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Les léproseries du comté et diocèse de Nantes

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L'histoire des léproseries, leur simple énumération seulement, n'est pas aussi facile à établir que je le supposais au début de mes recherches sur les maisons hospitalières. Je croyais avoir épuisé le sujet dans mon étude sur les hôpitaux de Nantes, en citant dix-huit paroisses en possession de léproseries, dont j'avais pris les noms dans la liste des lieux habités du département et dans un ancien pouillé des bénéfices du diocèse ; j'étais bien loin de la vérité. Un examen approfondi du territoire à l'aide du cadastre, des déclarations féodales et des fondations religieuses indiquées dans les procès-verbaux de visites épiscopales ou les brevets des recteurs paroissiaux , m'ont révélé tout un monde inconnu. Le nombre des lieux habités par les lépreux grossissant toujours devant moi à mesure que je poussais mes investigations, j'ai été conduit à interroger les titres et le sol de chaque paroisse. Ma persistance n'a pas été déçue, et je suis arrivé à cette conviction que la lèpre et les maladies de la peau avaient étendu leur contagion en Bretagne, non moins que dans les autres provinces.

Mathieu Paris n'exagère certainement pas quand il porte à 19.000 le nombre des léproseries fondées en Europe. Les Etats du roi de France Louis VIII, alors réduits à la moitié de notre territoire actuel, en comptaient à eux seuls 2.000 [Note : « Donamus et legamus duobus millibus domorum leprosorum decem millia librarum videlicet cuilibet earum centum solidos » (Testament de Louis VIII, art. 13)], encore n'est-il pas prouvé que ce chiffre comprend les léproseries ouvertes par les seigneurs inférieurs et les abbayes. On s'est plutôt contenté jusqu'ici d'écrire des monographies particulières pour tel et tel établissement que de dresser des dénombrements régionaux ; la question n'est donc pas en état d’être jugée ; mais partout ou on a tenté des recherches, on a trouvé sans effort des léproseries à des distances très-rapprochées. Dans l'arrondissement de Doullens, M. Labourt signale des léproseries de deux lieues en deux lieues [Note : Recherches sur l'origine des ladreries, maladreries et léproseries, par L.-A. Labourt. — Paris, 1854, Guillaumin]. M. le docteur Chevalier en a constaté 5 autour de la petite ville de Romans, en Dauphiné. Si M. Harmand, dans le diocèse de Troyes, n'en a trouvé que 19, et M. Léchaudé, dans la Normandie entière, que 218, c'est que leurs explorations ont été superficielles. Je leur promets de nombreuses surprises s'ils veulent bien y regarder de plus près.

Pour les aumôneries et les hôpitaux, il est rare que les archives ne nous instruisent pas plus ou moins directement sur l'époque approximative de leur fondation ou sur leur destination habituelle ; pour les léproseries, au contraire, les données du problème sont très-vagues. Leur mention brève dans les titres se présente toujours au lecteur comme une énigme à expliquer, et quand un édifice pourrait nous éclairer, une épaisse couche de ruines le dérobe à nos regards. Ce sont des fossiles d'un nouveau genre qu'il faut déterrer, sans autre fil conducteur que les lois générales de l'histoire. En groupant des observations recueillies sur des points très-différents, j'ai cru voir que le sphinx n'est pas impénétrable.

On reconnaît ordinairement les lieux habités par les lépreux à la distance qui les sépare des bourgs ou des villes , et à la configuration des terrains qui leur étaient assignés comme demeure. Les remarques que j'ai faites moi-même, de visu, dans le département de la Loire-Inférieure, m'autorisent à dire que les sommets des coteaux et les îles de la vallée si large et si bien aérée de la Loire étaient choisis de préférence. Ainsi, en pointant sur la carte chacune des léproseries, on voit sur la rive gauche comme sur la rive droite une ligne parallèle d'établissements qui se continuent d'un côté, depuis la Madeleine de Chantoceaux jusqu'à celle de Frossay ; de l'autre, depuis la Madeleine de Varades jusqu'à celle de Donges. Tout le long de la côte, depuis Saint-Laurent de Bourgneuf jusqu'à Saint-Michel de Piriac, j'aurai l'occasion de signaler de nombreuses léproseries, parfois deux et trois dans le même endroit.

Dans l'intérieur des terres, les lépreux étaient installés presque partout près d'un bois et d'un étang ou d'un cours d'eau, toujours sur le bord d'un grand chemin et très-souvent près d'un pont, à la rencontre de plusieurs routes, sur la limite de deux ou trois paroisses [Note : Il ne faut pas oublier, en étudiant la topographie des léproseries, que notre réseau de voies de communication a été bouleversé un peu dès le siècle de Louis XIV, davantage sous Louis XV et Louis XVI, et radicalement depuis 1836]. Tout en les séparant de la société humaine, on ne voulait pas qu'ils fussent oubliés ; il fallait donc les exposer au regard des passants, dans les lieux fréquentés.

Cette dernière remarque, qui, je crois, n'a pas été faite avant moi, a son importance, car s'il est prouvé que les léproseries ont été établies sur le passage des grands chemins, comme les aumôneries et les hôpitaux, nous serons en possession d'une quantité innombrable de jalons qui nous aideront à tracer les voies romaines sur la carte du département [Note : M. Guignes, archiviste du Rhône, a déterminé le parcours des voies romaines dans le Lyonnais et les provinces environnantes à l'aide des hôpitaux, sans se préoccuper des léproseries (Mémoires de la Société littéraire, historique et archéologique de Lyon de 1876, p. 227)]. C'est à ce point de vue surtout que je me suis appliqué à bien préciser l'emplacement des léproseries, et les détails topographiques qui accompagnent chaque mention ont pour but de faire ressortir que, dans toutes les directions, leur situation était invariablement la même. En cherchant les principales voies romaines de la Bretagne, M. Bizeul avait observé qu'il rencontrait souvent des chapelles, mais il ne s'est pas rendu compte de leur signification. Il les considérait, suivant une opinion très-répandue, comme des édifices purement religieux élevés par la dévotion en l'honneur d'un saint dont on voulait gagner la protection. Une étude minutieuse du sol m'a démontré qu'il fallait leur attribuer une autre portée, et que les vieilles croix elles-mêmes étaient des points de repère précieux à consulter. Il est d'usage encore aujourd'hui de remplacer par une croix une chapelle qui disparaît ; cette habitude est dans nos moeurs depuis les âges les plus reculés. Toutes les anciennes croix ont une valeur historique ; celles qui ne marquaient pas les limites d'un fief ou d'une paroisse rappelaient un édifice renversé. Je n'ai pas constaté une seule léproserie sur le terrain, sans que les anciens habitants ne m'aient montré une croix ou attesté son existence d'après la tradition. Ces monuments commémoratifs ont été souvent renouvelés ou déplacés, et ont ainsi perdu leur nom primitif pour en prendre un autre, celui par exemple de leur couleur ou de leur restaurateur. Il ne faut donc pas les dédaigner parce qu'elles s'appellent la croix blanche, la croix rouge, la croix de fer, mais rechercher aux alentours à quel fait elles se rattachent.

