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HÔPITAL GÉNÉRAL DU SANITAT DE NANTES

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Quand on descend le cours de la Loire, en suivant le quai de la Fosse, on rencontre quelques pas avant l'église de Notre-Dame-de-Bon-Port un vaste portail mutilé qui donne accès dans une ruelle sombre nommée le passage du Sanitat. Cette entrée était, il y a quarante ans, celle qui conduisait à l'Hôpital général du Sanitat, remplacé aujourd'hui par celui de Saint-Jacques. Il n'existe plus d'autres vestiges de cet ancien établissement qui, cependant, par ses cours et ses bâtiments, couvrait tout l'espace compris entre la rue de la Verrerie, le quai de la Fosse, la rue de Launay et la rue Dobrée. Les voies qui ont été ouvertes en tous sens de ce côté, depuis sa translation, ont complètement transformé la physionomie de ce quartier, l'église de Notre-Dame-de-Bon-Port s'élève à peu près au centre des terrains qu'occupait le Sanitat.

A la fin du XVIème siècle, ces mêmes lieux présentaient un aspect bien plus différent encore ; on ne voyait là qu'une modeste habitation de campagne environnée de quelques pièces de vigne qu'on nommait la tenue de l'Asnerie. Elle était séparée de la Loire par le pré Levêque où les badauds allaient voir courir la quintaine, de la ville par le clos des Capucins, tandis qu'au nord ses murs touchaient le bois de la Touche, et à l'ouest le domaine de Chezines. Cet emplacement avait donc l'avantage d'être en dehors de l'enceinte de la ville, mais il se trouvait dans le fond d'une vallée mal aérée, trop près des marécages formés par la Chezine [Note : Les vents d'ouest emportaient les miasmes de ce lieu sur la ville et y répandaient la contagion, les docteurs Laënnec et Deluen prétendent que, dans les années de choléra, le fléau prenait toujours naissance autour du Sanitat]. C'est cependant le lieu qui fut choisi au XVIème siècle par les bourgeois de Nantes pour y fonder une maison de santé spécialement destinée aux pestiférés.

Quoique la peste fût connue en Occident, depuis le XIVème siècle, et qu'elle y fit des ravages périodiques effrayants, la plupart des villes n'ont été pourvues d'établissements permanents qu'à la fin du XVIème siècle : Tours, Angers, Rennes, Vitré, n'ont eu leur Sanitat qu'à cette époque. A Nantes, lorsque le fléau faisait son apparition, on avait l'habitude, au XVème siècle, de transporter les malades dans une tenue du bas chemin de Saint-Donatien dépendant de l'aumônerie de Saint-Clément, et lorsque l'asile était insuffisant, ce qui arrivait presque toujours, on louait quelques maisons dans les faubourgs. Quand on ne trouvait pas une suffisante bonne volonté chez les propriétaires ou les locataires, on les expropriait de force, témoin cet infortuné pâtissier dont parlent les comptes de la ville (Archives municipales, série CC), qui, en 1462 fut mis hors de chez lui pour faire place à un prêtre pestiféré. Celui-ci ayant succombé, les sergents chargés d'anéantir toute cause de contagion brûlèrent les couettes et les meubles du pâtissier qui , pour toute compensation, reçut la somme de 8 livres.

Dans le cours du XVIème siècle, les pestiférés furent traités successivement dans les salles du nouvel hôpital de l'Erdre (Archives départementales, F de l'aumônerie de Saint-Clément), puis dans une maison voisine de la chapelle Saine-Catherine, afin, sans doute, de leur procurer des secours plus prompts et plus fréquents ; mais le fléau s'étant montré plus meurtrier durant cette période, le conseil des bourgeois crut qu'il importait au salut de la ville de les éloigner. Il fut décidé, pour dissiper toute inquiétude, qu'on chercherait une maison située hors de l'enceinte. Le conseil hésitait entre la maison du clos Daniel et la maison Ballue, sur la motte Saint-Nicolas, entre la Sionnière, en Saint-Donatien, et la maison de Chezines, au pied du roc de Miseri. Dans sa délibération du 10 mai 1569, après avoir pesé les avantages de chaque lieu et ses inconvénients, il arrêta que ce dernier convenait le mieux pour y établir une maison de santé. En prévision des difficultés qui pouvaient surgir du côté du propriétaire une députation alla supplier le lieutenant général du comté nantais d'employer son influence près du roi, afin qu'il fût permis à la ville de recourir à la contrainte en cas de résistance. Pendant le cours de ces négociations, la peste revint si subitement qu'il fallût agir sans attendre la conclusion de l'affaire.

