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PENSIONNAIRES DE L'HÔPITAL GÉNÉRAL DU SANITAT DE NANTES

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On ne peut rien imaginer de plus grotesque que la phyisionomie de l'ancien Sanitat, telle qu'elle apparaissait aux XVIIème siècle et XVIIIème siècles. L'Hôpital général de Nantes était tout à la fois un dépôt de mendicité, un asile d'enfants trouvés, un refuge pour les femmes de mauvaise vie, une maison de retraite pour les vieillards de tout rang, un asile d'aliénés, une maison de force, de détention et de correction, un atelier de manufactures, enfin, je dirai même, une maison de commerce. Dans la cour extérieure, on voyait quelques boutiques où des soeurs vendaient les ouvrages confectionnés dans la maison, des échoppes louées à des cordonniers, à des menuisiers et à d'autres corps d'états. A l'intérieur, dans divers quartiers, mais dans la même enceinte et sous la même direction, des pensionnaires libres et des gens gardés à vue, des ouvroirs de jeunes filles, des loges de fous et de folles, des ateliers de mendiants, des appartements habités par des prêtres et des gentilshommes qui venaient là finir leurs jours comme pensionnaires.

La classe la plus nombreuse était incontestablement celle des mendiants ; c'est pour elle seule tout d'abord que fut créée l'institution. L'idée de renfermer les mendiants et d'éteindre la mendicité, en obligeant tous les fainéants valides à travailler dans les dépôts, remonte seulement au XVIIème siècle. Antérieurement la mendicité ne fut combattue par aucun moyen efficace, elle fut même longtemps regardée comme une nécessité sociale qu'on devait tolérer. Il ne répugnait pas de voir errer dans les rues des estropiés, des vieillards infirmes, des aveugles, allant demander leur pain de porte en porte. La pauvreté était au Moyen-Age, je l'ai déjà dit, une condition sociale honorée ; on l'accueillait avec l'hospitalité la plus large (Voir le règlement de l'aumônerie Notre-Dame) à la porte des monastères, dans les aumôneries établies sur les routes, et près des églises fréquentées par les pèlerins. Dans les villes, certains lieux appartenaient aux pauvres comme des propriétés. Aux portes des églises et sur les ponts, ils s'établissaient avec des échoppes pour y tendre la main et la police ne songeait pas à les expulser.

Cette tolérance jointe à la facilité de parcourir le royaume sous l'habit du mendiant, en couchant dans les aumôneries ou dans le vestibule des monastères, engendra de nombreux abus. Le moindre fut de porter à la fainéantise une foute de mendiants valides qui, pour mieux exciter la pitié des passants ou de leurs hôtes, imaginaient mille ruses à l'aide desquelles ils se dérobaient aux poursuites. Ceux-ci simulaient les estropiés au moyen de drogues qui leur donnaient des infirmités apparentes, ceux-là voyageaient comme de malheureux pèlerins, qui allaient demander à un saint en vogue la guérison d'une maladie incurable ; d'autres ne prenaient pas la peine de cacher leur paresse sous le manteau du pèlerin et voyageaient par bandes à peu près semblables à celles de nos bohémiens modernes, en réclamant l'aumône d'un ton impérieux.

Les famines fréquentes et les guerres qui désolaient le pays, ne contribuaient pas peu à en accroître le nombre ; leur race se perpétuait d'autant mieux, que le pouvoir central ne s'occupait pas alors de créer des ateliers de charité et de répartir des secours sur les provinces en détresse. La sûreté générale n'étant pas suffisamment garantie par la Maréchaussée, les municipalités se voyaient souvent forcées d'expulser en masse tous les vagabonds et ne parvenaient pas à se préserver de leur invasion. Quand les rues étaient encombrées de mendiants, on leur donnait 24 heures pour déguerpir, mais les mesures de police les plus sévères étaient impuissantes contre eux. Dès qu'ils étaient chassé d'une ville, ils se rejetaient sur une autre.

François Ier ne se contenta pas, comme ses prédécesseurs, de menacer de peines sévères les mendiants valides qui s'obstineraient dans la fainéantise, il ordonna de les employer aux travaux publics. Ce palliatif ne fut pas proportionné au mal, ni assez généralement adopté. A la suite des guerres civiles et des famines des XVIème et XVIIème siècles, la misère avait fait tant de victimes dans tout le royaume, que sous Louis XIV la mendicité était encore une plaie lamentable. A Nantes, les mendiants assiégeaient les églises et troublaient le service divin par leur arrogance ou leurs importunités jusque dans le lieu saint. Des familles entières se livraient à tous les vices qu'engendre l'oisiveté ; les enfants prenant exemple sur leurs parents, s'exerçaient au métier de voler et les filles se prostituaient dès l'adolescence ; il était donc indispensable de fournir du travail à tant de désœuvrés.

Il paraît cependant que l'institution de l'Hôpital général fut contestée à son origine, car le bureau fut obligé de rédiger l'avertissement suivant, pour les Commissaires chargés des quêtes :

Pour détromper nombre de personnes qui n'approuvent leur établissement, il est nécessaire de leur faire connaître qu'il ne s'est jamais fait de plus sainte entreprise pour la gloire de Dieu et le bien du prochain.

Que personne ne peut dire avoir veu les mendiants communier, assister à la sainte-Messe à genoux, aux catéchismes et prédications, qu'ils n'alloient aux églises que pour troubler le divin service et la dévotion du peuple et qu'à peine se trouve-t-il aucun qui fût capable de répondre des choses de la foi nécessaires au salut.

Qu'ils commettent des actions horribles, les garçons n'ayant d'occupation qu’à couper des bources et faire d'autres voleries ; qu'à peine les filles avoient atteint l'âge de 10 ans qu'elles se prostituoient et s'infectoient de vilaines maladies et que les uns et les autres n'avoient autres pensées que de faire bonne chère, boire du vin et de l'eaue de vie, de bétuner quand ils avoient de quoy [Note : Bétuner, prendre du tabac].

Qu'ayant pris ces mauvaises habitudes ils ne peuvent souffrir la clôture et se réduire à une vie réglée où l'on les oblige à prier Dieu pour leurs bienfaicteurs, à travailler pour gagner leurs vies et servir le publique.

Que cela est cause qu'ils médisent et font courir de faux bruits pour penser anéantir ces saints desseins.

Qu'il ne faut rien croire de léger ; que ceux qui auront agréable de les visiter et s'informer de la vérité, trouveront que les renfermés qui ont entré dans la maison nuds et couverts de haillons, pleins de vermine, qui couchoient pour la pluspart dans les halles, sous des boutiques, sur des fumiers ou dans des fanneries et escuries, sont à présent vêtus de linges et habits, couchés en des lits sur des paillasses ou loudiers où ils ont des linceuls et couvertures.

Que l'on leur donne plus de pain qu'ils n'en peuvent manger, du potage et de la viande ou du beure autant que les moyens de la charité le peuvent permettre.

Que l'on donne du secours aux honteux par le moyen de la marmite, du pain à ceux qui en ont nécessité, l'aumosne aux passants et que comme l'on aura plus de moyen l'on leur fera mieux.

Qu'il est dangereux de donner l'aumosne aux églises et publiquement et que c'est anéantir cette sainte entreprise ; que ceux qui la demandent, ou la pluspart ne sont point véritables pauvres, mais des fainéans et gens qui veulent vivre en liberté et remettre tout en désordre ; que lorsqu’il s'en présentera ou que l'on aura connoissance de quelque nécessiteux, il faudra prendre leurs noms et demeurances, et les envoyer aux directeurs de la charité qui s'informeront de leurs nécessités pour y pourvoir, s'ils ne veulent eux-mêmes se donner la peine d'y aller et par ce moyen qu'il ne demeurera rien impourveu. Et en cas que l'on veuille donner quelque chose en particulier, il faut mener les pauvres dans les maisons ou les visiter dans leurs demeurances pour leur subvenir et prendre garde, néanmoins qu'il y a de faux pauvres qui vont par les maisons pour dérober ce qu'ils peuvent.

Et finalement que si l'on ne se porte volontairement à la charité qu'il y a longtemps que Messieurs du Parlement veulent remettre la bourse, ce que l'on doit éviter [Note : On fait allusion ici à la taxe forcée levée au profit de l'Hôtel-Dieu, pendant quelques années après sa translation pour suppléer à la modicité des quêtes]. Et que si l'on étoit obligé de faire la charité par cette voie ce seroit un bienfait sans mérite (Archives de l'Hôtel-Dieu). JUCHAUT, a signé secrétaire.

En dehors de l'opposition des esprits rebelles à toute innovation, d'autres embarras gênaient l'action de ceux qui entreprirent de ramener tous les vagabonds à une vie régulière et laborieuse. Il ne suffisait pas d'ouvrir un asile, il fallait encore choisir sa population et lui assurer les moyens d'existence. L'entreprise ne pouvait réussir qu'à la condition de concentrer dans leurs mains toute la police de la mendicité, d'interdire les distributions à la porte des monastères, d'inviter les fidèles à s'abstenir de toute aumône aux pauvres valides et inconnus, de vérifier la situation de chaque mendiant en allant à sa demeure et de l'enregistrer sur un livre ad hoc. Non contents de prescrire toutes ces mesures d'ordre, les directeurs prêchaient d'exemple en visitant fréquemment les églises avec deux sergents pour en expulser les mendiants. L'évêché lui-même avait des habitudes qu'il fallait combattre : il distribuait à certains pauvres des lettres de mandement qui leur permettaient de mendier impunément. Ces licences ne furent retirées qu'à force d'instances de la part des administrateurs du Sanitat.