Quant aux chapelles isolées dont les ruines ou le souvenir subsistent au milieu des bois, dans les landes désertes ou dans un vieux chemin abandonné aujourd'hui, je n'ai jamais interrogé leur passé sans profit pour mes études sur les hôpitaux [Note : En parlant d'elles, on dit souvent qu'elles ne sont pas fondées, pour indiquer qu'elles n'ont pas de dotation. Le fondateur d'une chapelle n'est donc pas toujours celui qui l'a construite. Il est bon de tenir compte des expressions usitées pour éviter les confusions. Il y a des chapelles du XIIème siècle qui ont été fondées au XVIème siècle]. Il est très-rare qu'elles n'aient pas de lien avec une commanderie, une abbaye, une aumônerie ou une léproserie. Quand les titres se taisent, ce sont les noms des lieux environnants qui nous révèlent leur destination primitive. De même qu'on ne construisait pas de château sans y accoler une chapelle, on ne concevait pas une institution charitable sans édifice religieux. On comprend que les lépreux aient eu leur chapelle privée, puisqu'on leur interdisait toute communication avec la société de leurs semblables. L'Eglise ne voulait pas même qu'ils fussent confondus après la mort avec le reste des humains : elle leur accordait des cimetières particuliers. Le troisième Concile de Latran, de 1179, permet à toute réunion de lépreux d'avoir une église, un cimetière, avec un prêtre particulier pour la célébration des offices et les fonctions pastorales. Là donc où se rencontre une chapelle rurale avec un cimetière, on peut y placer hardiment une léproserie ou un hôpital. Les cimetières des paroisses étaient autour de chaque église ; les restes des fidèles n'étaient jamais déposés ailleurs que là ou sous le pavé du temple, faveur très-recherchée et contre laquelle les Parlements et les Evêques furent obligés de fulminer à cause de l'insalubrité qui en résultait. La discipline ecclésiastique s'opposait, comme la coutume dans le principe, à la création de plusieurs cimetières dans la même paroisse ; ce n'est qu'au XVIIème siècle qu'on commença à inhumer dans les banlieues et faubourgs. Alors les anciens cimetières des hôpitaux furent utilisés ; ce sont eux qui sont désignés sous le nom de grand cimetière.

A notre époque, on a vu aussi réouvrir d'anciens champs de repos. Ceux qui étaient à proximité des bourgs ont été choisis en beaucoup de communes lors de l'application de la loi sur la translation des cimetières. Quand ils sont restés sans emploi, on les retrouve dans la campagne sous les noms de Champnoir, de Champfleury ou de Paradis [Note : Le cimetière de Champfleury, à Nantes, était en Saint-Donatien. Déclarations de bénéfices de 1554, f° 94 (Archives départementales, B.) — Travers, Histoire de Nantes, 1, 439]. J'engage les archéologues à fouiller les pièces closes ou non, nommées le Paradis, même quand le terrain paraît rocheux. On creusait souvent des tombes dans le calcaire coquillier et dans le schiste ; j'en ai vu des exemples à la Haie-Fouassière et à Sainte-Marie de Pornic. Le parvis ou cimetière d'une église n'est autre que le Paradis. Littré admet cette étymologie, mais il en donne une singulière explication ; il croit que, dans les représentations des mystères du moyen-âge, on y plaçait le Paradis de la scène. N'est-il pas plus naturel d'y voir l'expression figurée du repos que les défunts y trouvent en sortant de la terre d'exil et un synonyme de cimetière, le lieu du sommeil, d'après son étymologie grecque. C'est une habitude familière chez les gens du peuple d'user de termes symboliques. Dans le même ordre d'idées, ils ont donné le nom d'Enfer et de Purgatoire aux pièces de terre qu'ils cultivent. Ces appellations ne sont pas rares dans les matrices cadastrales.

Il est essentiel d'examiner aussi de très-près la formation du patrimoine des presbytères et des bénéfices séculiers ou réguliers pour trouver la trace des léproseries, c'est une source d'information non moins précieuse que celle de l'exploration des lieux marqués par les chapelles et les cimetières.

Parmi les prieurés placés, aux XIème et XIIème siècles, sous la dépendance des abbayes, il faut faire une distinction bien marquée entre ceux qui étaient dans les bourgs et ceux qui se trouvaient isolés loin de toute habitation [Note : Près de l'abbaye de Fontevrault, il y avait un couvent pour les lépreux et les lépreuses. Le terme de prieur signifiait souvent gouverneur. Le supérieur de la maladrerie de Tinteniac ne prenait pas d'autre titre. « Prior et fratres domus leprosorum de Tinteniac » 1206. (Cartulaire. de l'abbaye de Saint-Georges)]. Les premiers étaient concédés par les seigneurs et les évêques pour assurer le service religieux des paroisses, alors dépourvues de prêtres séculiers ; les seconds étaient le plus souvent des ermitages habités exclusivement par des lépreux qui réclamaient un chapelain particulier et un gouverneur. Les uns et les autres portaient le même nom, mais leurs charges étaient différentes : les prieurs des bourgs avaient les fonctions sacerdotales à remplir, ceux des solitudes se livraient plus spécialement à l'exercice de l'hospitalité. Comment expliquerait-on autrement la raison d'être de ces innombrables établissements religieux semés à chaque pas sur notre sol ? Nos durs barons du moyen-âge, amateurs de guerre et de chasse, n'étaient pas hommes à enrichir les moines uniquement pour favoriser la vie contemplative. S'ils leur ont donné de grands domaines, c'est qu'ils avaient besoin de leur concours pour défricher le sol et secourir les malheureux de tout genre qui ne manquaient pas dans leurs fiefs. Quand donc nous rencontrons un prieuré en dehors des centres de population, nous pouvons croire en toute assurance qu'il marque l'emplacement d'une aumônerie ou d'une léproserie, quoique les chartes de fondation n'en disent pas mot. Les oeuvres charitables étaient alors si étroitement unies à la mission sacerdotale, qu'il semblait superflu de dicter des conditions aux abbayes dont on augmentait les revenus.