Pressé par la nécessité et par la peur, le Conseil de Ville eut peut-être la tentation de traiter le maître de la maison de Chezines comme le pâtissier cité plus haut, mais il préféra s'emparer de la tenue de l'Asnerie qui était alors inoccupée. Les sergents s'ouvrirent un passage à travers les vignes, enfoncèrent les portes du logis, enlevèrent les meubles qui encombraient les chambres et installèrent les pestiférés dans ce lieu. Lorsque le propriétaire, le sieur Laurent du Marchis, apprit le peu de cas qu'à faisait de son bien, il mit ses plaintes et griefs par écrit et les signifia à la mairie, le 21 août 1570, avec l'annonce suivante :

Déclaration des intérests et dommaiges èsquels Laurent de Marchy, sieur de la Vrillère, demande et requiert luy estre faict droit et raison contre MM, les maire, eschevins et bourgeois de cette ville de Nantes, de ce que ils se sont à son nonseu et contre sa volonté saisi du lieu, tenernent, domaine et appartenances de l'Asnerie, sises au bas de la Fosse dudit Nantes, auquel lieu sans le congé et permission dudit sieur de la Vrillère, ils auroient faict mettre et loger les malades pestiférés, ôter et déplacer un grand nombre de meubles y estans, rompu et brisé les portes dudit lieu de l'Asnerie.

Pour donner satisfaction au plaignant, les magistrats municipaux auraient été obligés de visiter tous ces beaux dégâts et aucun d'eux n'était disposé à s'approcher même de loin du séjour des pestiférés. Ils firent donc la sourde oreille jusqu'au 9 novembre suivant, et lui répondirent alors que le sénéchal serait prié de fixer de suite le prix du loyer, mais que l'indemnité à lui due pour les démolitions serait arrangée après la disparition de la peste. Si le demandeur comptait sur une échéance prochaine, son attente fut bien trompée, car le règlement fut ajourné jusqu'en 1572. Après un délai aussi long, l'immeuble était complètement infecté et devenait beaucoup moins précieux pour le propriétaire. Celui-ci se souciait peu de rentrer en possession d'une maison de campagne transformée en hôpital pendant deux années ; aussi quand la mairie, qui désirait l'acquérir, lui fit des ouvertures, il ne fit aucune résistance et lui vendit l'Asnerie pour le prix de 1,900 liv. Le contrat, passé le 2 août 1572, avait été d'avance autorisé par lettres patentes de Charles IX, en date du 7 janvier 1569.

L'abbé Travers, au tome II de son Histoire de Nantes, raconte les commencements du Sanitat d'une façon toute différente, en se servant beaucoup plus de son imagination que des titres contemporains ; il hasarde même à ce propos, sur l'origine de la peste, des opinions qui ont dû faire sourire plus d'un médecin. Cet historien allègue, sans aucune preuve, que la ville de Nantes avait pris à loyer, dès 1532, la tenue de l'Asnerie, afin d'y loger les pestiférés qui, dit-il, étaient devenus nombreux depuis le passage de François Ier, et impute à l'inconduite de la cour de ce prince la contagion du mal de Naples qui s'était répandue à Nantes. Il croit que la famine, s'unissant aux ravages de ce terrible mal , avait occasionné le retour de la peste dans la ville. Voici ce passage :

Le retour du roi (1533) à Paris fut suivi d'une cruelle peste à Nantes causée en partie par la famine qui continuait depuis plusieurs années et par le long séjour du roi à Nantes, dont la cour avait beaucoup de gens infectés du mal de Naples. La communication de ce mal, dont on ne connaissait pas la nature, infecta beaucoup de gens à Nantes et fit établir le Sanitat pour les y traiter sous le nom de pestiférés.