Le Présidial de Nantes et le Parlement de Bretagne ne refusaient pas le concours de leur autorité ; ils publiaient des arrêts et défenses toutes les fois qu'ils en étaient requis. Tantôt on enjoignait aux mendiants de vider les rues de la ville sous les peines les plus sévères dans les 24 heures, tantôt on leur assignait les lieux où il leur était permis de se réunir ; on réglait leur nombre légal et le temps où ils pouvaient implorer la charité publique. A certaines époques on vit jusqu'à 7,000 pauvres en dehors des portes de la ville attendant qu'on vînt les secourir.

La direction de l'Hôpital craignait avec raison qu'en laissant tous les mendiants quêter à leur aise, étrangers ou indigènes, les charités fussent moins abondantes pour le Sanitat et que les pauvres de Nantes fussent moins bien traités que ceux du dehors. En 1669 une sentence de Présidial ordonna aux mendiants étrangers sans aveu, ni métier, de se retirer dans les 24 heures hors des murs et hors du ressort du Présidial dans le délai de 8 jours, sous peine de trois ans de galères contre les hommes et du fouet contre les femmes. Les proscrits feignaient alors de se retirer et n'allaient pas au-delà des faubourgs où des propriétaires complaisants les logeaient au mépris des ordonnances. En 1697, le Présidial fit défense sous peine de 50 livres d'amende de les loger et autorisa les sergents et commissaires de police à jeter sur le pavé les meubles à leur usage [Note : Louis XV fit mieux, il donna aux hôpitaux le mobilier qui leur avait servi. « Voulons que les lits avec les paillasses, draps, rideaux, couvertures, lits de plumes et matelas dans lesquels auront couché lesdits mendiants ou vagabonds au-dela du temps et espace de vingt-quatre heures, ainsi que ceux des filles et femmes de mauvaise vie soient enlevés, vendus ou confisqués au profit des deux hôpitaux de Nantes, sur de simples procès-verbaux de juges de police, maire, échevins, directeurs desdits hôpitaux ou des commissaires de police, sans autre formalité » (Lettres patentes de 1760 art. LXV, folio 26)].

Ceux qui annonçaient l'intention de traverser seulement la ville, pour se rendre à une autre destination, recevaient des secours qu'on nommait passades ; mais, afin de s'assurer qu'ils ne revenaient pas aussitôt sur leurs pas, on les marquait sur l'ongle avec de l'eau forte afin de reconnaître la fraude (arrête de 1657). Quand ils étaient surpris en ville, les sergents du Sanitat les passaient par les verges et les reconduisaient aux portes. Afin de reconnaître les pauvres de la subsistance , c'est-à-dire ceux que la maison du Sanitat autorisait à vaguer dans les rues parce qu'elle ne pouvait les recueillir [Note : En 1672, le Sanitat renfermait 188 pauvres et fournissait du pain en ville à 70 autres], on obligea ceux-ci, par arrêté d'août 1659, à porter sur l'épaule une croix bleue sous peine de privation de secours. Un arrêté de 1661 ordonna qu'ils porteraient sur la poitrine une croix rouge. Ce triste insigne infligeait une honte au mendiant, mais il était difficile de pourvoir autrement aux nécessités de la surveillance.

L'Hôpital général entretenait quatre sergents, quelquefois plus et les habillait de casaques bleues marquées devant et derrière du nom de Jésus. Ils allaient, armés d'épées et de pertuisannes, visiter les rues et les églises, arrêtaient les gueux non autorisés et les tenaient en prison vingt-quatre heures. Leurs gages étaient de 60 sols par semaine. Ces malheureux sergents, par leur costume ridicule, loin d'imposer le respect, excitaient la risée, surtout des écoliers. Ceux-ci les vexaient de toutes façons à tel point qu'il fallut les menacer de mesures de rigueur.

Ces chasse-gueux, nommés aussi archers de l'écuelle, étaient aidés dans leur besogne par des portiers en costume semblable, qui se tenaient aux principales portes pour défendre l'entrée aux vagabonds non munis de passeport et de billet de passade. Tout ce personnel, à la charge de l'Hôpital général, n'était pas entretenu d'une façon permanente ; il était congédié, puis repris, quand on était menacé d'une invasion de mendiants. L'Hôtel-Dieu, qui était intéressé aussi à conserver ses lits pour les habitants de la ville et non pour les étrangers, entretenait aussi des archers, tantôt un, tantôt trois, suivant ses ressources. Au XVIIIème siècle, celui qui cherchait les gueux et les conduisait au Bouffay, au nom de l'Hôtel-Dieu, touchait 300 livres par an, trois fois plus que les médecins. Il paraît que tous ces sergents ne remplissaient pas leurs fonctions avec toute la fidélité désirable ; certains se laissaient corrompre par les gueux qui leur donnaient de l'argent pour obtenir la liberté de vaguer à leur aise. Afin de découvrir les fraudes et les connivences on assigna un quartier spécial à chaque sergent.

Les archers de la Maréchaussée qu'on jugeait moins corruptibles furent invités au XVIIIème siècle à prêter mainforte aux sergents, à la condition qu'on leur donnerait 30 sols par chaque gueux appréhendé. Ceux-ci n'acceptèrent pas de bon cœur cette corvée qu'ils jugeaient trop vile et humiliante pour leur habit. Quand ils essayaient d'appréhender des mendiants, la populace se ruait contre eux et leur jetait à la face, comme une insulte, les noms de chasse-gueux et d'archers de l'écuelle. En 1724, l'intendant défendit, sous peine de deux mois de prison et de dix livres d'amende, de les insulter. Les sergents de quartier furent aussi appelés à venir en aide aux chasse-gueux qui, le plus souvent, n'étaient que trois dans toute la ville.

Au commencement du XVIIIème siècle quelques personnes charitables crurent qu'au lieu de dépenser tant d'efforts à expulser sans succès les étrangers, il vaudrait mieux essayer de les employer à quelque travail utile. En octobre 1719, M. de Bayonne, doyen de l'Église de Nantes, MM. de Barberé, Laurencin, Montaudouin, Danguy, Bouchaud et Michel trouvèrent les moyens de mettre cette pensée à exécution et fondèrent dans l'une des tours de la porte Poissonnière une véritable succursale de l'Hôpital général, qui prit le nom de maison de la Providence. Leur entreprise consistait à assister les pauvres étrangers de passage, à renfermer ceux qui semblaient vouloir se fixer en ville pour les astreindre au travail et à retirer de l'oisivité les jeunes gens de 18 à 20 ans qui vivaient comme des vagabonds. Ils occupaient cette population à filer du coton et à piler du carreau sous la surveillance d'un homme de dévouement, Julien Hamon, qui avait fait ses preuves dans une maison de charité semblable établie à Angers [Note : Il touchait 600 livres de traitement].

L'établissement de la Providence vécut ainsi une année sans autre concours que celui de ses ingénieux fondateurs ; mais, ce temps passé, ils adressèrent une requête à la mairie pour l'inviter à prendre à sa charge une partie des dépenses. Dans sa séance du 19 septembre 1720, le Conseil de ville arrêta que pour soutenir l'oeuvre commencée, il accorderait 1,000 livres par an au directeur Hamon à la condition qu'il ferait balayer les places publiques par ses cinquante pensionnaires. Une somme de 1,200 livres fut accordée la même année pour subvenir à l'entretien des quatre chasse-gueux spécialement attachés au service extérieur de la maison. Fier des résultats qu'il avait obtenus pendant trois années, le frère Hamon conçut le projet de donner de l'extension à son asile et en présenta les motifs à Messieurs de la ville dans les termes suivants :

Mémoire à MM. les Maire et Échevins sur les mesures à prendre pour purger la ville de Nantes des mendiants vagabonds.

L'établissement de la maison de retraite des vagabonds a été commencé par quelques personnes charitables en vue de procurer le bien spirituel et temporel à des gens abandonnés de tout secours qu'on voit tous les jours réduits à coucher dans les rues et sur le pavé et qui ne sont pas dans le cas de pouvoir être receus au Sanitat, soit pour n'estre pas de la ville, soit pour leur âge ; tels qui sont ceux de 18 à 20 ans.

Quoyque ce motif soit plus que suffisant pour mériter la charité qui s'y exerce, on a cru cependant devoir y en joindre un autre d'une plus grande considération pour l'utilité publique et le soulagement des hôpitaux qui est d'y donner l'hospitalité aux pauvres passants qui s'y présentent et d'y renfermer comme par punition ceux qu'on trouve mendier dans la ville affin d'empêcher par ces moyens qu'ils n'y fassent de trop longs séjours ou qu'ils ne si habituent, ainsi qu'ils ont fait, pour la plupart, ceux qu'on voit aujourd'hui mener ce métier.

Le premier motif est tout de charité. Il faut convenir que le second est purement de police et de la plus essentielle et qu'il ne peut avoir d'exécution qu'autant que MM. les Maire et Echevins en voudront procurer les moyens et y tenir la main. Ce n'est que par leur authorité qu'on pourra par cette manière empêcher une infinité de larcins, remédier aux importunités que causent ces mendiants dans les églises, prévenir les accidents qui peuvent naître de leur malpropreté affectée.

Ce n'est que par l'attention qu'ils y voudront donner que les hôpitaux très-surchargés de ces sortes de gens pourront se rétablir, car qui ne sçait que veu la facilité qu'ont toujours eu ces sortes de gens de séjourner et s'habituer dans la ville, l'Hôtel-Dieu en est principalement remply, ce qui le met hors d'état de suffire à ceux du païs. Les enfants trouvés viennent de ces passants qui les exposent et ceux qui s'habituent dans la ville acquièrent le droit d'avoir place au Sanitat dans leur vieillesse.

