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Les évêques de Nantes des débuts du XVIème siècle aux lendemains du concile de Trente et aux origines de la « Renaissance catholique » (1500-1617).

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Les deux premiers évêques : Guillaume Guéguen (1500-1505) ; Robert Guibé, le cardinal de Nantes (1505-1513). — L'évêque humaniste, François Hamon (1513-1532). — L'évêque de Cour, Louis d'Acigné, premier évêque concordataire (1532-1542). — Les deux absents : Jean, cardinal de Lorraine (1542-1550) ; Charles de Bourbon, cardinal de Vendôme (1550-1554). — Les deux Créquy : Antoine le jeune (1554-1562) ; Antoine l'ancien (1562-1564). — Le vicaire général, évêque in partibus, Gilles Gaude (1550-1563). — Philippe du Bec (1564-1596). — XVIIème siècle. — Conclusion.

Dans une étude relativement récente Mgr J. Lestocquoy, sans risquer d'entreprendre un bilan exhaustif, faisait valoir les avantages, et surtout les inconvénients, du Concordat de Bologne dans la nomination des évêques français au XVIème siècle [Note : J. LESTOCQUOY, « Les évêques français au milieu du XVIème siècle », dans Revue d'Histoire de l'Église de France, t. XLV, n° 142 (1959), p. 25-41]. Dépassant les données d'ordre général fournies communément par les auteurs [Note : Louis MADELIN, « Les premières applications du Concordat de 1516, d'après les dossiers du château Saint-Ange », dans Mélanges de l'École française de Rome, 1897, p. 360 : « Ainsi en France (...) la feuille des bénéfices sera, pour cette oligarchie ministérielle et ecclésiastique » au service du roi (l'auteur vient de nommer les Gouffier, les Duprat, etc., plus tard les Le Tellier, les Gondi, etc.) « l'évangile et le décalogue ; hors de cette camarilla — choisie à Amboise, Saint-Germain et Versailles —, il sera défendu de par ordre du Roi très-chrétien au Saint-Esprit d'élire un pasteur aux brebis de l'Église gallicane ». — Les sept dossiers concernant les élections épiscopales étudiés par L. Madelin, ne dépassent pas cependant l'année 1520], Mgr Lestocquoy mettait à profit une source inédite et combien précieuse : les dépêches des nonces sous les rois de France François Ier, Henri II, Charles IX, conservées aux Archives vaticanes [Note : Nunziatura di Francia, pour les années 1575-1580]. Dans sa conclusion, l'auteur notait, non sans motif, combien s'était révélé, sinon néfaste, « dangereux, l'abandon des nominations à la discrétion du roi » [Note : Mgr J. Lestocquoy est revenu sur plusieurs traits dans La vie religieuse en France du VIIème siècle au XXème siècle (Paris, 1964), 1re part., chap. IV : « Déchirements et Réformes de la Renaissance », p. 96-149]. Il comparaît avec une situation, non pas idéale mais meilleure, à la même époque, celle des Pays-Bas. Il appelait l'effort de quelques études locales, permettant de donner corps ensuite aux études d'ensemble [Note : « Il resterait à étudier précisément ce que sont devenus des évêques si étrangement nommés » (à la suite des intrigues dont il a été donné le détail). « Il faudrait, pour bon nombre de cas, des études locales, au moins si l'évêque résidait » (loc. cit.)]. Nous offrons le cas du diocèse de Nantes. Nos éléments de comparaison porteront, non sur d'autres régions, mais sur la période immédiatement antérieure.

Il n'est question que d'une ébauche. Les personnages ecclésiastiques de cette époque manifestent leurs traits, moins par des écrits qui seraient parvenus jusqu'à nous, que par des actes où se laissent pressentir, partiellement tout au moins, les préoccupations qui règlent la conduite de la vie.

Les sources sont donc peu nombreuses. A part les faits qu'a reproduits la grande histoire, nous aurons surtout à retenir les informations qu'a laissées Nicolas Travers dans son Histoire de la ville et du comté de Nantes [Note : Histoire civile, politique et religieuse de la ville et du comté de Nantes, par l'abbé TRAVERS, imprimée pour la première fois sur le manuscrit original... (Nantes, 1837)]. Outre qu'il s'est servi de documents aujourd'hui disparus, il n'est pas sans quelque intérêt de surprendre au passage les jugements que ce janséniste recuit, fougueusement « appelant », du XVIIIème siècle, ce gallican, ce richériste même, peut porter sur des hommes d'Église, qui plus est, des évêques, au nom de la ferveur des premiers âges.

Prolonger d'autre part les limites de l'enquête jusqu'aux premières années du siècle suivant sera marquer comment, dans le diocèse, se fit la transition avec la renaissance catholique.

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L'un des évêques du siècle précédent, Pierre du Chaffaut, qui gouverna l'Église de Nantes de 1477 à 1487, était mort en réputation de sainteté. Le bruit se répandit de miracles opérés sur sa tombe. Il n'y eut aucune information, aucun procès public. On l'invoqua cependant parmi le bon peuple nantais, et il eut l'honneur, sinon d'une fête, d'une mémoire dans le bréviaire nantais, édité en 1517 (TRAVERS, Histoire..., t. II, p. 193).

Le siècle s'ouvre par la confirmation faite en 1500 par le pape Alexandre VI d'un évêque, Guillaume Guéguen, que le chapitre avait élu treize ans auparavant. La difficulté était venue du roi de France et de l'ancien conflit qui l'opposait au duc de Bretagne pour la nomination des évêques de Nantes. Charles VIII l'emporta tout d'abord, et, coup sur coup, fit délivrer par le pape les bulles à deux de ses protégés. Mais Anne de Bretagne finit par obtenir de Louis XII gain de cause en faveur du sien.

C'est à se demander si, en dehors de la question, possible, des personnes, n'intervient pas, entre la reine et son mari, une question de principe. L'élection des évêques est soumise, en Bretagne, au régime du concordat de Redon, passé en 1411 entre le duc Jean V et le pape Eugène IV. Le pape nomme les évêques, mais ceux-ci seront choisis parmi des prélats qui soient fidèles et agréables au duc [Note : Cf. Jehan DAHYOT-DOLIVET, « Le concordat de Redon », dans Comptes Rendus de l'Association bretonne et union régionale bretonne, t. LX (1952), p. 86-112]. Le roi, de son côté, envisagerait l'application de la Pragmatique sanction de 1438, telle qu'elle est en vigueur dans le royaume : élection par les chapitres, mais sur présentation du roi. Dans la pratique néanmoins, il n'y a guère là qu'une question de modalité ; en aucune manière la nomination des évêques n'échappe à la puissance séculière. Cependant, il peut y avoir plus qu'une nuance entre ces différents modes d'agir et celui qu'introduira le Concordat de 1516, quand la feuille des bénéfices sera effectivement tout entière entre les mains du roi.

Guillaume tint, pendant sa longue attente, la charge civile de président à la Cour des Comptes [Note : H. de FOURMONT, Histoire de la Chambre de la Cour des Comptes de Bretagne (Paris, 1854), p. 292-294]. Il n'y a que peu de chose à signaler de lui après qu'il eut pris possession de son siège. Une peste, en 1501, fit périr, dit-on, jusqu'à quatre mille personnes, sans qu'on puisse relever la part personnelle de l'évêque aux œuvres nécessaires d'assistance. Ses vicaires généraux, eux, trouvèrent préférable d'aller respirer l'air des champs. Guillaume Guéguen devint bientôt vice-chancelier de Bretagne et, à ce titre, assista au mariage de François Ier avec Claude de France, l'héritière de Bretagne, à Plessis-lès-Tours, en 1505. Il mourut peu après. Son tombeau, dans la chapelle Saint-Clair, à la cathédrale de Nantes, dû peut-être au ciseau de Michel Colombe, rappelle seulement le souvenir d'un personnage dont les démêlés personnels marquèrent les derniers soubresauts de l'indépendance. bretonne (TRAVERS, loc. cit., p. 251-259).

Vint ensuite le Cardinal de Nantes, Robert Guibé. Il dut de même sa faveur à la reine Anne, étant le neveu de Pierre Landais, le puissant et malheureux trésorier de François II, pendu en 1485, réhabilité par la suite.

Robert Guibé se trouvait bien placé pour profiter de la bienveillance pontificale en même temps que de celle de la reine. Pourvu de plusieurs bénéfices en Bretagne : chantre du chapitre de Dol, prieur de Sainte-Croix de Vitré, archidiacre de Dinan, archidiacre de la Mée, au diocèse de Nantes, il n'en résidait pas moins à Rome, dans l'entourage de Thomas James, évêque de Saint-Pol de Léon et gouverneur en même temps du château Saint-Ange. Il était fait chapelain du pape en 1477 [Note : B.-A. POCQUET DU HAUT-JUSSÉ, Les Papes et les Ducs de Bretagne (Paris, 1928), t. II, p. 867-868].

Il fut, en 1483, fait évêque de Tréguier, et délégué, deux ans après, par le duc François II, à la tête de l'ambassade bretonne envoyée à Rome en vue de prêter serment au pape Innocent VIII après son avènement. L'ambassade fut reçue en consistoire, le 10 juin 1485. Dans son discours, Guibé loue le Saint-Père de son effort pour extirper à jamais de l'Église la simonie, cunctorum scelerum pestem et labem [Note : B.-A. POCQUET DU HAUT-JUSSÉ, Les Papes et les Ducs de Bretagne (Paris, 1928), t. II, p. 767-770]. C'est l'époque où, périodiquement, l'on revient sur la question de la réforme de l'Église [Note : Entre autres, sous Sixte IV (1471-1483), les prédications sur la réforme encouragées par le pape à Rome (1471) et en Toscane (1473), les projets du pape concernant la Curie (1481). Cf. Louis PASTOR, Histoire des Papes, trad. franç., t. IV (Paris, 1909), p. 376 ss]. En 1502, il passa du siège de Tréguier à celui de Rennes. Anne de Bretagne le chargea de trois autres missions auprès de la Curie. C'est lors de la troisième qu'il fut créé par Jules II cardinal-prêtre, du titre de Sainte-Anastasie, le 1er janvier 1505. Son prédécesseur sur le siège de Rennes, Pierre de Foix, avait été lui aussi cardinal ; la coutume d'un cardinal breton avait été en quelque sorte fondée par le concile de Bâle, qui avait d'un seul coup élevé à la dignité de cardinaux — sans en avoir le droit — les évêques de Nantes et de Rennes [Note : B.-A. POCQUET DU HAUT-JUSSÉ, op. cit.,, p. 853-854]. Robert Guibé fut appelé de Rennes à Nantes en 1506.

Il prit au sérieux sa dignité de cardinal de l'Église romaine et eut le courage de soutenir le pape contre le roi lors du concile de Pise en 1511. Louis XII opéra la saisie de tout son temporel, qui se chiffrait par de nombreux bénéfices. L'évêque connut pendant quelque temps l'indigence et il dut même recourir à la charité de ses frères du Sacré-Collège, en attendant que Jules II le pourvût de la lucrative légation d'Avignon.

Il se démit en 1511 de l'évêché de Nantes et, sur la recommandation de la reine Anne, reçut en échange celui de Vannes et même, bientôt l'archevêché d'Albi [Note : Dom TAILLANDIER, Histoire ecclésiastique et civile de Bretagne, t. II, (Paris, 1756), p. XXI]. Ce ne fut d'ailleurs qu'à titre bénéficiaire ; il ne fit que paraître à Vannes ; car, ayant fixé son séjour dans la Ville éternelle, il y mourut en 1513 et fut enseveli à Saint-Yves des Bretons [Note : DE KERSAUZON, L'épiscopat nantais à travers les siècles (Vannes, 1893), p. 207-211], dernier souvenir d'une gloire dont l'éclat n'atteignit que d'assez loin, assurément, son diocèse d'origine. Du moins y aura-t-il eu, dans le XVIème siècle nantais, un grand prélat à prendre part à ce courant, occasionné par des fluctuations diverses, qui poussait alors la société française par delà les monts.

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Robert Guibé avait près de lui, en cour de Rome, son neveu, fils de sa sœur, François Hamon. Il résigna en sa faveur le siège de Nantes entre les mains du pape Jules II, le 29 juin 1511. François Hamon prit possession, par procureur, le 14 février 1512.

Ce fut l'évêque humaniste. Érudit lui-même, il aimait les gens de lettres et n'épargna rien pour attirer auprès de lui les plus savants hommes. C'est ce dont témoigne Pierre Danès, l'un des futurs professeurs du Collège de France et plus tard ambassadeur de François Ier au concile de Trente, dans l'épître dédicatoire qu'il lui fit de son édition de Florus (TRAVERS, t. II, p. 291).

L'humaniste cependant ne tua pas l'évêque. On voit François Hamon prendre part, de 1513 à 1515, au Vème concile du Latran, avant son retour en France. C'est probablement sa promotion récente qui lui valut l'honneur de souscrire immédiatement après les plus anciens des évêques aux canons de la huitième session. Mais les sujets traités y étaient bien de son ressort : il y était question de l'individualité et de l'immortalité de l'âme, des mesures prescrites aux professeurs de philosophie, dans les universités, pour défendre le dogme chrétien ; voire, par réaction contre les excès d'un humanisme païen, de l'interdiction faite aux clercs de s'adonner à la philosophie et à la poésie dans des vues purement profanes [Note : Summa Conciliorum (Paris, 1560), p. 458-459 ; HEFELE-LECLERCQ, Histoire des conciles, t. VIII (Paris, 1917), p. 472-473]. L'évêque de Nantes s'inscrit de la sorte parmi les précurseurs de l'humanisme chrétien. Sa science de canoniste amena François Hamon à reviser, pour les faire imprimer à Paris, en 1518, le bréviaire, le missel et le rituel nantais (TRAVERS, t. II, p. 279, 283, 284). C'était la deuxième édition imprimée qui en était faite ; le bréviaire et le missel ayant eu la leur une première fois, dès 1480 et 1482, sous l'épiscopat de Pierre du Chaffault, le rituel en 1499 sous l'évêque Jean d'Espinay (TRAVERS, t. II, p. 173, 180, 246). L'humaniste ne jugea pas à propos de modifier rubriques et prières qui, dans le saint baptême, faisaient plus étendues les formules des exorcismes pour les filles que pour les garçons, comme si l'Église avait voulu par là neutraliser les inquiétantes complicités du sexe faible avec les puissances de l'au-delà !

François Hamon, d'après Travers, parut donner prise, par contre, aux séductions des vanités humaines. Il est le premier évêque de Nantes pour lequel se rencontrent des formules dont l'accent parut emprunté à la pompe du siècle : Révérend Père en Dieu et mon très-honoré seigneur Monseigneur François, par la grâce de Dieu et du Saint-Siège apostolique, évêque de Nantes, ou à Messieurs vos vicaires en espiritualité, vostre très humble subject et fils spirituel nostre honneur et révérence en toute obéissance dues à tel père et seigneur.

Tel était le préambule d'une supplique datée de 1517 (TRAVERS, t. II, p. 275). Travers y voit l'introduction de la flatterie italienne dans les usages de la curie épiscopale ; mais c'est faire fi de formules qui, durant le Moyen âge, n'avaient cessé, sous des expressions diverses, d'être employées, dans la diplomatique, comme témoignage de respect.

Hamon serait également le premier évêque, toujours quant à notre diocèse, dont paraissent les armoiries sur un livre liturgique. On les trouve sur un missel en 1525. François Hamon portait : écartelé au 1. et 4. de trois haches d'armes, et aux 2. et 3. de trois cors lacés, timbré au-dessus de l'écu d'une simple mître, sans accompagnement [Note : DE LA NICOLIÈRE-TREIJERO, Armorial des évêques de Nantes (Nantes, 1878), p. 79 et pl. II, n° 20]. Le rigorisme de Travers s'en indigne : « jusque-là, les évêques n'avaient point affecté cette distinction du siècle sur les livres ecclésiastiques... Ils croyaient qu'il ne convenait pas de porter leurs armes sur l'autel lorsqu'ils défendaient aux seigneurs », bien en vain, « de les mettre sur les murs et les vitres des églises » [Note : Op. cit., p. 283 (et p. 476 pour le synode de 1481 qui porta cette défense)]. Comment s'exagérer cependant le faste de ce prélat, quand on pense que, jusqu'en 1526, depuis treize ans qu'il est évêque, il n'a pas de crosse et doit s'en faire prêter une par le chapitre pour assister aux funérailles de la dame de Rieux ? (TRAVERS, t. II, p. 283)

Il est difficile de spécifier ce qu'a pu être la part de François Hamon dans l'administration temporelle, spirituelle surtout, du diocèse, ni par conséquent jusqu'à quel point cette crosse avait valeur de symbole. Le 7 février 1532, le promoteur de l'officialité pour le climat de Nantes, celui du climat d'Outre-Loire, le « clerc de l'office de la chrétienté », c'est-à-dire le greffier diocésain, apportent au chapitre les actes des visites faites dans les paroisses l'année précédente. Ces visites furent faites ; mais, comme ce geste l'indique, ce n'est pas Hamon qui s'en occupe (TRAVERS, t. II, p. 293). Qu'en conclure ? Il avait passé de ce monde un mois jour pour jour avant cette démarche, le 7 janvier 1532 ! Du moins mourut-il sur le territoire même de son diocèse, proche de sa ville épiscopale, en la terre et seigneurie de Chassail, qui appartenait aux évêques de Nantes.

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La succession de François Hamon amène, avec la première application, pour le diocèse de Nantes, du concordat de Bologne, il faut le reconnaître, un fléchissement. L'application elle-même du concordat pour la nomination des évêques, en contradiction avec les prérogatives traditionnelles et au moins nominales du chapitre, provoqua un conflit violent avec l'autorité royale, vite terminé d'ailleurs au profit de la couronne.

