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HISTOIRE DU PARLEMENT DE BRETAGNE |
Le Parlement de Bretagne depuis ses origines jusqu'à la Révolution |
Il existait en Bretagne, sous les ducs, une juridiction supérieure qui, à l'instar de la France, portait le nom de « Parlement » ; composé de vingt-deux « conseillers du duc » : il se réunissait à intervalles irréguliers ; ses sessions suivaient celles des Etats. Il avait à sa tête, depuis 1380, un personnage éminent appartenant à la meilleure noblesse du duché, qui prenait le titre de « président du parlement, juge universel de Bretagne ». Parmi ceux de ces hauts magistrats qui ont occupé ce poste au XVème siècle, nous citerons les plus connus : Jean Loaisel [Note : Il a été l'un des ancêtres du président Loaisel, Bertrand Milo [Note : D'abord sénéchal de Rennes, il appartenait à une famille d'ancienne noblesse établie dès le XIIIème siècle dans la paroisse de Sévignac et particulièrement notable au XVème siècle par les situations élevées qu'elle a occupées. Cette maison a possédé les seigneuries de Beaumanoir, Kerjean, La Plesse, Bellevue, Villeroy, etc.; un arrêt de la Chambre de réformation l'a maintenue en 1669 dans sa noblesse. La branche de Villeroy est encore aujourd'hui représentée en Bretagne et à Chevreuse. — D'azur à trois têtes de lévrier, coupées d'argent, colletées de gueules], Alain de Coetgoureden [Note : Voir la généalogie de la famille de Coetgoureden dans le recueil consacré par M. le Vicomte Henri de la Messelière aux filiations et alliances des familles Frotier de la Messelière et de Bagneux, de Chalus et de Coetgoureden (Rennes, 1904. 2 vol. in-4°), et notamment une notice sur le président Allain, sgr. de Kermathéan (tome II, p. 1022). — De gueules à la croix endentée d'argent] et Jean Scliczon [Note : Jean Scliczon, sgr. de Keralio, dont le nom s'est plus tard transformé en « Clisson », a été un des ancêtres du conseiller F. de Clisson].
Pour remédier aux inconvénients de ces sessions irrégulières, le duc François II, par édit du 22 septembre 1485, créa les « Grands Jours » qui devaient siéger à Vannes du 15 juillet au 15 septembre de chaque année. Cette organisation remaniée par Charles VIII (édit du 4 novembre 1492) fut définitivement réglementée par édit postérieur du 27 novembre 1495, mais sans profit pour les justiciables ; cette juridiction, composée, comme le sera plus tard le parlement, en partie de Bretons, en partie de Français, fit naître plus de maux qu'elle n'en soulagea (Note : Voir sur l'organisation judiciaire en Bretagne au XVème siècle, l'Histoire de Bretagne, de M. de la Borderie, continuée par M. Pocquet (tom. IV, p. 610), et les indications bibliographiques qu'elle fournit (p. 612, note 4)). Ne fonctionnant que du 1er septembre au 5 octobre, les Grands Jours ne pouvaient expédier qu'un nombre restreint d'affaires ; comme, d'autre part, ils ne jugeaient pas en dernier ressort et que leurs décisions, en cas d'appel, étaient portées devant le parlement de Paris, les procès s'éternisaient, d'où des frais ruineux et d'interminables délais : « Il y en avait, lit-on dans l'édit d'Henri II, pour la vie du père et de ses enfants ». Les plaintes de la province transmises au roi par le Comte de Laval et autres gouverneurs successifs de Bretagne déterminèrent la création d'un véritable parlement qui, rapprochant la justice des justiciables, consacrerait plus de temps à ceux-ci.