Cependant ce préjudice n'est presque rien en comparaison de celuy que souffrent les hôpitaux du refroidissement des charités, un chacun s'excuse de ne pouvoir fournir à tout, aux hôpitaux, à une foule de mendiants dont on est environné. Ainsy comme ces mendiants sont les plus pressants, ils sont aussi les premiers partagés des aumônes, etc., etc….

Comme la ville ne pouvait s'engager dans de nouvelles dépenses sans l'autorisation de l'intendant de la province, le subdélégué maire de Nantes, Mellier, transmit copie du même mémoire à Rennes en y joignant la lettre suivante :

Nantes, le 27 janvier 1722.
Le maire Mellier à l'intendant de Bretagne.

J'ai l'honneur de vous envoyer la requête qui nous a été présentée par le frère Hamon, administrateur de la maison de charité de cette ville par laquelle il propose de faire renfermer généralement tous les vagabonds qui vont et viennent sans cesse dans cette ville et qui peuvent apporter le mal contagieux. Cet établissement ne laisserait pas d'éloigner ceux qui pensent à y venir et qui font même profession de vaguer dans les villes du royaume.

Il demande seulement, pour le loyer d'une maison plus spacieuse que celle qu'on lui a donnée, une somme de 400 livres par an, sur les deniers de la communauté, au moyen de laquelle somme et des 1,000 livres par an que vous luy avez ci-devant accordées et par le secours du travail auquel il employera ces vagabonds il espère de les faire subsister et d'en purger la ville.

Ayant communiqué cette requête au bureau de santé de cette ville, on y a pris la délibération qui est au bas de la dite requête et comme l'on est persuadé de la probité de ce frère Hamon et du talent particulier qu'il s'est acquis de faire travailler et subsister les renfermés, on a été d'avis que bien qu'il ne convienne pas d'établir une pareille charge de 400 livres par an sur les deniers de la communauté, cependant que dans les circonstances présentes il serait très-nécessaire d'accorder cette somme pour un temps passager, si vous voulez bien, Monseigneur, nous la procurer sur le fonds destiné par les Etats de la province pour les précautions du mal contagieux, car la ville de Nantes par sa situation se trouve comme l'égoût de la Loire dont tous ces gueux, mendians et vagabonds se servent pour s'y assembler.

J'ai l'honneur d'être... MELLIER  (Archives municipales).

Ce projet n'eut pas de suite ; deux années après cette correspondance le dépôt de la Providence n'existait plus. Sur la proposition du maire Mellier, la tour et les vagabonds furent réunis, en 1725, au Sanitat qui, en retour de la subvention des 1,000 livres, s'engagea à faire balayer les rues [Note : Si le Sanitat fut surchargé à cette époque, il fut, un peu plus tard, soulagé par la création d'un asile d'incurables à Chantenay, au lieu dit l'Hermitage. Le chanoine Texier, qui le fonda en 1758, reçut une subvention de 1,000 livres des Etats de Bretagne, en 1760]. Les habitants de chaque maison étant tenus de participer au nettoyage des rues, la direction du Sanitat n'avait pas besoin d'envoyer plus de six mendiants pour balayer les places publiques. L'Hôpital général reçut, comme la maison de la Providence, une somme de 1,200 livres pour nourrir, entretenir, salarier les chasse-gueux et les faire soutenir par les archers de la maréchaussée. Il donnait à chacun 6 livres par mois plus 20 sous à partager entre trois quand ils amenaient un mendiant.

Vers la même époque, les pensionnaires de l'Hôpital général appelés gens du roi, augmentèrent considérablement. Le royaume était alors infesté de mendiants valides qui voyageaient par bandes nombreuses, souvent armées, et demandaient l'aumône avec insolence. Parmi elles se trouvait une multitude de soldats licenciés. Par une déclaration en date du 18 juillet 1724, le roi ordonna de renfermer les mendiants non munis de passeports et ceux qui voyageraient par troupes de plus de quatre (sans compter les enfants) dans l'hôpital le plus voisin du lieu de leur naissance. Ceux qui voulaient se soustraire à la détention devaient rentrer dans leur pays dans le délai de 15 jours. Par suite de cette mesure, la population de l'Hôpital général s'éleva en peu de temps de 320 à 470 pensionnaires, et ce chiffre aurait encore été de beaucoup dépassé si les bâtiments avaient été plus vastes. Les mendiants qui ne pouvaient être recueillis dans l'établissement étaient si nombreux, en 1728, qu'on prit le parti d'en choisir 200 auxquels on remit des boîtes avec lesquelles ils allaient mendier leur vie par les rues. L'Intendant de la province aurait préféré qu'on eût recours à un rôle de cotisations, cependant, malgré ses observations, l'usage de distribuer des boîtes se perpétua encore longtemps [Note : On distribuait aussi fréquemment des secours en argent et en pain à certains ménages pauvres au XVIIIème siècle].

Aux termes des ordonnances, les mendiants devaient être enfermés au Sanitat pour deux années quand ils étaient pris une ou deux fois et pendant toute leur vie s'ils étaient repris une troisième fois ; mais cette rigueur était rarement observée, attendu que la maison n'avait jamais assez de ressources. Ceux que le roi ne prenait pas pour ses galères allaient, enrôlés par compagnies, travailler sur les grands chemins sous la surveillance de la maréchaussée, d'autres étaient employés dans l'établissement, aux constructions, aux manufactures ou aux corvées.

Afin de leur enlever toute tentation de se faire enfermer, la direction de l'Hôpital général les couchait sur une paillasse et leur servait du pain et de l'eau pour toute nourriture. Au siècle précédent, alors que la population indigente était moins nombreuse, les pensionnaires mangeaient de la viande.

On les nommait gens du roi, parce qu'ils étaient renfermés par ordre royal mais non parce que l'État prenait leur entretien à sa charge. Pour subvenir aux frais du renfermement des mendiants valides, il n'en coûtait au roi que d'autoriser la ville de Nantes à s'imposer extra-ordinairement ou d'inviter les Etats à voter quelque crédit [Note : En 1770 les Etats votaient un crédit de 50,000 livres par an pour les quatre dépôts de mendicité de la province mais auparavant les subventions étaient très-minimes]. L'Hôpital général supporta ses nouvelles charges sans aucune allocation jusqu'en 1730, époque à laquelle l'Intendant imagina de retenir sur les deniers de la ville une somme de 13,709 livres à l'aide de laquelle des dortoirs et des réfectoires furent construits. Cette date est sans doute celle de la création du quartier des gens du roi.

En 1734, la subvention ne fut pas continuée et cependant, loin de diminuer, la population pauvre augmentait toujours. On voit dans une requête qui fut adressée au marquis de Brancas, gouverneur de Nantes, en 1735, pour retracer la détresse de la maison, que de 470 le nombre des renfermés montait à 640 personnes, la plupart invalides. L'indigence était alors si répandue à Nantes que le bureau des directeurs était assiégé chaque semaine d'une foule de postulants dont les trois quarts étaient refusés.

Lorsqu'en 1767 [Note : La déclaration du roi Louis XV relative à la création des dépôts de mendicité est de 1764, mais l'arrèt du Conseil qui l'a rendue exécutoire n'est que du 24 octobre 1767] il fut décidé en Conseil du roi que chaque généralité serait pourvue de dépôts de mendicité permanents le Sanitat fut encore désigné pour recevoir les mendiants arrêtés dans toute l'étendue de l'évêché de Nantes mais il en fut débarrassé 4 ans après par un autre arrêt du Conseil en date du 15 septembre 1771 qui établit à Rennes un seul dépôt de mendicité pour toute la province.

Puisque j'ai touche à la question de la mendicité, je m'écarterai peu de mon sujet en disant quelques mots des précautions dont on entourait alors la répartition des secours et l'admission des pauvres de la ville. Malgré toutes les mesures de rigueur déployées périodiquement par toutes les autorités centrales et locales, les mendiants étrangers continuaient, au XVIIIème siècle, d'affluer dans la ville de Nantes comme dans tous les grands centres du royaume où les ressources étaient plus abondantes. En 1748, le bureau de l'Hôtel-Dieu, pour remédier à cet envahissement, obtint de la municipalité qu'une liste serait dressée de tous les pauvres domiciliés à Nantes depuis 5 ans. Les assemblées des paroisses se réunirent de suite à sa requête et nommèrent des commissaires qui, de concert avec les recteurs, relevèrent les noms des pauvres de chaque quartier. Les listes étant approuvées par le général (sic) de la paroisse, chaque indigent recevait une marque aux armes de la ville et se rendait à un lieu déterminé pour toucher son aumône. Ces dispositions étant insuffisantes, invitation fut également faite aux recteurs et commissaires des paroisses, de rechercher les noms et demeures de ceux qui logeaient des vagabonds afin de les faire poursuivre selon les ordonnances de police. Les paroissiens furent priés par leurs curés de ne rien donner aux portes des églises, de distribuer leurs restes aux malheureux de leur quartier et de déposer leurs aumônes dans les troncs des hôpitaux. On invita les communautés à ne plus continuer leurs données publiques qui attiraient les étrangers, mais à choisir de bons pauvres indigènes qui leur seraient désignés par les directeurs. Ces prescriptions étaient pleines de sagesse, car il est bien certain que les distributions permanentes des maisons religieuses, faites sans distinction à tout venant, entretenaient la plaie de la mendicité et annulaient tout l'effet des ordonnances.

Il ne suffisait pas qu'un pauvre fût âgé ou infirme, il fallait encore qu'il eût 6 ans de résidence à Nantes. Avant de recevoir un postulant qui présentait toutes les conditions requises, le bureau nommait un commissaire enquêteur qui s'informait de son état, de ses mœurs et de sa catholicité. Les administriteurs, se renfermant dans les termes des lettres patentes de 1760, ne voulaient pas recevoir d'autres pauvres que ceux de la ville ; ils refusaient ceux même de Rezé, alléguant, avec raison, que la majeure partie de leurs revenus se composait des aumônes de Nantes. Le siége épiscopal des repaires leur ayant enjoint de recevoir un idiot de Sainte-Luce, ils appelèrent de cette sentence au Parlement de Rennes en demandant un arrêt qui obligeât chaque paroisse de la campagne à nourrir ses pauvres.