Le lecteur jugera s'il était possible d'accumuler plus de bévues en moins de lignes. Tous ceux qui ont écrit sur Nantes n'ont pas manqué de citer ce passage comme un fait acquis à l'histoire, de sorte qu'il est admis aujourd'hui que le Sanitat a été fonde en 1533, pour le traitement du mal de Naples. Il est temps de rectifier cette erreur et de montrer que l'historien Travers, ordinairement consciencieux et attaché aux sources, n'a pas toujours pris soin de recueillir toutes les informations relatives aux événements qu'il raconte. Ses éditeurs auraient trouvé matière à bien des annotations, s'ils avaient entrepris de le contrôler.

Il est très-vrai que la famine, la peste et le mal de Naples ont désolé notre ville de 1530 à 1532, mais il est inexact de dire que cette dernière maladie ait été apportée à Nantes par la cour de François Ier [Note : M. de la Borderie a déjà vengé supérieurement François Ier de cette accusation (Espérance du Peuple, 1858), que M. Dugast avait aggravée de ses réflexions dans la Revue des Provinces de l'Ouest]. Tout ce qu'on peut accorder, c'est que le nombre des vérolés était considérable à Nantes, sous le règne d'Henri II, selon le texte que j'ai cité au chapitre de l'aumônerie de Saint-Clément. Dans la requête de 1532, où sont énumérés tous les griefs des bourgeois contre les chanoines de la cathédrale, on reproche à ceux-ci de ne recevoir dans leur hôpital, depuis 30 ans, que des malades atteints de la grosse vérole. Notre historien aurait donc été plus près de la vérité, s'il s'était contenté de dire qu'après les guerres d'Italie nos gens d'armes avaient rapporté de ces funestes expéditions un mal contagieux dont notre pays n'avait pas été préservé.

L'abbé Travers ne se trompe pas moins, lorsque, confondant la peste avec le mal de Naples, il attribue à celui-ci une influence sur l'autre, et de même, lorsqu'il s'imagine que les gens atteints par ces deux maux formaient une seule classe désignée sous le nom de pestiférés [Note : On croyait que la peste venait surtout par les vaisseaux. « Aussi nous ont faict exposer que ladite ville et faubourgs estant maritimes sont fort subjets à peste et contagion ». Lettres patentes de Charles IX, Ch. des comptes de Bretagne, mandements royaux. Livre VI f° 363] et traitée dans un Sanitat commun. On a pu voir par ailleurs que le mot de vérolé figurait dans le texte du XVIème siècle, comme celui de pestiféré, et n'était jamais appliqué aux mêmes individus. La meilleure preuve qu'on leur attribuait une signification différente c'est qu'on traitait les malades de ces deux genres dans des hôpitaux différents : les vérolés à Saint-Clément et à Toussaints, tandis que les pestiférés, d'abord logés près la commanderie Sainte-Catherine, furent les seuls reçus au Sanitat.

Puisque j'ai indiqué par des textes clairs et autentiques chacun des établissements où la ville de Nantes faisait traiter, avant, 1572, les divers genres de maladie, il est presque superflu de conclure que la tenue de l’Asnerie n'était point, dès 1532, transformée en Sanitat, comme l'avance l'abbé Travers ; cependant je veux encore insister sur ce point, pour qu'il ne reste aucun doute dans l'esprit du lecteur. Si la ville avait pris à loyer cette tenue dès 1532, nous trouverions trace de la dépense dans les comptes du miseur ; or, les registres du comptable, que relatent les frais « d'oignement pour le mal de Naples, » ne portent pas la moindre mention relative à la ferme de l'Asnerie. On peut se convaincre, au contraire, par la série des contrats de transmission joints au dossier de l'acquisition de l'Asnerie, que cette tenue a successivement appartenu à des propriétaires qui n'ont jamais passé aucun acte avec les bourgeois de Nantes. La preuve que le sieur Laurent du Marchis venait de renouveler le bail de sa terre à un métayer l'année même où elle fut envahie et saccagée par les sergents municipaux existe encore (Archives municipales, série GG, carton du Sanitat), et on sait d'autre part que la peste revint cinq fois dans l'espace de 30 ans (1530-1572) ; il n'est donc pas présumable qu'il eût trouvé à qui louer, si son immeuble avait été aussi fréquemment affecté à loger des pestiférés.