Comme s'il prévoyait l'assaut inévitable, le chapitre, dès la mort de l'évêque, fit défense à tous les fermiers et receveurs des domaines de l'évêché de se dessaisir de ce qu'ils avaient en mains. Qu'ils en eussent ou non le pouvoir, les chanoines appuyaient cette défense d'une menace d'excommunication. Ils enjoignirent en outre au chancelier épiscopal de leur remettre le sceau, nommèrent d'office un grand vicaire, un pénitencier, un official, quatre promoteurs, un chancelier, un secrétaire, un appariteur ou sergent de l'officialité, un copiste, un receveur, un clerc des sentences ; bref, ils disposèrent de la curie épiscopale ni plus ni moins que s'ils en eussent été les maîtres.

Continuant son activité, le chapitre mit les scellés sur les portes de l'évêché. Mais le sénéchal de Nantes, au courant de tout ce train et muni assurément de son côté, d'instructions précises, se contenta de les noyer sous la cire du sceau royal. Le grand-vicaire, tenant la chose pour un attentat à l'autorité de l'Église, ordonna au commis qui s'était acquitté de ce travail de lever ses scellés dans l'espace de trois heures, sous peine d'excommunication. Le commis ne pouvait que transmettre la commission. Pour toute réponse, le roi fit, peu après, saisir les fruits de l'évêché, non d'ailleurs à titre de régale temporelle, mais « pour la conservation des droits du futur évêque ».

Le chapitre n'en continua pas moins d'administrer à sa guise. Il décrète de continuer pendant huit jours, puis quarante, aux domestiques de l'évêque la distribution du « pain du chapitre », redevance très ancienne qu'on lui servait de son vivant. Il complète ses nominations, en pourvoyant, le 12 janvier, le « climat » de Guérande, l'une des subdivisions du diocèse, d'un promoteur et d'un secrétaire, apposte un garde à la maison et au jardin de Chassail, comme pour en prévenir la saisie. Enfin, il ordonne, le même jour, d'appeler à cris et à bans publics, les chanoines absents et de les avertir par messagers, d'avoir à se trouver à Nantes le 3 février, pour procéder, ce jour, à l'élection d'un nouvel évêque ; se réserve entre temps la provision aux bénéfices. Comme s'il eût voulu enfin, en multipliant les titres, fortifier une autorité qu'il craignait de voir fléchir, il adjoignit au grand vicaire trois nouveaux co-vicaires, l'un d'eux pour remplacer l'évêque dans son rôle de chancelier de l'Université et présider aux actes de la collation des grades. Il poste un nouveau garde aux maisons dépendantes de l'évêché, un garde à la forêt de Sautron, domaine de la mense épiscopale, pourvoit, par de nouvelles nominations, à la possibilité éventuelle de la visite des églises. Le chapitre en un mot se démène davantage en quelques jours qu'un évêque en des semaines.

Le dernier acte était du 19 janvier. Le même jour, le capitaine de la ville et château de Nantes, Anne de Montmorency, présentait aux chanoines lettres du roi leur faisant défense de procéder à l'élection avant d'avoir fait preuve devant lui de leur droit [Note : « Chers et bien amez, nous avons esté advertis du trespas de vostre dernier évesque et pasteur, et pour ce que nous désirons en son lieu estre pourvu de personnaige vertueux et sçavant et de bonnes moeurs pour bien et deuement régir et gouverner icelui evesché, nous vous en avons bien voleu escrire à ce que par l'un ou deux d'entre vous vos députés vous aiez pour iceluy faire veoir et visiter en nostre conseill, et s'il est trouvé bon et vallable le vous conserver et garder, et cependant vous deffendons très expressément et sur tout que vous craigniez d'encourir nostre indignation que n'ayez à procéder à auchune eslection ou postulation de vostre futur évesque et pasteur que préalablement vous n'ayez entendu par vos dits députés nos vouloirs et intention sur ce. Si n'y faîtes faute, car tel est nostre plaisir. Donné à Argues, le 12 de janvier 1531 (a.st.) » FRANCOIS, et plus bas, ROBERTET. (cité par TRAVERS, Op. cit., p. 293)].

Le chapitre tint sa réponse le 22, et donna acte au gouverneur de la réception du message royal. Intimidé sans doute, il prorogea l'élection jusqu'au début de mars, par délibération du 19 février. Deux jours après, il apprenait la nomination faite par François Ier à l'évêché de Nantes, en vertu d'un bref du pape Clément VII, de l'année 1531, qui suspendait, au moins pour la durée de son règne, tous les privilèges d'élire qu'avaient quelques églises et monastères de France. Il n'y avait plus qu'à attendre (TRAVERS, t. II, p. 291-293).

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L'élu fut Louis d'Acigné, arrière-neveu d'un évêque de Nantes au XVème siècle, Amaury d'Acigné [Note : Cf. G. DURVILLI, art. « Acigné (Amaury d') et (Louis d') », dans Dictionnaire d'Histoire et de Géographie ecclésiastiques (1910), col. 334-338]. Il était lui-même chanoine de Nantes depuis 1529. Le chapitre, faisant état de la haute naissance de l'élu, de sa capacité présumée, du haut crédit surtout dont il jouissait à la cour de François Ier, où il était aumônier ordinaire du roi, l'avait, à l'époque, député près de lui pour soutenir ses intérêts. Louis était également chargé de solliciter aide et secours pour la continuation de la cathédrale. Le chapitre, en le déléguant, lui comptait soixante-six écus d'or. Cette gratification, pour brillante qu'elle fût, n'en rendit pas davantage sa démarche fructueuse, laissant présumer aux chanoines qu'ils n'avaient fait le choix, en Louis d'Acigné, que d'un médiocre interprète. Il est donc peu probable, en conséquence, qu'au cas où leur eût été laissée l'élection, ils auraient porté sur son nom leurs suffrages. Par contre, Louis n'en avait que faire ; sa mission, sa charge surtout d'aumônier le maintenaient à la cour en 1532, quand y parvint, dès janvier, l'annonce de la mort de François Hamon. « L'avis qu'il en donna fit penser à lui pour lui succéder », écrit Travers, et c'est assez probable. François Ier écrivit sur-le-champ au pape en sa faveur, et c'est pour ce motif qu'il avait intimé au chapitre l'ordre de surseoir.

Louis d'Acigné se tint dès ce moment si assuré d'être évêque de Nantes qu'il donna toute son attention à se conserver les biens meubles de l'évêque défunt. Démarche tout à fait insolite, il fit intervenir l'archidiacre de Nantes afin de protester auprès du chapitre, sur leur prétendu pillage par des inconnus, demandant qu'il fût informé contre les détenteurs. Sa nomination, une fois officiellement faite, deux protonotaires vinrent présenter au chapitre ses lettres de provision rendues en sa faveur par le roi, protestant de nullité au cas où l'on procéderait à une élection. C'était juste la veille, le 21 février, du jour que les chanoines avaient fixé pour cette même élection dont ils avaient proclamé si hautement le principe. Il n'en fut plus question.

Le 22 mai, le vicaire général du nouvel évêque, Arthur du Hardaz, en même temps archidiacre d'Angers, et nommé par Louis d'Acigné depuis peu de jours, vint de sa part à Nantes présenter ses bulles devant le chapitre et prendre possession du siège par procuration. On eut alors le spectacle d'une volte-face remarquable, où se manifeste sans doute quelque ironie de la part des chanoines. Rivalisant de zèle loyaliste et par souci de procédure, ils refusèrent ces bulles, alléguant qu'elles n'étaient pas revêtues du placet de la main du roi, ni accompagnées de lettres de main-levée sur les biens de la mense épiscopale. L'opposition était régulière et il fallut surseoir ; du Hardaz en fut quitte pour renouveler sa démarche au dernier jour de mai, cette fois en bonne et due forme. Il demandait ensuite au chapitre, au nom de l'évêque, le 5 juin, de lui tenir compte, conformément à la réserve royale, des revenus perçus pendant la vacance du siège. Ceci fait, le vicaire général s'en retourna faire rapport à son maître, à Paris, de la mission qu'il venait d'accomplir.

A très peu de jours près, le roi lui-même, François Ier, venait à Nantes pour une quinzaine, accompagné de la reine, sa seconde femme, Eléonore d'Autriche, et du dauphin François, qui ne devait pas régner [Note : Il mourra en 1536]. C'était au début d'août, le roi revenait de Vannes où s'étaient tenus les États de Bretagne. Il y eut à Nantes de nombreuses fêtes ; le cortège d'honneur dut passer, au jour de l'entrée royale, sous un arc de triomphe que terminait une demie fleur de lys et une demie hermine, accouplées sous une même couronne. Autre signe d'union, l'un des grands vicaires, Olivier Richard, mit entre les mains de la reine et du dauphin le texte d'un serment par lequel l'un et l'autre s'engageaient à conserver ses franchises et libertés à « l'Église de Nantes ». Geste significatif, accompli d'ailleurs en l'absence de l'évêque et par un vicaire général qui n'est pas de son choix. Du roi, il n'est pas fait mention, et il eût bien été de quelque témérité, après ce qui venait de se passer lors de l'élection épiscopale, de mettre sous ses yeux pareille requête. On s'explique cependant assez bien la pensée d'Olivier Richard. François Ier n'est en droit qu'usufruitier du duché de Bretagne ; le duc est le dauphin François, tout récemment, le 18 mai, couronné à Rennes, sous le nom de François III. Le lier de la sorte c'était, croyait-on, assurer l'avenir. Le roi avait assez fait voir cependant ce que pouvait valoir une telle assurance ; il le montrait encore en laissant s'accomplir un acte pour lui sans portée [Note : TRAVERS, t. II, p. 296-298. — Cet état de fait venait précisément d'être reconnu par les États de Bretagne, à Vannes. François Ier n'en proclama pas moins, de Nantes même, l'acte d'union. Il ne se dit cependant jamais duc de Bretagne ; ce n'est que sous Henri II que l'union fut consolidée dans l'unité de la couronne].

On ne saurait être surpris de ce que le nouvel évêque, Louis d'Acigné, n'ait pas profité du passage du roi dans sa ville épiscopale pour lui en venir faire les honneurs. Son arrivée aurait été prématurée, son sacre n'était pas encore fait ; Travers pense même qu'il n'eut jamais lieu. La suite ne le fit pas se presser davantage. Peut-être la situation fausse qui résultait pour lui, vis-à-vis du chapitre et du diocèse, de la nomination royale imposée comme elle venait de l'être, fût-elle l'occasion ou le prétexte qui porta le nouvel évêque à ne pas résider. Il est, en tout cas, le premier évêque de Nantes du XVIème siècle qui, de cette situation irrégulière, se soit fait une règle. Il avait le choix, d'ailleurs, entre de nombreux bénéfices, étant abbé commendataire du Relec, abbaye cistercienne au diocèse de Saint-Brieuc, doyen de Notre-Dame de Lamballe, archidiacre de Dinan, prieur des prieurés de Léon et de Combourg (TRAVERS, t. II, p. 293-295). Il préféra à tous le séjour de Paris, et attendra huit ans au moins pour faire à Nantes son entrée.

Entre temps, son crédit lui valait de prendre part aux représentations officielles, soit profanes, soit religieuses, de la Cour. Il assiste en 1537 au lit de justice que le roi tint en Parlement le 15 janvier (TRAVERS, t. II, p. 308). En 1539, les 6 et 7 juin, il revêt la chape, de pair avec l'évêque de Chartres, à l'office que faisait célébrer François Ier à Notre-Dame pour le repos de l'âme de l'impératrice Isabelle de Portugal, femme de Charles-Quint (TRAVERS, t. II, p. 311).

Deux ans après, Louis d'Acigné se décidait enfin à se présenter à sa bonne ville. Il le fit avec une pompe, un éclat, inconnus jusqu'alors, jamais égalés depuis. Sans doute était-ce pour faire entendre ce que valait une désignation royale.

Parvenu au faubourg Saint-Clément le 3 novembre 1541, il y logea jusqu'au 6, choisissant ce jour qui était un dimanche. Il sortit de l'hôpital sur les neuf heures, monté sur un cheval de prix, passa par la rue Saint-Clément, entra à cheval dans le cimetière, près duquel se trouvait une tente magnifique qu'on lui avait dressée et sous laquelle, descendu de son palefrois, il fit halte. La noblesse et les principaux de la ville vinrent le saluer en cet endroit. Sa Grandeur, après les compliments adressés de part et d'autre, s'assit alors sur une chaise pour être portée en cet appareil jusqu'à la cathédrale. Quatre puissants personnages, les barons de Retz et de Pontchâteau, Jean de Laval baron de Châteaubriant, le sire de Rieux baron d'Ancenis, soutinrent les barreaux de cette sedia jusqu'au pont de la porte Saint-Pierre. Là, l'archidiacre de Nantes attendait, tenant à la main les statuts de l'Église de Nantes et les bulles des privilèges du chapitre.

Estne pacificus introitus tuus ? demanda-t-il selon la formule d'usage.
Pacificus, répond l'évêque.
Juras servare statuta capituli ?
Juro.

Aussitôt quatre chapelains prirent la place des quatre seigneurs et portèrent allègrement le pasteur qui se montrait si respectueux des droits de leur Église.

Une fois passée la porte, ce fut le tour du recteur de l'Université, qui sortit d'une maison voisine en tête de ce docte corps, et fit un compliment. Enfin le chapitre de même, doyen en tête, sur le porche de la cathédrale. Les quatre chapelains portèrent ensuite l'évêque au haut du chœur ; il était précédé du chapitre et de l'Université, suivi des seigneurs, d'un grand nombre de nobles et d'une foule de peuple. La cérémonie se termina par une messe chantée à laquelle l'évêque assista. L'évêque de Saint-Brieuc était présent, il avait en face de lui, placé au pied de la chaire épiscopale le recteur de l'Université ; venaient ensuite messeigneurs les abbés, puis, remplissant le chœur, les suppôts de l'Université, le chapitre, la noblesse. Dans la nef, une immense foule (TRAVERS, t. II, p. 314-315).

La sortie de l'évêque suivit de près, et sans le même éclat, son entrée. Il ne resta qu'un ou deux mois, et s'en alla mourir dans sa terre de famille, le château de Fontenay, aux environs de Rennes. Son décès fut à peu près immédiat, le 23 février 1542. On l'inhuma dans l'église des Jacobins de Rennes (TRAVERS, t. II, p. 315). A l'évêque humaniste, François Hamon, avait succédé le prélat de cour ; il ne paraît pas que l'Église de Nantes y ait beaucoup gagné.

***

Le mal de la non-résidence ne fit que s'aggraver avec les deux évêques qui suivirent. Seule devait jouer désormais la feuille des bénéfices et l'absentéisme devint la conséquence du cumul. La série commence par deux des grands du monde ecclésiastique.

Qu'était-ce pour Jean de Lorraine, fils de René II, roi de Jérusalem et de Sicile, duc de Lorraine et de Calabre, lui-même cardinal de la sainte Église romaine du titre de Saint-Onuphre, que l'évêché de Nantes, quand il en fut pourvu en 1542, alors qu'il l’était déjà des évêchés de Toul, de Narbonne, d'Agen et de l'archevêché d'Albi ? Il avait reçu dès l'âge de trois ans la coadjutorerie de Metz, auprès de son grand oncle, Henri de Vaudémont. Promu au cardinalat à l'âge de dix-neuf ans, en 1518, par le pape Léon X, il avait fait depuis l'échange d'une dizaine d'évêchés, dont les archevêchés de Reims, de Lyon [Note : Voici la suite de la carrière « bénéficiaire » de Jean de Lorraine. Coadjuteur de Metz en 1502. Henri de Vaudémont étant décédé en 1505, le chapitre administre le diocèse jusqu'en 1518. Jean résigne Metz en 1519 en faveur de son neveu Nicolas de Lorraine âgé de quatre ans ; mais il est pourvu déjà lui-même, depuis 1517, de l'évêché de Toul, qu'il gardera jusqu'en 1543. De 1521 à 1524, le voilà évêque de Die et de Valence ; de 1522 à 1535, évêque de Thérouanne ; de 1523 à 1544, Verdun ; 1524 à 1550, Narbonne ; en 1532, le voici archevêque de Reims, il résignera en 1538 ; en 1535, archevêque d'Albi jusqu'en 1550 ; 1537 à 1539, Lyon ; 1541 à 1550, Agen ; 1542 à 1550, Nantes. En 1549, il acquiert de nouveau Metz, au moins comme administrateur, son neveu Nicolas ayant mieux aimé se marier que d'être évêque (ce fut le père du duc de Mercœur). Avec les évêchés, les abbayes : Gorze dès son enfance, Fécamp (1523), Cluny (1529), Saint-Jean de Laon (1533-1535), Saint-Germer (1536-1538), Saint-Médard de Soissons (résignée en 1540), Marmoutier (1539), Saint-Ouen de Rouen, Saint-Mansuy de Toul (résignée en 1550), Blanche-Couronne, les prieurés de Lay, Varangéville, etc... — D'après Albert COLLIGNO, « Le mécénat du cardinal Jean de Lorraine (1498-1550) », dans Annales de l'Est, 24ème année (1910), p. 10-13].