C'est
dans ces circonstances que fut établie la compagnie dont nous allons relater la
naissance et suivre les développements,
compagnie investie d'un triple pouvoir [Note : Nous renvoyons pour le texte complet de
la plupart des édits, lettres patentes et déclarations du roi que nous
citerons au Recueil des Edits, déclarations...
règlements concernant le parlement de Bretagne de 1554
à 1754, publié par Guillaume-François
Vatar (Rennes, 1754, petit in-4°) avec Liste
générale de NN. SS. du Parlement) ; elle eut
la puissance judiciaire la plus élevée par la souveraineté de ses décisions
attaquables seulement par la voie de cassation
pour vice de forme, excès de pouvoir, mauvaise interprétation de la
loi, etc. ; la puissance législative par le droit d'édicter des règlements,
avec sanctions pénables, ayant force de loi
dans la province ; la puissance politique par un autre droit redoutable, celui de n'autoriser l'exécution des édits,
lettres patentes, déclarations et
autres actes de l'autorité royale qu'après les avoir vérifiés, et, en cas de
dissentiment, de présenter au roi des observations et des critiques,
sous la forme « d'humbles remontrances »
; elle ne s'est pas privée de l'exercer.
Au XVIème siècle
Un édit de mars 1553 a érigé en Bretagne un parlement composé de quatre présidents, trente-deux conseillers, deux avocats généraux et un procureur général, avec le cortège nécessaire de greffiers, huissiers, payeur des gages, officiers de chancellerie, etc. ; il n'y a pas créé de conseillers-clercs comme il en existait à Paris. Un des conseillers était en outre investi des fonctions de garde-scel qui faisaient de lui le principal officier de la chancellerie, chargé de veiller à l'exécution des règlements relatifs à l'apposition du sceau du roi sur les expéditions du greffe et au paiement des droits qu'entraînait cette formalité. Ces magistrats, sauf ce dernier, qui servait aux deux trimestres, étaient répartis en nombre égal en deux sections ou « séances », dont l'une siégeait à Rennes, en août, septembre et octobre ; et l'autre à Nantes, en février, mars et avril ; on prolongeait les séances d'un mois si c'était nécessaire pour terminer les affaires en cours ; les autres mois disponibles étaient consacrés aux « vacations », pour l'expédition des procès criminels. De même qu'aux Grands Jours, et ainsi que cela se pratiquait dans d'autres parlements de province, la moitié seulement des sièges était réservée aux Bretons ou « originaires » ; l'autre moitié appartenait aux Français, ou « non originaires ». Nous reviendrons plus loin sur cette distinction des origines qui a duré jusqu'à 1789, en créant souvent des difficultés, et dont le but évident était d'empêcher le particularisme provincial de régner, sans obstacles, au sein de la Cour.
La séance de Rennes fut installée le 2 août 1554 par René Baillet, futur premier président, en qualité de maître des Requêtes investi d'une commission spéciale du roi ; ce fut aussi lui qui ouvrit celle de Nantes le 4 février suivant. Les magistrats des Grands Jours furent pourvus de plein droit dans le nouveau parlement ; presque tous exerçaient en même temps d'autres fonctions judiciaires qu'ils eurent le droit de conserver (déclaration du 9 juillet 1554), sauf ceux dont les offices sis en Bretagne ressortissaient à la Cour ou pouvaient se trouver en conflit avec elle. Les autres, comme on le verra, s'arrangèrent pour exercer leurs doubles fonctions à des époques différentes. C'est ainsi que René Baillet, qui devait être attaché, comme premier président, à la séance de Rennes, fut transféré à celle de Nantes, ayant été pourvu d'un office de président à mortier au parlement de Paris affecté au semestre de juillet.
1556. — On s'aperçut bientôt de l'insuffisance du personnel ; il suffisait de quelques magistrats malades ou autrement empêchés pour réduire le nombre des juges au-dessous du minimum nécessaire à la validité des arrêts ; un édit du 1er juillet 1556 y pourvut en créant huit nouveaux offices de conseillers.