Mais, dira-t-on, Fournier, l'auteur de l'Histoire lapidaire de Nantes (Histoire lapidaire, tome Ier, f° 53), cite une inscription qui est tout-à-fait conforme aux assertions de Travers.

Cette objection m'arrêterait si l'auteur invoqué jouissait de quelque autorité scientifique ; mais il est avéré maintenant, par les nombreuses fictions relevées dans son livre, que les prétendues inscriptions recueillies par l'ingénieur Fournier au commencement de ce siècle sont apocryphes. Son recueil est rempli d'inventions forgées avec des textes empruntés aux documents ou aux historiens. Dans le cas présent, la fraude est si grossière qu'elle crève les yeux ; on ne peut douter, quand on rapproche son texte de celui de Travers qu'il ne se soit inspiré de ce dernier. Le style de sa prétendue inscription n'a rien du XVIème siècle, pas plus son orthographe que ses formules ; le tout est plein d'invraisemblance. Il n'a pas pris garde qu'en laissant le mot arrêté dans sa rédaction, il nous révélait une fabrication toute moderne.

Aussitôt après l'acquisition de la tenue de l'Asnerie (1572), la mairie aurait voulu commander les travaux d'aménagement nécessaires afin de se mettre en garde contre une nouvelle surprise, mais l'état de ses finances lui fit ajourner ses projets jusqu'en 1575. Trois ans après, en 1578, les constructions avaient été poussées avec une telle activité que 16,869 livres se trouvaient absorbées.

La ville ne se trouvait pas en mesure de donner de suite de grands développements à cette création ; elle n'avait point alors l'audace de contracter des dettes pour procurer à ses habitants le bienfait d'une maison de santé de première nécessité, et n'avançait qu'à pas lents. En 1595, on ne comptait pas plus de 18 chambres de grandeur ordinaire et cependant la peste de 1583 avait démontré que le fléau ne diminuait pas ses ravages. Pour remédier l'insuffisance du Sanitat, il fallut en 1602 prendre à loyer le logis du bois de la Touche, voisin de l'Asnerie, et cette annexe servit à recevoir les pestiférés, dont le mal n'était pas bien déterminé. Les convalescents allaient aussi y passer 12 jours, soit dans la maison, soit sous des tentes de toile dressées dans les jardins, dans les prairies et dans les vignes. On regardait alors le campement sous les tentes-abris comme un moyen de guérison plus rapide, et dans les épidémies de 1583 et 1596 il avait été déjà employé pour désinfecter les malades transportés à l'Asnerie. Le lieu où les tentes étaient dressées, situé près la place Notre-Dame, se nommait pour cette raison le Désairement.

En 1612, l'enclos du Sanitat s'accrut de quelques pièces de terre sur lesquelles on fit élever quelques constructions. La première chapelle de la maison est de cette époque. Douze ans après, en 1625, de nouvelles loges furent construites ; et il est constaté qu'à cette date, l'établissement pouvait renfermer 100 lits et plus. Dans le cours de l'épidémie, qui sévit de 1625 à 1627, un second désairement ayant été reconnu nécessaire, de nouvelles loges en bois furent construites au bas de la Fosse, dans l'île Raboteau, pour les convalescents (Ile Lemaire aujourd'hui). Toutes ces améliorations étaient encore bien au-dessous des besoins, car nous voyons la ville, forcée en 1632 par l'irruption subite de la peste, d'agrandir son domaine aux dépens d'un voisin qu'elle déposséda sans son gré. Le vigneron, dont elle prit la terre pour augmenter le nombre de ses loges, n'avait pas été plus consulté que le pâtissier de 1462. Telles étaient les pratiques administratives et les expédients de nos magistrats municipaux qui, déconcertés par les fréquents retours du fléau, ne savaient plus à quelles mesures recourir pour l'écarter à jamais de leur cité. Ils avaient épuisé tout le répertoire de leurs ordonnances de police pour assainir la voirie urbaine ; et malgré leur vigilance, la peste était revenue 12 fois depuis 60 ans (1570-1632), non moins terrible qu'au XVIème siècle. Le Ciel lui-même dont ils imploraient le secours depuis longtemps par l'intercession de saint Sébastien, se montrait sourd à leurs supplications, quoique chaque année le corps de ville se rendît en procession à jeûn jusqu'à l'église de la paroisse Saint-Sébastien, pour s'agenouiller aux pieds mêmes du saint. Leurs angoisses devaient durer jusqu'au milieu du XVIIème siècle. La peste reparut encore en 1636, mais pour la dernière fois. Cependant nos magistrats n'en continuèrent pas moins leurs dévotions au même saint jusqu'à la fin du XVIIIème siècle ; et pour lui prouver leur reconnaissance ils offrirent même à son église en 1652 un autel et des ornements [Note : Comptes du miseur (Arch. municipales). Dans les processions faites pendant la durée du fléau on employait souvent des cierges d'une longueur démesurée ; suivant Travers, l’un de ces cierges aurait pu entourer la ceinture de la ville].