En dehors des léproseries fondées sous la tutelle des moines, il faut compter celles qui se sont formées sous le gouvernement des Templiers ou des Chevaliers de Saint-Jean de Jérusalem, et enfin celles qui ont pu vivre indépendantes. Les unes et les autres ont subi à plusieurs reprises des changements de maîtres. Ainsi, celles des Templiers ont passé aux mains des Fontevristes, des Bernardins et des Augustins. Le travail de désagrégation qui s'est opéré aussitôt après la disparition de la lèpre n'en a épargné aucune. Le démembrement s'est fait sans aucun ordre, non pas à l'avantage des hôpitaux, comme on le croit, mais au profit des ordres mendiants, des couvents de femmes, des presbytères et des communautés d'habitants. Ce n'est pas tout. Les administrateurs, les économes, les fermiers, de leur côté, profitant du désordre qu'entraînait la faiblesse du pouvoir central, s'approprièrent aussi ce qu'il était possible d'usurper, de sorte que, dès le XVIIème siècle, on vivait dans une profonde ignorance sur le nombre et l'importance des maisons consacrées jadis aux lépreux. Il ne paraît pas que les Chambres de réformation créées par Henri IV et ses successeurs aient abouti, dans leurs enquêtes et leurs poursuites, à des résultats sérieux, du moins en Bretagne ; elles se heurtèrent contre le silence et la dissimulation dans la plupart des cas. Le mystère qui enveloppait l'origine et la destination de beaucoup d'établissements demeura impénétrable, puisque les actes du temps ne distinguent pas toujours clairement les aumôneries des léproseries. Dans les livres qui en donnent des énumérations, ce ne sont que fautes grossières et généralités indécises qui accusent une profonde ignorance de la matière. L'ordre de Saint-Lazare lui-même ne fut pas plus heureux quand il fut, en 1672, autorisé à jouir des revenus des maisons hospitalières sans emploi [Note : Arrêts rendus par la Chambre royale séant à l'Arsenal, en conséquence de l'édit de 1672, des déclarations et des édits de 1693. (Archives nationales, série Z, 7607, Z, 7577-7600, série V, 1165-1168)]. Les seules léproseries du diocèse qu'il ait pu ressaisir sont celles de la Bénâte, de Besné, de Nantes et de Bouin. Voici celles qui sont indiquées par le pouillé du diocèse de Nantes de 1648, avec leurs désignations défectueuses :

LÉPROSERIES DE FONDATION DUCALE.

Nantes.

Ancenis.

La Roche-Bernard.

Guérande.

Nieulle.

Montluce.

Clisson.

Chateau-Thébaud (Cartulaire de Redon, f° 522).

LÉPROSERIES DE FONDATION COMMUNE.

Oudon.

Le Loroux.

Allarac.

Nazareth.

Montfaucon.

Machecoul.

Coutais.

Pellerin (Le).

Chemeré.

Au lieu de Nieulle, lisez Nivillac, Assérac au lieu de Allarac, Saint-Nazaire au lieu de Nazareth, Saint-Mars-de-Coutais au lieu de Coutais, Saint-Etienne-de-Montluc au lieu de Montluce. Je ne connais pas de livre qui renferme de plus amples renseignements sur ce sujet.

On voit par les plaintes réitérées reproduites dans les ordonnances de nos rois, dès le règne de Henri III et par le dispositif de leurs lettres-patentes, que des malversations innombrables et anciennes avaient dispersé à tous les vents le patrimoine des lieux pitoyables. Toutes les fois que le Conseil du roi visait des lettres de confirmation pour un hôpital général, il ne manquait pas d'insérer une clause qui, par anticipation, envoyait les pères des pauvres en possession des fondations charitables usurpées dont ils feraient la découverte.

Malgré ce stimulant, les réintégrations furent nulles dans notre pays, si ce n'est à Bourgneuf. L'hôpital général de Paimboeuf, par exemple, auquel le roi avait attribué les hôpitaux et maladreries de Piriac pour composer sa dotation en 1696, n'est pas parvenu à saisir le moindre morceau des terres qui lui devaient revenir, ni même à se procurer quelques informations sur leur emplacement. Dira-t-on que les lettres du roi, en changeant le nom de Piriac en Pitieriac, ont mis les administrateurs dans l'embarras ? La supposition est peu vraisemblable. L'explication de ce fait incroyable est ailleurs ; elle est dans l'incurie de ceux qui avaient en main la gestion des affaires locales. A Piriac même, les habitants ne savaient pas bien quelles étaient les limites qui séparaient les biens de la Fabrique de ceux des pauvres. L'archidiacre visiteur, qui passa dans la paroisse en 1677, rapporte que les comptes de l'hôpital n'étaient pas rendus depuis quinze ans, que les marguilliers hors de charge gardaient en maniement des sommes très-considérables, et que les archives municipales, dispersées en diverses mains, ne pouvaient être recouvrées que par monitoire [Note : Livre de visites de 1677. (Archives du chapitre de la Cathédrale). Il est dit dans un autre livre antérieur que Piriac avait 400 livres de revenus « mal administrés »]. Les titres de cette ville sont restés cachés, mais la tradition n'est pas morte ; elle nous aidera à percer le voile sous lequel Piriac s'est dérobée aux injonctions de Louis XIV.

Le sujet qui nous occupe est fécond en surprises. En le creusant avec persistance, on remarque que les domaines sortis des léproseries ont eu les fortunes les plus diverses ; les uns, repris par leurs fondateurs, sont entrés dans des domaines seigneuriaux ; les autres, arrentés à perpétuité par leurs usufruitiers infidèles, sont allés se perdre en se morcellant dans des propriétés particulières ou communes ; enfin, les plus heureusement situés ont donné naissance à des frairies, à des fiefs, des villages, voire même à des centres de paroisses.

J'espère montrer que Barbechat, la Chapelle-Glain, la Chapelle-Saint-Sauveur, Geneston, la Limouzinière, Mésanger, la Meilleraie, Missillac, Petit-Mars, Saint-André-des-Eaux, Saint-Fiacre, Saint-Etienne-de-Mer-Morte, Saint-Etienne-de-Montluc, Saint-Julien-de-Concelles, Saint-Julien-de-Vouvantes, Saint-Léger, Saint-Michel-Chef-Chef, Saint-Nicolas-de-Redon, Soulvache et le Temple, ont pour point de départ de leur développement une léproserie ou une aumônerie.