1557. — Au commencement de cette année, un édit de janvier 1556 ajouta à la création précédente quatre nouveaux offices non originaires, dont deux pour chaque séances, expressément réservés aux maîtres des Requêtes et aux conseillers du parlement de Paris. Au mois de juin suivant, un édit du roi fixa les deux séances à Nantes ; la double résidence offrait de grands inconvénients, mais elle avait l'avantage de donner satisfaction aux deux villes principales de la province ; Rennes eut le dessous, à cause sans doute des sacrifices que sa rivale sut faire à propos pour obtenir la préférence ; ce fut pour peu de temps. Les deux séances furent, par le même acte royal, partagées chacune en deux chambres, l'une la « Grand Chambre » composée de deux présidents et quinze conseillers dont huit non originaires ; l'autre, la chambre des Enquêtes, avec deux présidents et onze conseillers, les derniers reçus, six français et cinq bretons, en tout soixante juges ; quatre présidents et douze conseillers furent créés pour compléter cette nouvelle organisation. Remarquons, en passant, que les présidents des Enquêtes n'étaient que des conseillers commissionnés pour présider cette chambre et n'ayant par ailleurs d'autre préséance sur leurs collègues de la Grand Chambre que celle de leur ancienneté dans la compagnie. Les conseillers non originaires furent dispensés des vacations.
1561. — La ville de Nantes perdit bientôt l'avantage qu'elle avait obtenu ; un édit du 4 mars 1560 attribua définitivement le parlement à la ville de Rennes, à charge par celle-ci de rembourser à l'autre ce qu'elle avait payé au roi pour obtenir cette faveur.
1568 — A la suite des Etats généraux d'Orléans et en vertu d'ordonnances opérant des réductions dans le nombre des offices, trois charges de présidents, dix de conseillers et une d'avocat général vacantes par décès au parlement de Bretagne avaient été supprimées ; un édit de janvier 1568 les y rétablit [Note : Un des offices de présidents, dont Lucas a été pourvu, fut rétabli par édit de décembre 1567].
1570. — Après la mesure générale prise en 1568 (lettres du 25 septembre) pour exclure les huguenots des Cours, Chambres des Comptes et présidiaux, un édit de janvier 1570, applicable spécialement au parlement de Bretagne, déclara vacants, éteints et abolis les offices de treize conseillers : du Grasménil, Hay, Châteautro, Godelin, du Han, Mélot, du Hardaz, Croc, Le Maistre, Pétau, Garrault, Turpin et Martines. Quelques-uns de ceux-ci sont restés en fonctions, ayant sans doute justifié de leur orthodoxie ; d'autres ont pu disposer de leurs charges. Il est à remarquer que le parlement s'est toujours montré très attaché à l'Eglise catholique.
1575. — L'édit d'érection n'avait pas créé de chambre criminelle proprement dite ; c'est un édit de décembre 1575 qui en établit une sous le nom de « Tournelle », comme à Paris, composée d'un personnel pris à tour de rôle dans la Grand Chambre et dans la Chambre des Enquêtes ; à cette occasion, de nouveaux offices furent créés, deux de présidents et douze de conseillers, dont sept non originaires.
1580. — Un édit de septembre, pour compléter l'organisation du parlement de Bretagne, y créa une Chambre des Requêtes, comme il en existait à Paris et dans d'autres Cours, juridiction d'ordre inférieur, dotée d'une compétence particulière, dont les décisions qualifiées de « sentence » étaient sujettes à appel devant la Cour. Cela nécessita la création de deux offices de conseillers présidents et de huit offices de conseillers et commissaires aux Requêtes du Palais ; ces derniers, membres du parlement et y prenant rang du jour de leur réception, ne purent entrer en la Chambre des Enquêtes, pour passer ensuite à la Grand Chambre qu'en acquérant un office de conseiller.
1581-1588. — Les besoins du trésor royal déterminèrent Henri III à créer partout de nouvelles charges ; le parlement de Rennes fut accru de seize offices de conseillers, huit laïcs, par l'édit de juillet 1581, et huit clercs, par celui de décembre suivant. Mais la résistance de la Cour, fortifiée par celle des Etats, réussit, malgré de nombreuses et impératives lettres de jussion, à tenir en échec l'autorité souveraine pendant sept ans. Bientôt, il ne fut plus question des offices de conseillers-clercs ; puis, profitant des vacances qui s'étaient produites par décès dans la Compagnie, elle arriva à donner pour successeurs à quelques-uns des magistrats défunts des candidats pourvus en vertu de l'édit de juillet 1581 et à supprimer, au fur et à mesure, les nouvelles charges, paralysant ainsi l'exécution de l'acte royal.