Ici s'arrête la série des événements relatifs à la première période de l'existence du Sanitat. Il me reste à dire maintenant comment il est devenu un hôpital-général, et dans quelles circonstances s'est opérée la transformation. La maison de l'Asnerie conserva toujours son nom de Sanitat, en souvenir de sa première destination ; mais elle cessa d'être une maison de santé.

A plusieurs reprises on avait déjà expérimenté que les loges et les mâsures de cet établissement quoique mal disposées pourraient au besoin être affectées à d'autres usages. Ainsi en 1692, 700 calvinistes pris au siège de la Rochelle y furent renfermés pendant 6 mois, en attendant que la chaîne des galères vînt les enlever ou que la rétractation de leur foi leur valût la liberté. L'année suivante on y conduisit des bandes de mendiants étrangers et en 1643, 200 prisonniers espagnols y séjournèrent quelque temps. Dans le moment où la peste s'éloignait pour toujours de Nantes, la ville se trouvait affligée d'une autre plaie, sans cesse menaçante pour la tranquillité publique, dont la mairie cherchait en vain à se délivrer depuis longtemps. Les guerres et les famines qui désolaient notre malheureux pays depuis un siècle avaient répandu dans les campagnes une misère horrible que la charité publique était impuissante à soulager. Dans toutes les villes, unique refuge des misérables, les rues étaient infestées par des bandes de gens sans aveu et de vagabonds affamés qui demandaient l'aumône avec une persistance et une effronterie que rien ne pouvait arrêter ; chassés par une porte, ils rentraient par l'autre, toujours plus audacieux et fatiguaient les passants de leurs importunités. Ils arrivaient par légions, souvent armés, assiégeaient les maisons et les églises, s'emparaient de ce qui leur était refusé et privaient ainsi les pauvres de Nantes des secours de leurs concitoyens. Cette invasion était d'autant plus calamiteuse, que la ville comptait déjà dans son sein une nombreuse population indigente, parmi laquelle l'oisiveté tendait à développer tous les vices des vagabonds étrangers ; il était donc urgent de prendre des mesures pour occuper les mendiants valides.

Les pères des pauvres de l'Hôtel-Dieu, dont les attributions embrassaient tout ce qui touchait à la direction de la bienfaisance, s'étaient émus de cet état de choses dès 1620. Ils avaient entamé des négociations pour qu'un dépôt de mendicité fût fondé ; et en novembre 1623, le roi Louis XIII avait fait savoir qu'il accorderait volontiers à la ville une portion de terrain dans le quartier du Marchix. D'un autre côté, les Pères Capucins, qui construisaient alors un nouveau couvent sur la Fosse, se montraient tout disposés à céder leurs vieux bâtiments. Ces deux propositions donnaient la solution d'une partie du problème, mais elles laissaient encore à résoudre la plus grosse des difficultés, celle de créer des ressources pour nourrir les vagabonds qu'on renfermerait.