Le quartier des gens du roi se composait encore de diverses classes de personnes que je ne puis passer sous silence. J'ai dit que l'Hôpital général était une prison, cela est facile à justifier par de nombreux exemples que j'emprunte aux registres de la maison. Une femme coupable d'infanticide fut condamnée à y subir la réclusion perpétuelle. Une autre accusée d'adultère y fut internée toute sa vie à la charge de servir les pauvres. Pascal de Marsan, accusé et convaincu de sortilége et de magie, y fut aussi détenu. Les criminels n'ont été bannis de la maison qu'après 1790. Le Ministre ayant voulu, en 1792, envoyer à l'Hôpital général du Sanitat, une femme condamnée à la détention perpétuelle dont la peine avait été commuée en celle de servir les pauvres toute sa vie, les administrateurs refusèrent de la prendre pour servante. Je pourrais également citer des noms de dissipateurs, de mauvais sujets et de débauchés que la justice renfermait au Sanitat à la requête de leurs parents. On verra par des détails ultérieurs que ceux de cette catégorie qui payaient pension n'étaient pas confondus avec les gens du roi. Le roi envoyait également dans son quartier, par lettre de petit cachet, des matelots et des soldais dont la pension fixée à 200 livres était payée par l'intendant de la province.

Lorsque Louis XIV eut révoqué l'édit de Nantes, il attribua à l'Hôpital général les revenus des consistoires de Sucé, de Blain et de Pontpiétin à la charge de recevoir les réformés pauvres qui ne voudraient pas abjurer ni s'expatrier. La direction devait les accepter pour les instruire dans la religion chrétienne et faire tous ses efforts pour les convertir, sans toutefois les violenter ; on cite cependant quelques réfractaires qui furent mis au cachot les fers aux pieds et aux mains. Une quantité de femmes vinrent passer au Sanitat de nombreuses années pour s'y faire instruire et y demeurèrent jusqu'à leur abjuration. La dame Baco y resta 20 ans et n'abjura que peu avant sa mort. Elisabeth Lefort y demeura 40 ans avant d'abjurer la religion protestante.

Quand un jeune homme se montrait insubordonné, dissipateur ou débauché, sa famille n'éprouvait pas de peine à le faire renfermer à l'hôpital en payant pension, elle se dispensait même parfois de solliciter une lettre de cachet. On accepta, en 1709, un jeune homme de qualité qui était en prison pour cause de sédition, à la condition qu'il paierait 300 livres de pension par an. En 1787, un honorable habitant de Saint-Brieuc fit remettre la lettre suivante : qu'il avait sollicitée de la Cour, au directeur du Sanitat :

Cher et bien amé, nous vous mandons et ordonnons de recevoir dans votre maison, le nommé Y. Lech..., et de l'y garder jusqu'à nouvel ordre de notre part an moyen de la pension qui vous sera payée par son père. Si n'y faites faute, car tel est notre plaisir. Donné à Versailles, 7 septembre 1787. Louis.

Un huissier de Saint-Brieuc vint amener le fils à Nantes, et comme les directeurs refusaient de le recevoir avant d'avoir passé un traité par écrit, l'huissier se rendit chez la supérieure, y laissa le fils avec 195 livres pour sa pension sur une table et s'enfuit.

La création du refuge destiné aux filles de mauvaise vie ne remonte pas avant 1723 ; cependant il est avéré que dès le début on reçut des filles débauchées. En 1652, les directeurs firent renfermer dans un cabinet et dans un grenier, de leur propre autorité, un homme et une femme qui vivaient dans la débauche. Le prévôt en ayant été averti, fut blessé qu'on se fût passé de ses ordres et fit lever les serrures par un ouvrier pour les mettre en liberté. En 1676, une mère vint déclarer que sa fille étant portée au mal, elle s'engageait à payer la nourriture si on voulait la prendre jusqu'au départ des gens de guerre qu'elle voulait suivre. Le désir de la mère fut exaucé. Parfois les directeurs présentaient des jeunes filles pour les sauver de l'inconduite sans faire mention des parents. En 1677, des personnes pieuses firent des offres charitables pour que le refuge prît de l'extension. En donnant cinquante sous par mois et le vêtement, elles faisaient admettre des jeunes filles ayant de mauvaises inclinations. Les progrès de la débauche étaient si effrayants que les directeurs cédèrent toujours aux sollicitations, mais ils retenaient peu de temps les détenues de cette classe. En 1695, la détresse obligea la direction à fermer le refuge.

Vers la fin du XVIIème siècle, M. André Mortier de Romainville, secrétaire du Sanitat, proposa au bureau de faire construire, sans qu'il en coûtât rien à l'Hospice général, un bâtiment destiné à renfermer pour la vie les filles que sortiraient du refuge ou celles qui, étant dans le monde, voudraient se vouer à la pénitence. Son offre fut acceptée et le nouvel asile prit le nom de retraite des filles de Sainte-Madelaine. Le règlement de ce lieu, moins sévère que celui du refuge, était cependant rigoureux et austère. La création de M. de Romainville ne dura pas au-delà de 1702 ; elle fut transformée en infirmerie des femmes. Elle était superflue, puisque depuis 1672 il existait à Nantes, sur le Port-Communeau, un institut spécial pour les filles pénitentes et qu'un second couvent de retraite fut fondé vers 1700, sur la place au Bon-Pasteur, par les religieuses de ce nom. Le Sanitat se déchargea toujours sur ces deux maisons des filles qui paraissaient avoir des positions au repentir.

En 1717, pendant le séjour du régiment de Bourbonnais, de grands scandales s'étant produits à Nantes, le bureau arrêta que les coureuses et filles de mauvaise vie, prises en compagnie de soldats, seraient enfermées dans les loges de l'hôpital el châtiées pendant 15 jours. En 1721, plusieurs personnes se plaignirent devant la direction des pauvres renfermés, que depuis l'incendie de Rennes, le nombre des femmes de mauvaise vie s'était accru considérablement et que leur impudence causait de grands désordres. Le bureau répondit que l'on prendrait toutes celles que la maison pourrait contenir ; que les sœurs préposées à leur garde leur feraient subir une rude pénitence ; qu'on les nourrirait au pain et à l'eau et qu'en raison de la détresse, on inviterait les compagnies de dames de la charité de fournir à leur subsistance par leurs quêtes.

Tous les faits que je viens d'énumérer prouvent qu'on fit de nombreuses tentatives pour fonder un refuge permanent, mais la pénurie des ressources empêcha toujours chaque essai d'aboutir à une institution stable et régulière (Voir la délibération prise en séance du 4 janvier 1723). Ce n'est que vers 1723, à la sollicitation de M. de la Coutardière, qu'on prit des mesures sérieuses pour élever un bâtiment spécial destiné aux filles. Le règlement qui fut rédigé à ce propos mérite d’être rapporté ; j'y renvoie le lecteur pour la complète connaissance des détails qui se rapportent à cette classe de pensionnaires. La vie des religieuses n'était pas ordonnée d'une façon plus pieuse.

Règlement du Refuge du Sanitat de Nantes.

Le même motif qui a inspiré l'établissement des hopitaux généraux comme un remède le plus assuré contre les excès et les débordements effroyables que causait, parmy les mendiants, la liberté de vaguer, a aussi inspiré l'établissement des maisons de filles pénitentes, pour servir de retraites aux filles et femmes débauchées, comme l'unique moyen d'arrêter leur libertinage.

C'est dans cette vue que des personnes de piété ont comencé d'établir, depuis quelques années, une maison de retraite dans cette ville de Nantes, qui a servi d'asile à plusieurs filles, qui leur donne moyen de pourvoir à leur salut par l'éloignement des occasions qui pourraient les faire retomber dans leurs premiers désordres, par les pratiques de pénitences et autres exercices de piété.

Mais comme les personnes qui ont la conduite et la direction de cette maison, ont jugé à propos de n'y admettre que celles qui pourront y apporter une dot capable de les nourrir et entretenir, ou qui fourniront une pension suffisante pour cela, et que l'on voit avec une extrême douleur croître et s'augmenter de jour en jour, le désordre que cause le grand nombre de ces personnes publiques qui entretiennent la débauche et le scandale dans cette ville, conformément à la sage conduite de plusieurs villes des plus considérables du royaume, Messieurs les directeurs de l'Hôpital général de cette ville, ont pris le moyen de faire bâtir, dans leur enclos, une maison de refuge pour enfermer telles créatures et de la faire d'une façon si affreuse et si rebutante, que l'appréhension de se voir enfermées dans un tel lieu, retienne dans leurs devoirs celles que la bonté de Dieu et la rigueur de sa justice n'est pas capable d'intimider et empêcher que les coureuses étrangères n'y viennent de toutes parts, comme elles avaient de coutume. Ils enfermeront toutes créatures que l'on saura indubitablement et actuellement être dans le désordre ; après s'en être suffisamment informé, et les y retiendront autant de temps que le bureau le jugera à propos, et nécessaire pour leur faire expier leurs désordres par la clôture, le travail et les châtiments proportionnés à leurs fautes, et par des pratiques de piété. Toutefois, la règle générale et commune est que la première fois qu'elles seront mises en la maison, en s'y comportant bien sagement et donnant de bonnes espérances de s'amender, elles pourront n'y être que trois mois de temps ; si elles retombent dans leurs désordres et qu'elles soient mises une seconde fois dans la maison, elles y seront pendant neuf mois et seront traitées plus rigoureusement ; que si après cela on est obligé de les y remettre une troisième fois, ce sera pour deux ans, après quoi si elles continuent encore leurs désordres, comme on ne doit plus d'amendement ni de changement, si elles y sont remises une quatrième fois, ce sera pour le reste de leur vie.