Il ne faut pas s'en étonner ; les léproseries avaient autour d'elles ce que recherchent ordinairement les agglomérations d'hommes, c'est-à-dire de l'eau, du bois, des voies de communication nombreuses, une chapelle, un champ de foire fréquenté. Quand une bonne fontaine existe dans une contrée, on est sûr de la trouver à côté d'une ancienne chapelle dépendant d'une léproserie ou d'une aumônerie. Elle est facile à reconnaître dans chaque paroisse par la vénération dont elle est entourée. Ses vertus curatives sont nulles, mais la superstition populaire ne peut pas admettre qu'une fontaine voisine d'un hôpital ne soit pas merveilleuse.

En suivant le même raisonnement, les populations ont attribué un pouvoir extraordinaire aux saints patrons honorés dans les léproseries, et dès que les lépreux ont disparu, elles se sont rendues en foule dans leurs sanctuaires pour obtenir la guérison d'une maladie quelconque. L'empressement des pèlerins a continué pendant des siècles et a préservé ainsi de l'oubli beaucoup d'édifices. On cite des chapelles renversées qui aujourd'hui sont encore visitées, en souvenir de la popularité de certains saints.

Il n'est pas indifférent de connaître le vocable d'une chapelle pour ceux qui cherchent l'emplacement des léproseries. Quand certains noms sont donnés à des édifices ou à des terres placées dans des conditions particulières, on peut en tirer des inductions très-positives. Au moyen-âge, les saints étaient classés en deux catégories : ceux qui étaient secourables aux malheureux ne se confondaient jamais avec les autres saints. Voici la liste des plus connus dans notre pays : saint Lazare et sainte Madeleine, saint Marc et saint Michel, saint Georges et saint Antoine, saint Etienne et saint Thomas, saint Blaise et saint André, sainte Catherine et sainte Marguerite, sainte Barbe et sainte Emerance, saint Jacques et saint Sébastien, saint Fiacre et saint Armel, saint Denis et saint Clément, saint Laurent et saint Nicolas, saint Barthélemy et saint Symphorien [Note : Ces noms sont les plus populaires, on pourrait en ajouter bien d'autres tels que Notre–Dame–de-Pitié et Saint-Benoît. Chaque région avait ses saints favoris]. Je les accouple deux par deux, tels qu'on les rencontre le plus souvent. J'aurais pu les citer aussi bien quatre par quatre, car ils formaient toujours des groupes nombreux dans chaque église. De là cette grande diversité de vocables donnés aux chapelles, et cet embarras qui arrête les chercheurs. La Madeleine occupe le premier rang parmi les patrons et les patronnes des léproseries dans le diocèse de Nantes ; les saints qui viennent après elle sont des martyrs ordinairement.

C'est en vain qu'on les chercherait aux lieux primitifs où ils ont été honorés, leurs chapelles n'étaient pas assez richement dotées pour subvenir à leurs réparations et à l'entretien d'un chapelain particulier. Quand elles sont tombées, les matériaux et les statues ont été employés à créer des annexes sur les flancs de l'église paroissiale ou des autels pour y célébrer les fondations pieuses. Là où les chapelles des léproseries subsistent, la croyance populaire les désigne comme les premières églises du pays. Il y en a beaucoup dont la ruine remonte à plusieurs siècles et dont l'existence n'est pas même mentionnée dans les procès-verbaux de visite des évêques du XVIIème siècle. Mais par une circonstance heureuse, l'homme des champs n'oublie pas facilement les institutions qui ont à une époque quelconque pris pied sur le sol qu'il cultive, et à l'aide des appellations transparentes qu'il imprime sur chaque parcelle de terre d'une façon plus ou moins correcte, il nous a conservé la trace des plus notables événements [Note : C'est la pensée de Leibnitz, d'Eusèbe Salverte, de Court de Gebelin et d'Augustin Thierry]. Partout où le soc de sa charrue aura remué les pierres d'un édifice sacré, vous aurez la chapelle ou la chapellière ; de même que les terres possédées par les moines et les templiers se nommeront toujours la moinerie et la templerie ou la chevallerie.

C'est ici le cas de dire les précieuses ressources qu'offrent les dénominations des lieux dits conservées par le cadastre ou par la tradition populaire, quand on sait en user avec discernement. Les lépreux ont été appelés aussi lazares ou ladres, mezeux et malades ; de là les noms de maladrerie, de mezellerie et de ladrerie, usités pour désigner leurs demeures [Note : « Viam que ducit a maladeria versus Castelet Buson 1206 » (Cartulaire de Saint-Georges de Rennes). Cette maladrie de Tinténiac est remplacée aujourd’hui par un village de la Madeleine]. Les Bocènes, le Bocenno ont attiré aussi mon attention comme dérivés du breton bocène, peste. Je n'ai pas rencontré une seule fois le nom de caqueux et son dérivé caquinerie, vulgairement employés en Bretagne pour indiquer les lépreux et leurs habitations, ni les termes de clandy et de malpaudrie, usités dans le Morbihan comme synonymes de maladrie [Note : Etude sur les cacous de Bretagne, par Rosenzweig, p. 10. — Vannes, 1872, br. in-8°. — Les corderies, maladries et madeleineries étaient les habilitions des lépreux dans le Morbihan]. Ces dénominations n'ont pas franchi la Vilaine. Il n'en est pas de même pour le vocable de la Madeleine ; chez nous comme partout, il est constamment pris pour l'équivalent de maladrerie.

La maladrerie est un nom porté encore par quelques fermes avec diverses variantes : ici on en a fait la Maladrie, là la Malabrerie, ailleurs la Malabrie ou Malabrit et même en certains endroits la Mailarderie. Je ne soutiens pas que tous les lieux nommés Malabri sont d'anciennes maladries ; je me hâte de dire que je n'ai pas accepté sans défiance cette forme de nom trop commune ; mais après vérification faite sur place, les titres en mains, j'ai dû me rendre à l'évidence. Dans les communes où l'emplacement de la maladrie était introuvable, j'ai été amené quelquefois à reconnaître qu'il existait un lieu dit Malabri, répondant à toutes les données. Le Malabri convient surtout à une hutte mal bâtie ou à une petite maison isolée dans les landes. Quand ce nom est appliqué à une exploitation ou à une habitation ordinaire entourée de bonnes terres, il y a lieu de croire à priori qu'il s'est produit une altération, et les recherches confirment souvent la présomption. Les maladries étant presque toutes sur des hauteurs exposées à tous les vents, on comprend très-bien que dans la suite des âges, aux époques éloignées du règne de la lèpre, on ait transformé par ignorance l'appellation de maladrie en celle de malabri. Il y a dans le langage vulgaire des exemples de déformation de mots bien autrement surprenants [Note : Malabri en Sucé et en Saint-Molf est sur une hauteur au pied de laquelle coule un ruisseau. En Saint-Molf Malabri est traversé par une voie romaine, comme en Guenrouet].