1589-1598. — On sait quel développement a pris en Bretagne le mouvement ligueur sous l'impulsion de Philippe-Emmanuel de Lorraine, duc de Mercœur, gouverneur de la province. Pour tenir sous sa main tous les ressorts de la puissance politique, il voulut, après la mort d'Henri III, faire de Nantes, où la Ligue était maîtresse, le siège du parlement et y appela les membres de la Cour ; dix-huit seulement s'y rendirent, pour répondre à son appel — deux présidents, quinze conseillers et un avocat général — et s'y réunirent le 8 janvier 1590. Le parlement royaliste, qui continua à se recruter régulièrement, maintint à Rennes son autorité et celle d'Henri IV et travailla énergiquement, d'accord avec les commandants militaires, à combattre et à détruire les ennemis du roi ; il affirma sa fidélité par ses arrêts et notamment par celui du 27 février 1590 qui condamna les parlementaires ligueurs à être pendus ; leurs corps devaient être traînés sur la claie et leurs biens confisqués. Cette condamnation, qui resta comminatoire, ne les empêcha pas de remplir leurs fonctions judiciaires jusqu'en 1598 ; cinq nouveaux magistrats remplirent en outre les vides que la mort fit dans l'une et l'autre compagnie. La soumission de la province entraîna la disparition de la Cour rebelle et l'amnistie du 20 mars 1598 ramena au parlement de Rennes presque tous ceux qui l'avaient quitté pour servir la Ligue, malgré la répugnance à les recevoir de leurs collègues qui n'avaient pas suivi leur exemple ; ceux-ci les forcèrent à prêter un serment spécial de fidélité à Henri IV et à subir l'humiliation d'une réprimande ; le président Carpentier seul, repoussé par la Cour, renonça à ses fonctions. Ceux qui n'avaient pas fait partie de l'ancienne Cour obtinrent du roi de nouvelles provisions, et tout rentra dans l'ordre.
1599-1601. — Les magistrats de la séance d'août, ayant eu le malheur de déplaire à Henri IV, pour des raisons restées obscures, peut-être à cause des retards qu'ils apportaient à la vérification des mesures de pacification ordonnées par ce prince, furent frappés d'interdiction, le 8 novembre 1599 (RE, vol. X, f° 307). Leurs collègues de la séance de février durent doubler le service en touchant doubles gages. Malgré les supplications du parlement et des Etats, cette interdiction fut maintenue en 1600 et ne cessa que l'année suivante (Lettres du 23 février 1601, RE, vol. XI, f° 63).
1600. — Depuis longtemps, la province, par l'organe des
Etats, réclamait la prolongation des séances
devenue nécessaire pour la bonne administration de la justice. En fait,
dès 1591, le parlement dut les prolonger, chaque année, sans obtenir les gages
supplémentaires qu'il demandait. L'édit de
juillet 1600 (enregistré le 12 octobre suivant) rendit les séances semestrielles (février-juillet, août-janvier) et
accorda des augmentations de gages.
Au XVIIème siècle
1605-1607. — Un édit de mars 1605 créa deux offices de conseillers ; la Cour, après plusieurs lettres de jussion, se décida, le 30 septembre 1606, à accepter cette création, sous condition que les deux premières charges vacantes par mort seront supprimées et qu'il sera fait un nouveau fonds pour les gages des nouveaux pourvus. Le roi sanctionna ces conditions, par lettres du 5 décembre suivant (enregistrées le 2 janvier 1607).
1618. — Le parlement n'avait à Rennes, depuis son érection, qu'une installation provisoire, très incommode et insuffisante, dans les locaux disponibles du couvent des Cordeliers. Dès 1564, il fut question de construire pour l'y établir, un palais qu'il devait attendre quatre-vingt-onze ans ; la communauté de ville obtint en 1578 des lettres qui l'autorisaient à lever des subsides pour bâtir « un palais et maison royalle » ; ce fut seulement sous Henri IV (lettres du 3 juillet 1609) que cette construction fut définitivement décidée. La première pierre ne put être posée que le 15 septembre 1618 ; elle le fut solennellement en présence de la Cour et des représentants de la ville.
