives. Dans sa séance du 14 avril 1760, la Chambre prend les moyens de se conformer au second article de cet arrêt.
« Pour le transport des titres, papiers et armoires qui les contiennent, elle a nommé M. Pierre-Jean Legrand de Beaumont et Jean Legrand de Lumion, conseillers et maistres à cette fin commis », afin de procéder à ce transport en prenant les précautions indiquées par les lettres patentes du 29 novembre 1759 (Archives départementales, B. 671. f. 27 et 31).
Mais le dépôt d'archives, accumulées dans toutes les salles du palais de la Chambre, se trouva alors si considérable qu'on ne put les loger toutes dans les salles cédées à cet effet par les Cordeliers. Les Commissaires, forcés par cet encombrement d'interrompre leur commission, en référèrent à la Chambre. Celle-ci, sur leur représentation ordonna, dans sa séance du 18 juin 1760, que « attendu l'exigence du service du Roy et la seureté de ses dépôts, il seroit fait incessament, et de jour à autre, les réparations nécessaires et les dispositions convenables dans la remise que tient actuellement à ferme la veuve Richard desdits pères Cordeliers, et écurie y attenante, pour y placer ce qu'il reste de papiers desdits dépôts » dans les greniers. Malheureusement cette remise et les autres salles dans lesquelles la Chambre des Comptes fut alors forcée d'entasser ses archives, n'étaient guère destinées à les recevoir, et le séjour que tous ces titres y firent devint funeste à leur conservation.
Ce fut d'abord le poids des armoires bondées de parchemins et de volumes qui (ils étaient coutumiers du fait) défonça encore les planchers. De ces meubles éventrés il eût été facile d'enlever leurs trésors, si le procureur général avait veillé sur eux avec moins de soin.
Le 14 mars 1770, le procureur général, étant entré au bureau, a dit :
MESSIEURS, Nous venons d'être instruit que par la caducité des lieux où se trouvent quelques uns des titres et papiers qui composent les dépôts de la Chambre, plusieurs armoires se seroient considérablement enfoncées, en sorte que quelques-unes ont été rompues et que cet accident menace les dits titres et papiers d'une déperdition totale, s'il n'y étoit incessamment pourvu ; pourquoi nous requérons que, par les architectes qui seront choisies par la Chambre, et en présence des commissaires qui seront nommés à cet effet, il soit descendu dès ce jour dans lesdites archives, raporté, si besoin est, état et procès verbal de leur situation, et pris, par eux, telles mesures provisoires qui seront vues nécessaires pour la conservation instante des titres du Roy ; pour, passé de ce, être sur le rapport des dits sieurs commissaires, statué ultérieurement ainsi qu'il appartiendra.
Sur cette requête, la Chambre nomma des Commissaire et ordonna « qu'en présence des commissaires, les titres, comptes et acquits dont lesdites armoires sont remplies et chargées, en seront tirés par le garde des Archives, qu'ils seront portés dans la grande salle du dépost dudit garde, usant de toutes les précautions nécessaires pour leur conservation, jusqu'à ce qu'ils puissent être remis dans les armoires préalablement réparées » (Archives départementales, B. 672 et C. 491).
Mais c'est de l'humidité du local que les archives eurent surtout à souffrir. Ce fut là la cause qui contribua le plus à leur détérioration. Différents procès-verbaux en font une description lamentable. On a bien raison de dire, et la chose est vraie pour les administrations comme pour les particuliers, que les déménagements finissent par être aussi désastreux qu'un incendie.
Du reste, pendant leur séjour aux Cordeliers, les titres de la Chambre des Comptes ne furent pas même exempts des risques de ce dernier et radical moyen de destruction. On dirait même qu'ils profitèrent de ce court séjour pour se payer ces risques deux fois en deux ans.
La première fois, ce fut deux ans après le défoncement des armoires et des planchers.
Le 10 septembre 1772, l'avocat général du Roi, entré au bureau, dit :
MESSIEURS, Nous nous croions obligé de faire part à la Chambre du danger que courut le 8 de ce mois, jour de la Nativité de la Sainte Vierge, le dépôt précieux qui vous est confié ; dépôt si intéressant pour le Roi et pour la province.