1° Il y aura pour la conduite de cette maison deux sœurs de l'Hôpital général, sous la dépendance toutefois de leur supérieure, ainsi que les autres soeurs qui agiront à leur égard suivant le règlement particulier dressé à cet effet.

2° Lorsque quelqu'une de ces sortes de créatures sera conduite dans la maison par ordre d'un de Messieurs les directeurs, la supérieure la fera mettre dans un des cachots où elle demeurera jusqu'à nouvel ordre, et pendant ce temps, avant qu'elles viennent dans l'ouvroir commun, elles seront visitées par un chirurgien commis, par Messieurs les directeurs, à cet effet, pour voir si elles n'ont point quelques vilaines maladies.

3° Les huit premiers jours qu'elles seront entrées dans la maison, elles n'auront pour nourriture que du pain et de l'eau, elles coucheront sur la paille et auront une fois le jour la discipline, excepté le dimanche ou quelques fêtes d'une dévotion particulière, qui se rencontreront dans cette huitaine.

4° Aussitôt après leur entrée, elles seront rasées, on leur fera quitter tous leurs ornements de vanité et de libertinage, et les habits dont elles étaient revêtues, pour en prendre de pauvres et de vils, afin de commencer par ce changement à faire pénitence, lesquels habits seront de la maison et de la manière qu'il a été arrêté.

5° On ne leur laissera ni ciseau ni couteau, pour leur ôter tout, moyen de nuire, et si on leur en donne pour la nécessité de leurs ouvrages, elles ne pourront les emporter dans leurs poches.

6° Aucune personne sans exception ne pourra entrer dans ladite maison, non pas même Messieurs les directeurs, s'il n'est jugé nécessaire par le bureau en la manière prescrite par l'art. 34.

7° La supérieure aura la liberté seule d'entrer dans ladite maison, de laquelle elle aura une clef, comme aussi les deux sœurs officières qui auront soin des dites pénitentes.

8° Les deux sœurs commises, pour leur conduite, coucheront dans la chambre qui leur est destinée pour cet effet et prendront garde à ce qui se passera dans la nuit, et pour y veiller plus sûrement, elles tiendront une lampe allumée dans leur chambre ou tout proche.

9° Pourront, lesdites sœurs officières, mettre leurs penitents en pénitence ou dans le lieu appelé malaire, ou leur imposer la discipline pour désobéissance, immodestie, emportements ou autres fautes qu'elles commetteront contre leur règlement, et si les fautes sont considérables et peuvent devenir à conséquence, elles en donneront avis à la supérieure pour la séparer des autres et mettre en prison, et leur faire les châtiments qu'elle jugera à propos, en attendant qu'elle en puisse donner avis à Messieurs les directeurs députés pour en faire un exemple.

10° En cas de rébellion, lesdites soeurs demanderont main-forte à la supérieure et à cet effet, sera mis une clochette dont la corde répondra au dehors de la porte d'entrée, et lorsqu'on sonnera cette cloche, la supérieure se rendra promptement à ladite maison avec nombre de personnes qu'on jugera nécessaire pour les secourir.

11° Si quelques-unes des pénitentes tombent en maladie considérable, elles seront aussitôt transportées dans l'infirmerie qui sera destinée pour elles, lorsqu'elles seront en cet état, afin d'y être traitées.

12° On visitera exactement tous les huit jours leurs hardes et lits, pour voir s'il n'y aurait rien de caché, ce qui se fera aussi quand on en mettra quelques-unes dehors, crainte qu'elles n'emportent quelque chose qui appartienne à la maison ou aux autres pénitentes.

13° L'on ne leur laissera absolument rien en leur disposition, et si elles souhaitent écrire à quelqu'un à raison de leurs affaires, ce ne sera que du consentement de la supérieure et en présence d'une des sœurs qui lui fera voir la lettre, la cachetera et enverra à son adresse, si elle le juge à propos. Elles ne parleront jamais de leurs désordres passés, en secret les unes aux autres, et ne chanteront rien que de pieux et qui puisse leur inspirer de la religion.

14° Il est recommandé expressément à toutes les filles et femmes pénitentes de garder le silence en tout lieu et en tout temps, hors celui du relâche, s'il n'y a nécessité ou besoin. En ce cas, elles le pourront faire après en avoir obtenu la permission d'une des sœurs officières, qu'elles demanderont à genoux et pour lors, si elle leur a accordé, ce qu'on laisse à leur dépendance, elles éviteront de parler trop, d'un ton trop élevé, afin de réparer par ce moyen une infinité de désordres qu'elles ont causé par la liberté et le dérèglement de leur langue.

15° Il ne leur suffit pas de n'avoir entr'elles aucunes communications, ni par entretien, ni par paroles ; mais il faut veiller encore qu'elles n'en ayant ni par gestes, ni par signes ou regards, ce qui serait non seulement capable de violer le silence, mais souvent même d'une leçon plus dangereuse, car ces choses sont capables de réveiller en elles le souvenir de leurs désordres passés.

16° Ce serait inutilement qu'on leur ferait étroitement garder le silence, si leur esprit était dans des évagations parmi les créatures, et peut être parmi celles où elles ont offensé Dieu, c'est pourquoi elles tâcheront de se sanctifier par leur silence, par une solitude d'esprit et de coeur et de s'entretenir intérieurement avec Dieu, ou sur des motifs de pénitence.

17° Comme les plaisirs des sens et les aises du corps ont été la cause et la source de leurs désordres, il est juste d'y remédier par des moyens tout opposés, en pratiquant des peines et des mortifications qui, en châtiant le corps, expient les fautes qu'elles ont commises, et particulièrement contre les vertus de pureté.

C'est pourquoi, passé les premiers huit jours dont il a été parlé dans l'article 3, elles prendront la discipline le mercredi et le vendredi de chaque semaine toutes en commun, dans un lieu obscur et sans lumières, pendant qu'une soeur prononcera le Miserere ; mais si les sœurs remarquaient que quelqu'une des pénitentes se traitât avec trop d'indulgence, elles pourront en avertir la supérieure, et de son avis la lui faire donner en particulier.

Il sera bon aussi de la faire donner de temps en temps, fortement à celles dont le dérèglement aura été plus considérable, à moins qu'on ne vit en elle une ferveur particulière à satisfaire à la justice de Dieu.

18° L'on tâchera de leur faire accepter ces mortifications et ces châtiments pour satisfaction de leurs péchés, et de les leur faire offrir à la justice divine avec un esprit et disposition chrétienne et pénitente. C'est pourquoi l'une des sœurs leur inspirera de vive voix quelque motif, ou leur en lira quelqu'un avant de commencer ces exercices.

19° Outre tous les jeûnes prescrits et ordonnés par l'Eglise, elles jeûneront au pain et à l'eau tous les vendredis de l'année, les vigiles des fêtes de la Sainte-Vierge et celle de la Sainte-Magdeleine. Auquel jour de vigile de Sainte-Magdeleine elles prendront aussi la discipline, se souvenant que les pénitences et les larmes qui venaient d'un vrai regret d'avoir offensé Dieu, lui ont obtenu pardon de ses péchés et une grande gloire dans le ciel.

20° Les jours ordinaires, leur nourriture sera du pain et du potage, elles ne mangeront jamais de viande, que les dimanches et les jeudis, ou quelques-unes des fêtes les plus solennelles de l'Eglise, comme Noël, la Toussaint, et auxquelles les pénitences communes et ordinaires cesseront aussi pour ce jour seulement.

21° Elles monteront toutes ensemble de leurs dortoirs le matin, après être habillées, et n'y retourneront qu'au soir pour s'y coucher.

22° Elles se lèveront aux heures marquées par le règlement de la maison au son de la cloche, sans paresse, donnant leur cœur à Dieu, récitant dévotement quelques prières vocales, ou repassant en leur esprit le sujet de la méditation qu'elles vont faire.

23° Elles auront une demi-heure pour s'habiller et faire leurs lits, après laquelle on les fera monter dans l'oratoire pour assister à la prière, laquelle sera suivie d'une demi-heure de méditation, dont le sujet sera lu par une des sœurs et qui sera pour l'ordinaire, sur la matière de l'horreur et la grièveté du péché, ou la pénitence, ou sur la rigueur de la justice de Dieu, contre le péché ou sur les damnés, que terminera par une courte prière.

24° Lorsqu'on pourra leur procurer quelque messe, elles l'entendront avec tout le respect et la dévotion possible, elles iront ensuite dans le lieu destiné pour le travail, où elles s'occuperont à celui qui leur sera marqué et sur les huit heures, on ira leur porter un morceau de pain sec pour déjeuner, qui sera précédé de la bénédiction et suivi des grâces qui seront dites par une des sœurs.

25° Au commencement et pendant le travail, elles observeront les mêmes pratiques de piété établies pour le général de la maison, que les sœurs auront soin de leur enseigner et faire pratiquer, excepté pendant les heures destinées pour le silence, on leur fera la lecture de quelques livres de piété, pendant une demi-heure, après quoi le silence s'observera.

26° Durant le travail du matin, une des sœurs pourra leur faire rendre raison de leur méditation, ou leur en expliquera la méthode pendant une demi-heure.

27° Leur dîner sera toujours précédé d'un petit examen de conscience, auquel on lira un nombre de chapitres ou deux de l'Imitation et se fera pendant celui des pauvres, dans lequel elles auront conformément à ce qui est marqué dans les articles 3, 19 et 20. Si quelquefois quelqu'une d'entr'elles était fort soumise, laborieuse et bien pénitente, on pourra lui donner au soir un peu de beurre, préférablement aux autres.