Abbé commendataire de Gorze, Fécamp, Cluny, Marmoutier, Saint-Ouen, il possédait dans le diocèse de Nantes l'abbaye plus modeste de Blanche-Couronne. Fut-il vraiment évêque de Nantes ? Le bref de Paul III, survenu quelques mois après la mort de Louis d'Acigné, ne parlait que de l'administration du diocèse et pour deux ans. Le chapitre accepta cette mesure tant qu'elle ne parut que temporaire ; mais en 1545, au mois de mai, la situation demeurant la même, il décida de ne plus reconnaître Jean de Lorraine, de le troubler dans la jouissance du temporel et de s'opposer à tout exercice de sa juridiction tant qu'il n'aurait pas obtenu et présenté de nouvelles bulles. Dernière survivance des résistances anciennes, le chapitre entendait même, en cas de non présentation de ces bulles, protester auprès de Son Éminence du préjudice que de tels rescrits causaient aux droits du chapitre. Persistant dans son attitude et considérant le siège comme vacant, il nomma, au bout d'un mois, un vicaire capitulaire, Pierre d'Acigné, neveu de l'ancien évêque. Choix habile sans doute, mais qui tombait sur plus habile homme ; l'élu eut la prudence de refuser, sachant qu'il n'y avait pas à lutter contre les intentions manifestes de la Cour. La contestation finit le 27 juillet, Christophe de Briel, sénéchal de Nantes et conseiller du roi ayant présenté ce jour-là au chapitre et les lettres de Sa Majesté en faveur de Jean de Lorraine et le nouveau bref de Paul III qui prorogeait indéfiniment ses pouvoirs (TRAVERS, t. II, p. 316-317).

Le cardinal usait de son immense fortune (A. COLIGNON, loc. cit., p. 14-30) en grand mécène. Les écrivains, les érudits et les artistes bénéficièrent de ses largesses et de son goût : Baïf, Sadolay, Érasme, Robert Estienne, le Collège de France. Marot, les humanistes italiens comme l'Arétin, Giustiniani, le grec Sophianos gravitent autour de sa personne [Note : Toute la seconde partie, la plus étendue, de l'étude de A. Colignon (p. 30-155)]. Étienne Dolet sollicite de sa part un appui, d'ailleurs bienveillant (A. COLIGNON, loc. cit., p. 111-113). A Paris, Jean de Lorraine embellit son hôtel, qui est l'hôtel de Cluny (A. COLIGNON, loc. cit., p. 149). Il n'est pas dit que la cathédrale de Nantes, en souffrance toujours, ait été gratifiée de la même manière.

Jean est bien vu en Cour, à part quelques éclipses. Entré dans le conseil du roi en 1530, à trente-deux ans, il est aux côtés de François Ier dans la procession expiatrice du 21 janvier 1535 (A. COLIGNON, loc. cit., p. 15-16). Il est chargé de missions auprès de Charles-Quint à deux reprises, 1536, 1538 (A. COLIGNON, loc. cit., p. 17) ; et il accompagnera roi de France et empereur, deux ans après, lors de la venue de celui-ci à Paris (A. COLIGNON, loc. cit., p. 18). Le voici en disgrâce partielle, peut-être pour s'être mis trop bien et non sans profit - ce qu'on ignore - avec Charles-Quint [Note : A. COLIGNON, loc. cit., p. 19-20. Il rentre en grâces avec l'avènement d'Henri II, 1547] ; mais cet exil tout relatif le conduit à Rome, où il a su déjà se faire apprécier [Note : Correspondance des nonces en France, Carpi et Ferreio, 1535-1540, éditée par J. LESTOCQUOY (Rome-Paris, 1961). Déjà, avant le départ de France, Carpi à Ricalato, Secrétaire d'État : « Il cardinale de Lorena mostra di essere tornato italiano... », 19 février 1535] et bien servir ses protégés [Note : Carpi à Ricalato, 24 juin 1535 (ibid., p. 45)] ; sans pouvoir obtenir jamais la légation de France [Note : Ricalato à Carpi, 21-22 août 1535 (ibid., p. 53) ; 3 septembre (p. 67). Mécontentement de Jean de Lorraine, 26 septembre (p. 73) - Ricalato à Carpi, 14 octobre, témoigne de la bonne volonté du pape].

Peut-être la renommée de ses mœurs y fut-elle pour quelque chose. Ses largesses vont aussi aux dames de la Cour, que, si nous en croyons Brantôme, il « arraisonne » de la sorte, les comblant de cadeaux, « robes et cottes d'or, d'argent et de soye » [Note : Pierre de BOURDEILLES, seigneur de BRANTÔME, Recueil des Dames - ou Vies des Dames illustres (OEuvres complètes, t. IX, Paris, 1876), p. 481-482]. De Thou, moins insinuant, est encore plus dur : « Il n'était cher au Roy que parce qu'il s'étoit fait le ministre de ses plaisirs et parce qu'il étoit libéral jusqu'à la stupidité » [Note : Historia sui temporis, t. Ier (Paris, 1606) ; cité par COLLIGNON, loc. cit. - De Thou est hostile à tout ce qui est Lorraine]. On aimerait recueillir d'autres appréciations que celles des mémorialistes [Note : Ainsi encore Melin de Saint-Gelays, cité par COLLIGNON, loc. cit.] ; mais leurs dires, de toute manière, ne rassurent pas beaucoup.

Le rôle du cardinal à l'égard des protestants se ressent contradictoirement et du caractère que revêt le zèle du temps envers les Réformés, et de la pente de son propre caractère, qui n'était guère combative. Jean « fit un voyage dans son diocèse », Metz, en 1525 ; il trouva son Église agitée par les factions des luthériens. Deux prédicants appréhendés furent, l'un banni de la ville et l'autre livré au bras séculier [Note : Dom Augustin CALMET, Histoire ecclésiastique et civile de la Lorraine, t. II (Nancy, 1738), p. 1235-1236]. Le double épisode a pu donner lieu à l'imputation qui fit de lui « l'un des adversaires les plus intransigeants du protestantisme » ; Zwingle était-il mieux informé quand il avança : « On dit du cardinal de Metz qu'il serait désireux de se marier ? » Jean de Lorraine eut en fait un rôle apaisant auprès de François Ier à l'occasion du discours de Nicolas Cop, en 1536 ; l'affaire des placards changea tout. C'est bien un auteur protestant qui dira le fin mot de toutes ces choses : « Ce fut un des premiers attrapeurs de bénéfices... Toutefois pour ce qu'il ne fut pas homme fort violent, et d'ailleurs estoit despensier et libéral, on le comporta assez doucement » [Note : Auteur anonyme de la « Légende du cardinal de Lorraine », en Supplément aux Mémoires de Condé (La Haye, 1743) ; cité par COLLIGNON, loc. cit., p. 22-25].

Un homme capable nonobstant de prendre intérêt aux choses religieuses et de donner sa sympathie à ceux qui s'en occupent de plus près. Jean de Lorraine eut parmi ses amis Claude d'Espence, l'un des meilleurs théologiens français de l'époque, patronné par le cardinal près des rois, François Ier et Henri II, controversiste sage, prédicateur de renom et auteur spirituel [Note : Paul BAILLY, art. « Espence (Claude Tugniel d') », dans Dictionnaire de Spiritualité, fasc. 38-39 (1960), col. 1206-1207 ; Paul BROUTIN, S.J., L'évêque dans la tradition pastorale du XIVème siècle (Rome, 1953), p. 81-82]. L'influence de sa mère avait dû marquer également Jean de Lorraine, dès le temps où enfant il était destiné par les siens à profiter des avantages de la mître ; Philippe de Gueldre devenue veuve, quitta le monde pour l'ordre austère et pauvre des filles de sainte Claire (TRAVERS, p. 316-317). La charité du cardinal envers les indigents fut aussi légendaire que le furent ses « stupides » prodigalités [Note : Cet aveugle à Rome, notamment, qui reçoit de sa main une poignée d'or : « Ou tu es le Christ en personne, ou tu es le cardinal de Lorraine ! » (BRANTÔME, loc. cit.)].

La piété, chez de tels personnages, revit surtout aux dernières heures. Jean avait toujours bien traité les intérêts de sa famille. Il aimait ses deux frères, Antoine et Claude ; le fils d'Antoine, Claude du nom de son oncle, épousa la fille d'Henri II et de Diane de Poitiers (A. COLLIGNON, loc. cit., p. 21). La mort de Claude, frère du cardinal, survenue le 12 avril 1550, affecta beaucoup celui-ci ; on l'entendit prédire qu'il suivrait bientôt son frère bien-aimé.

Estant arrivé au lieu de Nogent, près de Montargis, est-il raconté, où il séjournoit pour attendre le retour du Roy (...), il devint tout triste et pensif, et tant plein de regret que rien plus, ne prenant aultre consolation qu'à faire lire les œuvres de Dieu devant luy par monsieur nostre maistre Sallignac, son docteur ordinaire (...). Et comme un jour il faisoit lire devant luy un psaume de David tout plain de consolations et des haultz misteres de l'Eternel, il se print à se consoler et, de tout s'asseurer sur les infaillibles promesses de Dieu, tellement qu'on l'avoit veu de plusieurs jours auparavant tant parler de Dieu, ny plus devotieusement, et songneument admirer la grandeur de sa saincte bonté et considérer les merveilleux effectz de la puissance éternelle, de laquelle il parla depuis mydy jusques environ quatre heures qu'il se mist à table pour soupper, où il ne fut guere assis sans estre assailly d'un catarre qui luy tomba sur le cueur et tant continuellement l'oppressa qu'il rendit son esprit à Dieu ceste mesme nuict autant catholiquement que prince et prelat chrestien pourroit jamais faire [Note : Edmond DU BOULLAY, Le catholicque enterrement de feu Monsieur le Reverendissime et Illustrissime Cardinal de Lorraine (Paris, 1550), cité par A. COLLIGNON, loc. cit., p. 28-29].

C'était le 10 mai 1550. Le cardinal était si peu de Nantes, où il n'avait jamais paru, qu'on n'y apprit la nouvelle que plusieurs mois après ; si bien que le chapitre n'eut pas le temps d'émettre quelque prétention que ce fût. Henri II donna mandement, le 8 septembre au sénéchal de Nantes de mettre la saisie sur le temporel de l'évêché pour la conservation de ses droits. On aime à croire que ces anciennes réclamations du chapitre n'étaient pas motivées par le seul souci du respect de ses prérogatives traditionnelles ; peut-être les chanoines s'affligeaient-ils des inconvénients de ce régime qui remettait la charge des intérêts religieux à un prélat fantôme. Cette fois, d'ailleurs, ils n'eurent plus à tenter quoi que ce soit (TRAVERS, t. II, p. 317).

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L'élu du roi avait été un plus grand personnage encore, tout au moins dont le rôle politique allait être plus considérable. C'était Charles cardinal de Bourbon, archevêque de Rouen, qui sera, à la mort d'Henri III en 1589, proclamé roi par les ligueurs.

Né en 1523, Charles est pourvu, à l'âge de dix-sept ans, en 1540, de l'évêché de Nevers, de celui de Saintes en 1544. Cardinal du titre de Saint-Sixte en 1548, il est promu à l'archevêché de Rouen en 1550, quelques mois avant de recevoir Nantes. Tout ceci, d'ailleurs au simple titre d'administrateur et bénéficier, car il n'était pas dans les ordres sacrés [Note : C. LAPLATTE, art. « Bourbon (Charles de) », dans Dictionnaire d'Histoire et de géographie ecclésiastique, t. IX, col. 115-116 ; L. CRISTIANI, L'Église à l'époque du concile de Trente (Fliche et Martin, t. XVII, Paris, 1948), p. 386-387].

Les charges politiques accompagnent chez lui les charges religieuses. Il est déjà conseiller du roi. En 1551, Henri II l'établit lieutenant général et gouverneur de Paris. Les tentatives engagées par Paul IV auprès du roi, reprises ensuite par Henri II lui-même en 1557, pour introduire en France l'Inquisition, aboutissent à la désignation de Bourbon, par bref du pape en date du 25 avril, comme grand Inquisiteur, en compagnie du cardinal Charles de Lorraine — le cardinal de Guise —, neveu de Jean de Lorraine. Le troisième fut le cardinal de Châtillon, qui fit de sa charge l'usage que l'on sait en passant au protestantisme. Des trois, Charles de Lorraine était celui qui devait la prendre le plus à cœur, en faisant de sa personne — du moins le prétendait-il — le rempart du catholicisme. Bourbon est plutôt « un papiste tranquille, sans passion ni grandes clartés [Note : Calvin le traitera de « cruche n'ayant pas même figure humaine : qui cadus est aut lagena, ne hominis quidem figuram gestans ». Lettre à Bullinger, 1er octobre 1560 (citée par Lucien ROMIER, Le royaume de Catherine de Médicis, t. II, Paris, 1925, p. 136)], un bon homme dévot, de caractère placide et sans détour, sincèrement attaché à la religion, et fort marri de vivre en un temps si troublé au milieu du tumulte que provoquent ses frères », dont l'un est Antoine de Bourbon.

En 1562, Charles IX nomme le cardinal chef de son conseil, dignité qu'il conservera sous Henri III. Il accomplit, en 1565, la fonction de légat en Avignon au nom de Pie IV. Il présidera, en 1579 à Melun, l'assemblée du clergé de France. Mais ce sont les agitations de la Ligue qui vont le mettre au premier plan. Les Guise le poussent comme candidat au trône afin de couvrir leurs propres ambitions. Le roi, tant qu'il demeure sous l'influence des Guise, leur cède et paraît reconnaître Charles de Bourbon comme son héritier présomptif. En prévision de l'éventualité, le cardinal sollicite de Rome la permission de se marier ; il épousera en fait, âgé de plus de soixante ans, la duchesse douairière, mère des Guise, Anne d'Este.

Les affaires changent du jour où Henri III se débarrasse de ces derniers par le double assassinat du château de Blois, en 1588. Bourbon est seulement expédié à Fontenay-le-Comte, pour être enfermé au château. Une fois Henri III tombé, à son tour, sous le poignard de Jacques Clément, Mayenne fait reconnaître le cardinal, proclamé, le 3 mars 1590, par le parlement de Paris « Vrai et légitime roi de France ». « Charles X » fait acte de roi, en répandant un manifeste invitant ses sujets à maintenir la couronne dans la branche catholique. Il l'avait écrit de prison, Fontenay restant aux mains des partisans d'Henri IV. Il y mourut deux mois après, doyen des cardinaux, laissant un fils, dont Henri IV fut le bienfaiteur. Des pièces de monnaie avaient eu le temps d'être frappées à son effigie ; mais le 3 septembre 1594, le parlement de Paris rendra un arrêt par lequel « le nom d'un roi appelé Charles X, supposé par la malice du temps, au préjudice de la loi salique fondamentale du royaume devait être rayé de tous les actes publics où il avait été mis » [Note : C. LAPLATTE, loc. cit. ; E. SAULNIER, Le rôle politique du cardinal de Bourbon (Charles X) (Paris, 1912).].

De Thou, ennemi de la Ligue, n'est pas tendre dans son appréciation : « Ce prélat sembla né, dit-il, pour devenir le jouet de la maison la plus auguste (les Guise ?) et du plus florissant royaume de la Chrétienté. Dévot jusqu'à la superstition, du reste libéral, voluptueux, crédule jusqu'à l'excès... Il consultait les astrologues qui lui donnaient l'espérance qu'il monterait sur le trône ». C'est cette conviction qui, toujours d'après le même, aurait détaché ce Bourbon des princes de sa propre maison [Note : Jacques-Auguste DE THOU, Histoire universelle, t. VI (La Haye, 1740), p. 637].

Toute cette suite — ainsi que pour Jean de Lorraine — se rapporte à la grande histoire plutôt qu'à l'histoire d'un diocèse, tant ces deux personnages, et d'Église et de Cour, furent étrangers au leur. Jusqu'à son mariage cependant, Charles de Bourbon n'avait pas abandonné totalement ses prérogatives sur le siège de Nantes. Sa juridiction, à vrai dire, s'y est bornée à moins que rien : de simples actes administratifs en conformité avec la législation canonique du temps. Il obtient de Jules III, en 1551, peu après une prise de possession dont il n'est resté nulle trace, un indult lui permettant de présenter aux bénéfices, admettre les résignations et recevoir les permutations dans le diocèse durant toute l'année, sans que soit tenu compte, par conséquent, de l'alternative mensuelle qui en remettait la moitié au pape. Il exerça, directement ou par son grand vicaire Jean de la Touche, ce patronage. Rien n'indique, d'autre part, une participation quelconque de son zèle. Il ne connut nullement ses brebis ni ses brebis ne le connurent ; à l'instar de son prédécesseur, il ne parut pas une seule fois. Aussi le loup vint-il, en la personne du ministre Carmel et des premiers prédicants calvinistes, disperser le troupeau [Note : « Tandis que nous dormions, l'homme ennemy sema l'ivraye dans le champ de l'Église, et fit glisser l'erreur qui nous a divisés... » Saint François de Sales d'après Mgr Henry DE MAUPAS DU TOUR, Vie... (1657), édit. VIVÈS des Œuvres de S. François de Sales, t. V, p. 433].

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En somme, l'Église de Nantes était, depuis vingt-deux ans à peu près comme si elle n'avait pas eu d'évêque, lorsque, en 1554, fut sacré et s'installa à Nantes Antoine de Créquy. C'était un neveu, par sa mère, de Louis d'Acigné. Il était abbé commendataire de Saint-Julien de Tours. N'étant encore que diacre, il avait été nommé à l'évêché de Thérouanne en Picardie [Note : Thérouanne est aux confins des trois provinces, Artois, Flandre et Picardie. La famille de Créquy était une famille de l'Artois. Un Antoine de Créquy, seigneur de Pont-Rémi, à la tête de l'artillerie à la bataille de Ravenne, en 1512, résista dans Thérouanne à Henri VIII et à Maximilien qui finirent par le vaincre ; il n'en battit pas moins ensuite les Espagnols et les Anglais en Picardie. Il mourut en 1525] ; cette ville ayant été détruite par les armées de Charles-Quint en 1553, il reçut en compensation, d'ailleurs avantageuse, l'évêché de Nantes (TRAVERS, t. II, p. 335).