Depuis la translation de la Chambre chez les PP. Cordeliers, en avril 1760, pour la réédification de son nouveau palais, vous n'aviez redouté que l'humidité des endroits presque sous terreins qui renferment un tel dépôt, et vous aviez cherché à éviter les risques de feu en préférant, dans l'alternative où vous étiez réduits, ceux de l'humidité qui sembloient ne devoir être que momentanés, plus tot que d'y remédier par un moien qui, malgré toutes les précautions possibles, auroit pu tourner à la destruction de ce qu'il auroit dû conserver.
Cependant cette sage prévoiance a pensé être inutile : ledit jour 8 de ce mois, comme nous étions au Greffe sur les 9 heures du matin pour recherches extraordinaires, le feu se manifesta assez violemment par flame et une épaisse fumée, dans la cheminée d'un père Cordelier, laquelle répond aux principales pièces contenant vos archives.
Nous nous y transportâmes sur le champ, et, le secours promptement donné, l'accident n'eut point de suite. Mais un pareil accident pouvoit et peut arriver dans des temps, à des heures moins propres à pouvoir y être remédié aussi promptement, et donner lieu par conséquent à un embrasement total.
Une pareille considération nous fait requérir qu'il plaise à la Chambre emploier tous les moiens que lui dicteront sa prudence et son zèle pour tâcher de prévenir par la suite jusqu'à l'appréhension d'un pareil malheur. Signé : R BUDAN (Archives départementales, B. 672, f. 120).
La Chambre fit droit à la remontrance du procureur général. Elle ordonna de faire boucher la cheminée où le feu avait pris naissance, et de recommander aux Cordeliers « d'avoir soin de tenir nettes toutes les cheminées adjacentes à ses archives et greffe ».
Il paraît que le principe non bis in idem n'est pas d'une application constante. Deux ans plus tard, les archives retombaient pour la seconde fois dans le même danger, et ne devaient leur salut qu'à la préparation d'un sermon.
On parle parfois de discours incendiaires : de bonne fois, on aura de la peine à qualifier de cette épithète le sermon qui a préservé de l'incendie le plus riche dépôt d'archives de la Bretagne.
Le Président
de la Chambre des Comptes s'émut avec raison
MONSIEUR, Le feu a pris la nuit du 2 au 3 au couvent des Cordeliers de cette ville, dans une chambre des dortoirs qui règne au-dessus des archives de la chambre. Le P. Troussart, gardien de ce couvent, occupé toute la nuit d'un sermon qu'il devait prêcher le matin, a averti assez à tems pour arrêter les progrès des flames. Sans cette circonstance heureuse, toutes les archives eussent été consumées, sans apparence d'en pouvoir conserver aucun titre, l'intérieur du couvent n'étant que de colombage, sans aucun mur pour les séparer. Voilà, Monsieur, la seconde fois que l'on craint pour ce dépôt, depuis 17 mois, La première fut moins inquiétante ; le feu n'avait pris que dans une cheminée ; mais comme le couvent est très aisé à être incendié, le moindre feu donne de grandes inquiétudes. Il seroit bien à désirer, Monsieur, que Sa Majesté voulût prendre en considération la sureté d'un dépôt aussi intéressant que celui de la Chambre. En parachevant le Palais on éviteroit ce malheur. Dans l'état où il est, la dépense sera moins grande pour l'achever que ne le seroit celle de rétablir les titres qui se trouveroient brûlés. Chargé, Monsieur, par Sa Majesté de veiller au bien de la Province, vous voudrez bien appuyer auprès de M. le Contrôleur-général, sur la nécessité de parachever le Palais de la Chambre qui dépérit tous les jours, faute d'être fini, et qui expose les archives à périr ou par le feu ou par l'humidité. Je suis avec respect, Monsieur, Votre très humble et très obéissant serviteur, BUROT DE CARCOUET. Nantes, 5 avril 1774 (Archives départementales, C. 491).