28° L'une des pénitentes fera la lecture pendant le repas, ou à leur défaut, par une des sœurs si elles ne savent pas lire.

29° Après le repas, elles pourront avoir une demi-heure de relâche, pendant lequel temps elles s'entretiendront toutes ensemble de quelque chose de piété et en présence des sœurs, ou de l'une d'icelles, sans que cela empêche leur travail ordinaire.

30° Après le repas et l'heure de la récréation, durant le travail de l'après dîner, entre les pratiques de piété qui sont observées par les pauvres de la maison, elles diront leur chapelet, après avoir fait les préparations nécessaires, et l'une des sœurs aura une attention particulière à ce qu'il n'y ait point de mépris en le disant. Sur les trois heures on chantera quelques cantiques spirituels ; à quatre heures, le catéchisme ou quelques explications sur les tableaux de morale, pendant une demi-heure ; à cinq heures, la lecture spirituelle pendant une demi-heure ; hors ce temps sera observé un silence exact.

31° Afin d'employer saintement les jours des dimanches et de fêtes, elles diront après l'oraison qui durera un quart d'heure plus qu'aux jours ordinaires, le petit office de la Très-Sainte-Vierge, jusqu'à vêpres et l'on aura soin de leur faire employer le reste de la journée, soit en lecture de dévotion, soit en leur faisant la doctrine chrétienne ou en leur enseignant la méthode de l'oraison, ou les faisant s'occuper à d'autres exercices de piété. Si l'on peut leur procurer une messe, elles l'entendront avec toute la révérence et l'attention qui est due à ce divin mystère, et si elles n'en peuvent avoir, elles regarderont cette privation comme un effet de la justice divine qui les juge indignes de cette consolation pour les abus qu'elles en ont fait, pour avoir peut-être souvent profané les lieux saints et les choses saintes par une infinité de désordres. Elles tâcheront dans ce cas de s'unir d'esprit et de coeur aux messes qui se disent ce jour, et particulièrement à celles qui se disent en la maison, et d'y joindre leur intention afin de participer par ce moyen aux mérites de ce divin sacrifice.

32° Elles diront l'après dîner, vêpres et complies de la Très-Sainte-Vierge avec le chapelet, et l'on aura soin de leur faire employer le reste du temps en exercices de piété utiles et conformes à leurs besoins.

33° Sera député par le bureau au commencement de chaque année ou semestre, pour la conduite spirituelle de cet ouvrage, trois directeurs, l'un desquels sera toujours ecclésiastique, qui entendront lesdites pénitentes les unes après les autres sur les choses qu'elles jugeront à propos et nécessaires de leur dire, l'un desquels manquant, un autre sera nommé par ledit bureau pour remplir sa place.

34° Lorsque Messieurs les directeurs députés à cet effet, entreront dans ladite maison des pénitentes, ils seront toujours trois, ou pour le moins deux, et avant leur entrée, toutes les filles seront obligées de se retirer, à l'exception de celles à qui on voudra parler, qui resteront avec la supérieure ou l'une desdites sœurs officières, à moins qu'on ne voulût avoir toutes les pénitentes ensemble.

35° Sera tenu un registre particulier des noms, âges, qualités, vocations, demeures et parents desdites pénitentes, lequel demeurera entre les mains de la supérieure, étant souvent nécessaire que toutes choses ne soient pas publiques, ni exposées à la connaissance de plusieurs et lorsque le bureau leur donnera leur congé de sortie, il sera inséré par l'un des députés sur le même registre et non sur celui de la direction (Archives de l'Hôtel-Dieu).

Les formalités réglant l'entrée et la sortie de ce quartier étaient très-simples. Le juge de police, le procureur du roi ou le prévôt de la maréchaussée, ordonnaient l'arrestation ou l'élargissement des filles de mauvaise vie, cependant on les mettait souvent à la porte avant l'ordre de la justice, quand les ressources manquaient. Celles qui étaient gâtées par les atteintes du mal vénérien étaient rarement acceptées, les mieux traitées étaient renfermées dans les loges des fous sans recevoir aucun soin. En 1753, le bureau s'étant aperçu que le règlement n'était pas observé et que des vénériens et vénériennes entraient dans la maison, décida que désormais les nouveaux arrivés seraient visités, les hommes par le chirurgien, les femmes par la première sœur de la pharmacie. Les gens atteints de cet affreux mal n'étaient pas reçus davantage à l'Hôtel-Dieu, ils étaient obligés de se traiter à leurs frais chez eux. Pour remédier aux dangers de cette exclusion, il arrivait cependant qu'on accordait parfois des secours aux vénériens en les mettant à la porte. Les filles enceintes n'étaient pas davantage admises. On en reçut deux en 1684, mais seulement à la condition qu'elles iraient faire leurs couches hors de la maison. Un arrêté du 42 janvier 1741 défend formellement l'admission des filles grosses.

A côté des femmes qui se livraient par métier à la prostitution, on voyait encore à l'Hôpital général, dans le même quartier, des femmes d'une vie moins dépravée, plusieurs appartenant à de bonnes familles. Quand un père ou une mère avait à se plaindre des débordements ou des mauvais penchants d'une fille, même majeure, ils pouvaient la faire renfermer en avertissant le procureur du roi, s'ils le jugeaient utile. Ce cas s'est présenté bien des fois dans le cours du XVIIIème siècle, comme l'attestent les registres du Sanitat.

Un mari, ayant surpris sa femme avec des soldats, la conduisit à l'Hôpital général et la fit enfermer sans autre formalité. En 1655, une mère parvint à faire enfermer sa fille, parce qu'elle refusait d'accepter le jeune homme qu'elle voulait lui donner. La récluse resta un mois sous les verroux et n'obtint sa liberté qu'en invoquant l'autorité du Présidial, auquel elle fit remontrer que sa promesse d'épouser avait été forcée. Le bureau de la direction ne se montrait pas toujours aussi facile, et dans la plupart des cas il exigeait la production d'un arrêt en forme, surtout quand un mari requérait la réclusion pour sa femme.

Je n'ai parlé jusqu'ici que des nouveau-nés et des soins dont ils étaient l'objet pendant le premier âge ; il est temps que je fasse connaître le sort qui les attendait quand ils grandissaient. L'Hôtel-Dieu n'était pour eux qu'un lieu de passage où ils attendaient que leurs forces prissent assez de développement pour se rendre utiles à leurs bienfaiteurs. Quand leurs parents venaient les réclamer, les administrateurs exigeaient d'eux un certificat du curé de leur paroisse attestant qu'ils étaient en état de nourrir leur enfant et de l'élever dans la religion chrétienne. Dès que les enfants avaient atteint l'âge de dix ans, ils quittaient l'Hôtel-Dieu et passaient à la charge du Sanitat, qui à son tour les recueillait pour continuer leur instruction commencée et les appliquer aux différents métiers dont ils étaient capables [Note : Les enfants teigneux n'étaient pas traités à l'Hôtel-Dieu, mais au Sanitat seulement].

Les moyens de former d'habiles artisans et d'honnêtes ouvrières ne manquaient pas aux pères des pauvres renfermés. Les nombreux ateliers de toute sorte ouverts tant à l'intérieur de la maison que dans la cour extérieure étaient autant d'écoles où leurs protégés pouvaient s'exercer aux travaux manuels sans échapper à leur surveillance. Toutes les fois qu'une des boutiques de l'allée du Sanitat était à louer, la direction ne l'affermait jamais sans imposer à l'ouvrier locataire la condition de former des apprentis.

Ce n'est pas à l'atelier cependant que les garçons passaient la plus grande partie de leurs journées, on les voyait souvent au dehors occupés dans des emplois qui devaient rapporter quelque profit à l'Hôpital général. Les uns portaient des torches et des armoiries aux convois funèbres, les autres se tenaient aux portes de la ville avec une écuelle pour recueillir les charités des passants, quand la détresse de la maison était pressante. Ces fréquentes absences étaient le sujet de vives réclamations de la part des patrons, mais le bureau se retranchait toujours derrière la nécessité d'augmenter ses ressources.

Quand la Compagnie des Indes, dont les magasins étaient situés près de la Chèzine, venait demander des filles et des garçons pour travailler au nettoyage de ses marchandises, elle obtenait cette faveur de même que d'autres négociants du voisinage. Le jour de la Commémoration des morts, il était d'usage d'envoyer les garçons, revêtus de leurs habits bleus, dans toutes les églises de la ville, pour les mettre à la disposition des fidèles qui voulaient faire prier à l'intention des trépassés. Ils recevaient en échange de ce service quelques gros sous, qui le soir formaient une somme assez ronde, quand ils ne s'arrêtaient pas en chemin pour se désaltérer. Il paraît que leur soif ne se contenait pas toujours dans la juste mesure, car un arrêté du bureau, en date de 1767, nous apprend qu'il fallu renoncer à cette coutume pour les empêcher de revenir ivres au Sanitat. On essaya d'utiliser les filles dans le rôle de pleureuses aux cérémonies funèbres, mais on reconnut bientôt que les sorties fournissaient trop d'occasions de libertinage et cet emploi leur fut retiré en 1678.

Ceux des garçons qui montraient le moins de dispositions pour l'industrie étaient embarqués en qualité de mousses, dès qu'ils avaient l'âge de douze ans, sur les navires de long cours [Note : Pourront aussi lesdits enfants être envoyés en mer en qualité de mousses ou garçons de chambres sur nos vaisseaux ou sur ceux de nos sujets et seront pour ce préférés à tous autres par le commissaire de marine. (Lettres patentes de 1760)]. Leurs gages, fixés à six livres par mois, revenaient à la caisse du Sanitat, en remboursement des hardes qu'on leur fournissait et donnaient, année moyenne, un revenu de cinq cents livres. Ces jeunes marins rentraient à l'Hôpital général au retour de chaque voyage et n'obtenaient leur congé définitif qu'après l'âge de seize ans.