Note :  A l’appui de ce que je viens de dire des déductions à tirer de l’étude du cadastre ou de l’observation des lieux, notamment de ceux qui portent les noms de la Madeleine, de la Maillarderie, ou leurs dérivés, je citerai quelques exemples :

Gâvre (Le). — Les villages de la Maillardais et de la Madeleine se touchent dans cette commune.

Loroux-Bottereau (Le). — Un titre de 1575 prouve que la MAILLARDIÈRE, terre voisine de la ville, se nommait, au XVIème siècle, la Mallardière (Archives départementales, série B. Aveu de sainte Radegonde). Dans la description de la terre de la Chevallerie, voisine de la Madeleine de Barbechat, est citée une pièce appelée les Maladryes (Archives du château de Beauchesne, Aveu de 1688).

D'après un titre de 1614, la maladrerie incertaine du Loroux était bien à la Croix de Pinot. (Ibidem.).

Avessac.— Le bénéfice de Trioubry, différent de celui de la Madeleine, était sous l’invocation de saint Méen et s’élevait sur la route de Guémené à Redon, près de la Boissière.

Guérande. — La terre de Villeneuve a été le siège d’un bénéfice de Saint-Thomas, dont la chapelle était en ruines au XVIIème siècle. (Terrier de la sénéchaussée de Guérande, vol. IX, f° 1799). Il y a lieu de remarquer qu’en Saint-Etienne-de-Mont-Luc et en Saint-Mars-du-Désert, deux fiefs de l’évêque, le bénéfice de Saint-Thomas est aussi devenu terre seigneuriale.

Saint-Etienne-de-Mont-Luc. — Outre la Madeleine, signalée près du ruisseau de la Recuse, il y avait une autre maladrerie du même nom près du pont de l'Etang-Bernard, à la limite de Couëron. — En voici la désignation : les communs nommés les Madeleines (Inventaire des titres de l’évêché, f° 178).

Nort. — Il existait au XVIIème siècle, au faubourg Saint-Georges, sous la seigneurie de Montigné, deux fiefs de la Maillardrie ; et, sous la seigneurie de Villeneuve une tenue de la Maillarderie, autrefois dite des Maillardières (Terrier de la sénéchaussée de Nantes, vol. XI, f°s 92 et 116).

De ladrerie on a fait la lardrie d'abord, puis la lardière, et parfois, en aspirant la Hardière. Ce nom est encore porté aujourd'hui par un certain nombre de fermes.

Les dérivés de Mezel et de Mezellerie, mezellaria en latin, ne sont pas moins faciles à saisir, bien qu'ils aient varié suivant les contrées [Note : Voir le Glossaire de Du Cange et le Dictionnaire breton de D. Le Pelletier]. A l'Ouest du département vers le Morbihan où les terminaisons sont en ac, Mezellerie a produit le village de Mezillac à Guémené, Missillac, nom d'une commune qu'on écrivait au XIIIème siècle Meizillac (Cartulaire de Redon, p. 514) et Mezeland à Piriac. Au centre, le radical Mezel se retrouve dans Mezangé qui paraît venir de Mezelgiacum, de la même manière que Luzangé est sorti de Lusebiacum, forme latine connue.

Dans l'Est du département et au Sud de la Loire Mezellaria a enfanté par contraction Mellereium qui a produit Melleray et Meilleraie, nom qu'on retrouve en plusieurs endroits dans des situations identiques qui sont celles des léproseries. La Meilleraie du Pont-Saint-Martin, celles de Remouillé et de Saint-Viaud, comme la Meilleraie d'Orvault, de Riaillé, du Cellier et de Moisdon, sont ou étaient dans le voisinage d'une forêt. L'île de la Meilleraie de Varades seule fait exception ; il est possible qu'elle tire son nom de ses rapports avec l'abbaye qui, sans aucun doute, avait des possessions dans la mouvance de la baronnie d'Ancenis. Alors tout s'expliquerait.

Dans la crainte de raisonner sur des apparences trompeuses, je me suis mis à sonder le passé, et j'ai vu que les documents, comme la tradition, sont parfaitement d'accord avec les désignations. Chaque Meilleraie a une histoire et des titres qui la rattachent à une antiquité reculée. Ainsi le bois de la Meilleraie, démembré de la forêt de Toufou, contient le Canton des Ruines [Note : Estimations des domaines royaux de 1790 à l'an VIII et baux de l'an VII. (Archives départementales, série Q)], un pré, nommé la Chaussée et un cimetière ou paradis. Le village de la Meilleraie, en Saint-Viaud, appartenait aux Chartreux d'Auray [Note : Liquidation des créances du Clergé. (Archives départementales, série Q)] et renfermait des pièces nommées le presbytère, quoique très-éloigné du bourg ; le lieu de la Meilleraie où s'élève l'abbaye de Meilleraie fut donné aux moines de Pontron au XIIème siècle, sous la désignation de vetus melereium et une léproserie de la Madeleine est à deux pas du monastère ; la Meilleraie du Cellier est près de la grande route de Nantes à Ancenis, sur une hauteur, la Meilleraie d'Orvault, aussi dite la Mallerais, est à côté du château de la Tour et d'un ruisseau ; enfin, la Meilleraie de Remouillé est dans le voisinage du château de l'Ermitage et d'une ancienne chapellenie. N'est-ce pas là un ensemble de preuves des plus frappantes ?

Pour les paroisses dont le nom signifie le lieu des lépreux, comme Missillac et Mésanger [Note : En Mésanger les actes signalent : Saint-Michel, Sainte-Marguerite, Saint-Jean ou Sainte-Pazanne, Saint-Gilles, la Madeleine, Sainte-Luce, Saint-Jacques ; en Missillac, Saint-Jacques, Saint-Michel, Sainte-Luce, Saint-Laurent, Sainte-Lienne et d'autres bénéfices sans vocables connus] (mezellorum locus), on verra que le nombre des chapelles disséminées sur leur territoire appuie singulièrement mes interprétations. Si je connaissais mieux Mouzeil, Mouzillon, Mesquer et Montrelais, je chercherais les similitudes d'origine qui semblent les rapprocher des précédentes. Je serais d'autant plus audacieux dans mes inductions, qu'on ne rencontre, pas une commune qui ne porte la trace d'une léproserie dans ses lieux dits ou dans ses archives : celles qui n'en contiennent qu'une sont les moins nombreuses.