Tant que
les archives restèrent aux Cordeliers, ces préoccupations pour leur
conservation agitèrent ceux à la vigilance et à la responsabilité desquels
leur garde avait été confiée. Enfin l'achèvement du palais de la Chambre
leur fit espérer le
Rennes le 8 mars 1782. MESSIEURS. Les justes inquiétudes que vous ayez témoignées sur les risques auxquels les titres de la Province sont exposés, ont déterminé les Etats à faire, malgré l'épuisement de leurs finances, de nouveaux efforts pour contribuer à la perfection du palais destiné à vos séances et au dépôt de vos archives.
Nous n'avons, Messieurs, rien négligé pour accélérer les travaux qui restoient à faire ; ils sont achevés et le ministre nous a assuré que les lettres pattentes nécessaires pour votre translation vont vous être adressées.
Vos vues et les nôtres, Messieurs, ne peuvent être dirigées que par le bien public. Dépositaires des titres du Roy ainsi que de la Province et des particuliers, vous êtes témoins du dépérissement où ils sont par l'humidité du lieu qui les renferme. Ce dépérissement ne peut que s'acroître, si on ne s'empresse pas de les retirer de ce dépôt, et le préjudice qui en résulteroit deviendroit irréparable.
Nous connaissons votre zèle, Messieurs, et nous sommes persuadés qu'un motif d'intérêt public aussi puissant vous paraîtra de nature à n'être balancé par aucune autre considération. Nous vous prions, conformément à la charge que les Etats nous ont donnée, de vouloir bien accélérer le transport de ces archives.
M. le Comte de Boisgelin nous a fait part de la conférence qu'il a eue à ce sujet avec M. le premier président et avec quelques membres de votre Compagnie. Il nous a informés avoir apris de ces messieurs que plusieurs liasses sont tellement imprégnées d'humidité qu'on craint que la vie des hommes qui les transportent ne soit exposée ; qu'enfin une partie des titres est altérée à un tel point qu'on ne peut plus les lire, et qu'il regardoit comme nécessaire de brûler tous ceux dont l'écriture est efacée.
Vous savez, Messieurs, qu'avec des précautions on parvient à desseicher les papiers les plus humides et à les rendre lisibles. On connoit en effet, et on peut découvrir encore, des procédés pour rétablir l'écriture efacée par l'injure des tems. Plusieurs des titres qui se trouvent ainsi alterés peuvent être de la plus grande utilité à une infinité de familles, et nous sommes bien certains que, considérant qu'il n'y a aucun inconvénient à les conserver, qu'il y en auroit au contraire beaucoup à les brûler, vous n'adopterez point ce dernier parti.
Quand aux risques que peuvent courir les hommes qu'on employera à transporter les archives, il est des moyens de prévenir ces risques. Votre prudence, Messieurs, en déterminera le choix et nous ne redoutons pas que le voeu de la Province ne soit incessament rempli.
Nous
sommes avec respect ...
Tant d'inquiétudes, allaient avoir leur terme, et les archives allaient bientôt retourner au lieu d'où elles avaient été exilées pendant vingt ans.
Dans sa séance du 11 mai 1782, la Chambre arrêta « qu'il sera nommé des commissaires pour proceder au plus prochain transport des archives et du greffe dans le nouveau palais. En conséquence, elle a commis et commet Ms. Armand René Vollaige de Vaugirault, Jacques-Joseph-Antoine Pays de Bouillé, Jean-François-Auguste Daburon de Mantelou, Ch.-Jean-Baptiste Poupard, Auguste-Claude de la Roche de la Ribellerie, Joseph-Mari-Thomas de la Quinvrays, Marin-Jean Boutillier de la Chèze, Gabriel-Claude-François Maussion du Joncheray, conseillers maîtres du présent semestre, et Maîtres Pierre-Auguste Merlaud de la Clartière, Hyacinthe-Michel Berthelot de la Glétais, Jean-Baptiste-Marc-Paschal, fils, conseillers maîtres du semestre de septembre, pour vaquer à ladite translation ».