Le cardinal de Bourbon n'en faisait pas pour autant entière résignation, et le diocèse connut jusqu'à sa mort un curieux dualisme. Non que le propre évêque n'ait été Antoine de Créquy ; mais le cardinal, qui avait fait résignation de l'administration du diocèse, continuait néanmoins de profiter du privilège que lui avait acquis le bref de Jules III. L'évêque de Nantes — Créquy — nomme aux bénéfices six mois sur douze ; l'archevêque de Rouen, Charles de Bourbon, conserve à son profit la prérogative papale pour nommer pendant les six autres mois. La situation se simplifie — ou se complique, suivant l'aspect qu'on lui donne — de la manière suivante : il institue l'évêque lui-même, en 1555, son vicaire général pour faire en son nom ses présentations. De telle sorte que le siège de Nantes offre ce spectacle d'un prélat qui est à la fois l'évêque du diocèse et le vicaire général d'un autre évêque sur son propre territoire. Un secrétaire est de plus accrédité à Nantes, au nom du cardinal pour régler ses affaires sur place [Note : « Charles cardinal de Bourbon, archevêque de Rouen, primat de Normandie, savoir faisons que par le bon et louable raport faict nous a esté en la personne de nostre cher et bien aimé maistre Guillaume Gougeon, practicien, demeurant à Nantes et de siennes suffisances et loyaulté, prodhomie et grande fidellité, iceluy, pour ces causes et aultres considérations (...) nous à ce mouvant, avons faict et nommé, constitué et établi, constituons et établissons par ces lettres nostre secrétaire audict Nantes pour expédier et signer toutes lettres et expéditions quelconques qui seront concédées et octroyées par nos vicaires généraux et procureurs depputez ou à depputer, » etc... (juillet 1561). Registre des Insinuations ecclésiastiques, t. VI, fol. 59 (Arch. dép. de la Loire-Atlantique)].

Au moins, avec Antoine de Créquy, l'Église de Nantes cessait-elle son veuvage de fait. L'épiscopat de ce prélat, appartenant à une des grandes familles de France, mais moins encombré de bénéfices, marque une réaction et témoigne d'un zèle véritable. Le nouvel évêque tint synode dès son arrivée, et y publia des statuts à l'usage du diocèse ; il fit ensuite par lui-même la visite des paroisses de la ville et confia le soin d'y procéder, pour celles des différents « climats » du diocèse, à ses vicaires généraux. Cette visite, d'ailleurs, devait lui révéler bien des tristesses, peut-être pas pires au fond, que celles d'autres temps, mais fournissant déjà des indices curieux des infiltrations protestantes [Note : De cette visite et de celles qui suivront, nous avons constitué un « Essai sur l'état religieux du diocèse de Nantes de 1554 à 1573 », dans Recherches et travaux de l'Université catholique de l'Ouest, t. II, n° 1 et 2, t. III, n° 1 (1946-1948), d'après les procès-verbaux de ces visites, aux Arch. dép. de la Loire-Atlantique, G 42, 43, 44, 45. — Sur les synodes et statuts de 1556 et 1560, cf. A. ARTONNE, Répertoire des statuts synodaux de l'ancienne France (Paris, 1963), p. 326-327].

Il prêche et institue à la cathédrale des stations de prédication pour l'Avent et le Carême, dont la charge sera confiée chaque année à un docteur en théologie de la Faculté de Paris (TRAVERS, t. II, p. 367).

Lui aussi s'occupe de la liturgie. Il publie, à son tour, une nouvelle édition du bréviaire et du rituel nantais, en 1556, et un processionnal ou Trophia, édité en 1560 et 1562 (TRAVERS, t. II, p. 366).

Le premier historien de la Réforme en Bretagne, Philippe Le Noir de Crevain, fait d'Antoine de Créquy un prélat batailleur et quelque peu soudard [Note : Histoire ecclésiastique de Bretagne depuis la Réformation jusqu'à l'Édit de Nantes, par Philippe LE NOIR sieur DE CREVIN, pasteur de l'Église réformée de Blain (Paris, 1851, écrite en 1650), p. 12-15]. Il le présente comme intervenant en personne au Croisic, en 1558, à la tête d'une bande de « gens de marine et de commun peuple », pour déloger les calvinistes de la maison où ils tenaient leurs prêches. D'Andelot, seigneur de la Bretesche, était, à l'instar des Rohan, seigneurs de Blain, l'un des principaux instigateurs de la Réforme dans le comté nantais. C'est lui qui avait introduit Carmel, et c'est sous la protection de d'Andelot que les réformés s'étaient ingérés au Croisic. L'évêque organise une procession du Saint-Sacrement, tandis que les soldats improvisés, mis en humeur par de solides rasades de vin de Gascogne, disposent une couleuvrine qui harcèle la maison, défendue seulement par dix-neuf hommes, d'une grêle de cinq cents coups. Crevain, qui écrit vers 1650, cite d'après un libelle imprimé à Lyon en 1563 [Note : Histoire des persécutions et martyrs de l'Église de Paris depuis l'an 1557 jusques au temps du roy Charles IX (Lyon, 1563). D'après VAURIGAUD, Essai sur l'histoire des Églises réformées de Bretagne (Paris, 1670), t. I, p. 15] et Théodore de Bèze, dans son Histoire des Églises réformées de France, éditée en 1563, rapporte également le fait [Note : « De fait, Dieu montra bien à ce coup que lui-même peut garantir les siens sans autre puissance, envoyant un tel aveuglement à ce nombre de gens, s'entrepressant et s'entreblessant les uns les autres, qu'après avoir percé la maison de part en part de plusieurs coups de pièces et notamment d'une grande et longue couleuvrine de fonte qu'ils amenèrent, au lieu d'y entrer, ils se retirèrent tous échauffés droit à leur évêque, qui leur fit défoncer des barriques de vin pour boire leur saoul, leur faisant m'omettre d'achever le lendemain leur entreprise » (Histoire des Églises réformées de France, t. I, p. 197, — cité par VAURIGAUD dans l'édition de Le NOIR, p. 335)]. L'intervention personnelle de l'évêque paraît bien certaine, d'autant que la circonstance était grave : les prédicants calvinistes, Carmel et Loiseleur, avaient pris pied dans l'église même du Croisic, pressés par d'Andelot. L'usage de la force pour déloger les délinquants, après le départ de celui-ci, paraît de même tout à fait dans l'usage du temps ; et qu'une cérémonie de supplication envers le Saint-Sacrement ait eu lieu conjointement est tout à fait conforme à la piété de l'époque et témoigne de celle de l'évêque, Créquy ayant lui-même porté le Saint-Sacrement. Les conclusions qui sont données à l'aventure font rêver. Antoine de Créquy serait rentré à Nantes, couvert de confusion, par suite de l'intervention de l'un des chefs huguenots, du Brossay Saint-Gravé, ce qui est fort possible ; mais surtout, blâmé hautement à la Cour de France et déclaré inhabile par le Grand Conseil, il aurait été contraint de se démettre de son évêché, et même, de dépit, aurait pris femme [Note : Vaurigaud, dans son édition de Le Noir, omet ce dernier détail que TRAVERS, t. II, p. 347, reproduit d'après l'histoire manuscrite. Travers rejette d'ailleurs toute l'histoire, et après lui LE GALLO, Notes sur Le Croisic, p. 38]. Ici, c'est le pur pamphlet ; Antoine passa, en 1562 seulement, à l'évêché d'Amiens et trois ans après reçut le chapeau de cardinal [Note : C'est là que le retrouve J. LESTOCQUOY, art. cité, p. 37], sans que, du reste, on n'ait rien dénoncé jamais de repréhensible dans sa conduite et dans ses mœurs.

Il faut au contraire relever, sur les derniers temps de sa vie, un fait personnel à l'éloge du prélat. Comme un médecin peu scrupuleux lui proposait, dans une crise aiguë de gravelle, « un remède infâme », il aurait en cette réponse : « Je ne perdrai pas mon âme pour procurer à mon corps une santé de peu de jours » (TRAVERS, t. II, p. 366). L'homme d'Église, le chrétien, ne rappelait là qu'un devoir ; mais le devoir est beau en face de la mort et l'on retrouve le même fait dans la vie des saints [Note : Par exemple, saint Casimir (Bréviaire romain)]. Il devait aimer sa première Église, car, mort évêque d'Amiens, il laissait au diocèse de Nantes un legs important (TRAVERS, t. II, p. 449).

Sa succession présente un cas de népotisme à rebours. Antoine de Créquy fut remplacé sur le siège de Nantes, en 1562, par son oncle, Antoine de Créquy dit « l'Ancien ». En fait, tout n'alla pas si bien entre les deux personnages : tandis que l'oncle présentait ses bulles devant le chapitre, le neveu fit valoir des lettres de regret pour empêcher leur acceptation. Les bulles cependant l'emportèrent.

Le nouvel élu était un souffreteux. Il ne vint à Nantes que deux fois, en 1562 et en 1566. Il permuta, à cette date même, avec Philippe du Bec, évêque de Vannes, qu'il avait fait déjà, en 1564, son vicaire général (TRAVERS, t. II, p. 369, 388, 393).

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Le bilan de toute cette époque n'est pas purement négatif. Peu de faits vraiment saillants d'influence pastorale. La conscience chrétienne s'émeut devant une situation anormale : plus de trente ans d'absentéisme [Note : Depuis la mort de François Hamon, jusqu'à la prise de possession d'Antoine de Créquy le Jeune, en 1554, sans parler des nombreuses absences même des évêques résidents, comme Raoul Guibé, François Hamon, que l'on voit bien préoccupés aux affaires extérieures à leur diocèse] sur soixante-six ! A deux reprises, le siège épiscopal apprécié seulement à la valeur d'un apanage, dont, avec le cumul de tant d'autres bénéfices de même ordre, l'autorité royale pourvoyait deux princes de l'Église et princes de cette terre.

L'on ne saurait pourtant s'en tenir là strictement. Une première remarque s'impose : il n'est aucun des personnages défilant dans cette galerie d'évêques — de ceux qui résidèrent — qui n'offre des garanties suffisantes d'honnêteté. Aucun scandale certain n'affecte l'un d'entre eux. Dans le nombre, il en est deux, Raoul Guibé, François Hamon, qui prirent un rôle actif dans l'histoire générale de l'Église. Un troisième, Antoine de Créquy le Jeune, donne l'indice d'un zèle véritable.

Enfin, en l'absence des évêques, le ministère des âmes non plus que l'administration diocésaine, ne sont délaissés autant qu'on pourrait le craindre. Le 7 février 1531, sous le pontificat de François Hamon, le promoteur de l'officialité présente au chapitre, l'évêque étant éloigné de son diocèse, le procès-verbal des visites pastorales qui ont été accomplies en son nom, durant le cours de l'année précédente, dans toute la partie du diocèse qu'on appelle le « climat » d'Outre-Loire (TRAVERS, t. II, p. 293). Ces visites paraissent bien avoir une allure régulière, lorsque avec Antoine Ier de Créquy l'on en retrouve le cours. Les actes qui en contiennent le relevé, et qui par bonheur ont été conservés, portent des allusions toutes naturelles à celles des années immédiatement antérieures, concernant par conséquent l'illusoire épiscopat de Charles de Bourbon. En principe, d'ailleurs, le synode ne tient ses assises pas moins de deux fois l'an, le jeudi de la Pentecôte et le jeudi d'après la Saint-Luc, en octobre ; le premier prépare les affaires du second (TRAVERS, t. II, p. 464-465). Tous les curés, sous peine d'amende, doivent assister à l'un comme à l'autre ; une indulgence de quarante jours est, d'ailleurs, la récompense de leur peine depuis le synode de 1506 (TRAVERS, t. II, p. 262).

Les vicaires généraux suppléent, pendant ce temps, à la déficience des évêques. L'un d'eux offre une personnalité assez marquante ; et, comme il était revêtu du caractère épiscopal, il a droit de prendre place au rang de ceux dont il la tenait. C'était un religieux de l'Ordre de saint Dominique. Travers l'appelle Gilles de Gand.

Il le fait évêque in partibus infidelium de Rouenne « en Morée » — plus exactement, en Syrie — [Note : « M. D.XLIIII. — Referente eodem Rev. mo Domino Antonio etc. Card. Sanctorum Quatuor (Antonius Pucci), providit ecclesie Rovenn, in partibus infidelium, tunc certo vacan, de persona R.P. fratris Aegidii Gaude, ord. praedicatorum, theol. professoris, et in presbiteratus ordine constituti, et in ecclesia Nannetens., Rev. mi et III. mi Domini Ioh. etc. Card. de Lotoringia, ejusdem ecclesie administratoris, constituit, cum facultate exercendi pontificalia etc (...) de concensu praedicti Cardinalis (...) et cum dispensatione recipiendi et retinendi beneficia, sub dispensationibus alias ei concessis comprehensa (...) et cum derogationibus et clausulis consuetis. Die lunae XXI aprilis 1544. — Romae apud S. Petrum in loco solito (...) », Archives du Vatican : Acta Cam. 5, f. 106 v. — (Aimablement communiqué par le R.P. Raymond Creytens, o.p., Directeur de l'Institut historique de Sainte-Sabine, Rome)], et doté par surcroît de nombreux bénéfices. Le nom du religieux est plus probablement Gilles Gaude et son origine, sans doute, bretonne. Comment la carrière de Frère Gilles le conduisit-elle à cette dignité et à diriger l'Église de Nantes avec le titre de vicaire général, c'est ce qu'il est difficile de savoir [Note : Le nom de Gand a pu provenir, chez Travers, d'une graphie difficile ; comme est celle de l'acte romain, où l'on pourrait lire Gaudz, ou même Gardz. Mais il se peut également que se soit introduite une équivoque, du fait que la Réforme dite « de Hollande », florissant aux Pays-Bas, s'était implantée en Bretagne (à Nantes notamment en 1474). Gand fut le premier couvent autour duquel s'étaient groupés (en 1457) ce qui constitua la « Congrégation de Hollande ». — Cf. R. P. Albert de MEYER, o.p., La Congrégation de Hollande ou la réforme dominicaine en territoire bourguignon, 1465-1515 (Liège, s. d.), en particulier, pour Nantes, p. LII, XCI, 64, 117. Le couvent de Morlaix a fourni, à l'époque de « Gilles de Gand », plusieurs évêques « suffragants », dans les mêmes conditions que lui. Gilles ne paraît pas cependant dans la liste connue des religieux de ce couvent. Le nom de Gaude, fréquent en Bretagne sud, semblerait rattacher le personnage à celui de Quimperlé, dont on ne connaît que les « maîtres » ou du moins les « lecteurs » en théologie. Gilles Gaude ne dut pas y enseigner. — Je reproduisi ci les avis obligeants du R. P. Toravel, o.p., du couvent d'Angers, dont les travaux personnels embrassent tous les couvents des Frères Prêcheurs de la région de l'Ouest sous l'Ancien Régime. — A. ARTONNE, op. cit., p. 326 maintient l'appellation de Gandz et fait de « Rouenne » Rhéon dans l'île de Négrepont]. Son rôle s'exerça sous les épiscopats de Jean de Lorraine et de Charles de Bourbon, de 1544 à 1553. Il lui revint même d'ordonner prêtre le successeur de ce dernier, Antoine de Créquy, que sa nomination au siège de Nantes n'avait trouvé que diacre, et de procéder à son sacre avec l'évêque de Dol, en la chapelle de l'évêché. Il prolongea d'ailleurs ses fonctions sous son autorité, fit avec lui la visite des paroisses de Nantes en 1555, et tint en son nom le synode de 1556 (TRAVERS, t. II, p. 335, 338).

C'est à l'égard des protestants que le grand vicaire eut le plus à déployer son zèle. Il le fit à la manière forte. Ainsi ordonna-t-il, en juillet 1561, la saisie de tout un chargement de livres que deux libraires amenaient de Genève, et fit emprisonner l'un d'eux. Les deux colporteurs ayant eu recours au Parlement de Rennes, l'affaire ne fut pas aussi simple qu'il l'aurait pensé ; un an après, elle était encore pendante et le resta, car pendant ce temps les calvinistes avaient pris les armes.

La position de Gilles Gaude était d'ailleurs, à leur endroit, devenue scabreuse. Il fut accusé par les Réformés d'avoir fait mettre le feu au pressoir de Barbin, où se tenaient leurs conventicules. Paille et fagots, selon leurs dires, provenaient de la maison de campagne appelée Loquidy, qui était la résidence de l'archidiacre de l'Église de Nantes, lors son propre neveu, Julien Gaude ou « de Gand » [Note : TRAVERS, t. II, p. 361. — Dom MORICE, Histoire de Bretagne, Preuves, t. III, col. 1295, 1297-1298].

L'évêque de Rouenne déploya encore toute sa fougue en élevant d'énergiques protestations devant le Bureau de ville contre l'édit de janvier 1562, qui accordait aux Réformés la liberté de leur culte hors l'enceinte des villes. Il rencontra sur ce point l'accord complet des gens de Nantes (TRAVERS, t. II, p. 371). Gilles Gaude mourut le 7 mai 1563, à Loquidy, et fut inhumé dans la cathédrale.

La manière dont est défendue la foi catholique est celle, on le voit, qui prévaudra au temps de la Ligue envers laquelle, du reste, la ville de Nantes manifestera tant de ferveur. Les boute-feu du pressoir de Barbin avaient été six clercs de la cathédrale, dont le sacriste et un sous-diacre (Dom MORICE, op. cit., col. 129).