1626. — Le roi, par commission du 10 août, a fait entrer dans la chambre chargée de juger à Nantes le Comte de Chalais onze membres du parlement, le premier président, un président à mortier, huit conseillers et le procureur général Fouquet.
1631. — Un édit du mois d'août ayant créé six offices de conseillers, la Cour a obtenu qu'il n'y eut que quatre charges nouvelles, dont deux à la Chambre des Requêtes.
1655. — Après trente-sept ans de travaux, le palais se trouva en état de recevoir la Compagnie ; les magistrats du semestre d'août, ayant à leur tête le doyen des présidents, Claude de Marbeuf, en prit possession, le 16 janvier 1655 ; ils y furent reçus par le corps de ville. Il y eut des discours, un Te Deum, et sur la place, un feu de joie et des acclamations de la foule. C'est cet édifice que, sauf pendant quatorze ans et demi, le parlement a occupé jusqu'en 1789, et dans lequel la juridiction d'appel, qui a le même ressort, n'a pas cessé de siéger depuis l'an VIII.
1668. — Par édit ou lettres patentes du 22 janvier, le roi ordonna qu'il serait procédé, sur les poursuites du procureur général, à la réformation de la noblesse de Bretagne ; il créa, pour juger ces affaires, une Chambre spéciale devant laquelle tous les nobles de la province ou soi-disant tels durent être mandés et dont les opérations se prolongèrent jusqu'en 1671. Louis XIV a appelé à en faire partie le premier président d'Argouges, le président à mortier Le Meneust de Bréquigny et les conseillers Le Febvre de Laubrière, Descartes de Chavagne, de Bréhand, Barrin, Saliou, Huart, de Poix, de Langle, de Lesrat, de Larlan, Le Feuvre de la Falluère, Le Jacobin, de Lopriac, de la Bourdonnaye de Coetion. Le Febvre de Laubrière, décédé en 1668, et R. de Poix, en 1669, ont été remplacés le premier par Denyau et le second par Raoul de la Guibourgère.
Ce sont les arrêts de cette Chambre, joints à ceux que le parlement a rendus depuis 1671, en matière de noblesse, qui, conservés en minutes et rangés alphabétiquement, ont été détruits pendant la Révolution, sauf la lettre D. Ils ont été brûlés publiquement en août 1792, en exécution de la loi du 24 juin précédent. Il ne peut être suppléé à ces précieux documents authentiques que par les expéditions qu'on trouve dans les archives des familles ou, à leur défaut, par des extraits de ces décisions dont il existe un certain nombre de recueils rédigés avec plus ou moins de soin et d'intelligence.
1675-1690. — Pendant ces années, le parlement a eu sa résidence à Vannes. A la suite d'émeutes qui éclatèrent à Rennes, en avril, juin et juillet 1675, soulevées par l'établissement des impôts du timbre, du tabac et de la vaisselle d'étain, — épisode de la « révolte du papier timbré », qui a troublé et ensanglanté la Bretagne, — le roi, par déclaration du 18 septembre suivant, transféra à Vannes le siège de la Cour. Celle-ci entendit, le 16 octobre, la lecture de l'ordre royal, et, dès le 29, ouvrit ses audiences dans le lieu de son exil. Louis XIV, en infligeant aux magistrats cette dure épreuve, voulait punir la ville révoltée en la privant des avantages matériels si considérables que la présence du parlement, celle de ses nombreux auxiliaires et l'affluence des plaideurs lui procuraient. Ce furent seulement les lettres patentes d'octobre 1689 qui lui rendirent le parlement. La Cour rentra dans son palais le 1er février 1690 et y reprit le cours de ses travaux [Note : Lettres de Mme de Sévigné à sa fille des 20 et 26 octobre et 12 novembre 1675. — Exil du parlement à Vannes, par S. Ropartz (Saint-Brieuc, 1875, in-80). — La révolte du papier timbré advenue en Bretagne en 1675, par A. de la Borderie (Saint-Brieuc, 1884, in-12). Pour célébrer le retour du parlement, les élèves de physique du collège des Jésuites de Rennes ont soutenu solennellement une thèse, en 1690, sur un théâtre élevé dans la salle des Pas Perdus du palais de justice de cette ville. Selon l'usage, on a rédigé le programme de cette solennité sous forme d'un grand imprimé dédié à la Cour, orné au haut d'une gravure allégorique qui représente le roi accordant au génie de la ville de Rennes la rentrée de la compagnie, figurée par la Justice et les Vertus, ses compagnes, dans le palais qu'elle n'a plus occupé depuis 1675 et invite celle-ci à en reprendre possession. C'est cette gravure extrêmement rare que nous reproduisons ci-après :