En vertu
de cette délibération, les archives réintégrèrent leur domicile. Elle y
trouvèrent, dans d'admirables salles voûtées,
une installation presque luxueuse qui contrastait avec
Quand, le 2 août 1782, on en fut rendu aux titres entassés dans la remise des Cordeliers, on put constater les ravages qu'y avaient faits l'humidité et les rats. On en trouva « la plus grande partie pourrie, rongée et confusément entassée ». Le procès-verbal en aurait été long à dresser ; l'examen en aurait demandé plusieurs années ; il ne restait plus d'endroit pour les placer. La Chambre encombrée de l'excès de ses richesses, mais de richesses en mauvais état, « ordonna de les mettre dans les sacs ficelés et cachetés, .... pour conserver l'intégrité du dépôt des archives ».
On mit dans les greniers du nouveau palais toutes les pièces que les autres salles ne purent contenir. Mais l'humidité dont ces pièces étaient demeurées imprégnées, commença bientôt à détériorer les planchers. Le 20 mars 1784, le procureur général demanda à ce qu'on enlevât des greniers toutes les archives inutiles qui les chargeaient. La Chambre qui tenait malgré tout à leur conservation, décida, le 4 septembre, qu'on les « mettrait dans une grande salle qui restait de l'ancien palais » (Archives départementales, B. 673, f. 191 et 230).
La Révolution, qui approchait à grand pas, devait traiter de tout autre façon ces documents si précieux pour l'histoire. En quelques années, en quelques mois, elle fit contre les archives, plus que l'humidité, plus que tous les rongeurs ensemble n'avaient pu réussir à faire pendant des siècles. Elle ne leur fit pas, heureusement, tout le mal qu'elle leur voulait ; elle n'en eut pas le temps, et les tristes vandales de cette époque virent leur oeuvre d'anéantissement combattue par des Français soucieux de conserver les souvenirs d'un passé qui n'était pas sans gloire, d'un passé que le présent est bien insuffisant à faire oublier.
Malgré les pertes qu'il a subies à cette époque, le dépôt des archives de la Chambre des Comptes est encore de la plus grande importance, non seulement pour Nantes, mais encore pour toute la Bretagne.
Confié
à la garde de M. L. Maître, il trouve dans son archiviste actuel, le zèle, la
sollicitude, le dévouement que lui on
Aussi est-ce avec le plus grand plaisir qu'y retournent tous ceux qu'intéresse l'étude du passé dans les documents, qui connaissent le mieux son histoire. Ils y trouvent la satisfaction d'une curiosité qui n'a rien de coupable ; ils y oublient un présent qui n'est pas sans tristesse, et parfois se délassent un instant, avec les morts, d'avoir à vivre avec les vivants ... ne serait-ce, ce qui peut encore arriver de temps en temps, que pour mieux apprécier le plaisir de revenir parmi eux.
Dès qu'il s'était agi de transférer la Chambre des Comptes, pendant la construction de son palais, on avait songé aux Cordeliers. Leur couvent était à proximité de la Chambre ; leur chapelle lui servait chaque année pour la messe de rentrée, à l'ouverture de ses séances. A l'avantage de faire un déménagement dans les conditions les moins coûteuses, se joignait pour les membres de la Chambre celui d'habiter dans un pays connu et ami.
Les religieux se laissèrent faire ; les Commissaires de la Chambre commencèrent par choisir les pièces du couvent qui pouvaient convenir à leur but, remettant à plus tard le soin de fixer le loyer à payer chaque année, pour cette occupation d'une partie du couvent.
Une fois la Chambre installée dans leurs salles, les Cordeliers demandèrent qu'on voulût bien au moins fixer le prix de ce loyer. Le 10 avril 1760, ils adressèrent une supplique qui fut renvoyée au maire de Nantes, et au sujet de laquelle celui-ci répondit la lettre suivante.