La même limite était fixée pour les apprentis ouvriers ; quant aux filles, leur sortie n'était généralement pas autorisée avant vingt ans. Au moment de les abandonner à leurs propres forces, les pères des pauvres renfermés leur donnaient toujours un dernier témoignage de charité en leur délivrant un habillement complet.

Ce chapitre laisserait quelques doutes dans l'esprit du lecteur si je ne disais un mot des adolescents pris en flagrant délit de vagabondage, soit seuls, soit en compagnie des bandes de mendiants qui parcouraient le pays [Note : Louis XIV, en 1697, ordonna par lettres de cachet au Commissaire de la marine, de veiller à ce que les jeunes garçons mendiants, arrêtés au Sanitat, âgés de 12 à 18 ans, fussent embarqués. Les maîtres des bâtiments étaient obligés de les prendre, après avoir conclu arrangement avec les directeurs pour la traversée]. Ceux-ci n'occupaient pas le même quartier que les précédents, leurs vices réclamaient une séquestration distincte.

Quand les archers de la maréchaussée les amenaient à la porte du Sanitat, ils étaient conduits dans le quartier des Gens du roi et travaillaient dans les mêmes ateliers que les mendiants valides arrêtés par mesure de police, quand leur âge atteignait dix ans. Cette communauté de vie avec des fainéants de la pire espèce n'était, pas de nature à leur inspirer des sentiments bien élevés, aussi quand les portes de la maison s'ouvraient, pour eux, ils allaient perpétuer la race des gens de sac et de corde dont les prisons regorgeaient.

Il faut dire à la louange du gouvernement de Louis XV, que le vrai moyen d'arracher les fils des mendiants aux funestes effets du mauvais exemple fut trouvé sous son règne. Au lieu de les laisser dans les maisons de force, il fut décidé que les directeurs des hôpitaux les remettraient à d'honnêtes familles de laboureurs, auxquelles on paierait quarante livres de pension annuelle. Le roi voulut même, pour encourager cette institution, que les fermiers que prêteraient leur concours à cette œuvre d'intérêt général, fussent exempts des charges de la milice. Voici une lettre de 1770 du subdélégué de Nantes qui ne laisse aucun doute à ce sujet :

Lettre du subdélégué aux marguilliers des paroisses de la subdélégation de Nantes.

Vous avez vu, Messieurs, par la lettre que je vous ai écrite le 19 janvier dernier, jusqu'où Sa Majesté porte l'attention pour détruire la mendicité ; vous allez encore en avoir une preuve. Comme les enfants des deux sexes qui ont contracté ce vice ne pourroient en estre corrigés, si l'on les laissoit dans les dépôts où ils auroient toujours devant eux les mauvais exemples des vagabonds qui y sont renfermés, le roy désire pour les rendre utiles, en leur inspirant le goût du travail et des bonnes mœurs, qu'ils soient élevés dans les campagnes. C'est ce qui se pratique depuis longtemps à Lyon, où l'on donne la valeur de trente livres pour la pension et l'entretien depuis six à sept ans jusqu'à treize ou quatorze, âge auquel ces enfants sont en état de gagner leur vie et leur vêtement.

J'ai obtenu pour mon département que cette somme fût portée jusqu'à quarante livres. Il s'agit pour seconder des vues aussi bienfaisantes de trouver d'honnêtes laboureurs qui veuillent accepter ces conditions. Vous aurez soin d'en chercher dans votre paroisse et de me les envoyer munis d'un certificat de Monsieur votre recteur, que je supplie de vous aider. Il voudra bien me marquer si celui qui s'offrira pour élever un enfant à ces conditions est digne de cette confiance du Gouvernement.

Vous pourrez voir dans la dernière ordonnance pour les milices qu'il est même, en ce cas, accordé des exemptions dont j'aurai grand soin de faire jouir ceux qui seront chargés de cette éducation.

Je suis, etc. DE PRÉMION.

Le subdélégué de l'intendant de la province était juge lui-même de la moralité des fermiers qui se présentaient. Les directeurs du Sanitat ne devaient pas livrer d'enfants sans qu'on leur présentât un ordre écrit de sa part qui leur servait de décharge. Le système de Louis XV produisit de si bons résultats qu'il a survécu à son règne. Nos réformateurs modernes n'en ont pas trouvé de meilleur pour débarrasser les dépôts de mendicité et les prisons de tous les adultes, ils n'ont fait que lui donner une nouvelle forme en créant les nombreuses colonies agricoles qui s'élèvent de tous côtés, à Mettray et ailleurs.

Quand le Sanitat fut remplacé par l'Hôpital général de Saint-Jacques, vers 1836, on réserva un quartier special pour les enfants qui reviennent de la campagne, à côté des orphelins, dont les parents sont infirmes, indigents, décédés ou séquestrés. Les jeunes garçons comme les jeunes filles ont une école, un réfectoire, des dortoirs, une infirmerie et un préau séparés. Es sont sous la direction d'un régent, d'un prévôt qui les instruisent, les surveillent de jour et de nuit, et leur cherchent des professions, en rapport avec leurs aptitudes, dès que leurs forces permettent de les placer en apprentissage chez de bons maîtres. Les jeunes filles sont confiées à la garde d'une sœur qui les instruit et leur enseigne les travaux à l'aiguille, ou placées en service si elles sont capables de gagner leur vie. Dès qu'elles ont fait leur première communion, si elles restent à l'hôpital, on les fait passer successivement par tous les emplois de la maison, afin de les former à la vie active.

Pendant leur passage à l'hospice, les jeunes garçons sont employés comme les enfants de police de l'ancien Sanitat l'étaient aux convois funèbres, à porter des cierges et des armoiries. Il est rare qu'un enterrement ait lieu à Nantes sans que le cortège soit précédé de quelques-uns de ces enfants habillés non plus de bleu, mais de noir et coiffés d'une petite calotte. Le coeur des passants s'est ému bien des fois, j'en suis sûr, en voyant ces infortunés brûler sous les ardeurs du soleil de l'été ou grelotter sous la pluie glaciale de l'hiver. S'il est vrai, comme on le dit, que la nouvelle commission administrative qui gouverne nos hôpitaux veuille abolir cet usage par trop suranné et recherche un autre moyen de prélever le droit qui appartient aux pauvres sur les convois funèbres, ses innovations auront l'approbation de tous les amis de l'humanité [Note : Depuis le commencement de l'année 1874 on ne voit plus d'enfants des hospices aux convois funèbres].

On avait si peu songé aux fous et aux insensés en fondant l'Hôpital général qu'on hésita longtemps avant, d’établir un quartier pour cette classe d'infortunés. En 1654 on refusa une folle sous le prétexte que les règlements s'y opposaient. On ne voulait même pas d'idiots, car à la même date il fut décidé que vu le grand nombre de pauvres dont la ville était remplie, l'Hôpital général ne recevrait que les personnes invalides, en extrême vieillesse et de bon sens. Avertie en 1655 qu'une femme folle causait un grand scandale dans la paroisse Saint–Similien, la direction, cédant aux instances des parents, consentit, en dépit du règlement, à la recevoir, pourvu que la violence de sa folie ne troublât pas le bon ordre de l'intérieur. On se montra plus sévère en 1665, car on refusa une folle, bien qu'elle apportât avec elle une rente de 600 livres.

En 1676 la direction ayant paru disposée à fonder un quartier d'aliénés et à recevoir tous les dons qui seraient faits à cette intention, quelques personnes charitables donnèrent mille livres pour subvenir aux premières constructions. C'est à peu près vers cette époque que le Sanitat fut ouvert aussi aux épileptiques. En 1699, trois nouvelles loges seulement furent élevées pour les folles et les augmentations successives qui se firent ensuite, ne suivirent pas une marche plus rapide. Un fou fut reçu en 1703 à la condition que sa famille construirait sa loge et fournirait avec 200 livres les chaînes nécessaires à l'attacher. Il ne paraît pas que la direction de l'Hôpital général ait fait d'efforts sérieux pour créer un véritable quartier d'aliénés avant la fin du XVIIIème siècle. Dans l'espace de cinq années, de 1781 à 1784, elle trouva en effet les moyens de disposer assez de loges pour recevoir 60 aliénés de plus. Malgré cette notable augmentation, le défaut de places réduisait l'administration à un tel état de gêne qu'elle était obligée, en l'an XIII de mettre deux aliénés dans la même loge. On devine aisément ce que la vue de deux êtres atteints de folie différente réunis dans le même lieu et s'irritant mutuellement pouvait inspirer de pitié. Leurs loges avaient 6 pieds et demi de largeur sur 10 pieds de longueur et 7 de hauteur ; elles étaient voûtées, fermées par une grille et garnies d'un siège d'aisance dans le fond. L'aliéné était attaché comme une bête féroce dans cette espèce de cage par des menottes et une chaîne. Ce spectacle se voyait encore en 1820 au Sanitat de Nantes et glaçait le cœur de tous les visiteurs.

Vers 1827, le nombre de ces infortunés, qui ne dépassait pas auparavant 93, s'éleva à 133 par suite de la construction du quartier de Sainte-Marie. Après la création de cette annexe leur sort se modifia sensiblement. Au lieu de les renfermer dans des cachots infects, on les laissa promener en pleine liberté dans un beau jardin entouré de bâtiments salubres. Leur état sanitaire s'améliora si promptement avec ce changement de vie qu'on avait à peine besoin d'en mettre 5 ou 6 en réclusion en 1827, tandis qu'autrefois on en comptait pas moins de 40 à 45 en détention.