; l'exemplaire, presque ignoré
jusqu'ici, que possède, le Musée archéologique, est le seul connu ;
nous sommes d'autant plus heureux de pouvoir mettre en lumière cette oeuvre
curieuse. Malheureusement, le reste de la thèse manque, et nous savons, par une
description qui en existe, qu'il y avait au bas de l'imprimé une autre gravure,
avec les armoiries de tous les magistrats qui étaient alors au parlement. Nous donnerons des détails
plus complets dans la table des gravures et portraits qui
termine l'ouvrage. D'autres
lettres patentes du même jour créèrent une charge de président à mortier et
six de conseillers dont quatre originaires ; en compensation elles permirent à tous les officiers du parlement de disposer de leurs offices
« pour le prix
et aux conditions que bon leur semblera
», sans tenir compte des
restrictions portées dans les édits de 1665 et 1666.
Au XVIIIème siècle
1704. — Cette année apporta de notables changements à la Cour. Un édit de février 1704 avait, dans un intérêt fiscal, créé au parlement une chambre spéciale pour juger en dernier ressort les affaires d'eaux et forêts, pêche et chasse. Un édit du mois d'octobre suivant réunit, dans le même but financier, cette nouvelle chambre au « corps des officiers » de la Compagnie, créant, à cette occasion, un office de président à mortier, six de conseillers présidents des Enquêtes et huit de conseillers, dont six originaires, deux de conseillers présidents des Requêtes et deux de conseillers et commissaires, dont la moitié originaires, à répartir entre les deux semestres. Il supprima en même temps, avec les commissions de présidents des Enquêtes, les offices de conseillers y attachés, en attribuant aux titulaires de ceux-ci, sans nouvelles provisions ni prestation de serment, un nombre égal des offices créés par l'édit.
1720. — Un terrible incendie qui éclata à la fin de décembre détruisit une partie de la ville de Rennes. Le palais de justice échappa au sinistre ; mais la création de rues et de places nouvelles lors de la reconstruction des quartiers incendiés obligea à modifier l'entrée ; le perron disparut et la façade prit l'aspect qu'elle a gardé depuis ces travaux.
1724. — La division du parlement en deux séances présentait de grands inconvénients et formait, par le changement semestriel de juges, un obstacle à la prompte expédition des affaires ; l'édit de mars 1724 y mit ordre en rendant le parlement annuel, comme celui de Paris ; il décida qu'il siégerait, chaque année, « sans intermission », depuis le lendemain de la Saint-Martin — 12 novembre — jusqu'au jour de la Saint-Barthélémy — 24 août, et que, pendant les vacances, il serait pourvu au jugement des causes sommaires et provisoires par une Chambre des vacations composée d'un nombre suffisant de juges commissionnés par le roi selon l'usage suivi à Paris.
La Cour fut composée, pour le service ordinaire, d'une Grand Chambre, d'une chambre de Tournelle, de deux chambres des Enquêtes et de deux chambres des Requêtes, ces dernières réduites à une par une déclaration du 12 septembre suivant. Une déclaration du 5 juillet de la même année réglementa la composition et le service des Chambres.
1765-1774. — Pendant cette période, le parlement a subi de dures épreuves et, à un moment donné, une transformation complète. Nous ne parlerons pas du rôle qu'il a joué dans ce qu'on a appelé « l'affaire de Bretagne ». Nous rappellerons seulement quelques faits principaux.