Je ne les place pas toutes sur le même rang pour l'antiquité. Ainsi pour moi les léproseries sous l'invocation de la Madeleine et de Saint-Michel sont les plus anciennes ; leur création doit correspondre à la période carolingienne, tandis que les autres ne doivent pas être antérieures aux Croisades. Les premières se présentent à nous en tous lieux dans des situations qui ne permettent pas de les confondre avec les secondes. Elles sont environnées de ruines, de tumulus, de menhirs, dont il faut tenir compte autant que de la date reculée de leur disparition. L'emplacement des Madeleine est toujours plus difficile à trouver par exemple que celui des léproseries de Saint-Léger et de Saint-Laurent.

Au reste, je n'en suis pas réduit à de simples conjectures : il existe bien des documents qui démontrent que la lèpre étendait ses ravages en Occident dès l'époque Mérovingienne, dans toutes les classes de la société. Ne montre-t-on pas à Rome la cuve de marbre où Constantin s'est baigné après avoir été guéri de la lèpre par le pape Sylvestre ? Grégoire de Tours dit avoir vu un lépreux qui quitta la Gaule pour aller se baigner dans le Jourdain et qui revint, délivré de son mal (Opera, ch. XIX, col. 742). Le même auteur parle dans un autre endroit de léproseries qu'on bâtissait hors des villes xenodochium leprosorum suburbanum. Les annales ecclésiastiques mentionnent l'existence de léproseries établies en 460 près de l'abbaye de Saint-Oyan, aujourd’hui Saint-Claude ; en 570, dans un des faubourgs de Châlons-sur-Saône ; en 684, près de la basilique de Verdun. Dans les actes des Conciles de la Gaule figurent des témoignages identiques : les évêques assemblés en 549 à Orléans, à Lyon en 583, recommandent aux évêques de se faire rendre compte du nombre des lépreux de leur diocèse et de pourvoir aux besoins des plus malheureux [Note : Le roi Gontran, atteint de la lèpre, alla demander sa guérison à saint Sor. (Histoire de France, D. Bouquet, t. III, p. 465)]. Dagobert, Pépin et Charlemagne fondèrent pour eux des asiles et se prononcèrent pour la dissolution du mariage quand l'un des époux était lépreux, bien que le pape Etienne, en 754, eût adopté l'opinion contraire.

En Bretagne, les historiens n'ont recueilli aucun renseignement précis sur la période carolingienne. Dom Lobineau parlant des années comprises entre 842 et 907 se contente de dire : « Mais ce que l'on fit de mieux en ce temps là, ce fut d'établir des hôpitaux pour les pauvres et pour les malades » (Histoire de Bretagne, livre II, p. 73). Les générations précédentes n'en avaient pas moins besoin.

L'abbé Travers assure, d'après je ne sais quel témoignage, que l'expédition du roi Gontran contre Waroch, comte de Vannes, en 591, fut suivie de peste et de famine pour le diocèse de Nantes par suite des ravages exercés par les armées. Ce compilateur n'eût pas exagéré en ajoutant que le passage des barbares nommés Hongrois, Sarrasins, Lombards ou Normands, avait renouvelé bien des fois les mêmes fléaux. Les ruines n'étaient rien à côté des souffrances physiques et morales qui accompagnaient chaque invasion. Tous les maux que peut engendrer la brutalité et perpétuer la malpropreté chez un peuple en enfance, sont tombés sur notre malheureux pays et l'ont couvert d'infirmités plus ou moins honteuses, analogues à la lèpre.

Quels sont les caractères de cette lèpre des premiers âges ; sont-ils les mêmes que ceux de la lèpre apportée par les Croisades ? Il est impossible de les déterminer. Ce mystère est resté impénétrable pour tous ceux qui ont tenté de le sonder. Le mal nommé lèpre à toutes les époques n'ayant jamais été étudié de près par les médecins du moyen-âge qui le regardaient comme incurable, on comprend que les spécialistes de notre époque, privés de documents, soient embarrassés pour se prononcer.

Il nous est surtout connu par la terreur qu'il inspirait. Joinville nous en a laissé un témoignage dans le récit d'une conversation qu'il eut avec le roi saint Louis. On sait que le pieux Joinville, invité à se prononcer sur une alternative où il aurait à choisir entre le danger d'offenser Dieu et l'affliction d'être lépreux, répondit sans hésiter qu'il aimerait mieux être coupable de trente péchés mortels (Histoire de saint Louis, éd. de Wailly, p. 9).

La Bretagne n'échappa pas plus que les autres pays à la recrudescence de mal qui se manifesta après les migrations si funestes des Croisades. Le cas de la duchesse Constance qui mourut atteinte de la lèpre nous est un exemple des ravages causés par cet horrible fléau (Dictionnaire de Bretagne, d'Ogée, t. I, p. 118).

Les mesures prises alors par l'Eglise et les rois pour préserver les gens sains de la contagion furent poussées jusqu'à la dernière rigueur. Le Code des prohibitions formulées contre les lépreux est connu. Je me bornerai à rappeler que tous les lieux publics, les églises, les hôtelleries, les fontaines et les marchés leur étaient interdits, qu'ils portaient toujours sur eux un signe visible, que leur barbe et leurs cheveux étaient rasés, qu'ils habitaient de pauvres cabanes loin de tout centre de population et qu'ils portaient un vêtement uni. Quand ils quêtaient, ils fichaient leur écuelle sur un bâton devant leur porte.

Je n'ai rien trouvé de particulier en ce qui concerne les usages adoptés en Bretagne lors de séquestration ; je suis donc obligé de recourir au rituel commun.

Voici, d'après D. Martène, ce qui se passait le plus généralement en France :

Lorsqu'un homme était suspect de la lèpre, l'official diocésain le mandait à son tribunal ; là, des médecins habiles et assermentés l'examinaient. Si le mal était constaté, l'official prononçait la séparation et faisait publier le jugement au prône de l'église paroissiale. Le dimanche suivant, le curé, en surplis et en étole, et précédé de la croix et du bénitier, allait à la porte de l'église où devait se trouver le lépreux : il l'aspergeait d'eau bénite, et après lui avoir assigné une place séparée à l'église, il célébrait une messe du Saint-Esprit avec l'oraison Pro infirmis. Après la messe, on reconduisait processionnellement le lépreux ou mezel à la cabane qu'on lui avait préparée dans la maladrerie. Le prêtre récitait alors les litanies et donnait successivement au malade les objets suivants, après les avoir bénits : une cliquette, des gants, une pannetière. Ensuite il le consolait et l'exhortait en lui disant : Vous ne vous fâcherez pas pour être sequestré des autres, d'autant que vous aurez part et portion à toutes les prières de notre mère la sainte Eglise, comme si personnellement étiez tous les jours assistant au service divin avec les autres, et quant à vos petites nécessités, les gens de bien y pourvoiront et Dieu ne vous délaissera point. Seulement prenez garde et ayez patience. Dieu demeure avec vous.