Les formalités d'admission furent longtemps nulles ; il suffisait que la folie fût apparente pour que le bureau acceptât le malheureux présenté. Ceux qu'on prenait ainsi étaient connus dans tout un quartier et la voix publique les désignait pour la réclusion. Lorsque le nombre des aliénés prit quelque importance, on exigea une sentence d'interdiction, notamment après l'octroi des lettres patentes de 1760 qui prescrivaient cette procédure comme un devoir indispensable. Les familles qui voulaient éviter les ennuis d'une enquête judiciaire sollicitaient une lettre de cachet et l'obtenaient le plus souvent. La porte du Sanitat n'était pas fermée aux aliénés des paroisses rurales de l'évêché, mais les frais de leur entretien comme ceux des enfants trouvés retombaient à la charge de la paroisse dont ils étaient originaires ; quant aux aliénés appartenant à des familles aisées de la ville, ils payaient une pension dont le prix était fixé à 300 livres au milieu du dernier siècle.

Telle qu'elle était peuplée, la maison de l'Hôpital général n'était pas séduisante, cependant des personnes de distinction sollicitaient la faveur d'y habiter, dans la même enceinte que tous les gueux et les gueuses dont je viens de parler. Les registres attestent qu'un certain nombre de petites chambres avaient été construites pour cette classe de pensionnaires. Dans la plupart des requêtes présentées pour obtenir une place, les postulants remontrent au bureau qu'ils veulent se retirer du monde et s'occuper de leur salut. En 1678, M. de l'Onglée offrit 800 livres une fois données pour lui et son valet, et fut accepté à la condition que la maison lui fournirait, excepté le vin, toute la nourriture. En 1735, M. de Saint-Jean, ancien capitaine au régiment de Berwick, fut reçu dans l'une des chambres, à la condition de payer 200 livres par an et de manger à la table des aumôniers. Pour tout serviteur, la direction lui fournissait un petit garçon. Un prêtre infirme vint prendre logement à l'Hôpital général et s'engagea à payer 375 livres par an. Le prix de la pension n'était pas uniforme, il dépendait toujours des exigences du postulant et se réglait par un traité. Il fut arrêté, en 1725, que les pensions étant fort onéreuses au taux ancien seraient fixées au minimum de 200 livres pour les femmes et de 250 livres pour les hommes.

A l'exception des mendiants et des filles de mauvaise vie, les divers genres de population que je viens de passer en revue se retrouvent vers 1874 dans l'Hôpital général de Saint-Jacques, mais dans des conditions d'installation et des proportions de nombre toutes différentes. Cet établissement reçoit :

1° Les indigents infirmes et les vieillards de Nantes ;
2° Les enfants trouvés de tout le département qui ne peuvent être placés au dehors ;
3° Des aliénés et des épileptiques indigents ;
4° Des pensionnaires aliénés ou infirmes.

Le prix de la pension de ces derniers est gradué suivant les fortunes, depuis 1. fr. 10 c. jusqu'à 10 fr. 95 c. par journée.

Règlement pour les réceptions au Sanitat, du 4 mai 1770.

Il a été représenté au bureau qu'il arrive souvent que des personnes charitables désirent faire entrer dans cette maison les pauvres pour lesquels elles s'intéressent, aussitôt qu'elles les présentent, offrant à cet effet une pension viagère ou une somme une fois donnée, et comme ces réceptions surnuméraires ne doivent point reculer la réception ordinaire et gratuite des pauvres qui sont sans secours et sans protecteurs il serait convenable de fixer la pension annuelle ou la somme capitale que l'on peut exiger en pareil cas pour indemniser la maison de l'augmentation de dépense qui doit en résulter. Sur quoi le bureau délibérant, après avoir balancé d'un côté les inconvénients d'une règle stricte qui ne permet pas d'avoir dans l'occasion les égards qu'exigent des bienfaiteurs dont il est à craindre de refroidir les charités, de l'autre les dangers de l'arbitraire qui se glisserait dans les réceptions si l'on pouvait recevoir des pensionnaires pour des prix plus ou moins forts suivant les personnes qui les protégeraient, les murmures qu'excite parmi le peuple l'anticipation du rang d'enregistrement, et le discrédit qu'ils peuvent causer à la maison, a arresté de faire un règlement ainsi qu'il suit :

ARTICLE I. Les personnes natives de cette ville et banlieuë ou qui y sont
domiciliées au moins depuis six ans, désirant entrer dans cette maison sur le champ et sans attendre le rang de leur enregistrement pour y être traitées comme les autres pauvres saines et malades, payeront cent dix livres de pension annuelle et viagère dont elles fourniront caution solvable et reséante, laquelle se chargera en outre de les entretenir d'habillement.

ARTICLE II. Les personnes qui n'étant ni natives ni domiciliées depuis six ans de cette ville et banlieuë désireroient entrer dans cette maison pour y être traitées comme les autres pauvres saines et malades payeront cent-cinquante livres de pension annuelle et viagère dont elles donneront caution solvable et reséante, laquelle se chargera en outre de les entretenir d'habillements.

ARTICLE III. Dans le cas où les personnes comprises aux deux articles précédents désireroient être entretenuës d'habillements par la maison, elle pourra se charger de les leur fournir en payant savoir les pauvres natifs ou domiciliés de cette ville et banlieuë dix livres de rente annuelle et viagère outre les cent dix libres cy-dessus fixées pour leur pension, et les pauvres non natifs ni domiciliés de cette ville et banlieuë vingt livres de rente annuelle et viagère outre celle de cent cinquante livres fixée pour la pension.

ARTICLE IV. Les personnes tant de la ville qu'étrangères qui voudroient être nourries à l'infirmerie payeront outre les sommes cy-dessus fixées vingt livres de rente annuelle et viagère.

ARTICLE V. Les pensionnaires reçus dans cette maison pour y être nourris au pain blanc, rôti au soir et une chopine de vin par jour et être au surplus traités sains et malades suivant l'usage de la maison, payeront deux cent cinquante livres au moins de pension viagère dont ils fourniront caution solvable et reséante, laquelle se chargera en outre de les entretenir d'habillements.

ARTICLE VI. Les pensionnaires qui voudroient avoir une chambre particulière ou les fois qu'on seroit obligé de tenir dans une loge, payeront pour loyer la somme de vingt-cinq livres de rente annuelle et viagère outre les prix fixés pour leur pension.

ARTICLE VII. Les pensionnaires en chambre particulière dont l'âge et les infirmités exigeroient les soins assidus d'une personne de la maison, payeront sa dépense sur le pied de cent livres de pension annuelle seulement.

ARTICLE VIII. Les personnes reçuës comme pauvres qui voudroient avoir une chopine de vin par jour, ou celles qui étant reçuës à l'infirmerie ou comme pensionnaires voudroient en avoir une chopine, au-delà de ce qu'il est d'usage de leur en donner, payeront vingt-cinq livres de rente annuelle et viagère outre ce qui a été fixé cy-dessus pour leur pension.

ARTICLE IX. Il ne pourra être rien diminué au tarif cy-dessus sous prétexte que les surnuméraires proposés seroient en droit d'être enregistrés ou l'auroient même déjà été, et n'auroient que peu de tems à attendre pour être reçus dans leur rang d'enregistrement.

ARTICLE X. Dans le cas où la maison se trouveroit avoir besoin d'argent pour subvenir à des nécessités pressantes, franchir des charges onéreuses ou faire des acquisitions utiles, on pourra recevoir le franchissement qui seroit proposé des pensions et rentes viagères cy-dessus fixées par des personnes qui aimeroient mieux payer une somme une fois donnée que de s'assujetir à une rente annuelle, et ce franchissement sera évalué savoir pour les personnes au-dessous de soixante ans au denier dix ou dix fois la pension ou rente viagère ; pour celles de soixante ans et au-dessus jusques et non compris soixante-dix ans au denier neuf ou neuf fois la pension ou rente viagère ; pour celles de soixante-dix ans et au-dessus jusques et compris soixante-quinze ans au denier huit ou huit fois la pension ou rente viagère ; pour celles au-dessus de soixante-quinze ans jusques et non compris quatre-vingt ans au denier sept ; pour celles de quatre-vingt ans au denier six, et pour celles au-dessus de quatre-vingt ans au denier cinq sans qu'il puisse être fait d'autres diminutions que celles énoncées au présent article sous prétexte que le surnuméraire proposé auroit droit d'être enregistré ou le seroit déjà.

ARTICLE XI. On pourra néanmoins dans des cas rares extraordinaires et intéressant essentiellement le bien de la maison se départir du tarif cy-dessus en faveur des bienfaiteurs de cette maison, parce que les motifs qui décideront à se relâcher de la règle seront exprimés et détaillés dans la délibération portant réception du pauvre à qui on aura accordé cette faveur.

ARTICLE XII. Les prix cy-dessus ayant été fixés sur la valeur actuelle des denrées et sur les autres dépenses que les pauvres font à la maison, ils seront observés tant et si longtemps qu'il n'en sera point autrement ordonné par une délibération expresse et par écrit du bureau, lequel les augmentera ou diminuëra si par la suite des tems il arrivait des augmentations ou des diminutions considérables sur le prix des denrées et autres dépenses ;

ARTICLE XIII. Le présent règlement sera inscrit sur le registre des délibérations et signé de tous Messieurs les administrateurs qui l'ont arresté ; il sera de plus copié en tête du livre où l'on enregistrera toutes les personnes qui entrent dans cette maison pour y avoir recours au besoin, et l'on y joindra un tarif des différentes pensions et rentes cy-dessus fixées ainsi que des prix des franchissements pour les cas où ils auront lieu.

(Léon Maître).

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