Le parlement avait défendu, sous des peines sévères, la perception d'impôts établis par le roi, mais non consentis par les Etats. A la suite d'une rupture complète avec le duc d'Aiguillon et d'une série d'autres incidents graves, il réunit ses membres au palais, le 20 mai 1765, pour délibérer sur le parti à prendre ; sur 86 magistrats présents, 57 votèrent pour la démission en masse ; 27 furent d'un avis contraire ; mais, le 22, l'acte qui avait été rédigé pour expliquer les motifs de cette décision réunit 70 signatures de présidents et de conseillers, 15 autres y adhérèrent par procuration, 12 persistèrent à refuser leur démission. On sait qu'aucune avanie ne fut épargnée à ceux-ci par le patriotisme breton surexcité ; on sait aussi les mesures prises contre les procureurs généraux et d'autres magistrats, leur arrestation, la nomination de commissaires criminels chargés de les juger, et tout ce qui suivit.
Rennes vit rentrer au palais, le 16 janvier 1766, un parlement composé de ceux qui n'avaient pas voulu se démettre et de quelques-uns des démis, en tout 19. Ce fut l'affaire du duc d'Aiguillon d'y amener le plus grand nombre de ces derniers ; aussi donna-t-on le nom de « Bailliage d'Aiguillon » à cette compagnie réduite, vue de mauvais oeil, qui, même nominalement, ne dépassa pas le nombre de 57 membres et ne put conquérir la confiance et le respect des justiciables. Signalée au mépris public par les pamphlétaires, elle était condamnée à l'impuissance. Le procès criminel des six magistrats qui lui fut déféré pour se terminer par une évocation au Conseil et l'extinction des poursuites, celui des assemblées illicites et celui « du poison » l'occupèrent pendant deux ans.
Ce fut à sa demande même que le roi, cédant aux instances de la Bretagne, rappela l'universalité du parlement dont la rentrée, le 15 juillet 1769, fut pour Rennes et dans toute la province l'occasion de fêtes et de réjouissances, mais donna lieu à des représailles ; le procès suivi contre le duc d'Aiguillon amena une lutte nouvelle entre la Compagnie et le pouvoir royal.
En 1771, le coup d'état du chancelier Maupeou qui, devançant l'avenir, avait modifié profondément l'organisation judiciaire, en détruisant la vénalité et en faisant des nouveaux titulaires de véritables juges modernes, atteignit le parlement de Bretagne. Un édit de septembre 1771 le supprima, en lui substituant une Cour dont le noyau fut formé par 24 magistrats tant anciens que recrutés au dehors de la Compagnie supprimée ; vingt autres juges y entrèrent successivement ; à l'ancien parquet succédèrent un procureur général et deux avocats généraux nouvellement créés ; au greffe, le greffier en chef civil eut seul un remplaçant : celui des Requêtes disparut avec cette chambre. Cette réforme, dans laquelle l'opinion ne vit qu'une entreprise du pouvoir absolu, était prématurée, et l'agitation qu'elle créa ne permit pas d'en apprécier la valeur.
L'avènement de Louis XVI, en 1774, mit fin à cet essai ; le rappel du parlement de Bretagne, pour ne parler que de lui (décembre 1774) et la rentrée en grâce de tous les exilés, particulièrement des deux procureurs généraux, scellèrent la réconciliation de la Royauté et de la province. Onze conseillers pourvus et reçus en 1767 et 1768, exclus par l'article 16 de l'édit de rappel, ne reprirent pas leurs fonctions non plus que d'autres magistrats qui, nommément rappelés, mais fort engagés dans les incidents passés, préférèrent se retirer et vendirent leurs offices.
1776. — Une modification nouvelle frappa les offices de présidents des Enquêtes créés en 1704 ; un édit de mai 1776 les supprima et créa, à leur place, quatre commissions de président ; les titulaires des anciennes charges furent renvoyés à 1785 pour recevoir le remboursement de leur finance au prix maximum de 75,000 livres.
1777. — La mort du premier président de la Briffe d'Amilly fournit à Louis XVI l'occasion d'accorder à la Bretagne une marque exceptionnelle de sa faveur. Contrairement aux errements suivis depuis deux siècles, le roi pourvut de ce poste de haute confiance un représentant de la noblesse bretonne, M. du Merdy, messire de Catuélan.