D'après le même auteur, le Rituel de Reims fixa de la manière suivante ce que le lépreux devait avoir avant d'entrer dans sa maisonnette :

« Premier : une tartarelle, souliers, chausses, robe de camelin, une housse et un chaperon de camelin, deux paires de drapeaux, un baril, un entonnoir, une courroie, un couteau, une écuelle de bois.

Item. On lui doit faire une maison et un puits. Il doit avoir un lit étoffé de couette, coussin et couverture, deux paires de draps de lit, une huche, un écrin fermant à clef, une table, une selle, une lumière, un poële, un aindier, des écuelles à manger, un bassin, un pot à mettre cuire la chair ».

Après avoir fait les prohibitions d'usage, l'officiant jetait trois pelletées de terre prise dans le cimetière sur le toit de la cabane et plantait une croix devant l'entrée. Il terminait en faisant l'aumône au malheureux reclus et invitait l'assistance à en faire autant. A partir de ce jour, le lépreux ne pouvait sortir de sa borde sans ses vêtements de ladre et sans un congé du curé ou du gouverneur de la maladrerie [Note : Cette traduction est empruntée à la Notice sur la maladrerie de Voley, par M. Ulysse Chevalier, p. 15 et 16].

Dès qu'il était séparé de la société des fidèles, le lépreux cessait de relever de la juridiction civile et devenait la chose de l'Eglise. L'évêque du diocèse était son juge suprême dans toutes ses causes.

Quel était le règlement intérieur des léproseries en Bretagne ? Aucun document ne nous l'apprend. Il nous faut invoquer les historiens des autres provinces pour avoir quelque idée des relations du gouverneur ou prieur, avec ses subordonnés. J'emprunterai ma citation au règlement de la maladrie de Saint-Ladre d'Amiens :

« Le premier devoir imposé aux frères et soeurs sains ou malades (dit A. Thierry qui le paraphrase), c'est une entière soumission au maître ou directeur de l'établissement et une conduite honnête et exemplaire en tout lieu aussi bien que dans la maison. La communication des personnes saines avec les personnes malades est interdite par des dispositions rigoureuses, il est défendu à tous les frères ladres d'approcher du four, de la cuisine, du puits, du cellier, et en général de tous les lieux où se préparent et se conservent les aliments et les provisions destinés aux frères sains. Le port ou la possession d'une arme quelconque, le jeu de dés et tout jeu pour de l'argent ou autre gain sont prohibés. Les frères sont exclusivement justiciables du maître, assisté d'un certain nombre de frères, non-seulement pour tous les délits et infractions qu'ils pourraient commettre, mais encore pour la décision des différents qui surviendraient entre eux. Il est défendu sous punition à tous ceux qui ont quelque plainte à porter d'en saisir d'autres juges. L'exclusion de l'hospice pour toujours ou pour un temps déterminé et des pénitences plus ou moins longues sont les seules peines que prononce le règlement » (Documents inédits de l'histoire au Tiers–Etat, t. I, p. 322).

Les personnes atteintes du mal, dit mal de saint Meen et du mal des ardents ou feu de saint Antoine, n'étaient pas confondues du tout avec les lépreux, bien que leur affection eût une grande ressemblance avec la lèpre. Ces deux genres de maladie avaient leurs hôpitaux réservés. On sait, par exemple, que les pèlerins qui se rendaient au monastère de saint Meen, en Bretagne, de toutes les parties de l'Europe, étaient recueillis à Angers dans l'hôpital saint Etienne, à Oudon, dans l'aumônerie de sainte Emérance, au prieuré de saint Meen, situé sur le bord de la Loire, et à Nantes dans l'aumônerie de Toussaints fondée par Charles de Blois, sur l’île de Biesse. Quant aux Ardents, ils possédaient aussi des asiles bien connus.

Pour expliquer la disparition des lépreux, certains auteurs ont exagéré les persécutions dont ils ont été l'objet dans des moments de panique [Note : Histoire de l'Eglise catholique, t. XX, p. 80, par Rohrbacher. — Histoire du Velay, de Fr. Maudet, t. IV, p. 118]. Ils ont prétendu qu'on les avait accusés, comme les Templiers, des plus horribles crimes, entre autres d'avoir empoisonné les puits et les fontaines pour avoir le droit de s'emparer de leurs biens et qu'ils seraient morts en grand nombre sous les coups des vengeances populaires ou de la justice royale. Suivant les uns, Philippe-le-Bel, attaqué par la lèpre en 1313, aurait fait arrêter tous les lépreux ; suivant les autres, Philippe-le-Long, en 1321, aurait ordonné de brûler un grand nombre de lépreux coupables. Si ces événements se sont accomplis dans les Etats du roi de France, j'ose dire qu'ils n'ont pas eu de contre-coup en Bretagne. Au milieu du XVème siècle, les lépreux étaient encore très-nombreux dans cette province, comme l'attestent les trois documents suivants : il y a un statut synodal de l'évêché de Tréguier de 1436 (Histoire de Bretagne de D. Morice, t. II col. 1277), qui leur prescrit de se tenir aux bas des églises, de ne baiser la paix qu'après tous les autres, et leur défend, sous peine de 100 sous d'amende, de toucher aux vases sacrés. Je sais bien qu'il est ici question des caqueux, mais il est indubitable pour moi que ce nom désignait les lépreux dans le langage courant. Ma conviction s'accroît en relisant le passage suivant de la vie de la B. Françoise d'Amboise, écrite par Albert de Morlaix :

« De son temps, la Bretagne se trouva chargée de tant de ladres, qu'ils estoient abandonnez par les champs, sur les fumiers, sans que personne en prît soin. Elle ne le put endurer et leur fit faire des loges et cabanes et en donna le soin à des personnes pieuses et charitables qui leur fournissaient de ce qu'ils avoient besoin ».

Ailleurs, le même biographe dit :

« Elle fit paraître sa charité envers les ladres et meseaux lesquels étant délaissés et abandonnez pour l'horreur et saleté de cette maladie, elle les fit recueillir et retirer en des maisons et ladreries qu'elle fit bâtir à cet effet et gagea des personnes pieuses pour les aider et assister » (Vies des Saints de Bretagne, p. 409 et 423).