Quant à Gilles Gaude, son zèle ne lui faisait pas perdre de vue, comme on vient de le voir, ses intérêts de famille. Il avait, avant de mourir, disposé de sa succession en faveur de son neveu Julien, prêtre du diocèse de Rennes, dont il avait déjà fait un archidiacre de Nantes, en le créant, en 1561, tout vicaire général qu'il était d'un évêque résident, son propre vicaire général in spiritualibus et temporalibus [Note : Registre des insinuations, t. VII, fol. 51].

Il n'est pas donné cependant de savoir ce que fut, dans le détail concret, la participation des hommes de bien au devoir pastoral de chaque jour. Certains indices peuvent intervenir toutefois pour nous sortir dès à peu près ou des généralisations plus hâtives. Du successeur d'Antoine II de Créquy, Philippe du Bec, l'abbé Travers fait remarquer qu'il eut la sagesse de choisir comme « chanoine commensal » et secrétaire un prêtre d'expérience qui avait rempli la même fonction sous les quatre évêques précédents (TRAVERS, t. II, p. 397). Il n'est pas interdit de voir là mieux qu'un simple administrateur.

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Un changement d'orientation, une rénovation véritable plutôt, se fait sentir assez vite, à Nantes, avec l'épiscopat de Philippe du Bec, successeur d'Antoine II de Créquy en 1566.

La famille n'était pas moindre que celle des Créquy. Philippe était le second fils de Charles du Bec, sieur dudit lieu en Normandie, de la Bosse, de Bourg, marquis de Vardes, comte de Moret, chevalier de l'Ordre du Roi, vice-amiral de France ; et de Marie de Beauvilliers, fille d'Aimery comte de Saint-Aignan, gouverneur et bailli de Blois. La sœur de Charles du Bec, Françoise, avait épousé Jacques de Mornay ; ils eurent pour fils le fameux du Plessis-Mornay, chancelier de France et chef huguenot, qui se trouvait être ainsi le cousin germain de l'évêque. Parmi les ancêtres lointains, se place Gilbert baron du Bec, l'un des fondateurs, en 1034, de l'abbaye que rendirent célèbre Lanfranc et saint Anselme. Un autre, Guillaume du Bec, fut connétable de Normandie et maréchal de France en 1283. La maison du Bec se fondra, au XVIIème siècle, avec celle de Rohan [Note : De KERSAUZON, L'épiscopat nantais à travers les siècles, p. 232-235].

Il était doyen du chapitre de la cathédrale d'Angers, lorsqu'en 1550, il fut promu à l'évêché de Vannes. Les cumuls ne paraissent pas avoir dépassé une norme moyenne : Philippe prêta serment comme prévôt de Saint-Martin de Vertou, au diocèse de Nantes, en 1562.

Il fut l'un des dix-huit évêques français qui, lors de la troisième phase du concile de Trente, prirent part à ses travaux, autour du cardinal Charles de Lorraine. Les questions qui restaient à traiter concernaient, entre autres, la réforme du clergé, le décret sur les séminaires. Le gros de la délégation française était arrivé en novembre 1562 ; la dernière session eut lieu le 3 décembre 1563 (Cf. L. CRISTIANI, L'Église à l'époque du concile de Trente, p. 202).

Philippe du Bec n'obtint ses bulles pour le siège de Nantes qu'au mois de mars 1564. Le pape Paul IV était mort le 18 août 1559 ; et il en résultait quelque retard dans les expéditions. Le chapitre fit instance pour avoir son évêque et dépêcha l'un de ses chanoines. Avant cela même, le nouveau pape, saint Pie V, avait donné son agrément. Philippe présentera ses bulles le 13 novembre et prendra possession le 15. Son entrée solennelle n'eut lieu cependant que le 25 décembre. Le concours du peuple fut, ce jour-là, considérable. Philippe prêcha sur l'Église, apportant manifestement l'écho des assises solennelles auxquelles il lui avait été donné de prendre part (TRAVERS, t. II, p. 395-397).

C'est bien en effet, la doctrine du concile qu'il s'efforce de mettre en valeur, se conformant en même temps à ses prescriptions qui font un devoir personnel à l'évêque d'instruire les fidèles (Sessio V, De Reformatione, cap. II). Il fit, à la cathédrale, le 15 avril 1568, un sermon sur l'Eucharistie, dont Travers nous assure qu'il fut « un des meilleurs sermons qui aient été faits sur l'institution du sacrement de l'Eucharistie et la transsubstantiation, autrement (dit) le changement du pain et du vin dans le vrai corps et le vrai sang de Notre-Seigneur Jésus-Christ » (TRAVERS, t. II, p. 403).

Il n'y a pas à se demander comment l'historien a pu fonder son jugement. Les sermons de Philippe du Bec seront édités à Paris en 1596 [Note : Chez Jean Février. L'évêque dédiait ce recueil en ces termes à ses diocésains : « A Messieurs des trois ordres et états, du clergé, noblesse et peuple de la ville, comté et diocèse de Nantes, mes très chers frères et très-aimés enfans en Nostre Seigneur et Sauveur Jésus-Christ. » TRAVERS, t. III, p. 119]. Il prêchera de nouveau sur l'Eucharistie à la Fête-Dieu de 1579 (TRAVERS, t. II, p. 478). Son talent d'orateur le fera suffisamment connaître pour que la cour d'Henri III l'entende quatre fois, en 1584 et 1585, dont deux fois le jour de Noël (TRAVERS, t. II, p. 559). Travers, qui cite un long extrait, est le premier à reconnaître la fidélité aux instructions tridentines [Note : « Philippe du Bec... avait assisté au Concile de Trente et il en savait et suivait la doctrine » (TRAVERS, t. II, p. 561)]. L'un des sermons de Noël prend pour thème les « trois lois » — loi de nature, loi mosaïque, loi évangélique — dans l'économie divine : la première se présente « avec une petite chandelle allumée, la seconde avec une grande et ardente torche et toutes fois voilée, mais l'Évangile en la pleine et claire lumière du soleil de justice, Jésus-Christ ». Le développement est fort juste : la loi naturelle « avec ses philosophes voit Dieu en ses créatures ; la loi mosaïque aux Écritures, et l'Évangile le voit en son Fils Jésus-Christ. La loi de nature fait servir Dieu par raison, la loi de Moyse par crainte et l'Évangile par amour... La première conduit à quelque félicité humaine, la deuxième à la terre de promission, et l'Évangile conduit au ciel » [Note : « Philippe du Bec... avait assisté au Concile de Trente et il en savait et suivait la doctrine » (TRAVERS, t. II, p. 561)]. Comme exposé, ce n'est pas si mal.

Mais Philippe du Bec est aussi auteur spirituel. Il composera, pour l'usage de la reine Louise de France, devenue veuve d'Henri III, une Oraison et Méditation, dont nous connaissons mal le contenu, mais aussi une traduction française du traité de saint Ambroise sur la Viduité (TRAVERS, t. III, p. 119).

L'évêque s'est montré bon envers les pauvres. Ce fut, du moins, l'un de ses premiers soins de les recommander à son clergé, aux « nobles et bourgeois, habitants de Nantes, tous ses très amez frères, rappelant le verset du Psaume : Bienheureux l'homme qui a l'intelligence du pauvre... » (A. GÉLUSSEA.U, op. cit., p. 53 ; cf. Ps., XL, 1).

Ce qui est resté de son administration ne laisse entrevoir rien de plus que ce qui s'accomplit sous ses prédécesseurs : visites pastorales en 1572 et 1576, mais par l'intermédiaire des vicaires généraux (TRAVERS, t. II, p. 442, 464) ; le diocèse suit une tradition, qui ne s'est pas en somme interrompue. Il y eut conflit avec le chapitre en 1572, dans des conditions assez difficiles à déterminer. La cause est bien, sans doute, le refus de l'évêque de Nantes de participer aux réparations qu'il était urgent de faire à la cathédrale ; mais on ne s'explique pas pourquoi. Philippe finit par céder, au moins partiellement, ainsi que pour des droits concernant la forêt de Sautron, qui était du domaine du chapitre. Mais ce qui frappe le plus dans cette affaire, c'est la remarque dont Travers en accompagne le récit : « L'attention du chapitre à ne pas se brouiller avec l'évêque fut grande ; il le respectait beaucoup d'ailleurs », et « l'évêque, de son côté, avait aussi de grands égards pour le chapitre » ; au point de lui déléguer son grand vicaire, François de Boideu, en cette même année, pour le prier d'agréer le prédicateur désigné par lui pour la station de carême (TRAVERS, t. II, p. 437-438 ; cf. p. 443).

Une affaire pénible avait montré l'évêque de Nantes, en 1568, dans l'exercice de la justice, autant que dans le ministère de sa charité. Un prêtre, moine de la Chaume, en Machecoul, s'était rendu coupable de crime contre nature, accompagné de sévices qui provoquèrent la mort de sa victime. Lui-même, après dégradation fut livré au bras séculier et conduit au dernier supplice. Philippe du Bec assista le malheureux jusqu'au bout et reçut son dernier soupir (TRAVERS, t. II, p. 401-402).

A l'exemple de son prédécesseur Antoine de Créquy, et à la demande de son clergé, Philippe du Bec s'emploie à contenir l'expansion du calvinisme dans le diocèse. Des réunions se tenaient au château de la Gâcherie, fief des Rohan, sur la paroisse de La Chapelle-sur-Erdre, en opposition avec les édits. Philippe gagna la Cour en 1571, mais il n'obtint gain de cause, sur nouvelles démarches cette fois de l'archidiacre de La Mée, que l'année suivante, en juillet 1572. Le culte réformé ne fera d'ailleurs que se transporter sur l'autre rive, à Sucé, où il subsistera longtemps (TRAVERS, t. II, p. 431). Nantes est une des villes dans lesquelles la journée de la Saint-Barthélemy, survenue quelques semaines après, n'eut aucune répercussion ; la lettre du duc de Montpensier, Louis de Bourbon, gouverneur de Bretagne, qui invitait les habitants à prendre exemple sur Paris, ne trouva pas d'écho. Ce fut le fait sans doute des échevins et du maire ; mais il est permis de croire que la pensée personnelle de l'évêque y ait été pour quelque chose.

Les affaires politiques allaient rendre bientôt sa situation particulièrement difficile. Le prestige personnel de l'évêque de Nantes, au point de vue civil, paraît s'être de bonne heure imposé. Il préside aux États de Bretagne à Nantes en 1568 et 1569 [Note : TRAVERS, t. II, p. 413, 418. La présidence, il est vrai, en cette double circonstance s'imposait : Philippe était le seul évêque présent...], à Vannes en mars 1572, à Nantes en octobre (TRAVERS, t. II, p. 442), à Nantes encore en 1579 (TRAVERS, t. II, p. 486). En juillet 1573, le futur Henri III, « M. le duc d'Anjou » que la Pologne vient de choisir pour son roi, passe par Nantes, en revenant de la Rochelle, dont il avait tenté le siège en vain. Le duc était accompagné du roi de Navarre, le futur Henri IV ; l'on était en période de trève. Cet assemblage porte en lui-même comme le signe de l'avenir politique de Philippe du Bec ; l'évêque de Nantes ne put se dispenser d'aller saluer les deux princes à l'hôtel de Briord, en présence du Bureau de ville, sans qu'il y eût d'ailleurs aucune solennité (TRAVERS, t. II, p. 446).

Sur le plan religieux, son autorité morale s'impose. Lors de son avènement sur le siège de Nantes, la grande affaire en cours va être d'ici peu celle de la réception du concile de Trente. L'État du pays, les préventions dans l'entourage de Charles IX la rendent difficile. L'attente de la reine-mère eût été celle d'un concile qui la débarrassât en France des luttes religieuses et qui eût procédé auprès des protestants par voie de persuasion ou d'accommodement. Cet espoir a été déçu ; il fait place à la crainte d'une influence du pape rendue prépondérante. L'avènement de saint Pie V, il est vrai, a partiellement dégagé l'atmosphère. Le nouveau pape est moins lié que ne l'a été Pie IV avec l'Espagne. Il est aussi plus conciliant ; les aspects formalistes du problème retiennent moins son attention que celui des réalités vivantes, celles des réformes à accomplir [Note : Victor MARTIN, Le gallicanisme et la réforme catholique, p. 1-37, 88-93]. La situation concordataire, spécialement en ce qui concerne le régime des bénéfices, rend impossible — et impensable — néanmoins une application efficace des réformes sans la reconnaissance par le roi des décrets conciliaires. C'est à l'obtenir que s'appliquent conjointement les efforts des évêques et des nonces, et parmi les évêques de ceux qui ont pris part aux dernières sessions.

En 1570, le 29 août, se tient devant le roi une réunion des cardinaux, évêques, prêtres présents à Paris ; Catherine de Médicis y assiste également. Charles IX proteste de ses sentiments catholiques ; il invite les ecclésiastiques à la vigilance et au zèle. On n'en obtient pas davantage [Note : Victor MARTIN, Le gallicanisme et la réforme catholique, p. 99]. En 1573, le roi convoque une nouvelle réunion : deux évêques par province. Des commissions sont établies pour traiter des affaires d'Église. Philippe du Bec fait partie de l'une d'elles, celle qui doit statuer sur l'état du clergé séculier. Le mobile financier n'est pas étranger chez le roi à de telles préoccupations, significatives néanmoins de celles qui animent les évêques [Note : Victor MARTIN, Le gallicanisme et la réforme catholique, p. 115-116].

C'est le prélude à l'assemblée de Melun, sous Henri III, beaucoup plus importante. Elle dure plus de huit mois : de juin 1579 à février 1580. A Melun la question de l'acceptation du concile est nettement et instamment posée [Note : Pas moins de six remontrances, requête, cahier de remontrance présentés au roi. — Monumentorum ad historiam Concilii Tridentini... amplissima collectio, t. VII, pars prior... studio et opera Judoci LE PLAT (Louvain, 1787), p. 227-246]. L'une des interventions les plus décisives est celle de Nicolas Langelier [Note : V. Martin écrit « Lancelier ». Or, d'après l'édition du Catalogue... des Évêques de Bretagne d'Albert Le Grand, par P. PEYRON (Quimper, 1901), p. 218, Langelier portait des armes parlantes : un Enfant Jésus tenant deux anges liés], évêque de Saint-Brieuc [Note : 3 octobre 1579. Le ton se fait pressant. Il est démontré au roi que ce que n'a pu réaliser la force des armes : l'unité religieuse de la France, seule la réforme peut l'accomplir ; et il faut, en vue de celle-ci, la réception du concile : « ... C'est la cause pour laquelle, Sire, nous avons tant instamment requis, et plus instamment encore nous requérons et requerrons, tant que nous pourrons soupirer à Dieu et à vous, la publication du concile de Trente, et la restitution des élections aux églises et monastères. Cette publication du concile n'est pas par nous requise pour vous exciter avec les autres princes catholiques à la guerre, pour meurtrir et saccager ceux qui sont fourvoyés de la vraie religion ; car non par la force, ains par sainte doctrine et exemple de bonne vie, nous désirons les rappeler et réduire en la bergerie de Jésus-Christ, lequel nous savons n'être venu en ce monde pour perdre mais pour sauver les âmes et tous les hommes, pour lesquels il a espandu son précieux sang ; et à son invitation ne ferions difficulté, quand il en seroit besoin, d'exposer nos propres vies pour la résipiscence et salut de ces pauvres abusés. Mais nous requérons ce saint concile être publié, pour rétablir et maintenir une vraie, sainte, entière et assurée discipline, laquelle est tant nécessaire et si importante à l'Église... ». Saint Augustin compare les hérétiques aux mouches, lesquels « opiniâtrement s'attachent sur la charogne » ; que l'on supprime la charogne (la corruption dans l'Église), il n'y aura plus de mouches (LE PLAT, op. cit., p. 244-247)]. L'évêque de Nantes est participant une fois de plus, et son rôle intervient dans les décisions prises en vue d'améliorer le recrutement des titulaires de bénéfices, à commencer par les évêques [Note : Remontrance du 3 juillet, présentée par Arnaud de Pontac, évêque de Bazas (LE PLAT, p. 227-233). Courageux tableau de la situation dans V. MARTIN, op. cit., p. 151-152]. L'opposition des Politiques est devenu l'obstacle majeur en ce qui concerne l'acceptation du concile (V. MARTIN, op. cit., p. 160-167).

Un incident de grave conséquence fut l'initiative prise par l'autorité royale, à l'instigation de ces derniers, des Ordonnances de Blois, promulgués en janvier 1580, comme une réponse aux Cahiers des États de 1576. Les ordonnances portaient un certain nombre de décrets allant dans le sens de la réforme ; mais elles en émettaient d'autres — questions afférantes au mariage ou aux vœux de religion — qui allaient à l'encontre de la législation canonique (V. MARTIN, op. cit., p. 167-170). L'attitude romaine ne pouvait qu'être réticente, inquiète même (V. MARTIN, op. cit., p. 170-173) ; celle des évêques se posa d'une manière très ferme, et l'instigateur en fut, avec plusieurs de ses collègues, Philippe du Bec.