1788. — Les édits du ministre de Loménie de Brienne avaient pour but, en remaniant profondément l'organisation judiciaire, par la création de Grands Bailliages, de porter un coup terrible à l'autorité et à l'importance des parlements ; ils trouvèrent celui de Rennes tout prêt à lutter pour le maintien de ses prérogatives et des franchises bretonnes. Dès le 5 mai 1788, il s'assembla pour protester d'avance contre les actes du pouvoir royal que l'on annonçait ; ce fut le 10 du même mois au matin que, convoqué en assemblée générale, il dût, sous la menace d'user de la force, laisser le Comte de Thiard, commandant de la province, porteur des ordres du roi, accompagné de l'intendant Bertrand de Molleville, entrer dans la Grand Chambre où il était réuni, faire donner lecture des édits du 2 mai, puis, malgré ses refus et les conclusions contraires du procureur général, en imposer l'enregistrement au greffier en chef Buret. Quoiqu'aux termes d'un des édits, il lui fût enjoint de se séparer et de se mettre en vacances, il se réunit encore, le 31 mai, pour protester contre les actes du ministre et ceux de ses mandataires. Les magistrats placés sous le coup de lettres de cachet qui leur ordonnaient de se retirer dans leurs terres et, ne pouvant rentrer au palais gardé militairement, trouvèrent un asile à l'hôtel de Cuillé, chez le président de Farcy et y restèrent assemblés près de deux jours, pendant que des troupes gardaient leur lieu de refuge et que toute la ville prenait violemment parti pour eux et se livrait à de bruyantes manifestations. Ils ne purent sortir librement que le 2 juin, à six heures du soir, après avoir rendu un arrêt qui flétrissait, au nom du roi, les auteurs, fauteurs, exécuteurs et coopérateurs des projets qu'ils avaient déjà condamnés, arrêt dont ils ordonnèrent l'impression et la publication ; il y eut encore, le 6 juin, une réunion de la Cour consacrée à la lecture et à l'approbation des procès-verbaux [Note : Ces événements sont minutieusement relatés, avec le texte des procès-verbaux et de toutes les pièces officielles dans le Précis historique attribué au conseiller du Couédic de Kergoualer. — Voir sur les faits de 1788 et 1789, le travail de M. B. Pocquet : Les origines de la Révolution en Bretagne, Paris, 1885, 2 vol. In-12]. Les édits furent retirés et le parlement put rentrer dans son palais, le 8 octobre suivant ; il décida de reprendre les affaires au point où il les avait laissées, sans tenir compte des délais écoulés et de l'interruption des procédures.
1789-1790. — Dans le grand conflit qui, dès la fin de 1788 et le commencement de 1789, mit aux prises, lors de la tenue des Etats de Rennes, l'ordre de la noblesse et celui du tiers-état, le parlement prit parti pour le premier ; sa popularité et son influence s'évanouirent. La convocation des Etats généraux lui donna l'occasion d'affirmer de nouveau sa préférence ; lorsque les deux premiers ordres annoncèrent qu'ils ne nommeraient pas de députés tant que les Etats de Bretagne n'auraient pas accepté les formes nouvelles de l'élection, il s'appropria leurs vues et insista près du roi, soit dans une lettre, soit dans une remontrance, pour qu'il donnât satisfaction à ces vœux ; n'y ayant pas réussi, il laissa les événements suivre leur cours, entra en vacances à l'époque réglementaire et ne siégea plus, le décret de l'Assemblée nationale du 3 novembre 1789 ayant ordonné aux Chambres de vacations de rester en fonctions jusqu'à l'établissement d'un nouvel ordre judiciaire. Les magistrats de Rennes refusèrent de continuer le service, après l'époque légale de la rentrée. Mandés à la barre de l'Assemblée, ils furent, le 11 janvier 1790 , privés de leurs droits civiques jusqu'à ce qu'ils eussent prêté serment à la constitution ; une autre Chambre de vacation nommée en remplacement de celle-là opposa le même refus et eut le même sort. Enfin des lettres patentes du 3 février suivant établirent, à leur place, une Cour supérieure provisoire composée de juges des présidiaux et d'avocats, et placée sous la présidence du président de Talhouët.
F. Saulnier
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