Enfin, je citerai une ordonnance du duc François II de 1476, qui nous indique en quel état d'ostracisme et d'aversion étaient tenus les caquins ou lépreux de Bretagne. Avant le règne de ce prince, ces parias n'avaient d'autres moyens d'existence que la culture de leurs jardins, les aumônes et le métier de cordier. Après leur avoir permis de louer des terres autour de leurs cabanes et de se livrer au labourage, François II, ému sans doute par les plaintes de ses sujets, leur défendit, en 1475, de se produire en public sans une marque ostensible de drap rouge, de vendre ou d'acheter d'autres marchandises que du fil ou du chanvre, et de prendre à ferme des terres labourables.

Les caqueux représentèrent au duc qu'étant très-nombreux dans leurs maladreries, cette interdiction les condamnait à mourir de faim, et qu'étant chargés de famille, ils seraient obligés de vagabonder partout pour recueillir les secours de la charité publique. Au lieu de les pousser à mendier, François II préféra leur rendre la liberté de cultiver des champs dans la mesure de leurs besoins ; mais il limita leurs baux à trois années et maintint la défense de vendre les récoltes de leurs exploitations. Le chanvre fut la seule marchandise qu'ils pussent toucher impunément ; les caqueux du XVème siècle restèrent donc cordiers comme leurs ancêtres. Ceci nous explique comment le métier de cordier est devenu vil dans plusieurs cantons de la Bretagne et pourquoi aujourd'hui encore les cordiers de certains pays rencontrent tant de répugnance quand il s'agit de contracter un mariage, bien que la lèpre ait disparu depuis la fin du XVIème siècle (L. Maître).

ORDONNANCE DU DUC TOUCHANT LES CAQUEUX.

François, etc. De la part de nos pauvres sujets et misérables les caqueux et malades, affinons et habitants en L'evêche de Saint-Malo nous a esté exposé, combien que paravant ces heures, par nostre grâce et congié, les dits suppliants, leurs hoirs et successeurs ayent été tolerez et soufferts de prendre à fermes et louages des terres de nos sujets étant près de leurs demeurances, pour icelles labourer et abienner afin qu'ils s'en puissent vivre, nourrir et sustenter et leurs femmes enfans et mesnagers, sans mandiquer ne donner oppression et charge à nos autres sujets non estant de leur vacation et secte ; lesqueulx héritages leur étoit de nécessité prendre et louer pour ce que d'eux mêmes n'avoient pas héritages ne terres labourables pour leur vie soubstenir, sans ce que fust, permis aux dits caqueux en iceux héritages ainsi louez et affermez faire aucuns édifices pour leurs habitations et pourveu que à cause d'iceux héritages ils eussent poyé et contribué aux rentes et debvoirs, ainsi que faisoient nos subjets desqueulx ils avoient pris et prendront les dits héritages et ainsi se sont les dits caqueux traitez et vesqu jouxte leur misérable vacation et fortune, sans empeschement ne oppression souffrir ;

Ce néantmoins en vertu de nostre mandement daté du 5 jour de Décembre 1475 vous nos dits officiers avez fait prohibition et deffense aux dits exposans de non aller par nostre pays sans avoir une merche de drap rouge sur leur robe pour les congnoistre d'avec les gens sains non suspects ne entachez d'icelle maladie afin de obvier aux inconvénients qui en pourroient advenir et aussi de non plus se marchander, fors seulement de marchandise de chanvre et fil pour leur fait et mestier de cordage et pareillement de non plus faire autres labourages que de leurs jardins ; et mesme avez fait deffenses à tous nos subjets de non vendre aux dits exposants autres marchandises que les dits fil et chanvre et de non leur affermer et bailler ferme ne louage nuls ne aucuns de leurs terres et héritages, à peine de perdition des levées et autres peines y contenues ;

Et par ce moien les dits exposants qui sont multipliez en grand nombre en leurs maladeries, s'ils étoient privez de louer et affermer terres pour icelles labourer et s'en vivre seroient en voye de totale mendicité et povreté et leur conviendroit (ou autrement mourir de faim) aller et communiquer entre les gens pour quérir et demander leurs aumosnes pour subvenir à leur indigence, qui seroit à la grande charge du peuple, dont inconvénient pourroit advenir, ce qui est à eschiver, nous suppliant sur ce leur pourvoir de nostre grâce et convenable remède, humblement le requerant ;

Pour ce est-il que Nous, considérant la pauvreté et indigence des supplians, qui sont en grand nombre et que leur communication seroit cause de grand inconvénient ; désirant subvenir et aider à leur substantion et que sans labourer autres terres que leurs jardins, ils ne peuvent bonnement vivre ; aussi, que si ainsi n'étoit, ce pourroit redonder à la grande charge de nos autres sujets ;

Pour icelles et autres causes à ce nous mouvant, vous mandons et commandons et à chacun de vous vous informer et acertainer bien à plain du nombre des personnes des dits caqueux, habitans et demourans èsdites maladreries audit Evesché de Saint-Malo et quelle quantité et portion de terre, outre leurs dits jardins leur est, et sera nécessaire avoir par louage et ferme pour leur dite substentation et par autant qu'il vous apparoistra et serez informez leur en appartenir, eu égard au nombre des dits caqueux, les licentier et permettre, et nous au dit cas et lorsque besoing en sera, de notre grâce permettons et donnons congié et licence èsdits caqneux, selon que par vous nos dits juges sera ordonné, puissance et faculté de louer pour trois ans pour chacune ferme, des terres de nos subjets les plus prochaines de leurs habitations qu'estre pourra, iceux héritages labourer et des revenus d'iceulx estre les dits exposans, femmes et ennuis sustentez et alimentez seulement, sans leur permettre vendre ou distribuer à autre, par quelque moyen que ce soit, aucune partie ne portion de bledz ne autres fruits du revenu d'icelles terres ne autres que par entr'eux ; ne en iceux héritages faire aucunes maisons ne ediffications ; ce que par exprès leur prohibons ;

Pourveu que par icelles terres ainsi louées et affermez les dits exposans poient et poieront les rentes et feront les redevances au désir de nos précédentes lettres ;

Et au parsus faites prohibitions et deffenses et par ces mesures présentes deffendons ésdits caqueux, à grosses peines, de non aller ne communiquer entre le peuple hors la grande communication des gens sains et non suspects de leur secte et sans porter la dite merche sur leur robbe en lieu apparent, que chacun la puisse veoir et congnoistre et de non se marchander au temps advenir de bledz, beurres, plumes, porcs, vaches, veyaux, chevaux et autres marchandises, fors de chanvre et fil pour leur dit mestier de cordage en achetant le dit chanvre et fil hors la dite grande communication des gens sains.

Si vous mandons, etc., le 18 juin 1477 (D. Morice, t. III, col. 309-310).

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