L'occasion fut un autre incident. Chaque année, se donnait à Rome la lecture de cette bulle aux origines incertaines, intitulée, non d'après l'incipit, mais d'après le jour où la promulgation en était renouvelée annuellement par le pape : In coena Domini. Cette bulle n'avait jamais été « reçue » en France. Elle n'était cependant que rappel de principes généraux touchant les pouvoirs de l'Eglise, auquel s'ajoutait celui des excommunications portées contre les représentants de l'autorité séculière qui empièteraient sur ses droits. En une telle circonstance, le document revêtait une actualité toute particulière, et comme son existence et sa teneur ne pouvaient rester ignorées, que la diffusion même en était organisée en France tant par le nonce Dandino que par le recteur des jésuites de Paris, ce fut un beau tapage. L'évêque de Chartres, Nicolas de Thou, frère du premier président au Parlement et de même tendance gallicane que lui, est de ceux qui crient le plus fort. L'évêque de Nantes au contraire profite de l'affaire pour refuser au roi les subsides constamment réclamés : les collecteurs sont des excommuniés ! Il serait difficile de voir dans ce geste une réaction purement intéressée ; pas davantage une preuve évidente d'ultramontanisme. Conscient des devoirs d'un homme d'Église, le prélat s'insurge seulement contre l'ingérence du pouvoir en un domaine qui n'est pas le sien ; c'est en ce sens d'ailleurs que la Sorbonne s'est elle-même prononcée. Le nonce porte le fait à la connaissance du secrétaire d'État, le cardinal de Côme (V. MARTIN, op. cit., p. 175-177).

La personnalité de Philippe du Bec ne paraît pas en avoir tellement souffert auprès du roi. Les apaisements d'ailleurs se sont produits, au point qu'en 1582 et grâce à l'habileté du nonce Castelli, l'on ait frôlé de près l'adoption du concile (V. MARTIN, op. cit., p. 178-188, 207-208). La solution moyenne tend à prévaloir ; un travail de réforme présenté moins comme l'exécution des décrets tridentins que du fait de l'autorité royale [Note : Girolamo Ragazzoni, évêque de Bergame, nonce en France. Correspondance de sa nonciature. 1583-1586, éditée par les soins de Pierre BLET, s.j. (Rome-Paris, 1962), Introduction, p. 33-34. — Aline KARCHER, « L'assemblée des notables de Saint-Germain-en-Laye (1583) », dans Bibliothèque de l'École des Chartes (1956), p. 114-162]. Henri III prend, en 1583, l'initiative d'une assemblée non du clergé mais de notables, ecclésiastiques et laïcs. Elle comprendra soixante-six membres. Philippe du Bec en fait partie ; il s'y trouvera en compagnie de son prédécesseur sur le siège de Nantes, le cardinal Charles de Bourbon. Parmi les princes, le duc de Guise, et son cousin le duc de Mercœur, gouverneur de Bretagne. Le nouveau nonce, Ragazzoni, arrivé à Paris sur ces entrefaites, surveille adroitement les travaux, se tenant en liaison avec le cardinal dans le sens du but à atteindre : la substance du concile, son « esprit », à défaut de la lettre de ses décrets.

Les mesures de réforme, à vrai dire, ne dépassent guère les lieux communs. L'on revient à l'idée de la Pragmatique Sanction : élection des évêques par les chapitres. L'on parle de la résidence, de l'interdiction du cumul ; arrêts contre la simonie ; rappel de l'épineuse question touchant l'usurpation des biens d'Église par les protestants ; réparation matérielle des églises (P. BLET, Girolamo Ragazzoni..., Introd., p. 41-42). Mais la contre-partie royale, par allusion à la fameuse bulle, se retrouve dans la déclaration, grosse de conséquences, faite par l'assemblée sur les « droits et autoritez » du roi de France : Le Roy ne peut estre excommunié par aucun, ny les officiers du Roy pour raison de leurs offices, et peut prohiber et deffendre qu'aucune monition, suspension ou interdiction soit publiée et exécutée contre les prélats et officiers de son Royaume. Les légats du Pape ne peuvent entrer en France et user de leurs facultéz sans congé et permission expresse du Roy vérifiée en sa cour de Parlement (Texte reproduit par P. BLET, op. cit., p. 40).

Que Philippe du Bec ait souscrit, sa position prise postérieurement pourra le donner à croire ; tout en laissant intacte sans doute l'intention profonde de l'évêque : obtenir avant tout les réformes et ménager l'autorité royale.

Les événements prennent un caractère aigu en juin 1584, du fait de la mort, le 10, du duc d'Anjou [Note : Ci-devant duc d'Alençon, jusqu'à l'avènement d'Henri III au trône de France], le frère du roi. Elle pose la question de succession, résolue par la loi salique en faveur d'Henri de Navarre. C'est alors que la Ligue, constituée par l'Acte d'Union du 13 février 1577 en vue de « préserver la France de l'hérésie », prend résolument son sens politique, et que l'enchevêtrement du politique et du religieux va s'accentuer de plus en plus, jetant le trouble dans les agissements du roi et rendant incertaines les options des ministres de Dieu.

En 1585, l'Assemblée du clergé reprend les mêmes instances qu'en 1579, en vue de la promulgation des décrets conciliaires [Note : L'évêque de Noyon, Claude d'Angennes, 14 octobre ; et encore Nicolas Langelier, 19 novembre (LE PLAT, op. cit., p. 260-264)]. Trois ans d'agitation extrême aboutiront, les 23 et 24 décembre 1588, à l'assassinat des deux Guise, Henri de Guise et le cardinal. Un désarroi si grand s'est emparé alors du roi qu'à cinq semaines de là il signera l'acceptation tant attendue des décrets conciliaires [Note : 2 février 1589. Texte dans V. MARTIN, op. cit., p. 249-250]. L'on peut se demander ce que vaut l'acte en de telles circonstances et sans enregistrement parlementaire ; mais l'on comprend aussi qu'un homme d'Église, s'il en eut connaissance, ait pu faire confiance aux dispositions d'Henri III.

A Nantes, la décision d'adhérer à la Ligue a été prise en Assemblée de ville, le 29 juillet 1588. C'était en réalité une réponse à l'appel lancé en mai, de Paris, par le comité des Seize, bientôt maître de la capitale ; le but ne tendait à rien moins qu'à déposer le monarque homicide, accusé de pactiser avec les huguenots. L'initiative est due, à Nantes, au théologal du chapitre, Cristi [Note : TRAVERS, t. II, p. 578, avec le discours de Cristi]. L'assemblée dépassait de beaucoup, par le nombre des participants, les conditions habituelles de telles réunions [Note : Les Assemblées de ville peuvent être considérées comme une sorte d'« États » des trois ordres, participation élargie des principaux notables, la plupart du temps choisis par le corps de ville. Cf. R. DOUCET, Les Institutions de la France au XVIème siècle (Paris, 1948), t. I, p. 375-377] : cent soixante-cinq notables, tous désignés par leurs noms, plusieurs autres bourgeois et manants de la cité et des faubourgs. Le maire, Charles Harrouys de la Rivière, présidait, accompagné de cinq de ses prédécesseurs ; les deux lieutenants du château étaient là également avec six capitaines de la milice bourgeoise. Du côté ecclésiastique : dix-huit chanoines de la cathédrale, dont trois dignitaires, et quatorze chanoines de la collégiale Notre-Dame. Philippe du Bec était présent. Ses paroles furent tout à fait significatives.

Monseigneur l'évêque de Nantes, rapporte le registre de la ville [Note : Cité par TRAVERS, t. III, p. 2], a proposé que le zèle d'estre et demeurer fermes en l'union de la religion tesmoigné par les requestes et grande instance de plusieurs est louable, et exhorté ung chacun de perseverer en cette bonne volonté, et d'aultre part de croire qu'il n'y a prince ny aucun particulier en ce roiaulme plus catholique et religieux que le roy nostre sire vrai protecteur et deffenseur de l'église catholique, apostolique et romaine, soubs l'auctorité duquel faut reigler toutes protestations, actions et entreprises publiques.

Le maire, Harrouys de la Rivière, appuie la motion de l'évêque. C'est son père, Guillaume Harrouys, qui en 1572 s'était opposé à la répercussion, à Nantes, des massacres de la Saint-Barthélemy [Note : Camille MELLINET, La Commune et la Milice de Nantes (Nantes, s. d.), t. III, p. 248-264]. Mais un parti-pris de modération ne saurait expliquer à lui seul, chez l'évêque du moins, une attitude du premier coup aussi nette. Sa fréquentation de la Cour, la manière dont il avait pu voir s'orienter les dispositions royales, bridées par une opposition parlementaire, les outrances de la Ligue d'autre part et le jeu politique qui se dessinait derrière elle, tout cela lui dictait sa conduite. Celle du nonce, actuellement Morosini, n'était pas différente. Rien surtout ne devait compromettre l'expectative, jamais découragée d'une promulgation du concile sur laquelle Morosini ne cessait de revenir, et qui continuait d'être l'objectif majeur du Saint-Père, Sixte-Quint (V. MARTIN, op. cit., p. 245-247). La solution, d'ailleurs, ne mettrait-elle pas fin du même coup aux agitations de part et d'autre ? Une vue plus extérieure des choses encourageait assurément le parti de la Ligue — le parti populaire en somme — auquel nombre d'évêques français purent ainsi se ranger.

En Bretagne, la situation de la Ligue se trouve renforcée du fait de la présence de Philippe-Emmanuel de Mercœur, cousin d'Henri de Guise et gouverneur de la province. Sous couvert du zèle religieux, il lui est loisible d'agir, et d'agir pour son propre compte, au nom des intérêts de sa femme : Marie de Luxembourg se donne comme héritière du duché, à travers la maison de Penthièvre, à laquelle elle appartenait.

La dame s'occupe à Nantes des affaires de son mari, retenu par la lutte contre le roi de Navarre ; celui-ci bientôt va menacer Clisson. Marie fait mettre en prison, au château, le maire Harrouys, au début d'avril 1589, et quelques notables qu'elle estime trop tièdes. Les esprits s'agitent. Le rôle de l'évêque est encore d'exhorter à la paix ; mais sa situation à lui-même ne sera plus possible : c'est sa dernière intervention (TRAVERS, t. III, p. 18-20).

Philippe du Bec a son chapitre contre lui, entièrement gagné à la Ligue. Cristi le théologal, Touzelin le grand chantre se signalent par leur zèle, ainsi que Decourant grand vicaire de l'évêque (TRAVERS, t. III, p. 21-22). Le roi a dépêché contre Mercœur le comte de Soissons, fils du prince de Condé, une fois avérée l'attitude du gouverneur de la Bretagne ; mais Soissons n'a pas de chance, il est presque aussitôt fait prisonnier au début de juin. Les voûtes de la cathédrale de Nantes retentissent d'un Te Deum, et deux jours après s'y renouvelle le serment de la Ligue aux accents enflammés d'un prédicateur célèbre, Thomas le Bossu. Seul s'est abstenu, dans le chapitre, le maître de la psalette [Note : TRAVERS, t. III, p. 24-25. — On a l'écho de la prédication dans Deux devis d'un catholique et d'un politique sur l'exhortation faicte au peuple de Nantes, en la grande Église de Sainct Pierre, pour jurer l'union des Catholiques, le 8e juin 1589, par Fr. Jacques (sic) Le Bossu, par Nicolas DES MARETZ et François FAVERNE (Nantes, 1589) ; un Troisième Devis par les mêmes (même date) un Quatrième (1590), Bibliothèque de la ville de Nantes, 100.381 R]. Peu après, le clergé de Bretagne, assemblé à Rennes, à la sollicitation des évêques de Rennes et de Dol, Acmar Hennequin et Charles d'Espinay, établit Mercœur capitaine de la Ligue en Bretagne, par-dessus l'autorité du roi. C'est dire si l'épiscopat lui-même se trouve divisé. A vrai dire, la Bretagne est ligueuse dans son ensemble ; pas tout entière cependant, puisque, à Rennes, la municipalité est royaliste (TRAVERS, t. III, p. 27).

L'assassinat d'Henri III intervient le 1er août, rendant la situation plus difficile encore. Depuis la réunion du 10 avril, Philippe du Bec ne paraissait plus aux assemblées de ville ; le bureau y étant, depuis le départ d'Harrouys, entièrement gagné à la Ligue. Sa retenue le rend suspect ; le chapitre l'accuse d'être gagné aux hérétiques. Philippe du Bec prit le parti de quitter Nantes, au mois de septembre, et de se réfugier à Tours (TRAVERS, t. III, p. 32).

L'option royaliste de Rennes venait, pour une large part de la présence dans la ville d'un Parlement, lui-même de tendance gallicane, divisé tout au moins, car le moyen que prit Mercœur de se libérer du Parlement rennais fut de faire venir à Nantes ceux de ses membres qui avaient embrassé le parti de la Ligue.

Le Parlement de Rennes prêtait serment de fidélité à Henri IV le 12 octobre 1589, à la condition toutefois du maintien de la religion catholique et que le roi fut supplié de l'embrasser ; à Nantes, un an plus tard, le Parlement Mercœur datera les arrêts de l'an premier du règne de Charles X (le cardinal de Bourbon) [Note : TRAVERS, t. III, p. 36].

Le geste de Jacques Clément n'était certainement pas pour faire changer l'évêque de Nantes. L'incertitude des solutions de rechange n'avaient guère non plus de quoi le rassurer : un cardinal pour roi, et derrière lui Mayenne, bientôt l'infante d'Espagne. Mais l'on ne comprend bien, ici encore, qu'à la condition de suivre de près, non seulement la politique du nouveau roi, mais celle du Saint-Siège.

Le 4 août, au camp de Saint-Cloud, Henri de Navarre s'est fait proclamer roi de France. Dans la déclaration signée le même jour, il s'engage à conserver dans le royaume la religion catholique, à ne tolérer que son culte, à l'exclusion de tout autre, dans les lieux où il est en usage. Quant à sa propre foi — idée moins étrange qu'il n'y peut paraître, dans le contexte de l'époque —, il prétend s'en remettre à un « bon, légitime et sainct concile », général ou national, qu'il fera réunir dans le délai de dix mois. Cet appel, agréable aux Huguenots comme aux Politiques et qui suppose une mise à l'écart pure et simple du concile de Trente, n'est certainement pas fait pour rassurer Rome [Note : La première conversion d'Henri IV, en 1572, suivie du retour à l'hérésie, ne s'offrait guère non plus comme une garantie]. Jusqu'à la fin de cette année 1589, les orientations du pape se porteront vers Mayenne et la Ligue. Mais le Béarnais, finement, a dépêché là-bas un ambassadeur, Luxembourg, qui expliquera ses intentions et qu'appuieront les ambassadeurs vénitiens. En France, les cardinaux de Vendôme (neveu de Charles de Bourbon) et de Lenoncourt ont pris le même parti que Philippe du Bec, et avec eux d'autres évêques. Sixte-Quint n'est pas de lui-même tellement porté à faire fond sur l'Espagne, si bien que l'espoir d'une solution favorable au catholicisme lui paraît finalement s'offrir du côté d'Henri IV (V. MARTIN, op. cit., p. 253-256).

Le pape meurt le 27 août 1590. Il n'aura de successeur vraiment stable que seize mois plus tard, avec l'élection de Clément VIII, le 30 janvier 1592. Trois pontifes se succèdent dans l'intervalle, sans avoir le temps de mettre en œuvre une politique définitive en sens contraire, pas même Grégoire XIV, qui donne à l'Espagne son appui. Pendant ce temps, les prélats royalistes, et avec eux Philippe du Bec, pouvaient se croire les mainteneurs d'une ligne de conduite telle que l'avait amorcée Sixte-Quint.

L'une des décisions du Parlement Mercœur, à Nantes, vise l'administration du diocèse. Le départ de Philippe du Bec mettait chapitre et grands vicaires dans une situation fausse. Le Parlement trouve tout naturel de « permettre » au chapitre d'administrer le spirituel en raison de l'absence et de la « désertion » de l'évêque. celui-ci ayant écrit un mémoire afin de se justifier, le Parlement de Nantes porte condamnation et sanction le 11 janvier 1591 : le document sera lacéré et brûlé sur la place du Bouffay par la main du bourreau, sauf à en garder une copie en vue de l'instruction du procès. Un mois après, 15 février, Philippe est déclaré infâme par l'assemblée parlementaire, déchu de ses bénéfices, incapable d'en tenir aucun ; injonction est faite au chapitre d'avoir à en écrire au pape (Grégoire XIV) pour l'avertir des procédures passées contre l'évêque de Nantes et prier Sa Sainteté de lui donner un successeur (TRAVERS, t. III, p. 36-37).

Gallicanisme pour gallicanisme. A Nantes, on donne des permissions ; à Tours, le Parlement de Paris qui y siégeait alors, fait brûler par la main du bourreau la bulle de Grégoire XIV, par laquelle, en date du 1er mars, le pape excommuniait Henri IV. La même bulle, comme de raison, était à Nantes publiée avec le plus d'éclat possible, le 8 août (TRAVERS, t. III, p. 56). On ne dit pas quelle fut, à Tours, l'attitude de l'évêque de Nantes ; les termes de la bulle elle-même avaient incontestablement de quoi mettre en liesse, en tout cas, l'âme des ligueurs nantais, puisque la sentence était étendue « aux prélats, aux nobles, aux gens du tiers qui s'obstineraient à rester fidèles à l'hérétique ». De fait, en avril 1592, le légat du Saint-Siège désignait pour l'administration du diocèse un grand vicaire, qui ne fut cependant aucun de ceux qu'avait proposés le chapitre (TRAVERS, t. III, p. 115).

Philippe du Bec n'en continue pas moins d'exercer sa juridiction dans les villes et régions du diocèse demeurées fidèles au roi : Ancenis, Châteaubriant. Il publie des mandements datés des différents endroits où l'appellent les affaires qu'il traite, beaucoup pour le service du roi. Ainsi de nominations à des bénéfices, faites d'Angers, de Tours, de Mantes ; toutes ne devant recevoir leur effet qu'après la chute de la Ligue et la défaite de Mercœur en 1598 (TRAVERS, t. III, p. 72-73). Situation assez fausse toutefois, car les clercs qu'il ordonne sont déclarés suspens, par le chapitre de Nantes sans doute, mais bien aussi par Rome (TRAVERS, t. III, p. 115-116).