La mairie, ne se sentant pas en mesure de supporter aucune nouvelle charge, se contenta d'approuver le projet en 1625 et remit son exécution à une époque plus prospère. Lorsque 25 ans après, elle fut de nouveau appelée à délibérer sur la même question, l'entreprise paraissait bien plus réalisable, grâce au dévouement de quelques particuliers qui s'offraient pour remplir le rôle de quêteurs des subsistances ; et de plus, la peste qui n'avait pas reparu depuis 14 ans laissait le Sanitat libre. Il était, du reste, impossible en face des misères toujours croissantes d'ajourner plus longtemps la création d'un Hôpital général et la direction de l'Hôtel-Dieu était déterminée à employer tous les moyens pour réussir. La mairie consentit donc en janvier 1650, à ce que le Sanitat avec son désairement et tous ses meubles fût transformé en dépôt de mendicité, en se réservant toutefois la faculté de faire évacuer l'établissement si la peste apparaissait de nouveau. La peste n'étant pas revenue, le Sanitat est resté Hôpital général, cependant il n'a pris cette dénomination dans le public qu'en 1677 [Note : Les sexes furent exactement séparés en 1676. Des ateliers distincts furent construits à cette époque pour les filles et les garçons].

Dans le cours du XVIIème siècle, quelques nouvelles constructions furent ajoutées aux anciennes. Il est constaté dans un procès-verbal de visite de 1662, que 14 chambres venaient d'êre achevées et qu'on attendait seulement des lits et des paillasses pour y installer des pensionnaires. On fit même exécuter des travaux de luxe, car l'entrée fut décorée en 1673 , d'un portail monumental pour les voitures, autour duquel étaient représentées les armes du roi, celles de la province, les armes du gouverneur, celles de la ville et celles du maire. Ce portail fut démoli en 1731, pour prendre l'alignement des maisons de la Fosse et fut reconstruit en 1733 sur le même dessin. C'est celui qui subsiste encore aujourd'hui.

Les directeurs qui gouvernaient en 1680 les pauvres renfermés, entrevoyant déjà que le quartier du Sanitat était destiné à devenir le centre commercial de Nantes, entreprirent des améliorations qui font le plus grand honneur à leur clairvoyance. C'est eux que la ville doit le prolongement des quais de la Fosse jusqu'à l'Hôpital général, car avant cette époque les bords de la rivière étaient impraticables au-delà des Capucins. Cet embellissement, très-apprécié des négociants, fut exécuté sans grands frais avec le concours des mendiants qu'on employa aux terrassements et aux remblais. La maison y retrouva ses déboursés en prélevant un droit de port sur les navires qui venaient décharger en cet endroit. Les mêmes administrateurs firent également construire, sur un terrain vague situé entre le Sanitat et la Loire, des magasins d'entrepôt dont la location ne fut pas sans quelque avantage.

Les administrateurs qui leur succédèrent au XVIIIème siècle, furent moins bien inspirés, quand ils se rendirent acquéreurs du pré Levêque (1754) pour y élever des constructions qui absorbaient toutes leurs ressources ; ils eussent mieux servi les intérêts de leurs protégés s'ils s'étaient appliqués à modifier les bâtiments défectueux et à créer à l'intérieur de nouveaux quartiers. Les pauvres pouvaient se promener à l'aise dans de vastes cours, mais leurs logements avaient un aspect misérable et délabré qui attristait le coeur de leurs visiteurs. La population intérieure, qui était en 1692, de 334 personnes, s'élevait en 1763 à 439. Dans les 30 années qui précédèrent la Révolution, des agrandissements nouveaux permirent de loger jusqu'à 517 personnes en 1783. En 1789, on ne comptait pas moins de 644 pensionnaires, y compris les gens de service.

Au XIXème siècle l'Hôpital général s'accrut de quelques annexes, d'un bâtiment neuf pour les femmes et d'un immense quartier où furent renfermées les folles. En 1828, les constructions avaient acquis un tel développement qu'elles pouvaient contenir 810 lits, dont 133 occupés par les aliénés et 66 par les gens de service. L'administration allait encore installer tout un nouveau service de loges pour le même quartier, lorsque la crainte d'être devancée par une institution rivale, la détermina à embrasser un projet plus grandiose. En apprenant que les frères de Saint-Jean de Dieu faisaient alors des démarches pour acquérir un immeuble dans lequel ils auraient traité les aliénés suivant les méthodes d'Esquirol et de Pinel, elle comprit qu'il n'était plus possible de s'en tenir aux anciens errements et résolut de créer un asile mieux approprié aux besoins de cette classe d'infortunés.