A Nantes,
le 20 avril 1760
Il est très à desirer, Monsieur, que la Communauté de Nantes, déjà accablée de tant de charges, ne soit pas encore assujettie à celle-ci et il me semble bien plus juste que ce loïer soit pris sur les fonds qui seront accordés pour la reconstruction du Palais de la Chambre. Il a été fait à cette occasion des reparations très urgentes et très utiles, à ces apartemens des Cordeliers. Le reste de leur maison parait assés grand pour leurs besoins. Ils pouraient donc attendre sans beaucoup d'incomodité le paiement de ce loïer, lorsque les fonds seront faits, et s'il y avait trop de retardement, on pourroit leur accorder quelques accomptes des deniers de la Communauté, laquelle en seroit remboursée par les mêmes fonds. Le S. Ceineray qui a donné un temps considérable à faire les plans et devis du nouveau palais, à, qui il est dû des honoraires proportionnés à son travail et à son talent, et qui est plus dans le cas d'en avoir besoin, sera bien obligé d'attendre. Je suis avec un très profond respect, Monsieur. Votre très humble et obéissant serviteur. GELLÉE DE PREMION.
Conformément à cette lettre, le loyer à payer aux Cordeliers pour l'occupation de leurs salles, fut fixé à 1.200 livres. Mais la question fut de savoir qui devait les payer. Dans sa lettre, le maire de Nantes détournait de la ville cette obligation nouvelle. C'était d'un excellent administrateur. Mais en avertissant les Cordeliers de ne pas réclamer ce paiement à la Ville, il ne leur disait pas à qui s'adresser.
Or, la Ville mise ainsi à part, grâce à l'habileté de son maire, il y avait encore pour les religieux trois caisses différentes où ils pouvaient frapper ; celle du Roi, celle de la Province, celle de la Chambre des Comptes. Il eût été bon de commencer par désigner la caisse chargée d'assurer ce service. Mais comme on ne l'avait pas fait d'une manière définitive, chacun renvoyait à l'autre les Cordeliers et leurs requêtes ; et ils étaient ainsi dans la situation d'une personne munie d'un mandat en bonne et due forme, et que les employés d'un bureau se ballottent de guichet à guichet.
Par suite de ces circonstances, on commença de bonne heure à ne pas payer les Cordeliers. Leurs premières requêtes pour obtenir leur paiement remontent aux premiers temps de la translation de la Chambre. On se rendit cependant à la justesse de leurs demandes, puis on les paya avec assez de régularité jusqu'en 1769.
A cette époque survint dans cette régularité une première interruption importante. Pendant sept ans, les Cordeliers ne reçurent rien. La détresse de leur couvent poussa le gardien à adresser au Contrôleur général une nouvelle requête qui fut envoyée à Versailles le 27 février 1777: nous en donnons une partie.
MONSEIGNEUR,
En 1762,
par un édit du Roi, MM. de la Chambre des Comptes de cette ville, forcés
d'abandonner leur ancien palais tombant en ruines par vétusté, ont été
transférés dans notre couvent dont ils occupent la plus grande partie.
Citoyens avant d'être religieux, cet ordre nous rappelant que nous pourrions
encore être utiles à la patrie, nous sacrifiâmes avec joye notre aisance à
ses besoins. La plus grande, la plus commode portion de notre communauté devint
dès lors dépositaire des archives de la province et des droits respectifs
des citoyens. Chargés des réparations de ces bâtiments immenses, nous avons
jusqu'ici veillé avec le plus grand soin à la conservation d'un dépôt si précieux
Puis rappelant qu'ils ont été payés jusqu'en 1769 de la somme de 1.200 livres, fixée pour le loyer par l'Intendant, ils ajoutent que depuis ce temps, malgré leurs réclamations multipliées, ils n'ont rien reçu, et qu'il leur est dû d'arriéré 8.400 livres.
« Si la justice, ajoutent-ils, dont le temple est au fond de votre coeur avait besoin, Monseigneur, de traits attendrissans pour vous intéresser à la requête des supplians, je vous peindrais, Monseigneur, une communauté uniquement fondée sur la charité publique dont les canaux desséchés par l'opinion portent à peine jusqu'à nous les denrées de la première nécessité. Je vous montrerais le tableau trop fidèle de l'avidité de nos créanciers, qui, effrayés du retard d'un payement dont nous avons nourri leur patience, s'arment contre nous du glaive des lois pour nous contraindre : la porte des crédits se ferme à leurs cris : leurs plaintes devenues publiques détruisent dans les autres tout germe de confiance, et pour la rétablir nous nous voyons forcés d'emprunter à constitut 5.000 livres, sur une paroisse de cette ville ».