Mais le service du roi, tel que l'entend Philippe du Bec, est bien cependant service de l'Église. Philippe était du nombre des prélats qui créaient autour d'Henri IV une atmosphère favorable à un retour à la foi catholique. Dès 1589, le roi de Navarre avait fait la promesse de se laisser instruire. Les entrées, anciennes déjà, de Philippe du Bec à la Cour facilitaient son rôle auquel son loyalisme ajoutait tout son poids. Il se rencontrait là avec l'archevêque de Bourges Renaud de Beaune, l'évêque d'Évreux, l'évêque de Chartres. Certains de la religion réformée, de tendance latitudinaire, inclinaient le roi, on le sait, dans le même sens. Les conférences s'ouvrent à Suresnes, le 5 mai 1593. L'abjuration a lieu le 25 juillet à Saint-Denis entre les mains de l'archevêque de Bourges ; et Philippe du Bec y célèbre la messe. C'était la reconnaissance, par le fait même, de l'influence exercée par l'évêque de Nantes dans une évolution religieuse dont la sincérité n'est plus sérieusement contestée [Note : V. MARTIN, op. cit., p. 115. — Cf. Pierre DE VAISSIERE, Henri IV (Paris, 1925), p. 422-432].

Les États de la Ligue, tenus depuis le 17 janvier, se séparent le 8 août, comme n'ayant plus d'objet. Ils n'ont pu aboutir à leur fin principale, qui était la désignation d'un nouveau roi. Au point de vue religieux leur œuvre est loin d'être inutile : in extremis, le 30 juillet, la réception du concile y était décidée [Note : Texte de la formule de promulgation, dans V. MARTIN, op. cit., p. 266-267]. C'était la grosse majorité du clergé de France qui avait suivi la Ligue ; démarche spontanée et choix obvie devant la menace d'un roi hérétique. Cette attitude à elle seule était un témoignage qui engageait ceux-là mêmes qui l'avaient donné. « L'union pour la lutte religieuse a rendu le clergé plus religieux lui-même, plus soucieux des réalités supérieures de sa mission surnaturelle » [Note : V. MARTIN, op. cit., p. 271. — Voir l'intervention de l'évêque de Vannes, Georges d'Arradon, le 4 mars (p. 260)]. Il en est de même de l'autre côté, où les prélats conseillers d'Henri IV et nommément Philippe du Bec redressent de façon prudente et définitive les dispositions du roi. Celui-ci s'est d'abord rendu compte de la chimère, un instant caressée, de la convocation d'un nouveau concile. Les prélats ont en outre réservé, dans la formule d'absolution, l'autorité suprême du pape (V. MARTIN, op. cit., p. 272-274). Clément VIII, à son tour, insérera dans sa propre formule, solennellement promulguée, le 17 septembre, au titre de la « pénitence » à accomplir, une mention ferme et discrète à la fois concernant le concile [Note : « Nous Clément... mandons à notre très cher fils en le Christ Henri IV, roi Très Chrétien de France et de Navarre, et à vous Jacques Davy et Arnaud d'Ossat, agissant en son nom, que ledit roi Henri... fasse que le concile de Trente soit publié et observé par tous, exceptant cependant (ce que nous accordons à votre très instante supplication et prière) les points, s'il y en a, qui vraiment ne pourraient être observés sans que la tranquillité du royaume en fût troublée » (V. MARTIN, op. cit., p. 284)].

Le 27 février 1594, Philippe assistait au sacre à Notre-Dame de Chartres, Reims étant encore occupé par la Ligue. L'évêque de Chartres était l'évêque consécrateur ; l'évêque de Nantes l'assistait en compagnie de celui de Maillezais et en présence des évêques de Dijon, d'Orléans et d'Angers.

A l'Assemblée de 1595, le clergé renouvelle ses instances à l'égard du concile ; l'opposition gallicane et parlementaire constituant toujours le principal obstacle [Note : V. entre autres le Mémoire du Président LE MAITRE sur les Décrets du Concile, 9 avril 1593 : « Extraits d'aucuns articles du concile de Trente qui semblent être contre et au préjudice de la justice royale et liberté de l'Église Gallicane », dans LE PLAT, op. cit., p. 267-270. — L'attitude du roi, d'après sa réponse aux harangues de Nicolas Langelier et Claude d'Angennes, en fin décembre 1595 (V. MARTIN, op. cit., p. 272)]. Mais l'autre préoccupation l'emporte, celle d'une promulgation, en somme, effective plutôt que juridique. L'œuvre de réforme occupe le premier plan : ce que l'on veut, c'est de bons évêques ! (V. MARTIN, op. cit., p. 291-292) Ce fut bien un choix hautement qualifié lorsque Philippe du Bec fut élu, sur nomination par le roi, pour le siège de Reims en 1594 : seule façon, d'autre part, de porter remède pour Nantes à une situation locale sans issue. Philippe n'obtiendra ses bulles que le 5 novembre 1597 ; mais on le voit antérieurement accomplir certains actes de juridiction dans son nouveau diocèse, dont il ne prendra possession qu'à la fin de 1598 (TRAVERS, t. III, p. 117).

Entre temps les Nantais ne furent point fâchés de pouvoir recourir à leur ancien évêque en vue d'obtenir la clémence du roi, lors de la reddition de leur ville. Nantes fut la dernière des places de la Ligue à céder devant Henri IV. Les affaires s'arrangèrent bien, puisque, le 16 mars 1598, Henri IV, à sa bonne manière, octroyait l'amnistie totale pour tout le passé depuis 1585. La duchesse de Mercœur était allée, pour sa part, saluer le roi à Angers et lui présenter ses « excuses » (TRAVERS, t. III, p. 98-99). Tout devait, de ce côté, se terminer par un mariage, puisque la fille de Mercœur épousera bientôt le duc de Vendôme, fils bâtard d'Henri IV. La paix fut signée le 26 mars.

Le roi fit son entrée dans sa bonne ville le 13 avril. Il avait passé la nuit à Chassais, la propriété des évêques de Nantes, à une lieue de la ville, reçu par Philippe du Bec.

Le roi et l'évêque entraient par la porte Saint-Pierre sur les six heures du soir. Sa Majesté descendit tout d'abord au château, où le chapitre et le bureau de ville vinrent lui offrir leurs compliments. Le porte-parole en était « Monsieur de Bourgneuf », évêque de Saint-Malo (TRAVERS, t. III, p. 104). Aucune désignation ne pouvait mieux porter le signe de l'unité refaite. Charles de Cussé de Bourgneuf, en effet, se trouvait à l'égard de sa ville épiscopale exactement dans la situation inverse de Philippe du Bec pour Nantes. Saint-Malo était royaliste, et Bourgneuf ligueur ! Le lendemain avait lieu la cérémonie du Te Deum à la cathédrale.

La situation était devenue la suivante : Philippe du Bec avait résigné, en 1596, la charge du diocèse, y étant devenu indésirable, en faveur de son neveu Jean du Bec, abbé commendataire de Sainte-Marie de Morte-Mer. L'ecclésiastique était recommandable, prêtre depuis quinze ans et bon théologien, il s'était fait l'auteur d'un traité en latin sur la sainte Trinité et de plusieurs opuscules spirituels. Le népotisme, si éclairé qu'il ait pu être, était ici cependant fort mal venu ; comme le remarque Travers, « il ne convenait point d'avoir à Nantes pour évêque le neveu de celui qui y avait eu presque autant d'ennemis qu'il y avait de chanoines et de citoyens ». Mais qu'à cela ne tienne : Charles de Bourgneuf, indésiré à Saint-Malo, va devenir évêque de Nantes, par mutation avec Jean du Bec pourvu de l'évêché de Saint-Malo. Charles de Bourgneuf obtint ses bulles de Rome le 31 août 1598 (TRAVERS, t. III, p. 120).

Entre-temps, Philippe du Bec avait fait encore acte d'autorité sur son ancien diocèse. Par un acte en date du 8 juillet, il cassa, annula tout ce qui avait été fait pendant son absence, soit par les grands vicaires du chapitre, soit par celui, Jean Cormerais, qu'avait désigné le légat (TRAVERS, t. III, p. 117-118).

Il ne prit possession du siège de Reims qu'à la fin de 1598 ; il avait alors soixante-dix-huit ans. Il ne tarda pas à solliciter un coadjuteur qui — nouveau signe de conciliation — fut un prélat, Jean, de la maison de Lorraine. Il tomba peu après en paralysie et mourut, âgé de quatre-vingt-cinq ans, le 12 janvier 1605 [Note : C. DE KERSAUZON, L'épiscopat nantais à travers les siècles, p. 234-235]. Assistèrent à ses funérailles le chapelain du roi, les officiers de la garde du corps, l'évêque de Nantes Charles de Bourgneuf, l'échevin David, sieur de la Boutardière, délégué du maire ; mais il n'y eut pas même, à Nantes, un service funèbre (A. GÉLUSSEAU, op. cit., p. 92-94).

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Avec Charles de Bourgneuf commence à Nantes l'œuvre de renouveau, résultat du concile de Trente et de la Contre-Réforme. Les fondations religieuses n'ont pas attendu toutefois l'avènement du nouvel évêque pour s'établir dans la ville. Philippe du Bec aura été à Nantes l'auteur d'une fondation, presque à la veille du jour où il devait quitter sa ville épiscopale. Les Minimes avaient obtenu d'Henri III, en janvier 1589, confirmation du don que François II, duc de Bretagne, puis Charles VIII leur avaient fait de la chapelle Saint-Antoine ; Henri III ajoutait la donation d'un beau terrain, le « jardin du Duc ». Les religieux profiteront, pour finir, de la protection de Mercœur, qui, en dépit des oppositions suscitées par la ville, les fit entrer en possession, au mois de juillet ; en 1593, il fera bâtir le couvent. Henri IV, en 1598, confirma l'établissement [Note : Sans mentionner toutefois le nom de Mercœur. TRAVERS, t. III, p. 33].

Le cas des Capucins est encore plus typique. La Ligue elle-même, on ne doit pas l'oublier, fut loin d'être en France, du point de vue religieux, totalement stérile. Il en fut du peuple comme des évêques. Compte tenu de ses aspects tumultueux ou d'ordre politique, l'intransigeance du but qu'elle poursuivait, la vigueur elle-même des moyens employés, ne furent pas pour rien dans le réveil de la foi, dans l'approfondissement du sentiment religieux. Les Capucins, qui furent les prédicateurs de la Ligue à Nantes en 1591, reproduisent bien cet état des esprits et des âmes. Ils firent si bien en ce qu'on attendait d'eux que, deux années plus tard, ils obtenaient de Mercœur un couvent dans la ville [Note : TRAVERS, t. III, p. 67, 76. — Le duc de Mercœur, en mourant (1602), exprimera le désir que son coeur soit donné aux Capucins de Nantes. Charles MELLINET, La Commune et la Milice de Nantes, t. IV, p. 72]. Le P. Joseph du Tremblay prêchera le Carême à Nantes en 1610, sous l'épiscopat de Bourgneuf [Note : Introduction à la Retraite des Dix jours, du P. JOSEPH (Toulouse, 1913), p. 11].

Les Récollets, ces autres Franciscains d'une autre réforme, obtiennent également de Charles de Bourgneuf leur établissement, qui se fera, quelques semaines après sa mort, en 1617, dans le quartier « des ponts » [Note : TRAVERS, t. III, p. 192, 217-219 ; Anonyme, La résidence des Récollets de la Province de Saint-Denis à Nantes (Paris, 1924)].

Nantes fut, après Paris, selon le témoignage de Bérulle, la première des villes de France à avoir sollicité une fondation de l'Oratoire, avec Luçon et Poitiers. Le cardinal écrit à cet égard : Ce sont les prélats eux-mêmes qui nous demandent, dont l'un des plus doctes et des plus vertueux de France. Charles de Bourgneuf, évêque de Nantes, a offert de donner, outre les bâtiments et la subsistance, sa bibliothèque, estimée 3.000 livres. Il veut même se rendre des nôtres et vivre avec nous [Note : Lettre de 1612, citée par A. BACHELIER, Essai sur l'Oratoire de Nantes (Paris, 1934), p. 7. Bérulle ajoutera, le 17 août 1617, après la mort de Bourgneuf : « La perte que le public a fait en la personne de feu M. de Nantes est si sensible que la nôtre (l'échec temporaire de l'entreprise) ne doit pas être considérable » (cité TRAVERS, t. III, p. 8)].

L'essai, tenté dès 1613, n'aboutira qu'en 1625, sous l'évêque Philippe Cospeau. Mais l'éloge, en ce qui concerne Bourgneuf, est assez significatif, assez autorisé pour soulever des perspectives intéressantes sur la personnalité, la valeur d'un prélat avec lequel s'achève le XVIIème siècle nantais et s'ouvre le XVIIème siècle. Il faut en dire autant de son action aux États et à l'Assemblée de 1614-1615.

Il serait vain de revenir dans le détail sur une « question conciliaire » toujours en suspens : complications venues de l'Édit de Nantes, le roi faisant un exposé au pape, Clément VIII, des embarras qui commandent sa conduite [Note : Instructions du roi à l'ambassadeur Philippe de Béthune ; cf. V. MARTIN, op. cit., p. 329-330], l'Assemblée du clergé, en 1605, revenant à son tour sur le perpétuel problème, qu'un climat d'audacieuses prétentions chez les gallicans rend de plus en plus difficile [Note : « Je souhaite la publication du concile avec la même ardeur que vous, mais les raisons humaines, comme vous venez de le dire fort bien, paroissent opposées à la sagesse divine. Cependant je n'épargnerai ni mes soins, ni ma vie même pour faire triompher l'Église et la religion » (Henri IV, Réponse à la Remontrance du Clergé de France, 5 décembre 1605)]. Tout un arsenal de littérature s'est dressé depuis 1600 — y compris l'Histoire de De Thou, en 1606 — contre le concile. En 1611, ce sera Richer avec son Libellus de ecclesiasctica et politica potestate.

Nantes, immunisé par sa longue résistance ligueuse, échappe à cet état d'esprit. Il suffit de voir avec quelle facilité est introduite en 1610, sur l'initiative de l'évêque, la liturgie romaine.

Dans ces temps, explique Travers, on commença, à Nantes, à prendre le rit romain, sans cependant imposer au clergé l'obligation de le suivre ; il n'en paraît aucun statut synodal ny aucun mandement de s'y conformer. Le chapitre fut le premier qui porta atteinte à l'ancien usage de Nantes, lorsque le 5 août 1610 il pria Vincent Charon maire-chapelain, de réduire la note des Antiphonaires et des Graduels de Nantes à la note romaine, et que le 3 août il arrêta de régler ses offices selon le concile de Trente [Note : XXVème session, 1562 : institution d'une commission pour la réforme du bréviaire et du missel ; 1568, promulgation par saint Pie V du bréviaire corrigé ; 1570, du missel, réforme du calendrier en 1582. — En ce qui concerne le chant, le concile ne s'était exprimé que d'une manière générale ; XXIIème session, 1562 : « Ab ecclesiis musicas eas, ubi sive organo, sive cantu lascivum aut impurum aliquid miscetur... arceant... » (canon IX). L'application faite par Bourgneuf est donc une solution d'ordre pratique et radical], puis le 20 octobre suivant de prendre le chant romain et enfin le 20 juin 1615 de suivre entièrement le rit de Rome. L'an 1588, M. du Bec avait fait imprimer à Nantes un Missel accommodé aux rubriques romaines [Note : Il ne semble pas qu'il en soit resté d'exemplaire] ; mais les troubles qui, l'an suivant, partagèrent le diocèse et obligèrent l'évêque lui-même à se retirer, avaient empêché le cours de ce Missel Nantais-Romain, qui d'ailleurs ne s'accommodait point au Breviaire de Nantes (TRAVERS, t. III, p. 166).

Vincent Charron fut, avec le curé de Saint-Nicolas, Étienne Louistre — un ami de Bérulle — l'un des ecclésiastiques qui marquèrent le mieux les qualités du renouveau du clergé dans le diocèse, en ce début de XVIIème siècle, avant même l'institution effective des séminaires [Note : Charron fut également l'auteur de Tables chronologiques des Papes, des Évêques de Nantes, des Roys de France et des Ducs de Bretagne (Nantes, 1618, Bibliothèque de la ville, 37.492), et d'un Calendrier Historial en l'honneur de la Vierge Marie, plus de trois mille historiettes réparties sur tous les jours de l'année. Ami du dominicain Albert Le Grand, tous les deux « frères par le talent littéraire et la crédulité » (abbé BOURDEAUT, « Autour d'Albert Le Grand », dans Mémoires de la Société d'Histoire et d'Archéologie de Bretagne, t. VI, 1925, p. 189 ss.)]. L'on aura remarqué en outre l'application signalée au passage, de la part de Philippe du Bec, pour se conformer aux dispositions conciliaires en matière de liturgie.