On n'avait d'abord songé qu'à l'amélioration du sort des aliénés ; mais en examinant de près la distribution des autres quartiers, on reconnut qu'il y aurait bientôt nécessité de remplacer les vieux édifices, [Note : « La majeure partie des bâtiments est dans un tel état de caducité et de dégradation, que l'on peut craindre les accidents les plus graves. Cette situation dont la réalité n'est que trop notoire, compromet la sûreté et même l'existence des personnes qui habitent cette maison ». Rapport du Préfet au Conseil général, 1822. (Arch. dép. série N)] et la création d'un nouvel Hôpital général fut arrêtée. Sur le choix de l'emplacement les hésitations ne furent pas de longue durée. La ville de Nantes n'avait aucun motif de rester attachée à l'immeuble délabré du bas de la Fosse, qui chaque année se trouvait davantage enserré dans les usines et les maisons de commerce ; au contraire elle entrevoyait qu'en abandonnant le quartier du Sanitat au monde des affaires, elle pourrait opérer une spéculation fructueuse pour les intérêts des pauvres [Note : L'aliénation des terrains du Sanitat a rapporté 600,000 francs].

Il existait alors, dans le village de Pirmil, un ancien prieuré bénédictin, nommé le couvent de Saint-Jacques, qui se recommandait par la salubrité de sa situation comme par l'étendue de ses dépendances. Le département qui en était propriétaire en avait fait un dépôt de mendicité ; mais il était prêt à le céder pour une autre destination et les frères de Saint-Jean de Dieu en seraient devenus sans doute acquéreurs, si les hospices de Nantes n'avaient pas annoncé que l'immeuble pouvait convenir à leurs plans d'agrandissement.

La translation de l'Hôpital général à Saint-Jacques soulevait tant de problèmes à résoudre, qu'elle eût été longtemps ajournée sans le concours actif d'un homme ardent et convaincu. Au moment où l'opinion publique se préoccupait de la question, les fonctions de trésorier des hospices étaient remplis par un comptable d'un esprit élevé, M. de Tollenare, qui, depuis 1825, cherchait les voies et moyens à employer pour réaliser le déplacement du Sanitat. Voué à ce projet comme à une affaire personnelle, il étudia l'organisation des principales maisons de France et de l'étranger, recueillit partout des avis et des conseils, rechercha les mesures financières à adopter et fit si bien valoir l'avantage de ses combinaisons, que les autorités administratives entrèrent complètement dans ses vues. Le département consentit à céder son dépôt de mendicité à la ville, qui, en échange, lui donna l'asile Grou avec une somme de 100,000 francs.

Aussitôt que l'acquisition du prieuré de Saint-Jacques fut consommée, les travaux d'appropriation (1831) commencèrent sous l'habile direction de M. Douillard, architecte, qui, au bout de trois années, se trouva en mesure d'installer tous les pensionnaires du Sanitat dans leur nouvelle habitation. Les anciens bâtiments étant insuffisants pour la population qu'on se proposait de loger, il fut également chargé d'élever d'importantes constructions, dont les frais ne s'évaluaient pas à moins d'un million en 1836. Ces agrandissements si nécessaires se poursuivirent dans les années suivantes et atteignirent, en 1842, assez de développement pour que l'administration pût recevoir 1,128 personnes. Les annexes qui ont été ajoutées depuis cette époque, n'ont pas changé d'une façon notable la physionomie de l'établissement, car dès 1843, il passait aux yeux des hommes compétents pour un asile modèle. Je pourrais m'étendre ici en longs détails sur l'excellence des dispositions prises dans les quartiers des aliénés, des vieillards et des enfants, mais dans la crainte de m'égarer sur un terrain qui n'est pas le mien, je préfère inviter le lecteur à revoir la description qu'ont donnée MM. Guépin et Bonamy, dans leur histoire de Nantes.

Ville de Nantes  Les pensionnaires de l'hôpital général du Sanitat

Ville de Nantes  Composition et attribution du bureau d'administration de l'ancien hôpital générale

Ville de Nantes  Le personnel de service de l'hôpital général du Sanitat

Ville de Nantes  Revenus casuels et communs de l'Hôtel-Dieu et du Sanitat

Ville de Nantes  Revenus casuels réservés à l'hôpital général du Sanitat

Ville de Nantes  Situation financière des hôpitaux de Nantes

(Léon Maître).

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