Enfin, comme conclusion de leur requête, ils ajoutent :
« Nous osons, Monseigneur, attendre cet acte de justice de la bienfaisance qui a dirigé tous vos pas depuis que la France s'applaudit de vous voir à la source de ses richesses. Elle croit contempler Sully à côté de Henri IV, méditant de concert le bonheur de la nation. Elle sourit à l'aspect de ce consolant tableau qui nous force à croire que, sensible à la justice de notre demande, vous prendrez les moyens les plus prompts pour la rendre efficace. Fondés sur toutes ces raisons, nous osons, Monseigneur, attendre de Votre Grandeur qu'il sera incessamment ordonné ou que nous soyons payés de la somme de 8.000 liv., pour sept années échues le 2 février de la présente, sur les fonds destinés par Sa Majesté, à la réédification du Palais, ou de nous voir mis par Sa Majesté sur l'état des fonds de cette province, dans quelque partie qu'il vous plaira, Monseigneur, assigner aux supplians. Ils ne cesseront d'addresser au Ciel les voeux les plus ardens pour la conservation de Votre Grandeur. Fr. Etienne, gardien du couvent des religieux Cordeliers de la ville de Nantes » (Archives départementales, C. 491).
Cette requête navrante obtint encore aux Cordeliers pour cette fois, le paiement de ce qui leur était dû. Mais il était dit que ces bons religieux ne devaient être payés qu'à coup de requêtes. Il y a, en tout et partout, des gens avec qui on ne se gêne jamais : pour la Chambre des Comptes, les Cordeliers étaient de ces gens-là. En 1781, il leur était encore dû trois années de loyer. Leur requête de cette année fut improductive. Ils la recommencèrent le 1er octobre 1782 (Archives départementales, C. 493 et C.494), ajoutant, avec un sentiment de tristesse en plus, qu'il leur était dû le loyer de quatre années.
Tout le monde reconnaissait pourtant la justice de leurs réclamations. En se renvoyant leur requête de commission à commission, celle qui la renvoyait ne manquait pas de l'apostiller d'une bonne parole à l'usage de l'autre ; mais le moindre grain de mil eût mieux fait l'affaire des Cordeliers que toutes ces stériles recommandations.
Nous ne nous sommes occupé, dans cette étude, que du palais de la Chambre des Comptes, à partir de son installation à Nantes. L'Histoire de la Chambre des Comptes de Bretagne par M. de Fourmont, renferme sur le fonctionnement de cette Cour, les événements auxquels elle a été mêlée, les officiers qui en ont fait partie, les détails les plus complets et les plus intéressants. Nous ne pouvons qu'y renvoyer le lecteur (G. Durville).
Pour la plus grande intelligence de quelques documents que nous avons cités, nous ajouterons cependant quelques détails sur la composition et le fonctionnement de la Chambre des Comptes, à l'époque où elle reconstruisit son palais.
Elle était partagée en deux séances ou semestres ; le semestre de mars et celui de septembre, ouvrant tous les deux par la messe du Saint-Esprit célébrée aux Cordeliers, et à laquelle la Cour assistait en grande cérémonie. Au premier semestre étaient employés : le Premier Président, trois autres présidents, dix sept conseillers maîtres, quatre conseillers correcteurs et dix sept conseillers auditeurs. Au second semestre : le Premier Président, quatre autres présidents, seize conseillers maîtres et autant de conseillers, correcteurs et auditeurs que dans le premier ; il y avait en tout huit présidents, y compris le premier, trente-trois conseillers maîtres, huit conseillers correcteurs et trente-quatre conseillers auditeurs, au total quatre-vingt-trois magistrats.
Le parquet consistait en deux avocats généraux, un procureur général, et un substitut du procureur général. Il y avait, en outre, deux greffiers en chef, un principal comme greffier, neuf huissiers, un garde des archives, un payeur des gages et sept procureurs (Voir Description de la ville de Nantes, par Greslan).
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