L'action de Charles de Bourgneuf, en ce qui regarde le concile, a dépassé, plus encore peut-être que de la part de son prédécesseur, les limites du diocèse. Il est de ceux qui pesèrent de toute leur influence afin que, par-dessus les interminables atermoiements — c'est peu dire — du gallicanisme parlementaire, les décrets du concile de Trente trouvent en France leur promulgation grâce, dans chaque diocèse, à l'intervention personnelle des évêques. Une offensive avait été ouverte dès les premières séances des États généraux, en novembre 1614 ; le jeune évêque de Luçon Armand du Plessis-Richelieu y apportait bientôt le poids d'un ascendant moral déjà considérable [Note : Il est député, le 25 février 1615, pour présenter la requête au roi]. L'unanimité des évêques est absolue, la régente était favorable, la Sorbonne également ; mais le Tiers était irréductible [Note : L'avis des provinces, recueilli séparément, est dans son ensemble défavorable : LE PLAT, op. cit., p. 297-300]. La conséquence, ce fut la décision prise par le Clergé, en Assemblée, de passer outre. Une commission a été créée le 14 juin 1615. Elle comprend sept membres, sous la présidence du cardinal de la Rochefoucauld : l'archevêque d'Aix, les évêques d'Angers, d'Avranches, de Grenoble, de Nantes, Henri de Gondi évêque de Paris, François de Harlay coadjuteur de Rouen (V. MARTIN, op. cit., p. 381). C'est ce qui amènera le nonce Ubaldini à citer Bourgneuf parmi les plus zélés en cette affaire [Note : Cité par Pierre BLET, s.j., Le clergé de France et la Monarchie. Études sur les Assemblées Générales du Clergé de 1615 à 1666, (Rome, 1959), t. I, p. 130]. Il s'agit, de la part des évêques, de l'honneur de l'Église de France : « C'est déjà une honte, aux yeux de la chrétienté, que d'avoir attendu cinquante ans pour accepter la nouvelle discipline » [Note : L'argument ainsi résumé par V. MARTIN, loc. cit., est un de ceux qui avaient été présentés déjà dans plusieurs Remontrances ; ainsi en 1598 : « Sire..., pour finir la désunion, pour éviter le schisme..., pour rejetter le faix de cette vaine accusation que nous sommes seuls en France qui avons différé la réception et publication de ce grand concile œcuménique de Trente, reçu et gardé par tous les rois et potentats chrétiens... » (LE PLAT, op. cit., p. 275)]. Les réunions, fréquentes, aboutissent au pas décisif. « Tout ce que nous pouvons dire avoir obtenu jusqu'à présent, écrit l'évêque de Nantes à son voisin de Luçon — qui n'a pu prendre part à l'Assemblée mais avec lequel il entretient une correspondance suivie — est d'avoir fait résoudre entre nous qu'au cas où le roi refuserait la publication du concile, nous la ferions en nos conciles provinciaux et tâcherions de la faire observer dans nos diocèses » (Cité par A. BACHELIER, op. cit., p. 8).

Le 7 juillet 1615, l'Assemblée au grand complet souscrit l'acte final (Texte ap. V. MARTIN, op. cit., p. 385). Pas une opposition ne s'est manifestée. Les prélats font serment sur les saints Évangiles, et le mandataire choisi pour rédiger les lettres aux évêques absents est Charles de Bourgneuf de Cussé : l'évêque de Nantes [Note : Ibid. — Une dernière tentative est faite auprès du roi, le 8 août, sur présentation d'une Remontrance présentée par François de Harlay, avec les cardinaux du Perron et de la Rochefoucauld. Elle est déboutée par sentence du Châtelet en date du 22 août (LE PLAT, op. cit., p. 312)].

Il serait certes intéressant, mais plus difficile — mises à part les fondations religieuses — de suivre dans les faits l'action même du prélat dans son propre diocèse, conformément à la décision prise. A défaut, l'éloge que prononcera sur son évêque un curé de campagne, au lendemain de la mort de Bourgneuf, en 1617, pourra servir de témoignage : mort « grandement déplorée, dit-il, à cause de sa sainteté de vie » : « lequel était doué d'une grande doctrine et science, zèle à l'honneur et gloire de Dieu, au salut et avancement des âmes, et comme une vraie lumière régissant et gouvernant avec un grand soin toujours son troupeau, et qui a fait au temps de sa vie plusieurs belles ordonnances pour la réformation des mœurs de ses recteurs, prêtres et ecclésiastiques ; enfin a voulu personnellement visiter toutes les églises de son diocèse et donner l'exemple à tous de bien vivre » (Cité par A. BACHELIER, ibid.).

C'était bien là l'application des décrets du concile avec ou sans promulgation, une action pastorale réglée par ses principes et dirigée par son esprit.

L'épanouissement de l'oeuvre commencée sera le fait d'un successeur brillant, Philippe Cospeau, promu de l'évêché d'Aire, bientôt conseiller d'Anne d'Autriche, et dont l'action se trouve mêlée à tout le courant spirituel de l'époque [Note : Cf. A. BACHELIER, « Philippe Cospeau (1571-1646) », extrait du Bulletin de la Société Archéologique de la Loire-Atlantique, Fontenay-le-Comte, 1958. — En 1635, Cospeau passera à l'évêché de Lisieux].

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Une période de plus de cent années permet de suivre ainsi la courbe d'une évolution qui s'est dessinée, dans le diocèse de Nantes, sous une forme tellement nette qu'on serait tenté de la dire typique, si un tel procédé généralisateur n'exigeait la confrontation avec les faits survenus ailleurs, et selon sans doute des à-coups très divers.

Au point de départ et avant le Concordat de 1516, un épiscopat que rien n'autorise à qualifier de médiocre et auquel la personne du « cardinal de Nantes », Robert Guibé, confère un certain lustre, en raison sans doute des services qu'il rendit au duché, mais bien et plus encore à la sainte Église. Son neveu, François Hamon, se signale comme administrateur et comme humaniste, comme canoniste également. Les documents manquent sans doute pour permettre de se rendre compte de ce que fut sous son épiscopat et ceux qui le précédèrent, la marche du diocèse, sa vie profonde. Tout porte à croire que se poursuit ce train de choses, sans grand éclat, mais sans l'abondance des scandales dont on nous fait trop facilement peut-être le cliché pour toute cette période de l'histoire religieuse.

Cette remarque peut valoir même pour la période qui suit [Note : Notre propre enquête dans l'Essai sur l'état religieux du diocèse de Nantes, poursuivi de 1554 à 1573, donne d'après les statistiques que nous avons pu établir une proportion de 6,5 % de prêtres concubinaires. A noter que, à l'époque, on ne « défroque » pas ; les institutions judiciaires, à elles seules, s'y opposent]. A partir de Louis d'Acigné, le premier des évêques nommés par grâce concordataire, en 1531, le fléchissement dans la qualité du titulaire du siège épiscopal paraît bien se faire sentir, dans la manière tout au moins dont l'évêque comprend l'accomplissement de ses devoirs. La crise est à son comble lorsque, avec ses deux successeurs, intervient le cumul. Une situation comme celle de Jean de Lorraine, Charles de Bourbon, est de celles qui ont le plus justifié les décisions du concile de Trente ; à l'application duquel néanmoins travailla le second. Ils furent princes de l'Église, surtout peut-être des princes dans l'Église.

Le concile s'est ouvert en 1545, et déjà, en 1554, la condition du siège de Nantes n'est plus la même : un évêque résident, Antoine de Créquy, dont la physionomie se révèle honorable et dont le soin pastoral paraît discernable à travers les visites faites méthodiquement et sérieusement en son nom. Les maux que révèlent celles-ci laissent d'ailleurs plutôt voir une routine qu'une débâcle. Elles invitent, en bien des cas, à se débarrasser d'idées toutes faites ; ainsi la résidence des curés, là où elle se trouve (ce qui, il faut l'avouer, n'est pas fréquent), loin d'être l'indice d'un plus grand zèle, l'est plutôt, par malheur, d'un plus grand débordement : l'on s'isole à la campagne pour y vivre plus à son aise, loin de regards trop haut placés. Les infiltrations du protestantisme ne se montrent nulle part, du moins de façon certaine, comme la réaction contre un état de chose déficient ; elles sont uniquement le fait des familles nobles qui introduisent les prédicants, tels les Rohan à Blain, et d'Andelot à la Roche-Bernard [Note : Alors du diocèse de Nantes]. Bien plus, c'est autour de ces centres et comme par contagion, que dans l'espace de dix-neuf ans — 1554 à 1573 — se manifeste un glissement. C'est dire que le diocèse est loin d'être demeuré démuni de toute assistance. Il y a un vicaire général, évêque in partibus in fidelium, mais aussi, par sa situation de fait, fidelium. Les paroisses ont toutes un vicaire, tenant, du sens propre de leur appellation, la place du curé ; c'est là un régime de fait, non totalement incompatible avec l'exercice d'un zèle au moins élémentaire. Mais de celui-ci nous ne saurons presque rien ; les visites pastorales entérinent les doléances, il ne transpire rien de ce qui serait exemplaire ou louable ; l'accomplissement du devoir quotidien est chose qui va de soi. L'un des traits, qui n'est pas l'un des meilleurs, est le nombre considérable des prêtres dans une paroisse, cinq, six, sept, huit ou davantage, rarement moins : simple extension, comme à l'indéfini, du régime bénéficiaire. Ces prêtres ne sont pas tellement toutefois en dehors de tout ministère, le procès-verbal des visites sait au besoin le leur rappeler.

Ce qui veut dire, en toutes ces choses, que, si ce diocèse de France, parmi d'autres, avait connu cette décadence sordide et généralisée dont on nous brosse, d'ordinaire, le tableau pour toute cette époque, la religion en aurait, sans doute, bel et bien disparu. Or, elle se maintient, à la manière du temps, qui n'est pas toujours la plus pure, mais qui est sincère. Les réactions bruyantes de la Ligue sont celles d'une dévotion démonstrative autant que de la résistance armée. Les processions abondent en cette bonne ville de Nantes, qui ne veut pas plus de son évêque royaliste que de son roi protestant ; et c'est là l'un des types classiques de la piété de l'époque [Note : Ét. CATTA, « Notes de liturgie et de dévotion sur un diocèse de France » (Nantes au XIVème siècle), dans Recherches et Travaux, t. I, n° 1 (1946), p. 42-54 : les processions]. Les religieux des Ordres plus anciennement établis, tels les Carmes, ne cèdent en rien aux Capucins dans l'effervescence du jour. Une fois la crise passée, tout se remet dans l'ordre afin que s'accomplisse l'œuvre de Dieu de manière plus profonde.

Il ne semble pas qu'on doive mettre sur le compte de l'ambition l'attitude de Philippe du Bec. Il paraît avoir agi par prudence autant que par loyalisme, et selon sa conscience en tout cas, jusque dans les difficultés canoniques venues sur son chemin [Note : A noter que les sanctions fulminées par la bulle de Grégoire XIV n'étaient pas nominales]. Il avait discerné en quelles aventures, intéressées ou contestables, s'était engagée la Ligue, de la part de son chef en Bretagne notamment. Auprès du roi, de toute manière, ce « Père » du concile de Trente sut agir en apôtre, en docteur. Philippe avait fondé certainement et son action et son espoir sur le fait que, dès 1584, Henri de Navarre avait promis de se faire instruire.

A partir des années où Philippe du Bec occupe le siège de Nantes, la question du concile, de son acceptation, domine en France l'horizon religieux. Il est frappant de voir cet évêque, mêlé comme il l'avait été aux discussions de la dernière session, avoir sa part aux projets de réforme qui sont, dans le royaume, l'écho des décrets conciliaires, ceux-ci « reçus » ou non. Il n'est pas dit que la question de l'acquiescement à obtenir de l'autorité royale n'ait elle-même pas été étrangère à l'option de l'évêque de Nantes en faveur d'Henri IV ; tandis qu'en sens contraire, dans le même temps elle dirigeait le choix de celui qui serait le successeur de Philippe, Charles de Bourgneuf. Il incombera à celui-ci de contribuer à faire triompher, en évêque, un principe qu'un autre évêque de Nantes, prédécesseur des Créquy, Charles de Bourbon, avait soutenu de façon politique.

Il ne semble pas, d'autre part, que pour arguer de la valeur des prélats qui se succédèrent en ce diocèse de France, il y ait tellement à mettre en ligne de compte le mode d'accession qui devait les conduire au trône épiscopal ; sauf mise à part assurément des trois absentéistes : Louis d'Acigné, Jean de Lorraine, Charles de Bourbon. Avant comme après le concordat de 1516, avant comme même après le concile de Trente, il n'apparaît pas de différence dans les faits, quant à leur désignation. Il suffira de se reporter au XVème siècle.

Élection par le chapitre ? Sans doute. Voici toutefois Guillaume de Malestroit élu en 1440, mais après résignation faite en sa faveur par son oncle Jean de Malestroit son prédécesseur (TRAVERS, t. II, p. 1). Guillaume à son tour résigne, en 1462, en faveur de son neveu Amaury d'Acigné (TRAVERS, t. II, p. 124). Suivent Pierre du Chaffaut en 1477, un premier Guillaume Guéguen en 1485, sur lesquels il n'y a rien à dire. En 1488, c'est Robert d'Espinay ; il est évêque de Lavaur, et Charles VIII obtient du pape son transfert sans que le chapitre ait rien à y voir (TRAVERS, t. II, p. 208). Jean d'Espinay, en 1493, est le frère du précédent ; il est évêque de Mirepoix et transféré à Nantes sur la demande du roi. Ces d'Espinay constituent d'ailleurs une souche de gens d'Église fort bien placés ; ils ont un frère, André, qui est archevêque de Lyon et de Bordeaux : le cumul existe déjà (TRAVERS, t. II, p. 223-224).

Guillaume Guéguen, second du nom, était le candidat en expectative depuis la mort de son oncle, le premier Guéguen. Élu du chapitre sans doute, mais conformément, on le voit, à cette suite collatérale dans une même famille. Élu du chapitre, mais candidat surtout de la duchesse Anne dès l'origine. Et, s'il devint évêque de Nantes en 1499, ce fut sur la démarche de Louis XII, cédant aux prières de sa femme (TRAVERS, t. II, p. 251).

Robert Guibé, en 1507, le cardinal de Nantes, est un grand personnage de la cour de Bretagne. Ses importantes missions à Rome le désignaient d'avance. Son successeur, François Hamon, est son neveu encore ; Guibé a résigné en sa faveur (TRAVERS, t. II, p. 261).

Louis d'Acigné, en 1532, est le premier évêque « nommé » selon les règles du concordat de 1516. Ce que l'on peut avancer de grave en ce qui le concerne, c'est bien cet absentéisme qui sera le fait également des deux cardinaux, ses successeurs, Lorraine et Bourbon. Le « bénéfice » l'emporte sur la charge pastorale ; là est l'anomalie. Mais après eux l'on revient tout simplement au procédé de la résignation. Le premier Antoine de Créquy est, par sa mère, le neveu de Louis d'Acigné ; le second des Créquy est, si l'on osait dire, le « neveu » de son neveu.

Philippe du Bec obtient le siège de Nantes par résignation d'Antoine II de Créquy, avec échange de bénéfices (TRAVERS, t. II, p. 335) ; ce qui n'empêche pas cet évêque de faire belle et grande figure. Le passage de l'évêché à Charles de Bourgneuf connut un intermédiaire ; Jean du Bec, neveu de Philippe, avait été nommé par Henri IV sur résignation de son oncle. C'est la situation politique respective des deux villes qui provoqua la mutation : Bourgneuf à Nantes, et Jean du Bec à Saint-Malo (TRAVERS, t. III, p. 121).

La succession de Charles de Bourgneuf à Nantes, en 1617, connut quelques difficultés. Une fois de plus, Charles de Bourgneuf avait résigné en faveur d'un neveu, Henri de Bourgneuf, qui de fait jouit paisiblement des revenus de la mense épiscopale jusqu'en 1621. S'il n'obtint pas ses bulles, c'est que lui avait été préféré par le roi un religieux reconnu pour son éminente vertu, Philippe Thibault, l'initiateur de la réforme de Touraine-Bretagne chez les Carmes [Note : Cf. Suzanne-Marie BOUCHEREAUX, La réforme des Carmes en France... (Paris, 1950), 1ère partie, chap. II, Le réformateur : Philippe Thibault, p. 36-62]. Or Thibault refusa, et c'est sur sa désignation — non sa résignation — que Philippe Cospeau fut promu de l'évêché d'Aire. Henri de Bourgneuf fut, en même temps, nommé à Saint-Malo (TRAVERS, t. III, p. 216-219).

Ce qui paraît en toute cette suite, c'est donc moins une question de procédure qu'une question d'esprit. L'ouverture du concile de Trente a lieu en 1545. On serait tenté de dire que dès cette date, il y a quelque chose de changé ; comme si l'on n'osait plus reconstituer — à l'occasion de ce diocèse tout au moins — cette sorte d'impérialisme épiscopal [Note : Il est significatif et curieux de se reporter aux arguments par lesquels le clergé du second ordre, aux États de Blois, en 1576, se prononce contre l'acceptation du concile, contrairement à l'avis des évêques. Ces arguments se prennent, bien entendu, des « privilèges de l'Église gallicane », mais de façon générale seulement ; concrètement, ils visent les évêques, dont ces ecclésiastiques, intéressés ou non, redoutent de voir s'accentuer les abus à la faveur du concile. — Voir la Protestation du clergé du second ordre contre la reception du Concile de Trente requise par le cahier général du Clergé de France aux Estats de Bloic..., 23 décembre 1576 (LE PLAT, op. cit., p. 225-226)], bénéficiaire surtout, sous quelque grand nom. Un Antoine de Créquy, présent, administre. Bientôt un Philippe du Bec, l'évêque royaliste, va chercher à Trente les enseignements que l'évêque ligueur Charles de Bourgneuf se chargera de mettre en pratique ; et l'on prendra, si on le veut, pour un symbole que ce soit ce dernier qui ait été chargé par l'Assemblée de 1615 d'inviter à faire de même tous les évêques de France.

(Etienne Catta).

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